Un Gilet jaune se prend en photo lors d'une manifestation à Bruxelles le 30 novembre. © Aris Oikonomou / AFP |
Dans cette
tribune, 20 personnalités parmi lesquelles Emmanuel Todd et Jacques Sapir,
rapprochent le mouvement des Gilets jaunes de l'échec de l'euro. Pour les
signataires, celui-ci a produit un appauvrissement massif qui débouche sur une
crise.
Près
de 20 ans après le lancement de l’euro, le 1er janvier 1999, la situation
de la monnaie unique européenne est paradoxale. D’un côté, l’échec de ce projet
est patent, étant reconnu par la plupart des économistes compétents, dont de
très nombreux Prix Nobel. De l’autre, ce sujet est maintenant tabou en France,
au point qu’aucun responsable politique n’ose plus l’aborder de front. Comment
s’explique une telle situation ?
Personne
ne relie le mouvement actuel des Gilets jaunes à l’échec de l’euro. Or
l’appauvrissement du plus grand nombre, dont il est le signe le plus manifeste,
découle directement des politiques mises en œuvre pour tenter de sauver, coûte
que coûte, la monnaie unique européenne. Il ne s’agit pas tant, ici, de la
politique monétaire d’assouplissement quantitatif pratiquée par la Banque
Centrale Européenne, peu efficace au demeurant pour relancer la production,
mais des politiques budgétaires de hausse des impôts et de baisse des investissements
publics, partout exigées par la Commission de Bruxelles. Celles-ci ont certes
fini par redresser les comptes extérieurs de certains pays déficitaires. En
revanche, ce fut au prix d’une « dévaluation interne », c’est-à-dire d’une
diminution drastique des revenus, associée à un étranglement de la demande
interne. Elles ont ainsi engendré un effondrement dramatique de la production
dans la plupart des pays d’Europe du Sud et un taux de chômage resté très
élevé, en dépit d’un exode massif des forces vives de ces pays.
La zone
euro est désormais celle dont le taux de croissance économique est devenu le
plus faible du monde. Les divergences entre les pays membres, loin d’avoir été
réduites, se sont largement amplifiées. Au lieu de favoriser l’éclosion d’un
marché européen des capitaux, la « monnaie unique » s’est accompagnée d’une
montée de l’endettement, public et privé, de la majorité des nations. Or
l’existence même de l’euro, dont on pouvait autrefois encore discuter les
effets, est maintenant devenue un sujet absolument tabou. Tandis que son lien
avec le mécontentement actuel est manifeste, les partisans de l’euro font
miroiter aux Français ses avantages largement illusoires (hormis la facilité de
déplacement en Europe). Ils dressent un tableau apocalyptique de la situation
économique qui prévaudrait en cas de sortie de la «monnaie unique», dans le but
d’affoler des Français qui n’ont pas approfondi le sujet.
Face à de
tels arguments, il faut aujourd’hui montrer tout ce que l’euro a fait perdre à
la France en matière de croissance économique (effondrement de ses parts de
marchés en Europe et dans le monde, affaiblissement dramatique de son appareil
industriel). Les Français subissent déjà des reculs en matière de pouvoir
d’achat, d’emploi, de retraite, de qualité des services publics, etc… Les
politiques de «dévaluation interne», qui sont indispensables si l’on veut
garder l’euro, n’ont pas encore été pleinement mises en œuvre chez nous,
contrairement aux autres pays d’Europe du Sud, mais elles provoquent déjà des
réactions de rejet. Le mouvement des Gilets jaunes en est la conséquence
directe.
Il faut
donc expliquer à nos compatriotes que l’inconvénient majeur de l’euro, pour la
France, est un taux de change trop élevé, qui engendre fatalement une perte de
compétitivité de notre économie, en majorant les prix et coûts salariaux
français vis-à-vis de la plupart des pays étrangers. Évitons de brouiller les
esprits avec l’idée d’une coexistence éventuelle entre un franc rétabli et une
« monnaie commune », pourvue de tous ses attributs, car c’est une voie sans
issue : une telle monnaie ne pourrait se concevoir valablement que comme une
simple « unité de compte », analogue à l’ancien écu. Quant à la perte de
souveraineté due à l’euro, si elle est indubitable, il s’agit d’un sujet
théorique, loin des préoccupations des Français, ceux-ci étant surtout sensibles
à leur situation concrète.
Faute
d’avoir compris les vrais enjeux, beaucoup de nos compatriotes gardent ainsi,
pour l’instant, une peur non dissipée vis-à-vis de tout bouleversement du statu
quo, cependant que les partisans de l’euro poussent des cris d’orfraie à chaque
fois que leur fétiche est remis en question. Que faire dans ces conditions ?
Face au mécontentement des Français, il est évident qu’aucune politique de
redressement de la France ne sera possible si l’on ne parvient pas à recréer
une monnaie nationale dont le taux de change soit adapté à notre pays. Il est
également certain que ce changement doit être opéré dans des conditions qui
soient à la fois viables et acceptées par le peuple français.
La
première de ces conditions serait de préparer une transition harmonieuse vers
un après-euro, si possible en discutant avec nos partenaires l’organisation
d’un démontage concerté, mais sinon en prenant l’initiative de façon
unilatérale après avoir mis en place les mesures conservatoires appropriées. La
seconde serait de faire comprendre à nos compatriotes les avantages d’une
« dévaluation monétaire » du franc retrouvé, accompagnée d’une politique
économique cohérente, maîtrisant l’inflation, comme ce fut le cas en 1958, avec
le Général De Gaulle, puis en 1969 avec Georges Pompidou. Et l’inflation serait
encore moins à redouter aujourd’hui en raison du sous-emploi de nos capacités
de production. La perte inéluctable de pouvoir d’achat, résultant du
renchérissement de certaines importations, ne serait que modeste et passagère,
étant très rapidement compensée par le redémarrage de la production nationale.
La dette publique de notre pays ne s’alourdirait pas, car elle serait
automatiquement convertie en francs (selon la règle dite lex monetae qui
prévaut en matière de finance internationale). La France et les Français
recouvriraient ainsi les brillantes perspectives d’avenir que l’euro a jusqu’à
présent constamment étouffées.
Une tribune
collective signée par Guy Berger,
Hélène Clément-Pitiot, Daniel Fedou,
Jean-Pierre Gerard, Christian Gomez, Jean-Luc Greau, Laurent Herblay,
Jean Hernandez, Roland Hureaux, Gérard Lafay, Jean-Louis Masson,
Philippe Murer, Pascal Pecquet, Claude Rochet, Jean-Jacques Rosa,
Jacques Sapir, Henri Temple, Emmanuel Todd, Jean-Claude Werrebrouck
Source : https://francais.rt.com 10 décembre 2018
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