Bernard
Binlin Dadié 1916-2019
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Bernard Dadié,
l’on a tellement écrit de choses intéressantes sur ce grand homme, que je
m’appesantirai seulement sur un point de son parcours : son élégance. Elégance
à comprendre ici comme expression de l’objectivité dans son combat, celui de
toute une vie, celui de l’indépendance de la Côte d’Ivoire.
Après
l’arrestation de Dadié et de ses amis en 1949, Laurent Péchoux, gouverneur de
la Côte d’Ivoire entre 1948-1952, fit un télégramme à ses supérieurs en ces
termes : « Dadié Bernard. C’est le
premier accusé qui reconnait s’être retrouvé sur les lieux lors du pillage du
parti progressiste. Il n’a fait que prendre et jeter un journal puis est allé
chez « Papa Dioulo »[1] qu’il a désarmé »[2]. De ce télégramme de
Péchoux, nous pouvons voir déjà le courage de Dadié et surtout l’objectivité
dans sa démarche. Il aurait pu et il avait le droit de tirer à son tour sur ce
larbin d’agresseur de « Papa Dioulo », qui tirait sur ses camarades du RDA[3]. Mais, au lieu de cela, il
le désarma comme pour lui dire : « Papa,
arrêtes ça, tu te trompes de combat ! ». Cette capacité à condamner l’acte
sans condamner l’acteur, n’est pas chose facile, surtout quand les enjeux sont
grands.
En pleine
agression de la Côte d’Ivoire par la France par le biais de la rébellion du soi-disant
MPCI, le vieux lutteur Dadié, fit le constat que les colons d’hier avaient bien
fait des petits, et que, malheureusement, certains de ses compatriotes prenaient
toujours plaisir, comme « Papa Dioulo » naguère, à tirer sur d’autres Ivoiriens,
pour le plus grand bonheur des mêmes Gaulois. Armé donc de sa plume, son arme
de prédilection, il défendit les opprimés et les éclaira de sa sagesse, comme
on le ferait du silex. Mais, cette façon de faire ne plut pas à une espèce de
personnes que seule l’Afrique francophone sait produire. Dans un texte[4] dont la violence n’a
d’égale que la bêtise de son auteur, Tirbuce Koffi se permit de déverser toute
sa bave sur le doyen Dadié. Si Serges Grah, Dieu merci, remit[5] le Tiburce à sa place,
c’est-à-dire le néant, Bernard Dadié quant à lui, lui opposa son silence. Avec
le temps, force est de reconnaître que ce fut la seule réponse que méritait cet
individu, au regard de ce qu’il fait aujourd’hui : thuriféraire d’un chef de rébellion.
Tout ça pour ça !, aurait-on envie de dire en regardant dans la direction
de cet élève du Pr Zadi Zaourou et de dire comme MC Solaar, en regardant dans
celle de Dadié : « L’aigle ne chasse pas
les mouches »[6].
En 2004, devant
se rendre à une réunion de la Francophonie à Paris, la France lui refusa le
visa. Le motif invoqué était qu’il était « anti-français », parce qu’il
s’opposait aux mauvais agissements de la France chez lui en Côte d’Ivoire.
Caprice de « puissance », serait-on tenté de dire. Mais c’était mal connaître
Bernard Dadié, En 2015, après l’attentat de Charlie
Hebdo, et alors que tout l’autorisait à ne pas y aller, l’élégant Bernard
Dadié se rendit à l’ambassade de France avec d’autres Ivoiriens, pour présenter
ses condoléances à ce pays. Par ce geste, comme à son habitude, Dadié fit la
part des choses, comme pour inviter ce pays colonisateur à sortir des attaques
ad hominem, qu’il adore tant, pour se concentrer sur la question centrale de
leurs divergences, c’est-à-dire sa manie de vouloir maintenir à tout prix
d’autres peuples dans un état de perpétuelle dépendance.
Toute sa vie, ce
militant RDA resta fidèle au combat originel de ce mouvement, à savoir
l’indépendance de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique francophone. Lorsqu’à sa
sortie de prison avec ses amis, il remarqua le soi-disant « repli tactique » de
leur leader Houphouët, Dadié ne perdit pas de vue pour autant l’objectif de
départ, mais continua à le poursuivre avec ses œuvres. Plier, mais ne jamais
rompre, comme le roseau de la fable, telle semblait être sa devise.
Depuis le 09 mars 2019, cette lumière a
retrouvé ses anciens amis de la prison de Bassam : Jean-Baptiste Mockey, Albert
Paraiso, Jacob Williams, Mathieu Ekra, Séry Koré, Philippe Vieyra, Lamad Kamara.
Même si nous n’avons pas le talent de Dadié, essayons-nous, avant de finir, à
une fiction : à ces seize yeux d’ex-prisonniers, si nous ajoutions les quatre
yeux d’Anne-Marie Raggi et de Marguerite Sacoum, je donnerais cher pour voir la
tête du pseudo chef Akouè, face à ces derniers.
Habib Kouadja
[1] -
Il s’agit d’Antonin Dioulo, père d’Emmanuel et
Nicolas Dioulo, deux hommes politiques ivoiriens.
[2] -
Gouv. Laurent Péchoux, télégramme N°464 à 470,
adressé à Dakar. Archives nationales d’Outre-mer, Aix-en-Provence (France).
[5] -
« Les élucubrations d'un illuminé », sur
http://sergegrah.centerblog.net/2197781-Les-elucubrations-d-un-illumine
[6] - Titre
d’une chanson de l’album « Cinquième As » du rappeur MC Solaar.
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