"Mutins" en train de démontrer leur savoir-faire |
« On
peut tout faire avec une baïonnette sauf s’assoir dessus », affirme Talleyrand. Si on peut en effet utiliser l’armée
pour arriver à ses fins, conquérir le pouvoir et s’y maintenir, il est en
revanche périlleux de rouler les militaires dans la farine. En revenant sur les
accords précédemment signés, Alassane Ouattara a fait l’amère expérience de la
colère et la détermination des mutins. Bien sûr, cette dernière mutinerie est
condamnable comme toutes les autres. Le rôle de l’armée dans une république est
de protéger les citoyens et non de les terroriser ou de les rançonner. Cela a
été déjà dit, les promesses de butin faites par Ouattara n’engagent que lui.
Elles n’ont aucun fondement juridique et sont tout au plus qu’une créance
privée. Il aurait été plus juste que les mutins se rendent directement chez
leur débiteur que de prendre la population en otage. Riche comme Crésus, il
aurait pu honorer ses dettes sans que l’État n’en pâtisse. Au besoin, il aurait
pu faire appel à Fanta Gbè, alias Dominique Ouattara, milliardaire elle aussi,
pour réunir la somme exigée. Certains internautes se sont amusés à proposer des
modes de règlements amusants : une tontine par exemple où cotiserait le
président, les membres du gouvernement et les autres beati possedantes. Faut-il
rappeler que près de 50 % de la population ivoirienne vit sous le seuil de
pauvreté avec moins de 1, 25 par jour et que l’argent de la rançon sera prélevé
non sur le train de vie exorbitant des dirigeants politiques, mais sur les
dépenses sociales. En clair, les pauvres devront payer, quand le cercle du
pouvoir pourra continuer de briller, voire s’agrandir avec la création
prochaine du Sénat.
Comme d’habitude, au lieu d’analyser les causes profondes de
la crise, on recherche les boucs émissaires, tout en épargnant soigneusement la
responsabilité, voire l’incompétence du ministre de la Défense et des services
de renseignement qui comme toujours n’ont rien vu venir, alors qu’ils sont
payés justement pour anticiper sur les événements. Les doigts accusateurs se
pointent déjà sur certaines personnalités. Pourtant cette mutinerie dénote
d’une crise profonde du parti au pouvoir. Le fait que les militaires proches du
régime se rebellent contre l’autorité montre qu’il y a malaise en la demeure.
L’échec des réformes du secteur de la sécurité (RSS) est patent, mais pas dans
le sens prévu : l’armée n’est ni professionnelle ni prétorienne. De plus, la
faible mobilisation des militants du RDR pour s’opposer aux militaires traduit
une tendance lourde, la déliquescence d’un parti en panne d’idéal.
L’échec des RSS
On nous a abreuvés de statistiques sur le taux de réussites
de la démobilisation (90%), la quantité des armes récoltée (dérisoire), le coût
des opérations (exorbitant, mais composés essentiellement de salaire des
experts). Cette focalisation sur les chiffres a fait oublier cette vérité
essentielle (Einstein) : « tout ce qui
compte ne peut être compté et tout ce qui peut être compté ne compte pas
toujours ». En matière de sécurité, ce qui compte et se chiffre
difficilement est la qualité de la formation donnée aux hommes. Comme l’a si
bien dit Thomas Sankara, « un militaire
sans formation politique est un criminel en puissance ». Ces mutineries à
répétition montrent s’il en était besoin que ces hommes n’ont de militaires que
l’uniforme. Ils semblent n’avoir reçu pendant 7 ans, aucune instruction en
matière de civisme, de respect de la hiérarchie, de connaissance du sacerdoce
qui fonde leur métier : la défense des citoyens contre les périls internes et
externes. Faut-il leur en vouloir quand -on regarde le dénuement dans lequel
les a laissés le régime, préoccupé qu’il était par la question des démobilisés
et la traque des pro-Gbagbo. Les réformes du secteur de la sécurité sont
restées un beau slogan arrimé au concept de sécurité humaine, qui pour rappel
met au centre de l’action des forces de sécurité la protection des citoyens.
Véritable fiasco, dû en partie à l’incompétence des acteurs : le ministre de la
Défense, le président lui-même, est un banquier, ses adjoints, l’ancien Paul
Koffi Koffi, un ingénieur statisticien, et le nouveau Richard Donwahi, un fils
à papa venu d’on ne sait où avec un simple DEUG 2 en poche. Quant au ministère
de la Sécurité, il est géré par un bachelier, Hamed Bakayoko. Bref, autour du
président, aucune expertise réelle. Pourtant, les questions de sécurité
touchent à la vie des citoyens, elles sont pour ainsi dire trop sérieuses pour
être confiées à des personnes totalement incompétentes. Bien sûr que des cadres
compétents existent au sein du RDR. Mais le président semble avoir fait le
choix du copinage (ses bons petits) au mépris de la méritocratie. On pousse
même l’outrecuidance jusqu’à nommer comme ministres des secrétaires de
direction : pauvre Afrique !
La loi de programmation des forces de sécurité intérieure
2016-2020, brandie par le régime comme une panacée à la crise actuelle, risque
de produire de sérieuses déconvenues. Et pour cause, cette œuvre d’amateurs
repose sur deux piliers essentiels, tous économistes (encore). La réduction des
effectifs et l’équipement des forces de sécurité. Faut-il rappeler que le
Burkina Faso, le Sénégal ont des armées plus professionnelles sans avoir les
moyens de la Côte d’Ivoire. Tout n’est pas qu’argent dans la vie. Il suffit de
miser sur la qualité de la formation des hommes, leur adhésion à des valeurs
transcendantales : la nation, l’État.
De caporaux ou sergents à colonels, comme d'un coup de baguette magique |
En se rebellant contre le régime, les
8500 militaires ont montré qu’ils avaient des intérêts propres, distincts de
ceux du régime. La graine de la discorde est semée entre les deux. Le régime
sait désormais qu’il ne peut compter sur cette armée pour mater son opposition
ou confisquer le pouvoir. Ce qui est une bonne nouvelle pour les démocrates,
car l’oblige à rechercher l’onction du peuple, à se démocratiser.
Le manque d’idéal
Le moins qu’on puisse dire est que le parti de Ouattara
n’arrive plus à mobiliser. Les appels à manifester contre les mutins, dont la
cause est pourtant impopulaire, ont connu un faible écho. À Adjamé, un des
rares succès, on pouvait voir devant le camp Gallieni une foule clairsemée,
composée de tous les apparatchiks du régime et de leurs lignages ainsi que de
quelques badauds, certainement des microbes, attendant que les choses
dégénèrent pour voler la population. Le fait n’est pas surprenant :
l’année dernière, la grand-messe organisée au stade Houphouët-Boigny à la
veille du referendum sur la constitution avait brillé par ses gradins vides. La
médiocrité du texte n’explique pas tout, encore moins ses dispositions
impopulaires (création du Sénat inutile et budgétivore), ou sa procédure
antidémocratique (aucune assemblée constituante, même pas la consultation des
militants du RDR). Le désamour entre le RDR et sa base vient de plus loin : les
dirigeants ont sapé toutes les valeurs sur lesquelles s’est construit ce parti
et pour lesquels biens de personnes ont été tuées.
Djéni Kobinan, le fondateur du RDR |
L’idéal démocratique : Le RDR est créé est en 1994 après
que Djeni Kobinan leader des réformateurs du PDCI se soit vu refuser la parole
lors d’un bureau politique du PDCI. Est-ce le même parti qui aujourd’hui refuse
tout débat en interne, qui décide de façon autoritaire du choix des députés ?
Est-ce le RDR qui a tant souffert des interdictions de manifester et dont les
militants ont été tués pour ce seul fait en décembre et octobre 2000, en 2004
et 2010, qui une fois au pouvoir interdit de façon frénétique toutes les
marches de l’opposition ? Les militants ne reconnaissent plus la vieille mère
Henriette Diabaté, celle qui a écrit les plus belles pages du militantisme
féminin en Côte d’Ivoire. Ils s’expliquent mal son mutisme devant ce
gouvernement pléthorique de 34 ministres qui ne compte que 6 femmes (17 %).
La liberté de la presse : de 1995 à 2000, la principale cible
des manifestations du RDR a été la RTI pour exiger que les médias publics
soient ouverts à toutes les sensibilités politiques. Que de manifestants battus
ou tués au cours de ces manifestations. Est-ce ce le même RDR qui monopolise
aujourd’hui les médias d’État, transformés en une caisse de propagande du
régime ? Est-ce le RDR qui a dénoncé les atteintes à la liberté de la presse du
temps de Bédié et de Gbagbo, qui fait voter cette loi liberticide, la
pénalisation des délits de presse. N’est-ce pas le contraire de ce qui nous a
été seriné pendant plus d’une décennie par Charles Sanga, Meité Sindou, Bamba
Alex et autres journalistes du parti.
La bonne
gouvernance : le plus haut fait d’arme d’Amadou Gbon, ce qui lui vaut
sa renommée actuelle au sein du RDR, est cette phrase prononcée en 1998 à un
meeting du RDR, alors qu’il était député : «
Bédié est un voleur ». Cela lui a valu la levée de son immunité
parlementaire. Quelle admiration sans bornes pour le Ouattara des années 1990,
celui que les militants présentaient fièrement comme l’icône de la bonne
gouvernance, celui qui a fait payer l’impôt aux plus riches et a fait de la
moralisation de la vie publique son cheval de bataille. Quelle différence avec
ce régime affairiste où Loïc Folloroux, le beau-fils, règne sur le café cacao,
Bictogo sur tous les marchés d’État, le couple Gbon Coulibaly et Hamed
Bakayoko, sur tous les postes juteux de l’administration !
Que pense et que dit la base de ses dirigeants ? |
À
l’amnésie de sa propre histoire se joint une incapacité à comprendre les
plaintes des militants. Misère morale de qui pense guérir la détresse et le
manque d’horizon des militants par la distribution de billets de banque. Un
parallèle peut être fait avec la France de 1789. Au début de la révolution, les
manifestants criaient à la famine : « On veut
du pain », scandaient-ils ; et le roi Louis XVI de répondre : « Eh bien, qu’on leur donne du pain ».
Il n’avait rien compris. Le pain fut servi, mais la grogne s’amplifia et le roi
fut décapité quelques années plus tard. Bien sûr je ne souhaite pas une fin
tragique aux tenants du pouvoir. Mon but est de dire qu’il est naïf de prendre
les plaintes des militants au premier degré au risque de trouver des réponses
inappropriées et inefficaces. Les précongrès du parti ont été en ce sens une
occasion manquée de reconquérir la base. Au lieu d’écouter, les dignitaires du
parti sont venus avec des discours déjà écrits, dont le contenu mêle fausses
empathies – « je vous ai compris » (la formule est de De gaulle) – et fausses
autocritiques sur de prétendus élus qui auraient abandonné les militants, comme
le berger son troupeau. Analyses fausses qui conduisent à des solutions tout
autant fausses, la création d’un fonds d’aide aux militants ou encore les
distributions d’argent aux sections du parti à travers le pays. Ils n’ont
vraiment rien compris. L’homme ne se nourrit pas que de pain, dit l’Évangile.
Ce qui importe en politique est de construire un idéal de société, des valeurs
qui fédèrent les esprits, de tresser des cordes de l’imaginaire qui lient le
peuple. Il est urgent que ce travail soit fait, le RDR regorge de nombreux
intellectuels. Valy Sidibé, Yacouba Konaté, Franklin Nyamsi (le philosophe de
Guillaume Soro), s’ils n’étaient trop occupés à manger, auraient été parfaits
pour ce travail. Autrement, la déliquescence du RDR risque de se poursuivre.
Jean-Francois Fakoly
EN MARAUDE DANS
LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons
des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à
l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec
l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par
leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des
causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
Source :
http://www.connectionivoirienne.net 18 Mai 2017
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