jeudi 11 avril 2019

BERNARD DADIÉ OU L’ÉLÉGANCE DU ROSEAU… par Habib Kouadja

Bernard Binlin Dadié 1916-2019

Bernard Dadié, l’on a tellement écrit de choses intéressantes sur ce grand homme, que je m’appesantirai seulement sur un point de son parcours : son élégance. Elégance à comprendre ici comme expression de l’objectivité dans son combat, celui de toute une vie, celui de l’indépendance de la Côte d’Ivoire.
Après l’arrestation de Dadié et de ses amis en 1949, Laurent Péchoux, gouverneur de la Côte d’Ivoire entre 1948-1952, fit un télégramme à ses supérieurs en ces termes : « Dadié Bernard. C’est le premier accusé qui reconnait s’être retrouvé sur les lieux lors du pillage du parti progressiste. Il n’a fait que prendre et jeter un journal puis est allé chez « Papa Dioulo »[1] qu’il a désarmé »[2]. De ce télégramme de Péchoux, nous pouvons voir déjà le courage de Dadié et surtout l’objectivité dans sa démarche. Il aurait pu et il avait le droit de tirer à son tour sur ce larbin d’agresseur de « Papa Dioulo », qui tirait sur ses camarades du RDA[3]. Mais, au lieu de cela, il le désarma comme pour lui dire : « Papa, arrêtes ça, tu te trompes de combat ! ». Cette capacité à condamner l’acte sans condamner l’acteur, n’est pas chose facile, surtout quand les enjeux sont grands.
En pleine agression de la Côte d’Ivoire par la France par le biais de la rébellion du soi-disant MPCI, le vieux lutteur Dadié, fit le constat que les colons d’hier avaient bien fait des petits, et que, malheureusement, certains de ses compatriotes prenaient toujours plaisir, comme « Papa Dioulo » naguère, à tirer sur d’autres Ivoiriens, pour le plus grand bonheur des mêmes Gaulois. Armé donc de sa plume, son arme de prédilection, il défendit les opprimés et les éclaira de sa sagesse, comme on le ferait du silex. Mais, cette façon de faire ne plut pas à une espèce de personnes que seule l’Afrique francophone sait produire. Dans un texte[4] dont la violence n’a d’égale que la bêtise de son auteur, Tirbuce Koffi se permit de déverser toute sa bave sur le doyen Dadié. Si Serges Grah, Dieu merci, remit[5] le Tiburce à sa place, c’est-à-dire le néant, Bernard Dadié quant à lui, lui opposa son silence. Avec le temps, force est de reconnaître que ce fut la seule réponse que méritait cet individu, au regard de ce qu’il fait aujourd’hui : thuriféraire d’un chef de rébellion. Tout ça pour ça !, aurait-on envie de dire en regardant dans la direction de cet élève du Pr Zadi Zaourou et de dire comme MC Solaar, en regardant dans celle de Dadié : « L’aigle ne chasse pas les mouches »[6].
En 2004, devant se rendre à une réunion de la Francophonie à Paris, la France lui refusa le visa. Le motif invoqué était qu’il était « anti-français », parce qu’il s’opposait aux mauvais agissements de la France chez lui en Côte d’Ivoire. Caprice de « puissance », serait-on tenté de dire. Mais c’était mal connaître Bernard Dadié, En 2015, après l’attentat de Charlie Hebdo, et alors que tout l’autorisait à ne pas y aller, l’élégant Bernard Dadié se rendit à l’ambassade de France avec d’autres Ivoiriens, pour présenter ses condoléances à ce pays. Par ce geste, comme à son habitude, Dadié fit la part des choses, comme pour inviter ce pays colonisateur à sortir des attaques ad hominem, qu’il adore tant, pour se concentrer sur la question centrale de leurs divergences, c’est-à-dire sa manie de vouloir maintenir à tout prix d’autres peuples dans un état de perpétuelle dépendance.
Toute sa vie, ce militant RDA resta fidèle au combat originel de ce mouvement, à savoir l’indépendance de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique francophone. Lorsqu’à sa sortie de prison avec ses amis, il remarqua le soi-disant « repli tactique » de leur leader Houphouët, Dadié ne perdit pas de vue pour autant l’objectif de départ, mais continua à le poursuivre avec ses œuvres. Plier, mais ne jamais rompre, comme le roseau de la fable, telle semblait être sa devise.
Depuis le 09 mars 2019, cette lumière a retrouvé ses anciens amis de la prison de Bassam : Jean-Baptiste Mockey, Albert Paraiso, Jacob Williams, Mathieu Ekra, Séry Koré, Philippe Vieyra, Lamad Kamara. Même si nous n’avons pas le talent de Dadié, essayons-nous, avant de finir, à une fiction : à ces seize yeux d’ex-prisonniers, si nous ajoutions les quatre yeux d’Anne-Marie Raggi et de Marguerite Sacoum, je donnerais cher pour voir la tête du pseudo chef Akouè, face à ces derniers.

Habib Kouadja

[1] - Il s’agit d’Antonin Dioulo, père d’Emmanuel et Nicolas Dioulo, deux hommes politiques ivoiriens.
[2] - Gouv. Laurent Péchoux, télégramme N°464 à 470, adressé à Dakar. Archives nationales d’Outre-mer, Aix-en-Provence (France).
[3] - Rassemblement Démocratique Africain.
[4] - « Lettre ouverte à Bernard Dadié » in Notre Aurore n° 088 du 30 juin 2003.
[5] - « Les élucubrations d'un illuminé », sur http://sergegrah.centerblog.net/2197781-Les-elucubrations-d-un-illumine
[6] - Titre d’une chanson de l’album « Cinquième As » du rappeur MC Solaar.

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