« Cette figure [qui] revient en temps de crise, arborant,
tel Janus, un double visage, celui de l’espoir (Golem sauveur
et messie) et celui de la monstruosité ». Ada Ackerman |
Emmanuel Macron sera élu le 7 mai 2017
Président de la République. C’est le produit politique fabriqué par les efforts
combinés de l’oligarchie financière, du MEDEF, des gouvernements Hollande, de
la technostructure administrative, des opportunistes de tous bords, des stars
de l’intelligentsia toujours avides de notoriété, de la totalité des médias ;
bref, de tous ceux ayant joué un rôle dans la situation désastreuse actuelle et
favorisé ou instrumentalisé la montée du Front national. Et cela dans le
contexte d’une décomposition sociale profonde, d’une communauté des citoyennes
et des citoyens désorientés, en perte de repères.
Son émergence est récente et il n’a
cessé de cultiver l’ambiguïté pour se positionner électoralement au centre.
Toutefois, on peut déceler à partir de plusieurs déclarations disparates une
certaine cohérence idéologique, assez différente de celle qu’il veut accréditer
ou qu’on lui prête. Cinq lignes de force peuvent être dégagées.
Un fervent de l’élitisme, hostile au monde du travail
Les analyses sociodémographiques
publiées à l’issue du premier tour ont montré que Emmanuel Macron a été
essentiellement soutenu par les personnes qui s’en sortent le mieux dans la
crise, les plus riches, les plus diplômés, les partisans de l’Union européenne,
laissant de côté la France qui souffre, accentuant ainsi les inégalités. Dans
le même temps, il ne dissimule pas sa volonté de réduire le partenariat au sein
de l’UNEDIC, plus généralement de préférer le soi-disant dialogue social à la
concertation contradictoire. Il est un farouche partisan de la flexi-sécurité,
cause de précarité et de pauvreté de masse. Il opérera une reprise en main
étatique des crédits de la formation professionnelle. Il conteste la vocation
des syndicats à s’exprimer au niveau national pour les cantonner autant que
possible au niveau de l’entreprise dans l’esprit de la loi El Khomri qu’il veut
prolonger par une réforme du code de travail adoptée par ordonnances,
c’est-à-dire sans l’aval du Parlement. L’avantage que l’on peut reconnaître à
ce candidat c’est qu’il éclaire les contradictions de classe qui sont à
l’œuvre.
La mise au pas des collectivités territoriales
Après Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron
cherche le moyen de contourner le principe de libre administration des
collectivités territoriales posé par l’article 72 de la constitution. Un
système de conventions avec les régions pourrait y pourvoir qui conditionnerait
le montant des dotations de l’État à la docilité des collectivités. L’État
serait également appelé à compenser la suppression de la taxe d’habitation pour
80 % des ménages, ce qui rendrait ce financement discrétionnaire. Le processus
de métropolisation serait poursuivi et développé, aboutissant à la suppression
d’un quart des départements. Les collectivités territoriales seraient ainsi
mises sous pression avec la diminution de 2 milliards d’euros par an des
dépenses de fonctionnement, la réduction de 75 000 emplois de fonctionnaires
territoriaux, un retour strict imposé aux 35 heures hebdomadaires. La maîtrise
de cette nouvelle politique coercitive serait assurée par une conférence
annuelle des territoires. La remise en cause statutaire de la fonction publique
territoriale reste la cible privilégiée.
L’abaissement du Parlement
Il s’agit d’abord d’une réduction
drastique des effectifs sensée dégager une économie annuelle de 130 millions,
de l’ordre d’un tiers pour aboutir à 385 députés et 282 sénateurs. Le Parlement
réduirait considérablement son activité législative qui, hors période
budgétaire, serait limitée à trois mois. Il y aurait donc moins de lois
nouvelles, ce qui laisserait davantage de champ à la réglementation par
décrets. L’activité du Parlement serait aussi réorientée vers des missions de
contrôle et d’évaluation. La haute administration aurait de ce fait une
compétence d’expertise plus étendue et un pouvoir hiérarchique renforcé sous
l’autorité de l’exécutif. Emmanuel Macron a prévu de légiférer rapidement par
voie d’ordonnances dès le début de son quinquennat et il conservera le
mécanisme de l’article 49-3. Il est clair que la démarche tourne le dos au
régime parlementaire.
Un gouvernement aux ordres
Le gouvernement serait lui aussi
resserré à 15 ministres, et fortement instrumentalisé par le président de la
République qui continuerait à présider les réunions du Conseil des ministres.
Celles-ci seraient plus fréquentes pour assurer une discipline sans faille des
ministres. Contrairement aux dispositions actuelles de la constitution, ce
n’est toujours pas le gouvernement qui définirait et conduirait la politique de
la nation mais le chef de l’État. Les ministres seraient évalués chaque année.
Pour autant, leurs pouvoirs et surtout leurs cabinets exerceraient une autorité
renforcée sur les administrations placées sous leur tutelle. Le candidat Macron
jugeant le statut général des fonctionnaires « inapproprié », outre une
réduction des effectifs prévue de 120 000 emplois, accentuera la dénaturation
du statut par une extension du spoil system, le recrutement accru de
contractuels de droit privé sur la base de contrats négociés de gré à gré. Il
s’agirait donc d’une mise en cause des principes d’égalité, d’indépendance et
de responsabilité et d’une réaffirmation sévère du pouvoir hiérarchique, de
l’obligation de réserve, du devoir d’obéissance.
Un exécutif opaque et autoritaire
Emmanuel Macron ne remet pas en cause
les institutions de la Ve République, notamment l’élection du président de la
République au suffrage universel, ni l’usage plébiscitaire du référendum, ni de
façon significative le mode de scrutin. Les conditions d’une VIe République ne
sont pas réunies : pas de large consensus de récusation des institutions
actuelles, pas de consensus sur les caractéristiques d’une nouvelle
constitution, pas d’évènement fondateur comparable à ceux qui ont présidé à
l’avènement des Républiques antérieures et de l’actuelle. Si l’ambiguïté sur ce
que pourrait être la fonction présidentielle du nouveau président demeure
grande, on peut déduire de ses quelques déclarations sur le sujet et de ses
postures que son exercice de la fonction présidentielle, qui a pu être
qualifiée de « jupitérienne », serait à la fois opaque et autoritaire,
autocratique. La « dérive bonapartiste » qui a caractérisé le quinquennat de
Nicolas Sarkozy risque d’être ici renforcée avec plus de méthode et, sans doute
une traduction institutionnelle qui se durcira face aux conflits sociaux que la
politique présidentielle ne manquera pas de provoquer. Jusqu’à quelles limites
et à quelle échéance ? C’est la principale incertitude sur le danger encouru.
S’il est clair qu’on ne saurait voter
pour la politique de filiation autoritaire, xénophobe et nationaliste de Marine
Le Pen, le danger de la politique portée par Emmanuel Macron constitue une
autre redoutable menace pour le progrès social et la démocratie.
Dimanche 7
mai 2017 je voterai Blanc.
ANICET LE PORS (http://anicetlepors.blog.lemonde.fr
06 MAI 2017)
Titre original : "Emmanuel Macron : cet homme est dangereux".
Titre original : "Emmanuel Macron : cet homme est dangereux".
NB : Ce blog n’a pas de vocation prosélyte. Il
met simplement à disposition de ceux qui le consultent les articles rédigés par
l’auteur et les textes de base, en version intégrale ou résumée, des
conférences qu’il donne. Le texte qui précède a été rédigé à la suite de
demandes dans une conjoncture politique importante et singulière. Texte rédigé
après le débat télévisé du 3 mai 20.
Source : le mur de Mustafa
Benallègue, 8 mai 2017
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