PLANIFICATION ÉCONOMIQUE
ET CONFLITS POLITIQUES EN CÔTE D’IVOIRE
IV - LES JOURNEES
NATIONALES DU DIALOGUE
Avec les aspirations exprimées lors des Journées
nationales du dialogue, et avec celles contenues dans le Rapport Usher, il ne
s’agit plus de plans élaborés en chambre par des économistes et des
statisticiens, mais de l’exposé pour ainsi dire brut de la manière dont la
société ivoirienne unanime percevait et jugeait le bilan du régime, tous
domaines confondus.
Aujourd’hui, tout le monde parle de la crise
ivoirienne comme si elle n’avait commencé que le 19 septembre 2002, voire le 3 décembre
2010. En réalité, elle a commencé le 2 mars 1990, et même dès la fin septembre
1989, avec l’échec des Journées nationales du dialogue. Il n’est pas sans
intérêt de rappeler cette préhistoire, car c’est à cette lumière qu’on en
distingue le mieux les vraies causes et les véritables enjeux.
LA PREHISTOIRE DE LA
CRISE IVOIRIENNE
Après les festivités du bicentenaire de la prise
de la Bastille auxquelles il avait assisté à l’invitation de son homologue
français, Houphouët avait prolongé son traditionnel séjour estival en France
jusqu’au mois de septembre. Cette très longue villégiature avait quelques
motifs supplémentaires, liés soit à la crise du cacao, soit à la question de la
basilique qu’il venait d’édifier à Yamoussoukro, et dont il désirait faire
présent à la papauté. Au moment de son retour au pays, il n’avait réglé que
cette dernière affaire. Quant au problème du cacao, non seulement il restait
entier, mais il s’aggravait un peu plus chaque jour dans une atmosphère
d’arnaque entretenue par d’habiles spéculateurs bénéficiant de solides appuis
politiques tant à Abidjan qu’à Paris.[1] C’est
dans ce contexte que, allant au devant des vœux de la population, Houphouët fit
annoncer depuis l’étranger qu’à son retour il convierait les Ivoiriens à un
grand débat public sur l’ensemble des questions qui les préoccupaient, afin de
rechercher avec eux les meilleurs moyens de les résoudre.
Ce n’était pas la première fois que les « cadres
de la nation » étaient appelés à conférer de cette façon solennelle avec
le chef de l’Etat. Depuis le grand dialogue de 1969 et son formidable succès,
Houphouët avait pris l’habitude de convoquer des conseils nationaux – sortes
d’assemblées générales du parti unique – chaque fois qu’il voulait désamorcer
une crise menaçante. Ces réunions s’achevaient toujours sans qu’aucune décision
n’y soit prise car leur but véritable n’était pas de résoudre les problèmes,
mais seulement de permettre à Houphouët de raffermir son emprise sur les « cadres
de la nation » tout en leur donnant l’illusion de participer activement à
la vie politique nationale. Laurent Fologo en a fait ingénument l’aveu sur les
ondes de Radio France Internationale (RFI), le 17 septembre 2001 : « J’ai vécu près de vingt ans auprès du
président Houphouët ; il organisait ce qu’on appelait les conseils nationaux,
sortes de petits forums ; mais les vrais décisions ne sont jamais prises dans
ces forums-là… ».
Les journées nationales du dialogue auraient
donc pu n’être qu’un conseil national de plus. Mais, la situation économique,
financière et sociale étant devenue trop grave, il ne pouvait plus s’agir pour
Houphouët d’apaiser ou de déplacer des tensions politiques ou sociales
momentanées en utilisant seulement sa légendaire « magie du verbe ». Les temps commandaient de décider des
mesures urgentes qu’exigeait une crise complexe aux conséquences imprévisibles.
Pour la première fois depuis le milieu des années 1960, Houphouët se trouvait
dans la position du demandeur par rapport à la société. Même s’il ne désirait
pas plus qu’à son accoutumée qu’un véritable débat contradictoire s’instaure
entre lui et les Ivoiriens, la gravité de la situation intérieure d’une part,
son propre isolement international d’autre part, lui imposaient cette posture
insolite. Pour les mêmes raisons, les « cadres de la nation »,
pouvaient penser qu’il n’était pas déraisonnable de croire que, cette fois, quelque
chose de substantiel sortirait de ce rituel.
MAIS C’EST QUI, LES « CADRES DE LA
NATION » ?
Vous vous demandez peut-être qui sont ces « cadres
de la nation » dont il est si souvent question dans ces pages ? Par
cette expression, Houphouët lui-même entendait surtout « les ministres, les députés, les conseillers économiques et
sociaux, les directeurs et les chefs de service du secteur privé ou du secteur
public ».[2]
Mais, dans le langage politique ivoirien courant, cette expression s’est très
vite appliquée à tous ceux que dans les autres pays d’Afrique et du monde on
nomme les élites. Il y a une certaine ironie à appeler « cadres de la nation », les élites du seul pays au monde
dont les dirigeants, et le premier d’entre eux tout particulièrement, passaient
leur temps à jurer que « la nation n’existait
pas encore », qu’elle « restait
à construire », que ce serait « une
œuvre de longue haleine », et patati, et patata… Mais le royaume
d’Houphouët n’était pas à un paradoxe près.
A quel moment et à quelle occasion cette expression
a-t-elle fait son apparition dans le vocabulaire politique ivoirien ? Et
à qui la doit-on ? Nul ne saurait le dire avec exactitude, mais on peut
hasarder qu’Houphouët fut sans doute le premier à en faire usage. Et sa fortune
exceptionnelle nous invite à penser qu’elle apparut vraisemblablement au début
de la vogue des conseils nationaux.
Venant d’Houphouët, cette trouvaille ne pouvait évidemment
pas être sans arrière-pensées. Désigner de cette façon les élites modernes,
autrement dit encore les diplômés, dont le nombre augmentait rapidement depuis
l’indépendance, c’était en fait nier sournoisement leur qualité la plus
essentielle, celle d’où découle leur fonction dans la société.
Le mot élite suppose en effet, chez ceux
auxquels il s’applique, non seulement une valeur en soi mais aussi et surtout
un rapport nécessaire entre eux et la société d’où ils émanent. C’est un
rapport qui ne peut pas être imposé artificiellement de l’extérieur, mais qui
se produit nécessairement à l’intérieur de la société lorsque certaines
conditions y sont réunies. Il s’agit d’une rencontre de pur hasard, et le lieu
privilégié de cette rencontre, c’est un certain stade du mouvement général de
la société, un peu à l’image de ce qui se passe lors du vannage des
grains : en agitant le van, on fait s’y ranger à part, se distinguer en
somme, les éléments les plus pesants. Il faut le mouvement de toute la société
pour qu’une véritable élite y apparaisse. Une société déresponsabilisée, et
dont tous les membres étaient privés de tout droit d’initiative, comme l’était
la société ivoirienne sous le règne d’Houphouët, était totalement incapable de
produire une élite vraiment digne de ce nom.
Aussi bien les « cadres de la nation »
ne l’étaient-ils que parce que Houphouët leur en avait conféré le titre. Un
titre au demeurant vide de tout contenu puisque la logique de ce régime voulait
que toutes les fonctions d’encadrement fussent réservées à des agents français
civils et militaires. Et un titre d’autant plus vide que ces soi-disant « cadres
de la nation » se subdivisaient encore en cadres de telle ou telle région
particulière selon leur communauté ethnico-linguistique d’origine. Le « cadre »
d’une région se devait tout entier à cette région-là et à elle seulement !
En revanche, il n’était absolument rien dans les régions voisines,
desquelles il n’avait rien à attendre et auxquelles il ne devait rien.
C’était comme s’ils n’étaient pas citoyens du pays dans sa totalité, mais
seulement de leur région de référence.
Lors d’un entretien que j’eus, en septembre
1978, à Alger, avec Charles Donwahi, il m’a longuement parlé de ce phénomène et
de ses conséquences sur la mentalité des fameux « cadres de la
nation ». Voici quelques extraits des notes que j’ai prises à l’issue de
cet entretien : « Ce qui étonne
le plus nos visiteurs des autres pays africains, c’est d’entendre nos cadres
dire : "Le week end, je m’en vais au village". Chacun s’acharne
à se faire sa place dans son village ou sa région natale. Comme disait César,
"Je préfère être le premier dans ce village perdu plutôt que le deuxième à
Rome". Donc, lutte politique intense non plus à Abidjan ; non plus au
plan national ; mais dans un même village ou une même région entre les
cadres qui en sont originaires…". Tels Etéocle et Polinice se battant
pour dominer dans Thèbes, tandis qu’un mal pernicieux menace de détruire la
Grèce ! Charles le sait et le dit : "La fixation des cadres sur les rivalités au sein de leurs
paroisses détourne leur attention et celle des simples citoyens des affaires
nationales. Chacun ne considère que sa région, où il recherche une base pour
ensuite se faire plus facilement une place à Abidjan. Ce qui a pour effet de
développer l’esprit régionaliste chez les cadres comme chez les simples
citoyens qui espèrent qu’ils tireront moult avantage de la promotion des cadres
de leur région. Aussi le régionalisme fait-il des ravages partout. Le mouvement
étudiant, par exemple, en est miné à Abidjan comme en France." Charles
affirme que c’est le résultat d’une politique délibérée. »
Résultat : la société ivoirienne n’a pas
généré une véritable élite nationale, ni même une classe politique nationale
stricto sensu, parce que les catégories qui pouvaient s’en revendiquer, outre
qu’elles n’avaient aucun rôle dans la prise des décisions à l’échelle locale ou
nationale, ne se sont jamais vraiment pensées comme responsables et comme citoyens
de la Côte d’Ivoire dans sa globalité.
Dans le monde entier y compris en Afrique, nulle
part ailleurs qu’en Côte d’Ivoire on ne trouverait une telle illusion d’être et
de pouvoir associée à autant d’impuissance réelle !
SEPTEMBRE 1989 : LE
GRAND DIVORCE
Le discours inhabituellement bref qu’Houphouët
adressa à l’assistance lors de l’ouverture de ces journées contient une petite
phrase étonnante dans la bouche d’un homme qui gouvernait en autocrate depuis
plus de trente ans : « Mon devoir
est de rappeler à chacun que tout ne peut reposer sur un seul »… Que
ce serait-il passé si ses auditeurs l’avaient pris au mot ? Cela n’aurait-il
pas immédiatement changé la nature et les pouvoirs de cette réunion,
transformant un simple palabre en une assemblée délibérante prenant directement
à sa charge les décisions nécessaires, et veillant elle-même à leur exécution ?
A un certain moment on frôla ce miracle. Juste avant de conclure son discours,
le porte-parole de l’Union du patronat (Upaci) fit cette observation : « La Côte d’Ivoire dispose des
compétences humaines nécessaires et de nombreux rapports et études d’experts
qui ont déjà répertorié les actions à mener. L’essentiel est de recréer le lien
entre le dialogue et la décision ». C’était, d’une certaine façon, en
appeler à la conférence nationale
souveraine qui s’avèrera bientôt si profitable aux Béninois et aux
Congolais de Brazzaville. Mais, soit qu’ils aient cru cette profession de foi
suffisante en soi pour garantir que leurs doléances seraient, cette fois,
réellement prises en compte par un président si bien disposé à écouter son
peuple et à partager avec lui le fardeau du pouvoir, on s’en tint aux règles du
jeu fixées unilatéralement par Houphouët, et le miracle n’eut pas lieu.
Ce premier jour de « dialogue » fut
aussi marqué par un curieux incident. Après l’allocution d’Houphouët,
l’audition des premiers orateurs fut brusquement ajournée au lendemain parce
que, expliqua le fidèle Camille Alliali, « Il
nous est revenu que beaucoup de délégations n’ont pas pu, en raison du temps
qui leur était imparti, parfaire leurs analyses pour les présenter ce matin. A
la lumière de ce qu’a dit le président, je pense que nous pouvons remettre la
concertation à demain pour permettre à l’ensemble des orateurs d’approfondir
leurs réflexions et nous les livrer en bonne forme. »[3]
A l’époque, cet incident fut interprété comme une manœuvre visant à dissuader
certains orateurs d’évoquer des questions qu’on ne souhaitait pas voir
soulevées… Ce n’est pas impossible mais, si manœuvre il y eut, elle échoua car
les différents orateurs parlèrent très librement de tout. Le pouvoir se
rattrapa toutefois, en ne répercutant pas leurs discours dans sa presse écrite
ou audiovisuelle. Il y a en effet, dans les journaux de l’époque, un contraste
saisissant entre l’abondance des commentaires, citations, paraphrases et
exégèses des moindres paroles d’Houphouët, qui pourtant ne parla guère pendant
ces journées, et le silence général des chroniqueurs en ce qui concerne les
très nombreuses et très riches observations, critiques et suggestions des « cadres
de la nation ».
LES PRINCIPALES
DOLEANCES
DES « JOURNEES NATIONALES
DU DIALOGUE »
La liste des
doléances émises par les différents intervenants (ci-dessous) montre qu’en
cette fin de l’année 1989, la majorité des Ivoiriens ont une idée très claire
de la totale incompatibilité du système Houphouët avec les intérêts de la
nation, et sont déterminés à y mettre fin.
Porte-parole
du SG du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) :
*Renforcement de la surveillance de « nos
frontières ».
*Mise en circulation des cartes de séjour
conformément aux accords régionaux et internationaux.
*Réactivation la politique d’ivoirisation des
responsabilités par une accélération de la relève des coopérants.
*L’octroi des licences et autres autorisations
relatives aux activités commerciales n’a pas toujours favorisé l’émergence
d’opérateurs économiques nationaux faute d’assistance et d’appui financier.
Porte-parole
du Syndicat national des enseignants du secondaire de la Côte d’Ivoire (Synesci) :
*Renforcement des contrôles aux frontières.
*Institution de la carte de séjour.
*L’industrie et le commerce, secteurs
insuffisamment ivoirisés.
*Réduction du recrutement des expatriés
enseignants.
*Plus de rigueur dans le processus d’acquisition
de la nationalité ivoirienne.
Porte-parole
du Conseil économique et social (Ces) :
*Que la concertation se poursuive au-delà des
présentes assises.
*La libre concurrence n’exclut pas que l’on
définisse des zones de protection au profit notamment des PME nationales.
Porte-parole
du Syndicat national des enseignants du primaire public de Côte d’Ivoire (Sneppci) :
*Mise en application de la loi de réforme du
système éducatif de 1977.
*Fluidité excessive de nos frontières :
« Cela nous amène à nous demander si la Côte d’Ivoire n’est pas victime
d’une conspiration. »
*Que la réglementation des entrées et sorties du
territoire soit rendue plus rigoureuse.
*Que des cartes de séjour des non ivoiriens soient
créées, limitées et régulièrement contrôlées.
Porte-parole
de l’Association des femmes ivoiriennes (Afi) :
*Perméabilité excessive des frontières.
*Renforcement des contrôles aux frontières.
*Nomination des étrangers au détriment des
Ivoiriens aux postes de responsabilité dans tous les secteurs et même aux
postes impliquant la confidentialité.
*Naturalisations trop faciles.
*Plus de rigueur dans les procédures de
naturalisation.
*L’installation trop rapide des étrangers dans
les activités économiques et commerciales.
*Attributions abusives de terrains urbains et de
logements sociaux du patrimoine de l’Etat aux étrangers.
*Occupation sauvage et destruction de nos forêts
par des non Ivoiriens.
* Limitation de l’attribution des terrains
urbains.
*Suppression des attributions des logements
sociaux et des terres cultivables aux non Ivoiriens.
*Embauche préférentielle des non Ivoiriens dans
les entreprises privées au mépris de la législation ivoirienne du travail.
*Donner la priorité à l’embauche des Ivoiriens.
Porte-parole
du Syndicat national de la recherche et de l’enseignement supérieur (Synares) :
*« La loi de 1977 portant réforme de
l’enseignement en Côte d’Ivoire a bien été votée par l’« Assemblée
nationale ; mais elle n’a jamais été appliquée sans qu’on en fournisse les
raisons. (…) Nous demandons [son] application effective. »
*Nous souhaitons le renforcement du contrôle de
nos frontières.
*Nous déplorons la trop grande perméabilité de
nos frontières et l’acquisition trop facile et trop rapide de la nationalité
ivoirienne. Nous souhaitons l’institution d’une carte de séjour pour les
étrangers.
*Nous souhaitons le recours de préférence aux
experts nationaux qui sont tout aussi compétents et moins chers.
Porte-parole
de l’Union du patronat de Côte d’Ivoire (Upaci) :
*La Côte d’Ivoire dispose des compétences
humaines nécessaires et de nombreux rapports et études d’experts qui ont déjà
répertorié les actions à mener. L’essentiel est de recréer le lien entre le
dialogue et la prise de décision.
*Les PME déplorent l’attribution des marchés à
des entreprises occasionnelles créées en fonction d’une offre ponctuelle, et
souhaitent :
- la révision des conditions de soumission aux
appels d’offres (caution provisoire et définitive).
- une application stricte, objective et
juste des textes en vigueur, notamment
les dispositions du code des marchés publics.
*Le libéralisme auquel la Côte d’Ivoire est
attachée n’est pas incompatible avec un contrôle légitime des activités
commerciales. (…). Le libéralisme ne signifie pas le laisser-faire et le
laisser-aller. L’Etat se doit de faire respecter toutes les règles du jeu afin
de maintenir les conditions d’une concurrence saine et positive.
LE PLAN USHER
Entre la fin du conseil national de septembre
1989 et le mois de février 1990, il y eut une espèce de temps mort pendant
lequel on aurait pu croire que la Côte d’Ivoire avait surmonté cette secousse
prémonitoire et retrouvé son train train habituel. En réalité, sous l’apparente
accalmie se préparait le bras de fer de la première quinzaine du mois de mars
1990. D’un côté, Houphouët, ses conseillers français et ses ministres
concoctaient dans le plus grand secret le plan d’austérité connu depuis comme
le plan Koumoué Koffi, du nom du ministre de l’Economie de l’époque. De l’autre
côté, la Commission nationale de synthèse des journées du dialogue, dite
Commission Usher du nom de son président, l'ancien ministre des Affaires
étrangères Arsène Assouan Usher, travaillait à trouver les moyens de concilier
les exigences des créanciers de l’Etat et les attentes des citoyens.
Cet organisme était censé être une prolongation
des « Journées du dialogue » de septembre 1989, et son président
l‘avait voulu le plus représentatif possible sinon de la société tout entière,
du moins du microcosme politico-social avec lequel il était habituel de la
confondre. Comme on pouvait s’y attendre, Houphouët n’avait pas plus
l’intention de tenir compte des avis de cette commission-là que de celle de
1977 sur la réforme du système éducatif, elle aussi animée par Usher. Au moment
où il décrétait le plan d’austérité de son ministre des Finances, il avait déjà
reçu le rapport de la Commission Usher, mais il ne daigna même pas le feuilleter.
Parmi les raisons de la révolte des Ivoiriens à partir du 2 mars 1990, cette
attitude de mépris pour leurs doléances exprimées pendant les Journées
nationales du dialogue et reprises dans le rapport de la Commission Usher fut
sans doute aussi déterminante que le plan Koumoué Koffi lui-même.
Les
extraits qui suivent permettent de se faire une idée très précise de la
tonalité globale du rapport Usher :
Sur la
transformation des matières premières locales.
« La transformation de notre cacao peut se
faire maintenant : la technologie existe ; les machines
existent ; les hommes aussi. Il est dans l’intérêt du pays de les soutenir
et de laisser parler de cette transformation comme d’une chose
naturelle. »
Sur la
commercialisation du cacao et du café.
« Le conseil national a déploré la mauvaise
et la non maîtrise de la commercialisation de nos deux plus importants produits
(café, cacao). Les traitants sont des amateurs improvisés : Libanais,
Sénégalais, Maliens. Les exportateurs sont des Européens préférés par les
banques, les sociétés de négoce, les mêmes qui spéculent et qui sont
exportatrices et transitaires. Ceci fausse tout le circuit et nous mets en
position de faiblesse (…). L’indépendance acquise, le problème économique
devrait continuer à être préoccupant pour le parti. (…) le commerce devrait
ouvrir aux jeunes cadres chômeurs des perspectives nouvelles. Les secteurs sont
porteurs d’emplois et véhiculent près de 244 milliards. Il est entièrement
occupé par des non Ivoiriens, surtout des Syro-Libanais. Il serait souhaitable
de reprendre un système de formation rapide, à l’exemple du programme d’action
commerciale (Pac). Dans ce processus, le fonds de solidarité aux chômeurs
aurait non seulement une place importante, mais se convertirait en service de
prêt pour installation. »
Sur
l’immigration.
« Sur 1000 résidents en ci, en 1980, 768
sont Ivoiriens et 252 étrangers ; en 1985, 721 Ivoiriens et 279
étrangers ; en 1989-1990, 694 Ivoiriens et 306 non Ivoiriens. Le taux de
croissance démographique est de 3,2% chez les Ivoiriens et de 6,6% chez les non
Ivoiriens. C’est dire que dans une quarantaine d’années, il y aura autant
d’étrangers que d’Ivoiriens en Côte d’Ivoire. Peut-être, avant de prendre une
loi d’immigration efficace, devrions-nous exiger au moins la carte d’identité
nationale avant l’entrée en Côte d’Ivoire. Et pour résoudre à la racine la
question de sécurité, que tous les résidents en Côte d’Ivoire soient fichés.
Une structure à cet effet est prévue par la Commission et rapportera une soixantaine
de milliards annuellement (…). En raison de l’importance de la communauté
syro-libanaise dans le secteur de la distribution, communauté parmi laquelle se
glissent des Palestiniens et les Libanais fanatiques, la commission partage les
préoccupations des Ivoiriens quant au problème de l’immigration. »
(…)
« Compte tenu de l’importance des
Syro-Libanais dans le commerce, il importe que leur installation soit
strictement contrôlée : exiger une caution et des garanties préalables à
leur installation ; imposer des taux forfaitaires aux Syro-Libanais
redevables d’impôts et, qui plus est, ne tiennent pas de comptabilité. »
(…)
« Le Conseil national affirme (…) que le
commerce échappe aux nationaux, ce qui, à son avis, n’est point sécurisant, ni
du point de vue économique, ni du point de vue politique. »
Sur les
problèmes du logement.
« Nombreuses sont les familles ivoiriennes
jetées dehors des maisons Sogefiha qu’elles occupaient depuis 10, 15, 20 ans,
et pour lesquelles il ne restait que 300.000 à 1 million de francs à payer, et
qu’elles ne pouvaient pas payer parce que compressées. Des non Ivoiriens les
rachètent pour se faire un patrimoine et les mettent ensuite en
location. »
CONCLUSION
La grande leçon des journées
nationales du dialogue
(à suivre)
1 - Cf. A. Glaser et S. Smith : La Guerre du cacao.
2 - F. Houphouët-Boigny 28/09/1989.
3 - Fraternité Matin 22/09/1989.
4 - Fraternité Matin 29 septembre 1989.
5 - Le Monde et Jeune Afrique Plus.
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