Le peuple Wê des régions Cavally et du Guemon, représenté dans le Comité de Sauvegarde du Patrimoine Foncier wê, ne veut plus se taire sur les atrocités qu’il subit et l’occupation croissante de ses terres. Ce Comité a tenu à le signifier le mardi 5 juin 2012 à l’Hôtel communal de Cocody, par la conférence de presse animée par son président Nahi Doh Robert, cadre de Duékoué.
Voici la déclaration liminaire de M. Nahi Doh, entouré de plusieurs cadres des deux régions.
Mesdames et messieurs de la presse,
Voici la déclaration liminaire de M. Nahi Doh, entouré de plusieurs cadres des deux régions.
Mesdames et messieurs de la presse,
au nom du peuple Wê des régions du Cavally et du Guémon, comprenant les départements de Kouibly, Bangolo, Duékoué, Guiglo, Bloléquin et Toulepleu, je vous remercie. Merci d’avoir répondu à notre invitation de ce jour.
L’objet de la conférence de presse, porte sur le drame que vit le peuple Wê : l’occupation par la force de ses terres, son patrimoine foncier, son seul cadre de vie. Cette situation qui dure depuis des décennies a connu, ces derniers temps notamment, une accélération spectaculaire avec l’attaque d’une rare violence des hommes lourdement armés, violence dont il serait hasardeux d’évaluer pour le moment, les conséquences tant elles sont d’ordre humain, social, économique, et culturel.
Interpellés par ce constat, nous ne pouvons pas ne pas réagir. Nous ce sont les élus, les cadres, et les chefs traditionnels, les fils et filles des deux régions wê, réunis au sein du comité de sauvegarde du patrimoine foncier wê pour dire haut et fort notre ras-le-bol face à ce danger que constitue pour nous, l’expropriation de nos terres.
Nous sommes là en effet pour informer le monde entier, qu’à côté de ce que toute la planète sait désormais, les massacres, les assassinats odieux dont sont victimes les Wê et qui ne sont que les caractéristiques d’un génocide classique, il existe d’autres crimes contre l’humanité : l’expropriation de terres avec ses conséquences tout aussi dramatiques : le génocide économique et culturel.
C’est aussi l’occasion de dénoncer toutes les thèses ou théories farfelues, élaborées au détriment d’un peuple qui ne demande qu’à vivre en paix comme les autres peuples. Au nombre de ces théories sataniques, deux nous ont particulièrement marqués :
1) La terre appartient à celui qui la met en valeur
2) Ce sont les Wê eux-mêmes qui cèdent leurs terres aux étrangers.
Toutes ces contrevérités seront traitées dans le mémorandum actuellement en confection, dans lequel les preuves seront présentées, qui mettront au grand jour, les limites de honteuses affirmations qui ne résistent ni à la force du droit, ni aux données de l’histoire.
Il est donc temps que le peuple Wê dise non à la posture du singe de la gravure : ne rien voir, ne rien dire. Mais en attendant de réunir toute la documentation sur cette page noire de notre histoire, nous donnons quelques axes de réflexion à travers des réponses aux questions que nous estimons essentielles : quand a-t-elle commencé, cette vaste occupation illégale de nos terres, et comment la sinistre entreprise a pu être menée et par qui et pourquoi réellement ?
La vaste expropriation a connu deux phases essentielles :
A/ La phase qu’on peut qualifier de phase moins tumultueuse
C’est dans les années 70 qu’au nom d’un développement diversifié que le gouvernement de Côte d’Ivoire avait programmé la création d’un certain nombre d’infrastructures économiques dont, au premier plan, les barrages hydroélectriques. Et c’est celui de Kossou qui allait provoquer le déversement des populations des terres immergées de la région, dans le pays Wê.
Mais à notre surprise générale, aucune disposition préalable comme cela se fait en la matière n’a été prise pour prévenir les conséquences évidentes d’une opération de ce genre. Il s’agit de mesures techniques, juridiques mais surtout sociales, précédées elles-mêmes d’une campagne d’information et de sensibilisation.
Et voilà hélas, qu’un matin comme par enchantement, les premiers convois étrangers surgissent dans un ballet impressionnant qui n’est que le début de la conquête planifiée
d’une région depuis longtemps convoitée pour ses immenses richesses naturelles. De gros camions déversent ainsi régulièrement leurs contenus humains dans les villages arbitrairement choisis appelés villages d’accueil. Mais en réalité, ce sont des villages de transit, parce que les nouveaux hôtes vont être rapidement parqués sur des sites situés à plusieurs kilomètres des lieux supposés d’accueil. Devenus de véritables petites villes avec leur organisation propre, ces sites vont couper tout contact avec leurs hôtes dont les villages affichent désormais l’allure de petits campements à côté de ces agglomérations aux populations cinq à dix fois supérieures à celles des autochtones. Et comme en venant ici, ils ont reçu de leurs parrains de gros moyens modernes d’exploitation de forêts, ils supplantent en un temps record, les propriétaires terriens sur tous les plans.
Ainsi, deux communautés sont face à face dans une nouvelle société artificiellement créée à dessein et caractérisée par l’hétérogénéité de cultures, par la domination politique et économique des uns et ce qui semble être une acceptation des autres. Toutes choses qui ont accentué les clivages.
Cependant les Wê ne s’en font pas outre mesure, en refusant même de s’enfermer dans une sorte de résignation où la flagrante injustice sociale aurait pu les confiner. Ils font ce qu’ils ont à faire pour mener tranquillement et avec sobriété leur vie malgré la réduction drastique de leur espace vital. Non plus, ils ne nourrissent une quelconque animosité à l’égard de ces étrangers qu’ils considèrent du reste comme leurs propres frères.
Mais alors, pourquoi ces derniers s’acharnent-ils avec tant de méchanceté sur leurs bienfaiteurs ? Qu’est-ce qui explique cette ingratitude surprenante ? La réponse est toute simple et nous conforte dans ce que nous considérons toujours comme un secret de polichinelle : chasser les Wê de leur région d’où :
B/ La seconde et dernière phase : la violence
Elle a commencé officiellement en 2002. Mais elle était déjà en incubation depuis des années, donc en préparation pour atteindre le point d’achèvement en 2011.
Le génocide des Wê, dont le malheur, ou le seul crime est d’être d’une région riche suscitant tant de convoitises, restera dans l’histoire de la Côte d’Ivoire moderne comme un acte d’une rare cruauté, la négation de l’existence d’un peuple qui doit donc disparaître pour laisser la place à d’autres peuples.
Conclusion
Si force doit être à la loi, alors la loi 98-750 du 23 décembre 1998, portant code foncier rural, doit être strictement appliquée. Elle reconnaît en effet le domaine foncier rural qu’elle définit ainsi en son article 3 : le domaine foncier rural coutumier est constitué par l’ensemble des terres sur lesquelles s’exercent :
§ des droits coutumiers conformes aux traditions ;
§ des droits coutumiers cédés à des tiers » ;
Une telle loi, votée à l’unanimité par les députés de Côte d’Ivoire en 1998, parce qu’elle garantit les intérêts des Ivoiriens, ne saurait faire l’objet d’une quelconque modification alors même qu’elle n’a [pas] eu un début d’application.
Une tentative dans ce sens, ne sera que suicidaire parce qu’aucun Ivoirien digne, à moins de devenir subitement masochiste, ne peut accepter de se faire déposséder de
ce qu’il a de plus précieux : la terre.
Si la force doit être à la loi, alors la revendication du peuple Wê est amplement légitime eu égard à l’occupation anarchique de ses terres et de ses forêts.
Si force doit être à la loi alors les patrimoines protégés, les forêts classées du Scio, de Gouin Débé, du Cavally, les parcs nationaux, du mont Péko, du mont Klaohio et du mont Tia, doivent être purgés de leurs prédateurs qui y règnent en maîtres absolus.
Si force doit être à la loi alors, le mont Péko où a pris pied le Burkinabé Amadé à la tête de cinq cents hommes puissamment armés, doit être débarrassé de cette bande
de voyous qui défient avec une arrogance qui cache à peine une complicité interne, les lois d’un Etat souverain ;
Si force doit être à la loi, alors le gouvernement de Côte d’Ivoire doit se pencher sérieusement sur la gestion du patrimoine foncier en général et l’expropriation des Wê de leurs terres en particulier. Dans cette perspective, la question des terres dans le Cavally et le Guémon doit faire l’objet d’un programme d’urgence d’assainissement pour prévenir un embrasement des deux régions, aux conséquences incalculables, créé par une injustice sociale criante.
Mais, au préalable, le gouvernement doit :
1) Mener les enquêtes nécessaires, relativement à la présence d’une armée étrangère en Côte d’Ivoire occupant le mont Péko, une partie du territoire national.
2) Répondre aux questions suivantes pour faciliter le déroulement de l’enquête :
Y a-t-il eu un accord avec le gouvernement ivoirien ?
Si oui, quelle est la nature de cet accord ?
L’armée du mont Péko est de quel pays ?
3) Informer largement le peuple de Côte d’Ivoire, ce qui rassurerait les victimes wê qui ne nourriront plus le sentiment d’être abandonnés dans les mains de ces envahisseurs qui seront alors chassés comme tels sans ménagement, au nom de la dignité d’une Côte d’Ivoire souveraine.
Je vous remercie
Pour le comité, Le Président et porte parole du peuple wê
(Source : Le temps des idées 8 juin 2012)
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