lundi 14 janvier 2019

Ce que je garderai du Pr Séry Bailly

L’hommage d’Habib Kouadja
Quand je m'apprêtais à écouter le Pr Séry Bailly comme invité de l'émission En sol majeur de Radio France Internationale (RFI), ce dimanche 25 Novembre 2018 nuit, j'étais loin de m'imaginer que c'était la dernière fois que je le faisais. A cette émission, comme à son habitude, le Pr fit encore une de ses remarques dont lui seul avait le secret et que j'appréciais chez lui. Il raconta que le jour de « l'indépendance » de la Côte d'Ivoire, ses amis et lui, avaient été préparés pour le défilé de cet évènement, par leurs parents, dès 4h du matin. Malheureusement pour eux, le défilé commença autour de 10h, et certains de ses amis, tenaillés par la faim, firent des malaises ce jour-là. Avec le recul, il se dit que l'indépendance avait mal commencé pour ces derniers. Voilà le Pr Séry Bailly que je garderai en mémoire. Le Pr Séry Bailly aux remarques puissantes et amusantes. Car, le voir après l'avoir lu vous laissait toujours cette impression : est-ce bien lui l'auteur de ces lignes ? Je me rappelle le texte dans lequel il étala l'incohérence de Kourouma avec ses propres textes, quand ce dernier, communautarisme oblige, voulait s’essayer à la victime de l'« ivoirité », ou encore celui dans lequel il adressa des piques bien aiguisées au sociologue Abdou Touré et au philosophe Diby, quand ces derniers, pour des raisons qui leur sont propres, voulurent troquer leurs toges d'universitaires pour des boubous de griots au service de l'Usurpateur d'Abidjan. Rire tout en étant sérieux, c'était ça, le Pr Séry Bailly. Il ne semblait pas le faire par méchanceté, puisqu’il le faisait habituellement avec un sourire. Bref, il semblait aimer et ne pas craindre la dialectique. En effet, au début de l’année 2010, dans une interview, il s’essaya à faire la promotion de l'exercice de l'autocritique, chose, il faut le reconnaître, assez difficile pour les hommes. Selon lui, il faudrait que les Ivoiriens apprennent « à indiquer leurs villages avec les deux mains », car le faire seulement avec la main droite, comme communautairement conseillé, ne rendait pas service à la société.
Homme public, il eut aussi des activités politiques. C’est ainsi que, ministre de la Communication lors de la sanglante tentative de coup d’Etat du 19 septembre 2002, que ses commanditaires transformèrent en « rébellion » après son échec, certains de ses camarades militants critiquèrent sa gestion de la communication à cette époque. Ils la jugeaient trop pusillanime. Mais, avec le temps, il semble que ce problème ne soit pas seulement lié à la gestion du Pr Séry Bailly car, il faut bien le reconnaître, le volet communication de ce parti n’est pas terrible.
S’il y a une zone d’ombre dans la relation lointaine, car de lecteur, que j’entretenais avec le Pr Séry Bailly, c’est sa participation aux brumeuses commissions que furent la CDVR1 et La CONARIV2. Je m’étais toujours dit qu’il se faisait utiliser par les créateurs de ces commissions, pour apporter une certaine caution nationale à ces projets sans lendemain. J’étais toujours dans mes interrogations lorsqu’un jour, une connaissance, membre de sa famille biologique de Daloa, me rapporta ce fait : après le 11 Avril 2011, pendant la chasse aux militants du FPI, une bande de soudards ouattaristes firent irruption chez le Pr Séry Bailly dans l’intention de l’arrêter. Comme un seul homme, ses voisins s’opposèrent à ces voyous, et demandèrent les raisons de cette tentative d’enlèvement. Devant leur détermination, et incapables de répondre à leur demande, après des coups de fils passés, les soudards abandonnèrent leur funeste projet. Après avoir écouté cette histoire, je me suis longtemps demandé si cet évènement n’était pas pour beaucoup dans les motivations du Pr Séry Bailly à participer à ces commissions ? Ne serait-ce pas parce qu’il a été, comme le furent tant de nos compatriotes, traumatisé par cette menace à laquelle il n’avait échappé que par un heureux hasard ? Ces questions resteront certes sans réponses. Mais, leur existence restera pour moi, dans le cas du Pr Séry Bailly, cette partie toujours incomprise de leur vie que partagent toutes les personnes publiques.
Au-delà de ce qu’on pourra dire, la disparition du Pr Séry Bailly pose aussi un problème : celui de la relève. L’on pourra me trouver excessif, mais j’ai comme l’impression que nous assistons depuis une certaine période à la perte qualitative du capital humain de notre pays, malheureusement et apparemment pas reconstitué. L’université ivoirienne a certes toujours des docteurs et des professeurs. Mais, des personnes de la trempe des Wondji, Zadi Zaourou, Ekanza, Séry Bailly, etc., ont et sont en train de tirer leur révérence sans une relève établie. Ne serait-il pas intéressant que certains, qui sont encore parmi nous et qui pourraient être tentés de continuer à camper ce rôle de mandarin qu’on leur prête, se ressaisissent ? Ne pas faciliter la tâche à certains étudiants seulement armés de leur talent, de leur dignité et de leur volonté d’apprendre, est qualitativement improductif pour l’université et la société ivoirienne. La conséquence est là : certaines très bonnes graines se sont éloignées de la voie universitaire qui leur était logiquement destinée. Dans le meilleur des cas, elles se sont exilées pour pouvoir s’épanouir. Et voilà notre université vouée à produire et à reproduire des professeurs-laudateurs incapables d’écrire des textes susceptibles d’éveiller les consciences, et qui, souvent, font de leur discipline une composante de leur patrimoine. Et, quand ils s’essayent à l’écriture, on a affaire à des textes oiseux où ils semblent se parler à eux-mêmes.
Il se prénommait Zacharie, comme le père de Jean le Baptiste des évangiles. Puissions-nous trouver dans les nombreux écrits que le Pr Séry Bailly nous a laissés, les éléments susceptibles de nous aider à annoncer le nouveau pays que nous aimerions laisser aux prochaines générations. Car, comme lui-même l’écrivit un jour : « En s’inspirant du passé, chacun peut choisir son destin, surtout ceux qui ont l’ambition de transformer l’histoire ».

Habib Kouadja

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