Monsieur,
Plusieurs
médias en ligne relaient vos propos selon lesquels, je vous cite : « la
Côte d’Ivoire pourrait accéder à l’émergence un peu avant le temps prévu ». C’est vrai que tout flatteur vit au dépend
de celui qui l’écoute, mais tout de même. Soyez raisonnable ! À défaut d’avoir
voulu prendre le temps qu’il vous aurait fallu pour connaître et voir ce que
les Ivoiriens vivent au quotidien, prenez les pleines valises à vous remises et
aller prophétiser ailleurs.
« … un peu avant le temps prévu »,
dites-vous ! Quel est donc ce temps ? Notre très cher chef d’Etat lui-même n’a
pas osé prédire un temps. Il a inscrit « son émergence » dans un
improbable et insaisissable « horizon » pour se donner une marge
élastique. Cette précaution, vous n’en avez cure.
Monsieur l’ancien Directeur
Général du FMI,
Savez-vous
que 1 500 jeunes Ivoiriens fuient la RCI chaque mois vers l’Europe ? Est-ce
parce qu’ils craignent l’émergence qu’ils préfèrent risquer leur vie en
traversant la Méditerranée ?
Comment,
avec une économie aussi instable et fragile que celle de la Côte d’Ivoire,
osez-vous parler d’imminence de son émergence ? Cette fragilité qui se traduit
par une lacune structurelle : le manque de diversification.
Notre
pays présente une structure productive limitée dans le sens où l’essentiel des
revenus à l’exportation est réalisé grâce à quelques produits (l’agriculture
représente 22% du PIB et plus de 50% des recettes d’exportation).
Par ailleurs, les nos exportations sont
concentrées sur quelques marchés, principalement ceux de la zone européenne
(L’UE est le premier partenaire commercial de la Côte d’Ivoire et absorbe 70%
de ses exportations). En raison de cette faiblesse de la diversification
sectorielle et géographique, l’économie ivoirienne reste fragile face aux
fluctuations de la conjoncture. Il suffit par exemple que le cacao voit ses
cours chuter ou qu’un des clients européens soient en crise, pour que l’économie
ivoirienne entre en récession, voire en dépression.
Monsieur Camdessus,
En Côte
d’Ivoire l’investissement privé reste étouffé en raison d’un environnement
encore hostile aux entrepreneurs, en dépit des progrès réalisés (139e sur 190
pays dans le classement Doing business 2017).
Le déficit de l’Etat de droit, la
complexité administrative, l’insécurité judiciaire, la corruption endémique
sont des maux qui ne plaident pas en faveur de notre économie et qui
compromettent à long terme son intrusion dans le cercle des pays même dit
préémergents.
Cher monsieur,
Toutes
les économies dites émergentes ont en commun d’être compétitives, ce qui leur a
permis de conquérir des marchés au niveau mondial et de créer plus de richesses
et d’emplois. Or, l’économie ivoirienne souffre d’un déficit chronique de
compétitivité (91e sur 140 pays dans le classement WEF 2015 et n’a même pas été
audité en 2017).
L’essentiel de la richesse créée est
accaparée par une kleptocratie et une horde de rattrapetocrates. En atteste le
taux de pauvreté atteignant près de 50% aujourd’hui et le mauvais classement
(2016) du pays dans l’indice de développement humain, soit la 170ème place sur
187 pays.
Monsieur l’ami du Président,
Quand l’essentiel des revenus est accaparé
par une minorité, cela signifie que le reste de la société n’en profite pas.
Ceux, comme Adama Bictogo ou quelques entreprises burkinabés et
françaises, qui sont proches du cercle du pouvoir attirent vers eux, comme des
aimants, tous les marchés publics et les affaires les plus lucratives. Pendant
ce temps des milliers d’entreprises ivoiriennes doivent se contenter de
quelques miettes et des emplois précaires.
M. L’Economiste prédicateur,
Aujourd’hui
dans notre pays, la Côte d’Ivoire, le secteur informel occupe 90% de la population
active sans protection sociale, ni rémunération suffisance.
L'auteur |
Comment
alors, une économie fondée sur l’informel pourrait-elle prétendre à l’émergence
?
Pour accéder à l’émergence, il est besoin
d’un processus dynamique de réformes structurelles nécessitant à la fois une
grande volonté politique et une forte adhésion populaire. Les fruits de ces
réformes ne peuvent être récoltés qu’à long terme. Or, l’horizon 2020, c’est
dans deux ans, et parler d’émergence n’est, en fin de compte, qu’un slogan politique.
Rien de plus et rien de moins.
J. Bonin, citoyen ivoirien, juriste.
EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de
provenances diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre
ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou
l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens et que, par leur contenu
informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des
mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
Source : IvoireSoir 30 mai
2018
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