L’hommage d’Habib Kouadja
Quand je m'apprêtais à écouter
le Pr Séry Bailly comme invité de l'émission En sol majeur de Radio France Internationale (RFI), ce dimanche 25
Novembre 2018 nuit, j'étais loin de m'imaginer que c'était la dernière fois que
je le faisais. A cette émission, comme à son habitude, le Pr fit encore une de
ses remarques dont lui seul avait le secret et que j'appréciais chez lui. Il
raconta que le jour de « l'indépendance » de la Côte d'Ivoire, ses amis et lui,
avaient été préparés pour le défilé de cet évènement, par leurs parents, dès 4h
du matin. Malheureusement pour eux, le défilé commença autour de 10h, et
certains de ses amis, tenaillés par la faim, firent des malaises ce jour-là.
Avec le recul, il se dit que l'indépendance avait mal commencé pour ces derniers.
Voilà le Pr Séry Bailly que je garderai en mémoire. Le Pr Séry Bailly aux
remarques puissantes et amusantes. Car, le voir après l'avoir lu vous laissait
toujours cette impression : est-ce bien lui l'auteur de ces lignes ? Je me
rappelle le texte dans lequel il étala l'incohérence de Kourouma avec ses
propres textes, quand ce dernier, communautarisme oblige, voulait s’essayer à
la victime de l'« ivoirité », ou encore celui dans lequel il adressa
des piques bien aiguisées au sociologue Abdou Touré et au philosophe Diby,
quand ces derniers, pour des raisons qui leur sont propres, voulurent troquer
leurs toges d'universitaires pour des boubous de griots au service de
l'Usurpateur d'Abidjan. Rire tout en étant sérieux, c'était ça, le Pr Séry
Bailly. Il ne semblait pas le faire par méchanceté, puisqu’il le faisait
habituellement avec un sourire. Bref, il semblait aimer et ne pas craindre la
dialectique. En effet, au début de l’année 2010, dans une interview, il
s’essaya à faire la promotion de l'exercice de l'autocritique, chose, il faut
le reconnaître, assez difficile pour les hommes. Selon lui, il faudrait que les
Ivoiriens apprennent « à indiquer leurs
villages avec les deux mains », car le faire seulement avec la main droite,
comme communautairement conseillé, ne rendait pas service à la société.
Homme public, il eut aussi des
activités politiques. C’est ainsi que, ministre de la Communication lors de la
sanglante tentative de coup d’Etat du 19 septembre 2002, que ses commanditaires
transformèrent en « rébellion » après son échec, certains de ses camarades
militants critiquèrent sa gestion de la communication à cette époque. Ils la
jugeaient trop pusillanime. Mais, avec le temps, il semble que ce problème ne
soit pas seulement lié à la gestion du Pr Séry Bailly car, il faut bien le
reconnaître, le volet communication de ce parti n’est pas terrible.
S’il y a une
zone d’ombre dans la relation lointaine, car de lecteur, que j’entretenais avec
le Pr Séry Bailly, c’est sa participation aux brumeuses commissions que furent
la CDVR1 et La CONARIV2. Je m’étais toujours dit qu’il se faisait utiliser par
les créateurs de ces commissions, pour apporter une certaine caution nationale
à ces projets sans lendemain. J’étais toujours dans mes interrogations
lorsqu’un jour, une connaissance, membre de sa famille biologique de Daloa, me
rapporta ce fait : après le 11 Avril 2011, pendant la chasse aux militants du
FPI, une bande de soudards ouattaristes firent irruption chez le Pr Séry Bailly
dans l’intention de l’arrêter. Comme un seul homme, ses voisins s’opposèrent à
ces voyous, et demandèrent les raisons de cette tentative d’enlèvement. Devant
leur détermination, et incapables de répondre à leur demande, après des coups
de fils passés, les soudards abandonnèrent leur funeste projet. Après avoir
écouté cette histoire, je me suis longtemps demandé si cet évènement n’était
pas pour beaucoup dans les motivations du Pr Séry Bailly à participer à ces
commissions ? Ne serait-ce pas parce qu’il a été, comme le furent tant de nos
compatriotes, traumatisé par cette menace à laquelle il n’avait échappé que par
un heureux hasard ? Ces questions resteront certes sans réponses. Mais, leur
existence restera pour moi, dans le cas du Pr Séry Bailly, cette partie
toujours incomprise de leur vie que partagent toutes les personnes publiques.
Au-delà de ce qu’on pourra
dire, la disparition du Pr Séry Bailly pose aussi un problème : celui de la
relève. L’on pourra me trouver excessif, mais j’ai comme l’impression que nous
assistons depuis une certaine période à la perte qualitative du capital humain
de notre pays, malheureusement et apparemment pas reconstitué. L’université
ivoirienne a certes toujours des docteurs et des professeurs. Mais, des
personnes de la trempe des Wondji, Zadi Zaourou, Ekanza, Séry Bailly, etc., ont
et sont en train de tirer leur révérence sans une relève établie. Ne serait-il
pas intéressant que certains, qui sont encore parmi nous et qui pourraient être
tentés de continuer à camper ce rôle de mandarin qu’on leur prête, se
ressaisissent ? Ne pas faciliter la tâche à certains étudiants seulement
armés de leur talent, de leur dignité et de leur volonté d’apprendre, est
qualitativement improductif pour l’université et la société ivoirienne. La
conséquence est là : certaines très bonnes graines se sont éloignées de la voie
universitaire qui leur était logiquement destinée. Dans le meilleur des cas,
elles se sont exilées pour pouvoir s’épanouir. Et voilà notre université vouée
à produire et à reproduire des professeurs-laudateurs incapables d’écrire des textes
susceptibles d’éveiller les consciences, et qui, souvent, font de leur
discipline une composante de leur patrimoine. Et, quand ils s’essayent à
l’écriture, on a affaire à des textes oiseux où ils semblent se parler à
eux-mêmes.
Il se prénommait Zacharie,
comme le père de Jean le Baptiste des évangiles. Puissions-nous trouver dans
les nombreux écrits que le Pr Séry Bailly nous a laissés, les éléments
susceptibles de nous aider à annoncer le nouveau pays que nous aimerions
laisser aux prochaines générations. Car, comme lui-même l’écrivit un jour : « En s’inspirant du passé, chacun peut
choisir son destin, surtout ceux qui ont l’ambition de transformer l’histoire ».
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