« Il n’est pas possible de se taire », a dit Roger Garaudy. Nous empruntons cette phrase du célèbre philosophe marxiste pour traduire le devoir de mémoire sur l’occupation des terres de l’Ouest wê. Oublions la crise politique. Oublions la question du prétendu bradage volontaire des terres par les autochtones paresseux, adeptes de gains faciles, cliché collé à tort ou souventes fois à raison aux populations de l’Ouest wê. Essayons de prouver ici, sans faux fuyant, que l’occupation des terres de l’Ouest wê, à l’allure d’expropriation systématique à la faveur de la guerre postélectorale, a une histoire. Selon notre humble constat, cette occupation a été progressivement planifiée, subtilement exécutée jusqu’à la surprise impuissante et générale des autochtones.
Sans aucune prétention d’une relation historique exhaustive de cette colonisation, il nous importe, en tant qu’observateur critique, de relever certaines causes du drame foncier de ce peuple.
C’est à partir des années 1980 que l’évolution des rapports autochtone-allogène s’est progressivement dégradée. Mais qu’en est-il de l’antériorité de ceux-ci ? La région de l’Ouest en effet, comme toutes les autres de notre pays, a accueilli des allogènes de la sous-région africaine. L’Ouest en particulier a toujours été une région plus ouverte du fait de sa culture qui fait de l’étranger un « envoyé de Dieu ». Au cours de nombreuses années, le brassage des peuples a été tel que la cohabitation ne souffrait d’aucune anomalie. Les allogènes respectaient les us et coutumes du tuteur. Ils faisaient leurs champs de maïs avec de l’élevage dont ils avaient le secret. Ce climat de paix va être détérioré par l’afflux non seulement d’autres allogènes mais aussi et surtout de compatriotes du centre et du nord de la Côte d’Ivoire.
Au nom de « la démocratie interne » du Pdci
A la fin des années 1970 à 1980, on peut le dire, le Pdci, parti unique d’alors, va s’obliger à ce qu’il a appelé « la démocratie interne ». Certainement des signes précurseurs du discours de La Baule et des effets du vent de l’Est de la démocratisation et du multipartisme. En effet aux nominations des hommes politiques vont se substituer des compétitions entre candidats du même parti et ce, dans toutes les régions. Ainsi des leaders politiques Wê, pour la plupart rejetés par la population qui aspirait au changement, vont entreprendre l’ouverture de la région à certaines populations du V baoulé et militants inconditionnels du Pdci. Leur installation se fait dans des forets parfois classées, voire sur des terres que ces barons se sont abusivement attribuées. Et ce, pour constituer un bétail électoral, au mépris ou par ignorance des risques à moyen et long terme d’inévitables conflits fonciers du fait de l’exploitation à grande échelle, entre les autochtones et les nouveaux venus.
A la faveur de la construction du barrage de Kossou à Yamoussoukro, décidée par le Président Houphouët, cette population militante est aisément arrachée à l’espace que va occuper cet ouvrage. C’est un déguerpissement massif des populations Baoulé, d’allogènes burkinabé et malien qu’ont provoqué les travaux de ce barrage. Alors ces déplacés trouvent un accueil auprès des leaders politiques de l’Ouest wê pour un intérêt politique immédiat pour les uns et économique pour les autres.
L’installation abusive des allogènes et allochtones
Ces populations allogènes et allochtones sont donc installées soit dans des forêts classées avec l’onction des barons, soit sur de grandes superficies accaparées par ces politiques parfois au détriment des propriétaires coutumiers. Il a été donné de voir par exemple des villages V1 V3 V4…. Qui ont été créés dont les densités dépassent celles des populations d’origine. Le village cosmopolite de Dibobli à Duékoué illustre bien cette situation. Sans compter la multiplication des résidents de beaucoup de villages d’accueil par dix ou par vingt. Ainsi par petites colonies financées d’avance, des villages satellites sont nés, absorbant littéralement les autochtones. Pis, pour légitimer l’installation abusive de ces populations par les hommes politiques d’alors, un slogan politique a été inspiré par le Président Houphouët selon lequel « la terre appartenait à celui qui la mettait en valeur ». Un slogan pour préparer les envahisseurs à l’exploitation. Ce, sans se soucier des propriétaires des terres déclarées ainsi sans maître et, bien entendu, pour voire étouffer quelques velléités de contestations possibles.
Rappelons également que toutes les autorités administratives militaires et paramilitaires affectées à dessein à la tête des circonscriptions et départements wê (préfet, sous-préfet, commandant de Brigade, commissaires de police…) étaient toutes acquises au respect et à l’application de ce slogan politique. Un slogan ayant force de loi pour le bien-être et pour la protection des allochtones Baoulé d’abord et dont profiteront ensuite tous les autres allogènes ou étrangers. Les populations allogènes, témoins de quelques différends fonciers entre autochtones et allochtones n’ont pas cherché longtemps pour réaliser la perméabilité et la permissivité du peuple Wê dont on peut aisément abuser. Car la résolution dubitative de ces conflits par les autorités manifestement aux dépens des autochtones (certainement en application du fameux slogan loi) ne pouvait avoir comme conséquence que cette déconsidération. Exemple le conflit foncier Baoulé et Guéré à Fengolo à Duékoué en 1995.
La terre et le cacao
La deuxième série de raisons du déferlement des populations étrangères dans l’Ouest forestier réside également dans deux situations : l’absence des terres d’une part et d’autre part dans le vieillissement des plantations de l’ancienne boucle du cacao ivoirien (Régions de Dimbokro, Bongouanou, Agnibilékrou et Abengourou). La dépréciation de la qualité du cacao de cette partie du pays a en effet provoqué la recherche des terres neuves qu’offre l’Ouest wê. Les chocolatiers ont organisé, à travers des intermédiaires ou des groupes financiers, les Burkinabè jugés « grands travailleurs », en souvenir des premières plantations industrielles du pays. Ces allogènes, en majorité Burkinabè, envahissent donc toutes les régions avec de grands moyens en vue de la production du meilleur cacao sur les terres de ces « fêtards et paresseux » de l’Ouest en général et Wê en particulier. Les premiers allogènes, les chefs de familles en tête, s’intégraient facilement. Mais les nouveaux bailleurs et chefs d’exploitation mettent en avant des manœuvres analphabètes, qui le plus souvent, ont un réel problème de communication avec les propriétaires coutumiers. Notons par ailleurs que les conflits fonciers du Sud-Ouest ivoirien (Tabou, Grabo et autre) ont fait migrer certains allogènes dans le désormais « no man’s land » wê livré à la prédation généralisée des terres et des populations.
Tous ces mouvements migratoires et anarchiques vers l’Ouest se sont déroulés par vagues et par périodes, en de différents endroits. Ce, au point que toute la population dans toute sa diversité, ne s’est rendu compte du drame que lorsque la cote d’alerte fut dangereusement atteinte dès les années 1990-1995. Pis cette situation déplorable pour le peuple Wê est généralement favorisée par la culture du terroir. En effet l’organisation politique et sociale wê n’a pas prévu de notion de chefferies de terres au pouvoir véritable sur la population. Ceci ajouté au culte de tout étranger propre aux peuples Krou comme les Wê. Ces deux éléments non moins négligeables ont aidé à la vulnérabilité de ce peuple quant à la pénétration des populations étrangères préparées et financées. Des foules qui n’ont pas eu de peine à s’accaparer progressivement tout le patrimoine foncier wê.
Rôle des pouvoirs politiques et financiers
Qu’ont fait les cadres et les structures de développement de la région pour enrayer le mal ? En effet la sonnette d’alarme a été tirée, à leur façon par des associations de cadres et travailleurs de villages ou de département. Mais que peut réussir une association de travailleurs qui peine à assurer son fonctionnement régulier, réduite aux membres dispersés sur le territoire national face à une gigantesque opération constante suscitée sur le terrain par des pouvoirs politiques et groupes de pression financiers ? Surtout avec une administration corruptible ; parfois dépassée par l’ampleur de la crise ou même mise dans le contexte ? Quel rapport fiable peut-on en effet attendre, d’une autorité administrative qui, dès sa prise de fonction, reçoit sa part du gâteau ? Une libéralité d’une grande plantation d’hévéa clé en main par exemple. Cette razzia dans l’occupation des terres par de nouveaux exploitants va impacter profondément les relations entre les autochtones et les premiers allogènes avec qui ils entretenaient pendant longtemps de bonnes relations. Selon un cadre de la région, « Dans les années 1965-70-75 en effet, pour ceux de notre génération, l’intégration des allogènes fut telle qu’ils acceptaient d’habiter avec leurs tuteurs qui , à leur tour, le leur rendaient bien en baptisant par exemple les nouveaux nés allogènes de nom wê ».
Mieux, ces premiers allogènes, dans les rapports de confiance réciproques avec les populations d’accueil, prenaient une part active aux constructions d’infrastructures sociales (écoles, centre de santé villageois…), voire aux activités socio-culturelles comme les funérailles. En tout, une réelle symbiose qui ne présageait en rien d’un retournement de comportement à 180 degrés pour déboucher aujourd’hui sur une guerre par l’intrusion de nouveaux venus parmi lesquels des compatriotes ivoiriens.
Mise en place culturelle du bassin d’immigration
A partir des années 1980, les nouveaux seigneurs allogènes et allochtones, plus organisés et plus nantis pour la mission d’occupation des terres, corrompent leurs frères ou partenaires trouvés sur place par leurs nouvelles méthodes. Dorénavant, en lieu et place du métayage, les anciens allogènes exigent des terres pour des cultures pérennes. Tous finissent par se liguer contre les autochtones hospitaliers. Pire, ces anciens qui connaissaient mieux la culture wê deviennent des indics les plus zélés dans la recherche des meilleurs moyens de mettre en œuvre le massacre de leurs anciens tuteurs. Contrairement aux premières volontés d’intégration des premiers allogènes, les allochtones imités par tous les autres se replient sur eux, avec création de villages aux dénominations « kro ou dougou » au détriment de la culture d’accueil qui donne les « bly, golo, zon… » comme dénominations. Voilà un des tableaux alarmants non exhaustifs d’un peuple à cause de son patrimoine. Un peuple qui a commis le crime d’être sur des terres riches et fertiles sans certainement compter un sous-sol prometteur selon des études. Un peuple à la merci d’organisations de certains compatriotes Ivoiriens et d’étrangers, victime de tirs groupés sans défense dont les velléités sporadiques, disparates de résistance ou de revendication sont combattues sur plusieurs plans: Au plan données démographiques certaines contrées donnent aujourd’hui 25 allogènes pour 02 autochtones ; parfois 28 villages satellites d’allogènes pour un village d’accueil. Au plan administratif, l’administration, conditionnée par la situation et mise dans le contexte, ne peut qu’observer impuissante cette réalité explosive. Militairement, tous les allogènes et allochtones se sont tous dotés d’armes, même de guerre, au vu et au su des autorités (si certaines n’en assurent pas la dotation) pour parer à toute éventualité. Sur le plan matériel et financier, que peut réaliser une population rurale à la machette contre des exploitations cautionnées et financées avec de grands moyens matériels pour défricher en un coup des hectares de forêts ? Avec en outre la construction des infrastructures sociales (écoles, centres de santé…) en plein cœur des forets au profit de la population étrangère.
Résultats: des agglomérations, heureusement de fortune pour certaines, plus étendues que les villages autochtones, sont élevées. Des allogènes et allochtones regardant désormais le peuple d’accueil submergé de haut, vivant en autarcie, n’attendaient qu’une occasion pour parachever l’expropriation définitive des propriétaires coutumiers de leurs terres. De graves difficultés de cohabitation se posent. Du fagot de bois de chauffe naît un conflit entre autochtone et allogène ; interdiction est faite aux jeunes autochtones d’une simple pêche ordinaire dans les eaux aux environs des plantations d’allogènes et d’allochtones ivoiriens. Comme une espèce de conspiration les mêmes règles et méthodes s’appliquent de Kouibli à Toulepleu, de Duekoué à Tai comme d’ailleurs à Gagnoa, Tabou, Divo….
Rôle de l’ex-rébellion dans l’implantation des allogènes et allochtones
La guerre née de la crise politique a servi dès lors d’aubaine. La connaissance du terrain ? En dépit d’une résistance des Wê, puisée dans les tripes, la rébellion, s’appuyant en effet sur ces alliés naturels, les allogènes de la sous région dont les burkinabés, a eu la tâche facile. D’où l’ampleur des massacres frisant un génocide du peuple, prétextant de son soutien politique réel ou supposé au Président Gbagbo. Ainsi en plus de leur nombre croissant, des lobbys financiers, les allogènes et allochtones désormais armés pour la circonstance, n’ont plus qu’à parachever la spoliation totale des Wê. Et cela, soit en élargissant les espaces déjà exploités, soit en récupérant tout simplement les terres des autochtones massacrés ou exilés. Plus grave, des forêts classées sont littéralement investies par des seigneurs de guerre comme butin suivi de massacre des populations et villages autochtones environnants. L’occupation et l’exploitation du patrimoine du Mont Péko de 300 hectares entre Duekoué et Bangolo par des combattants pour la plupart burkinabé en est une parfaite illustration. La crise politique s’est ainsi superposée au conflit foncier contre le peuple Wê. D’où la perpétuation des crimes contre les autochtones favorisée par la victoire militaire de la rébellion dans ce pays ces temps-ci. Aujourd’hui encore les traques et expropriations illégales continuent. Les Wê ou Guéré rimant désormais comme objet de génocide en campagne mais aussi miliciens pro Gbagbo à traquer dans les villes. Rappelons que la loi sur le foncier rural votée à l’unanimité des Députés n’aura connu aucun début d’exécution réelle sur le terrain à cause des pressions politiques voire diplomatiques contre cette loi. Or cette loi a le mérite de régler un pan de la souveraineté de ce pays, c’est-à-dire la question de la terre. Ce texte restera sans application effective, restée en suspens dans les crises politico-militaires que continue de connaître la Côte d’Ivoire. Une situation qui n’arrange que les bandes armées et leur mentor, les allogènes et allochtones qui ne demandent pas mieux pour la pérennisation de leurs acquis. Devoir de mémoire, ainsi se dessine notre regard, une contribution quoique anecdotique à l’intelligibilité de l’odyssée de ce peuple. Un tableau dramatique pour lequel des solutions politiques courageuses doivent être attendues de la part du pouvoir si on peut considérer que ce peuple a aussi le droit de vivre sur sa terre acquise et non conquise ; qu’il fait partie intégrante de cette patrie et doit avoir droit à la protection comme tous les autres citoyens. Lui refuser cette dignité sera de lui ouvrir la possibilité de réaliser son autonomie, par tous les moyens tôt ou tard comme les exemples foisonnent de par le monde. Aux cadres, fils et filles Wê, une réelle prise de conscience de la tragédie de leur peuple ne doit fléchir pour sa survie y compris la leur. Il est temps de se départir du sentiment pervers de culpabilité selon lequel seuls la paresse et le gain facile ont poussé tout ce peuple à sa propre destruction en bradant son patrimoine naturel aux étrangers et s’y résigner. C’est une explication simpliste qui ne tient absolument pas toute la route au crible d’une réflexion approfondie de cette question. L’analyse ne les dédouane cependant pas de la bêtise de leur culture et de la légèreté de leur organisation socio-politique à repenser. Mais que valent les contrats de vente de terre par des jeunes de 20 ans des plantations qui les ont vu naître sans que ces acheteurs véreux ne prennent même la petite précaution de se présenter au chef du village ? Que dire d’une cession de terre d’un hectare défriché contre toute attente à cinq à la surprise du propriétaire coutumier ? Que valent des contrats de ventes arrachés avec la kalache sur la tempe ? Que valent des contrats de vente avec quelqu’un d’autre que le propriétaire coutumier, si ce n’est du brigandage ?
La détermination du peuple Wê
Toute la Nation ivoirienne est interpellée au fond de sa conscience sur le fait que d’une part les fameuses ventes des terres par les autochtones eux-mêmes sont nulles devant la loi et que d’autre part les « vraies » ventes qui se sont passées réellement, quoique condamnables, restent en réalité résiduelles pour expliquer l’ampleur de cette grossière arnaque. C’est en réalité un piège grossier tendu à un peuple pour le spolier de sa terre. Ce, par des populations à culture de chefferies de terre aux pouvoirs réels et sacrés. Quelle méchanceté ! Quelle hypocrisie !
Le peuple Wê dans son ensemble doit garder à l’esprit la réalité suivante. La vie d’un peuple doit être comparée à l’évolution d’un individu. Ce chemin n’est jamais linéaire et comporte des péripéties qui forgent le destin pourvu que des leçons véritables soient absolument tirées. Cette tragédie aujourd’hui banalisée du fait de sa récurrence, faite de tueries, de persécutions voire de génocide, quelles qu’en soient les causes (politiques ou et foncières) doit pouvoir donner au peuple du ressort, de nouveaux étalons de valeurs sociales ou sociétales au risque de disparaître. Si la terre est convoitée à mort, au prix de tueries voire de génocide du peuple propriétaire, c’est qu’elle a de la valeur. Le peuple doit intégrer cette autre dimension dans sa gestion socio-politique. C’est un rendez-vous avec l’histoire que ce peuple doit honorer. A la lumière de la protestation du Comité de sauvegarde du patrimoine foncier wê, de l’indignation du Front populaire ivoirien (Fpi) et des voix qui s’élèvent ici et là pour condamner le drame du peuple Wê, nous comprenons mieux le célèbre philosophe marxiste Roger Garaudy quand il dit « il n’est vraiment plus possible de se taire ». Comment se taire devant ces horreurs et cette prédation contre un peuple pacifique qu’on veut faire disparaître pour le sol que lui a octroyé le Créateur de l’univers, à cause de son engagement politique derrière un leader en qui il se reconnaît ? Comment, sous les yeux de tous, de la communauté nationale et internationale, peut-on laisser disparaître un peuple qu’on spolie de ses terres ? Il n’est plus possible de se taire. Bien plus, il est absolument urgent d’agir ici et maintenant pour arrêter cette vaine tentative d’extermination du peuple Wê. Car comme une digue de sable ne peut longtemps empêcher un fleuve qui coule vers son horizon, le peuple Wê, en dépit de sa fragilité apparente, est déterminé à rebondir pour triompher des écueils.
Germain Séhoué
(Titre original : Patrimoine foncier: Sous les yeux du monde, on exproprie les populations de l'Ouest)
Source : civox.net 22 juin 2012
Sans aucune prétention d’une relation historique exhaustive de cette colonisation, il nous importe, en tant qu’observateur critique, de relever certaines causes du drame foncier de ce peuple.
C’est à partir des années 1980 que l’évolution des rapports autochtone-allogène s’est progressivement dégradée. Mais qu’en est-il de l’antériorité de ceux-ci ? La région de l’Ouest en effet, comme toutes les autres de notre pays, a accueilli des allogènes de la sous-région africaine. L’Ouest en particulier a toujours été une région plus ouverte du fait de sa culture qui fait de l’étranger un « envoyé de Dieu ». Au cours de nombreuses années, le brassage des peuples a été tel que la cohabitation ne souffrait d’aucune anomalie. Les allogènes respectaient les us et coutumes du tuteur. Ils faisaient leurs champs de maïs avec de l’élevage dont ils avaient le secret. Ce climat de paix va être détérioré par l’afflux non seulement d’autres allogènes mais aussi et surtout de compatriotes du centre et du nord de la Côte d’Ivoire.
Au nom de « la démocratie interne » du Pdci
A la fin des années 1970 à 1980, on peut le dire, le Pdci, parti unique d’alors, va s’obliger à ce qu’il a appelé « la démocratie interne ». Certainement des signes précurseurs du discours de La Baule et des effets du vent de l’Est de la démocratisation et du multipartisme. En effet aux nominations des hommes politiques vont se substituer des compétitions entre candidats du même parti et ce, dans toutes les régions. Ainsi des leaders politiques Wê, pour la plupart rejetés par la population qui aspirait au changement, vont entreprendre l’ouverture de la région à certaines populations du V baoulé et militants inconditionnels du Pdci. Leur installation se fait dans des forets parfois classées, voire sur des terres que ces barons se sont abusivement attribuées. Et ce, pour constituer un bétail électoral, au mépris ou par ignorance des risques à moyen et long terme d’inévitables conflits fonciers du fait de l’exploitation à grande échelle, entre les autochtones et les nouveaux venus.
A la faveur de la construction du barrage de Kossou à Yamoussoukro, décidée par le Président Houphouët, cette population militante est aisément arrachée à l’espace que va occuper cet ouvrage. C’est un déguerpissement massif des populations Baoulé, d’allogènes burkinabé et malien qu’ont provoqué les travaux de ce barrage. Alors ces déplacés trouvent un accueil auprès des leaders politiques de l’Ouest wê pour un intérêt politique immédiat pour les uns et économique pour les autres.
L’installation abusive des allogènes et allochtones
Ces populations allogènes et allochtones sont donc installées soit dans des forêts classées avec l’onction des barons, soit sur de grandes superficies accaparées par ces politiques parfois au détriment des propriétaires coutumiers. Il a été donné de voir par exemple des villages V1 V3 V4…. Qui ont été créés dont les densités dépassent celles des populations d’origine. Le village cosmopolite de Dibobli à Duékoué illustre bien cette situation. Sans compter la multiplication des résidents de beaucoup de villages d’accueil par dix ou par vingt. Ainsi par petites colonies financées d’avance, des villages satellites sont nés, absorbant littéralement les autochtones. Pis, pour légitimer l’installation abusive de ces populations par les hommes politiques d’alors, un slogan politique a été inspiré par le Président Houphouët selon lequel « la terre appartenait à celui qui la mettait en valeur ». Un slogan pour préparer les envahisseurs à l’exploitation. Ce, sans se soucier des propriétaires des terres déclarées ainsi sans maître et, bien entendu, pour voire étouffer quelques velléités de contestations possibles.
Rappelons également que toutes les autorités administratives militaires et paramilitaires affectées à dessein à la tête des circonscriptions et départements wê (préfet, sous-préfet, commandant de Brigade, commissaires de police…) étaient toutes acquises au respect et à l’application de ce slogan politique. Un slogan ayant force de loi pour le bien-être et pour la protection des allochtones Baoulé d’abord et dont profiteront ensuite tous les autres allogènes ou étrangers. Les populations allogènes, témoins de quelques différends fonciers entre autochtones et allochtones n’ont pas cherché longtemps pour réaliser la perméabilité et la permissivité du peuple Wê dont on peut aisément abuser. Car la résolution dubitative de ces conflits par les autorités manifestement aux dépens des autochtones (certainement en application du fameux slogan loi) ne pouvait avoir comme conséquence que cette déconsidération. Exemple le conflit foncier Baoulé et Guéré à Fengolo à Duékoué en 1995.
La terre et le cacao
La deuxième série de raisons du déferlement des populations étrangères dans l’Ouest forestier réside également dans deux situations : l’absence des terres d’une part et d’autre part dans le vieillissement des plantations de l’ancienne boucle du cacao ivoirien (Régions de Dimbokro, Bongouanou, Agnibilékrou et Abengourou). La dépréciation de la qualité du cacao de cette partie du pays a en effet provoqué la recherche des terres neuves qu’offre l’Ouest wê. Les chocolatiers ont organisé, à travers des intermédiaires ou des groupes financiers, les Burkinabè jugés « grands travailleurs », en souvenir des premières plantations industrielles du pays. Ces allogènes, en majorité Burkinabè, envahissent donc toutes les régions avec de grands moyens en vue de la production du meilleur cacao sur les terres de ces « fêtards et paresseux » de l’Ouest en général et Wê en particulier. Les premiers allogènes, les chefs de familles en tête, s’intégraient facilement. Mais les nouveaux bailleurs et chefs d’exploitation mettent en avant des manœuvres analphabètes, qui le plus souvent, ont un réel problème de communication avec les propriétaires coutumiers. Notons par ailleurs que les conflits fonciers du Sud-Ouest ivoirien (Tabou, Grabo et autre) ont fait migrer certains allogènes dans le désormais « no man’s land » wê livré à la prédation généralisée des terres et des populations.
Tous ces mouvements migratoires et anarchiques vers l’Ouest se sont déroulés par vagues et par périodes, en de différents endroits. Ce, au point que toute la population dans toute sa diversité, ne s’est rendu compte du drame que lorsque la cote d’alerte fut dangereusement atteinte dès les années 1990-1995. Pis cette situation déplorable pour le peuple Wê est généralement favorisée par la culture du terroir. En effet l’organisation politique et sociale wê n’a pas prévu de notion de chefferies de terres au pouvoir véritable sur la population. Ceci ajouté au culte de tout étranger propre aux peuples Krou comme les Wê. Ces deux éléments non moins négligeables ont aidé à la vulnérabilité de ce peuple quant à la pénétration des populations étrangères préparées et financées. Des foules qui n’ont pas eu de peine à s’accaparer progressivement tout le patrimoine foncier wê.
Rôle des pouvoirs politiques et financiers
Qu’ont fait les cadres et les structures de développement de la région pour enrayer le mal ? En effet la sonnette d’alarme a été tirée, à leur façon par des associations de cadres et travailleurs de villages ou de département. Mais que peut réussir une association de travailleurs qui peine à assurer son fonctionnement régulier, réduite aux membres dispersés sur le territoire national face à une gigantesque opération constante suscitée sur le terrain par des pouvoirs politiques et groupes de pression financiers ? Surtout avec une administration corruptible ; parfois dépassée par l’ampleur de la crise ou même mise dans le contexte ? Quel rapport fiable peut-on en effet attendre, d’une autorité administrative qui, dès sa prise de fonction, reçoit sa part du gâteau ? Une libéralité d’une grande plantation d’hévéa clé en main par exemple. Cette razzia dans l’occupation des terres par de nouveaux exploitants va impacter profondément les relations entre les autochtones et les premiers allogènes avec qui ils entretenaient pendant longtemps de bonnes relations. Selon un cadre de la région, « Dans les années 1965-70-75 en effet, pour ceux de notre génération, l’intégration des allogènes fut telle qu’ils acceptaient d’habiter avec leurs tuteurs qui , à leur tour, le leur rendaient bien en baptisant par exemple les nouveaux nés allogènes de nom wê ».
Mieux, ces premiers allogènes, dans les rapports de confiance réciproques avec les populations d’accueil, prenaient une part active aux constructions d’infrastructures sociales (écoles, centre de santé villageois…), voire aux activités socio-culturelles comme les funérailles. En tout, une réelle symbiose qui ne présageait en rien d’un retournement de comportement à 180 degrés pour déboucher aujourd’hui sur une guerre par l’intrusion de nouveaux venus parmi lesquels des compatriotes ivoiriens.
Mise en place culturelle du bassin d’immigration
A partir des années 1980, les nouveaux seigneurs allogènes et allochtones, plus organisés et plus nantis pour la mission d’occupation des terres, corrompent leurs frères ou partenaires trouvés sur place par leurs nouvelles méthodes. Dorénavant, en lieu et place du métayage, les anciens allogènes exigent des terres pour des cultures pérennes. Tous finissent par se liguer contre les autochtones hospitaliers. Pire, ces anciens qui connaissaient mieux la culture wê deviennent des indics les plus zélés dans la recherche des meilleurs moyens de mettre en œuvre le massacre de leurs anciens tuteurs. Contrairement aux premières volontés d’intégration des premiers allogènes, les allochtones imités par tous les autres se replient sur eux, avec création de villages aux dénominations « kro ou dougou » au détriment de la culture d’accueil qui donne les « bly, golo, zon… » comme dénominations. Voilà un des tableaux alarmants non exhaustifs d’un peuple à cause de son patrimoine. Un peuple qui a commis le crime d’être sur des terres riches et fertiles sans certainement compter un sous-sol prometteur selon des études. Un peuple à la merci d’organisations de certains compatriotes Ivoiriens et d’étrangers, victime de tirs groupés sans défense dont les velléités sporadiques, disparates de résistance ou de revendication sont combattues sur plusieurs plans: Au plan données démographiques certaines contrées donnent aujourd’hui 25 allogènes pour 02 autochtones ; parfois 28 villages satellites d’allogènes pour un village d’accueil. Au plan administratif, l’administration, conditionnée par la situation et mise dans le contexte, ne peut qu’observer impuissante cette réalité explosive. Militairement, tous les allogènes et allochtones se sont tous dotés d’armes, même de guerre, au vu et au su des autorités (si certaines n’en assurent pas la dotation) pour parer à toute éventualité. Sur le plan matériel et financier, que peut réaliser une population rurale à la machette contre des exploitations cautionnées et financées avec de grands moyens matériels pour défricher en un coup des hectares de forêts ? Avec en outre la construction des infrastructures sociales (écoles, centres de santé…) en plein cœur des forets au profit de la population étrangère.
Résultats: des agglomérations, heureusement de fortune pour certaines, plus étendues que les villages autochtones, sont élevées. Des allogènes et allochtones regardant désormais le peuple d’accueil submergé de haut, vivant en autarcie, n’attendaient qu’une occasion pour parachever l’expropriation définitive des propriétaires coutumiers de leurs terres. De graves difficultés de cohabitation se posent. Du fagot de bois de chauffe naît un conflit entre autochtone et allogène ; interdiction est faite aux jeunes autochtones d’une simple pêche ordinaire dans les eaux aux environs des plantations d’allogènes et d’allochtones ivoiriens. Comme une espèce de conspiration les mêmes règles et méthodes s’appliquent de Kouibli à Toulepleu, de Duekoué à Tai comme d’ailleurs à Gagnoa, Tabou, Divo….
Rôle de l’ex-rébellion dans l’implantation des allogènes et allochtones
La guerre née de la crise politique a servi dès lors d’aubaine. La connaissance du terrain ? En dépit d’une résistance des Wê, puisée dans les tripes, la rébellion, s’appuyant en effet sur ces alliés naturels, les allogènes de la sous région dont les burkinabés, a eu la tâche facile. D’où l’ampleur des massacres frisant un génocide du peuple, prétextant de son soutien politique réel ou supposé au Président Gbagbo. Ainsi en plus de leur nombre croissant, des lobbys financiers, les allogènes et allochtones désormais armés pour la circonstance, n’ont plus qu’à parachever la spoliation totale des Wê. Et cela, soit en élargissant les espaces déjà exploités, soit en récupérant tout simplement les terres des autochtones massacrés ou exilés. Plus grave, des forêts classées sont littéralement investies par des seigneurs de guerre comme butin suivi de massacre des populations et villages autochtones environnants. L’occupation et l’exploitation du patrimoine du Mont Péko de 300 hectares entre Duekoué et Bangolo par des combattants pour la plupart burkinabé en est une parfaite illustration. La crise politique s’est ainsi superposée au conflit foncier contre le peuple Wê. D’où la perpétuation des crimes contre les autochtones favorisée par la victoire militaire de la rébellion dans ce pays ces temps-ci. Aujourd’hui encore les traques et expropriations illégales continuent. Les Wê ou Guéré rimant désormais comme objet de génocide en campagne mais aussi miliciens pro Gbagbo à traquer dans les villes. Rappelons que la loi sur le foncier rural votée à l’unanimité des Députés n’aura connu aucun début d’exécution réelle sur le terrain à cause des pressions politiques voire diplomatiques contre cette loi. Or cette loi a le mérite de régler un pan de la souveraineté de ce pays, c’est-à-dire la question de la terre. Ce texte restera sans application effective, restée en suspens dans les crises politico-militaires que continue de connaître la Côte d’Ivoire. Une situation qui n’arrange que les bandes armées et leur mentor, les allogènes et allochtones qui ne demandent pas mieux pour la pérennisation de leurs acquis. Devoir de mémoire, ainsi se dessine notre regard, une contribution quoique anecdotique à l’intelligibilité de l’odyssée de ce peuple. Un tableau dramatique pour lequel des solutions politiques courageuses doivent être attendues de la part du pouvoir si on peut considérer que ce peuple a aussi le droit de vivre sur sa terre acquise et non conquise ; qu’il fait partie intégrante de cette patrie et doit avoir droit à la protection comme tous les autres citoyens. Lui refuser cette dignité sera de lui ouvrir la possibilité de réaliser son autonomie, par tous les moyens tôt ou tard comme les exemples foisonnent de par le monde. Aux cadres, fils et filles Wê, une réelle prise de conscience de la tragédie de leur peuple ne doit fléchir pour sa survie y compris la leur. Il est temps de se départir du sentiment pervers de culpabilité selon lequel seuls la paresse et le gain facile ont poussé tout ce peuple à sa propre destruction en bradant son patrimoine naturel aux étrangers et s’y résigner. C’est une explication simpliste qui ne tient absolument pas toute la route au crible d’une réflexion approfondie de cette question. L’analyse ne les dédouane cependant pas de la bêtise de leur culture et de la légèreté de leur organisation socio-politique à repenser. Mais que valent les contrats de vente de terre par des jeunes de 20 ans des plantations qui les ont vu naître sans que ces acheteurs véreux ne prennent même la petite précaution de se présenter au chef du village ? Que dire d’une cession de terre d’un hectare défriché contre toute attente à cinq à la surprise du propriétaire coutumier ? Que valent des contrats de ventes arrachés avec la kalache sur la tempe ? Que valent des contrats de vente avec quelqu’un d’autre que le propriétaire coutumier, si ce n’est du brigandage ?
La détermination du peuple Wê
Toute la Nation ivoirienne est interpellée au fond de sa conscience sur le fait que d’une part les fameuses ventes des terres par les autochtones eux-mêmes sont nulles devant la loi et que d’autre part les « vraies » ventes qui se sont passées réellement, quoique condamnables, restent en réalité résiduelles pour expliquer l’ampleur de cette grossière arnaque. C’est en réalité un piège grossier tendu à un peuple pour le spolier de sa terre. Ce, par des populations à culture de chefferies de terre aux pouvoirs réels et sacrés. Quelle méchanceté ! Quelle hypocrisie !
Le peuple Wê dans son ensemble doit garder à l’esprit la réalité suivante. La vie d’un peuple doit être comparée à l’évolution d’un individu. Ce chemin n’est jamais linéaire et comporte des péripéties qui forgent le destin pourvu que des leçons véritables soient absolument tirées. Cette tragédie aujourd’hui banalisée du fait de sa récurrence, faite de tueries, de persécutions voire de génocide, quelles qu’en soient les causes (politiques ou et foncières) doit pouvoir donner au peuple du ressort, de nouveaux étalons de valeurs sociales ou sociétales au risque de disparaître. Si la terre est convoitée à mort, au prix de tueries voire de génocide du peuple propriétaire, c’est qu’elle a de la valeur. Le peuple doit intégrer cette autre dimension dans sa gestion socio-politique. C’est un rendez-vous avec l’histoire que ce peuple doit honorer. A la lumière de la protestation du Comité de sauvegarde du patrimoine foncier wê, de l’indignation du Front populaire ivoirien (Fpi) et des voix qui s’élèvent ici et là pour condamner le drame du peuple Wê, nous comprenons mieux le célèbre philosophe marxiste Roger Garaudy quand il dit « il n’est vraiment plus possible de se taire ». Comment se taire devant ces horreurs et cette prédation contre un peuple pacifique qu’on veut faire disparaître pour le sol que lui a octroyé le Créateur de l’univers, à cause de son engagement politique derrière un leader en qui il se reconnaît ? Comment, sous les yeux de tous, de la communauté nationale et internationale, peut-on laisser disparaître un peuple qu’on spolie de ses terres ? Il n’est plus possible de se taire. Bien plus, il est absolument urgent d’agir ici et maintenant pour arrêter cette vaine tentative d’extermination du peuple Wê. Car comme une digue de sable ne peut longtemps empêcher un fleuve qui coule vers son horizon, le peuple Wê, en dépit de sa fragilité apparente, est déterminé à rebondir pour triompher des écueils.
Germain Séhoué
(Titre original : Patrimoine foncier: Sous les yeux du monde, on exproprie les populations de l'Ouest)
Source : civox.net 22 juin 2012
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