Ce
qui est bien avec Venance Konan, c’est qu’il est capable de dire tout et le
contraire de tout dans le même article. Si bien que toute son œuvre – du moins
son œuvre journalistique car c’est la seule que je connais au jour
d’aujourd’hui – n’est qu’un tissu de contradictions, de paradoxes, de
sophismes, de lapalissades et même de contre-vérités, le tout asséné avec un
sang-froid qu’on pourrait admirer si le journalisme était l’un des beaux-arts,
ou s’il ne s’agissait pas de sujets aussi graves que tous ceux sur lesquels cet
écrivain dévoyé exerce depuis ses débuts une plume inutilement talentueuse.
Inutilement ? Oui… Car quand on réfléchit à son parcours à la lumière de
ses reportages, interviews, billets d’humeur et éditoriaux, on se rend vite
compte que ce journaliste « recherché » n’a jamais fait que suivre
l’opinion dominante. Et quand nous disons « opinion dominante », nous
ne voulons pas dire l’opinion de la majorité des citoyens de notre pays, mais
l’opinion de ceux qui nous dominent… Ainsi, V. Konan était naturellement
tayloriste durant la guerre civile libérienne, parce que dans cette guerre,
Charles Taylor était le bras armé de la Françafrique, alors représentée par l’ambassadeur
Michel Dupuch et par un certain Robert de
Saint-Pai, peut-être un des alias
du très entreprenant Jean Mauricheau-Beaupré, un résidu de la Maison Foccart.
Ainsi, sous Bédié, s’il était furieusement « ivoiritaire », c’était
parce que le « gouverneur » Guy Nairay régnant et Michel Dupuch étant
toujours à son poste, Alassane Ouattara n’apparaissait pas encore comme le
choix de la Françafrique. Ainsi, sous Robert Guéi, quoique le contexte eut
changé du fait du décès de G. Nairay et du rappel de M. Dupuch, qui
facilitèrent le renversement de Bédié sans ouvrir à Ouattara la voie royale
qu’il espérait, il demeura « ivoiritaire ». Ainsi, pendant le mandat
de Laurent Gbagbo, même s’il avait déjà mis beaucoup d’eau dans son vin,
question « ivoirité », depuis que Bédié et Ouattara avaient fait leur
paix sous l’égide de la Françafrique, et
pratiquement jusqu’à ce que tout se gâte vraiment entre ladite Françafrique et Gbagbo
au lendemain du 2e tour du scrutin présidentiel de 2010, V. Konan
n’était pas vraiment le farouche opposant qu’il deviendra à partir du 3
décembre 2010. La seule chose qui ne varie pas dans cette trajectoire, c’est
que V. Konan n’apparaît chaque fois que comme la cinquième roue du carrosse ou,
si vous préférez, comme la mouche du coche.
Inutilement
talentueuse, disions-nous ? En fait, cela dépend pour qui. Car V. Konan
est l’un des très rares Ivoiriens qui vivent très bien de leur plume, et probablement
le seul parmi les journalistes qui ne sont pas devenus autre chose. Mais, même
dans cette « mangécratie » que la Françafrique nous impose depuis le
11 avril 2011, et s’agissant d’une telle poche de moralité, l’argent n’est pas
tout ! Un Venance Konan peut certainement, et avec raison, ambitionner
beaucoup plus que ce rôle d’imprécateur que personne n’écoute et que peut-être
ceux qui le payent méprisent en secret, comme dans la légende, Cassandre la
Troyenne éternellement vouée à prêcher dans le désert. Quand on voit avec
quelle assurance il dénonce l’anarchie, l’insalubrité, l’anomie, l’insécurité,
l’incivisme, l’irresponsabilité, la corruptibilité des hommes et la corruption
des mœurs, la gabegie, toutes ces « nègreries » comme il aime à dire,
peut-on douter que ce nouveau Savonarole serait aussi compétent sinon plus, par
exemple, que tel maire, tel gouverneur de district, tel préfet, tel député, tel
ministre, tel ministre d’Etat, voire le Premier ministre ou le président de la
République lui-même, pour éradiquer tous ces maux dont la Côte d’Ivoire n’a que
trop souffert…
Voilà pourquoi, chers membres
et chers amis du Cercle Victor Biaka Boda, nous vous soumettons encore une fois
le dernier éditorial de Venance Konan, qui est un peu la quintessence de sa
pensée, et qui se lit comme un catalogue ou un inventaire de tous les projets
dont il pourrait faire bénéficier cette Côte d’Ivoire qui lui est si chère, pourvu
qu’elle lui en donne les moyens. Que diriez-vous d’une pétition en sa faveur, à
soumettre à ses employeurs actuels, pour les exhorter à mieux l’utiliser qu’ils
ne le font aujourd’hui ? Etant donné l’étendue des centres d’intérêts de
V. Konan et l’immensité de ses talents, on pourrait envisager de lui confier au
minimum une fonction de conseiller spécial à compétence universelle, avec droit
de regard sur l’activité de toutes les autorités depuis le sommet de l’Etat
jusqu’au dernier détenteur de la moindre parcelle de pouvoir… Quelque chose
comme la présidence de ce truc bizarre qu’Houphouët imagina, en 1990, pour
mettre sur orbite un certain Alassane Ouattara. Ça s’appelait le « Comité
interministériel de coordination du programme de stabilisation et de relance
économique ». Sans être et sans jamais avoir été membre du
gouvernement ivoirien, Ouattara avait été bombardé président de cet organisme,
avec plusieurs ministres à ses ordres au grand scandale de Camille Alliali, qui
ne put s’empêcher de faire observer à Houphouët – c’est dire s’il fut
scandalisé ! – « Qu’il
n’était pas habituel qu’une personnalité qui n’était pas membre du gouvernement
puisse être nommée à la tête d’un comité composé de ministres »…
Mais
ça, c’était avant. Une époque où, s’il faut en croire V. Konan, l’urgence n’existait
pas encore. Aujourd’hui, c’est autre chose. On n’a pas le temps de chipoter. Et
pas question de limiter le champ d’intervention du nouveau sauveur de la patrie
au seul domaine économique comme ce fut le cas pour Ouattara. Au contraire, il
faudra lui confier tous les leviers de décision existant dans le pays, sans
excepter ceux qui appartiennent au chef de l’Etat. En un mot, il faut créer V.
Konan dictateur, comme ils faisaient dans l’ancienne Rome lorsqu’ils étaient
confrontés à une crise d’une telle gravité que seul un homme d’exception nanti
de tous les pouvoirs pouvait sauver la république.
Si
cette proposition vous agrée, faites-le-nous savoir. Et si elle ne vous agrée
pas, faites-le-nous savoir également, en précisant les raisons de votre
désaccord.
Donc, chers membres et chers amis du CVBB, à vos
plumes !
Marcel
Amondji (24 avril 2013)
* * * *
Soldat nouveau égal Ivoirien nouveau
Un ami, ivoirien d’origine et américain aujourd’hui, qui est commandant
dans l’armée américaine, m’a envoyé ces quelques lignes hier matin, à l’annonce
de la nouvelle mauvaise action de certains de nos militaires qui tiraient en
l’air pour manifester leur mauvaise humeur : « Quelqu’un de tordu à l’origine qui entre dans l’armée devient un
militaire tordu. Quelqu’un d’exemplaire qui entre dans l’armée devient un
militaire exemplaire. L’armée n’est que l’extension de ce que tu es dans le
fond ». Qui avons-nous fait entrer dans notre armée ? Essentiellement
des gens tordus.
On nous dira qu’il fut un moment où nécessité faisait loi, où pour
vaincre celui qui usurpait le pouvoir et menaçait de tuer notre jeune
démocratie, il fallut faire avec ce que l’on avait sous la main. Soit !
Mais après, qu’avons-nous fait pour rendre exemplaires et droits les
tordus que l’on avait fait entrer dans notre armée ? Qui pouvait les redresser
et les rendre exemplaires ? Nous entrons là dans la problématique du fameux
Ivoirien nouveau après lequel nous courons.
Le soldat nouveau que nous aimerions voir ne sera rien d’autre qu’une
partie de l’Ivoirien nouveau que nous aurons créé. Qu’avons-nous fait pour
faire advenir cet Ivoirien nouveau ? Ce que nous, nous reprochons à l’Ivoirien
actuel, c’est, entre autres, son goût pour la facilité, son aversion pour le
travail et l’effort, l’inversion qu’il a fait de toutes les valeurs dans
lesquelles nous autres de près de soixante ans avons été élevés, et l’argent
qu’il a érigé au statut de dieu.
Depuis que nous parlons d’Ivoirien nouveau, avons-nous réellement
commencé à inverser les choses ? Avons-nous commencé à apprendre à nos enfants
à travailler dur, plutôt qu’à chercher à tricher ? Avons-nous renoncé à
chercher des passe-droits, des interventions pour la moindre démarche
administrative, pour le moindre concours ? Avons-nous renoncé à exiger des
bakchichs pour faire le minimum du travail pour lequel nous sommes payés ?
Nous, journalistes, avons-nous renoncé à exiger des « per diem » pour écrire le
moindre article ? Nos pasteurs ont-ils renoncé à faire les poches des personnes
en détresse qui fréquentent leurs temples ? Nos policiers ont-ils renoncé à
racketter les conducteurs ? Les magistrats ont-ils renoncé à vendre leurs
jugements ? Avons-nous intégré le fait que la sanction fait aussi partie de
l’éducation ? Lorsque nous commencerons à lutter réellement contre les maux que
nous connaissons tous et qui minent notre société, nous aurons alors le droit
de nous étonner que nos soldats se comportent comme ils le font. Ils ne sont
que le reflet de notre société.
Houphouët-Boigny disait, avec raison, qu’il préférait l’injustice au
désordre. Lorsqu’une société veut avancer, elle doit sanctionner ceux qui se
conduisent mal, quitte à commettre parfois de l’injustice. Au temps des
Romains, lorsque des soldats commettaient des fautes, on les alignait et on les
comptait par groupes de dix. Les dixièmes étaient mis à mort sans discussion,
qu’ils soient coupables ou pas. D’où le verbe décimer qui signifiait tuer le
dixième. Ils savaient, les Romains, qu’une mutinerie, une désertion, ou
l’indiscipline étaient des fléaux pour toute armée.
Tant que nous ne comprendrons pas que si nous voulons une vraie armée,
nous ne devrons plus tolérer certains comportements, sans aller jusqu’aux
extrémités des Romains, nous connaîtrons ce genre d’actes qui ruinent tous les
efforts faits pour remettre ce pays sur les rails. Il est plus qu’urgent
d’inculquer à nos soldats le vrai sens de leur métier, qui comprend l’amour de la
patrie, et le don de soi qui peut aller jusqu’au sacrifice de leur vie.
Mon ami, l’Américain d’origine ivoirienne, me disait aussi dans un mail
que notre pays devrait envoyer plus souvent nos soldats dans les missions de
l’Onu. Parce que là-bas ils apprendraient leur travail de militaires ainsi que
tout ce qu’il implique, se frotteraient à d’autres soldats et acquerraient de
l’expérience. Ils gagneraient en plus de l’argent, mais cette fois-ci après
avoir fourni réellement de l’effort. C’est sans doute parce qu’ils sont oisifs
ici qu’ils ne voient aucun inconvénient à bloquer l’activité économique du
pays.
Un contingent de nos soldats a récemment été envoyé au Mali. C’est
peut-être un début qui devrait être élargi. Il ne faudrait cependant pas
oublier de leur payer ce qu’on leur devra lorsqu’ils reviendront de leur
mission. C’est la revendication d’une telle dette qui déboucha sur le coup
d’État de décembre 1999.
Fraternité Matin a reçu hier, pendant que certains militaires jouaient à
terroriser les populations civiles, le ministre Sidi Tiémoko Touré qui est en
charge de l’Emploi des jeunes et du Service civique. Le constat est clair
qu’une importante partie de notre population manque terriblement de sens
civique. Il ne s’agit pas seulement de militaires. Cela concerne avant tout
nous les civils.
Et un mauvais civil qui endosse l’uniforme ne sera
qu’un mauvais soldat. Il est plus que jamais temps de nous remettre au service
civique, comme cela se faisait par le passé, en sachant que si nous voulons
tricher aussi avec cela, c’est-à-dire faire juste semblant d’inculquer du
civisme aux populations, nous en paierons un jour le prix. Comme nous payons en
ce moment le prix de tous nos mensonges, de tous nos faux-semblants.
Venance Konan - Fraternité Matin 13 mai 2017
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