Soulignons
au passage deux traits saillants de la manière dont la politique est organisée
et faite au Burkina :
1/
cette organisation politique n’a pas changé après l’insurrection. Il y a
toujours plus d’une centaine de partis politiques, dont certains se créent pour
uniquement soutenir le parti majoritaire au pouvoir, exactement comme c’était
déjà le cas autour du CDP avant l’insurrection. Cette façon de faire de la
politique, qui consiste à créer un parti non pour conquérir le pouvoir et
gouverner avec un projet de société fiable et honnête, mais juste pour soutenir
un grand parti qui n’en a du reste pas besoin pour gagner et s’imposer, et
graviter ainsi autour de lui comme un parasite sur la peau d’un grand animal de
proie, cette façon de concevoir et faire de la politique est assez étrange pour
ne pas être remarquée et critiquée plus souvent, et passe même pour normale,
hier comme aujourd’hui après l’insurrection.
Autrement
dit, l’on continue de faire de la politique exactement comme on la faisait
avant l’insurrection, alors que celle-ci était aussi censée conduire à une
nouvelle façon non pas seulement de gouverner (transparence, intégrité,
proximité et écoute, etc.) mais aussi de concevoir et faire de la politique.
Aussi n’est-on pas étonné de constater que la politique même conduite par des
(ex)-insurgés n’apporte pas, dit-on, le(s) changement(s) attendus et souhaités,
si cette façon de faire de la politique reste inchangée. L’on ne fait alors que
proposer, en termes de changement, quelques mesures provisoires et isolées,
sans que la structure et l’organisation politiques elles-mêmes changent. Ce qui
revient à vouloir faire et apporter du nouveau avec de l’ancien.
2/
Il est aujourd’hui difficile de savoir au juste sur quoi l’opposition et la
majorité politiques s’opposent au fond (ne surtout pas confondre opposition
politique et division nationale, dans une démocratie, qui plus est !).
Malgré des désaccords ponctuels et sporadiques sur des faits divers politiques,
par voie de presse, il n’y a pas grand-chose à se mettre politiquement sous la
dent : la vie politique est morne, molle, assez fade, faute d’opposition
véritablement politique entre l’opposition et la majorité. Pas une opposition
seulement idéologique (libéraux/socialistes/socio-démocrates : il y a des
socio-démocrates dans la majorité et dans l’opposition, et certaines mesures de
la majorité sortent tout droit du libéralisme, voire d’un néo-libéralisme que
les libéraux eux-mêmes ont abandonné : on y reviendra dans d’autres
écrits), mais une opposition fondamentalement politique, clairement bipolaire,
fait défaut. Ailleurs, et partout où il y a une vie politique saine et
démocratique, cette opposition politique s’appelle gauche/droite,
démocrates/républicains, travaillistes/conservateurs, etc...
Z. Diabré (gauche) et R. Kaboré |
Chez
nous, il n’y a rien de tel. Et pourtant nous avons, étonnamment, une ligne de
démarcation et de démarquage politique claire et nette autour de laquelle
devrait se construire une vraie opposition politique pour gouverner et
construire le pays : l’insurrection. En tant qu’elle a opposé deux visions
du pouvoir et de la démocratie, deux visions du changement, deux projets de
société, entre insurgés et partisans d’un pouvoir congelé et d’une démocratie
sans alternance derrière un seul chef que l’on suit partout même lorsqu’il est
en fuite (le fameux Front dit "républicain" organisé autour du CDP).
Sous
prétexte qu’il ne faut pas (se) diviser mais se réconcilier, on ne peut pas
effacer cette ligne de démarquage et d’opposition politique qui peut même
contribuer au surgissement de nouvelles idées et pratiques rivales mais
sincères et fécondes pour construire le pays, au lieu d’accords hypocrites
faits de trahisons et de coups bas : c’est aux anti-insurrection de nous
prouver, en corrigeant leurs erreurs passées, en quoi les insurgés auraient eu
tort de s’insurger, et aux insurgés de prouver qu’ils ont mieux à proposer
concrètement au pays que les défenseurs de l’ancien régime !
C’est
précisément là que j’aimerais par cet article faire porter le focus et attirer
l’attention. L’UPC de M. Diabré est le deuxième parti politique du pays qui
anime l’opposition face à la majorité MPP et ses partis satellites, et elle est
l’un des partis qui ont participé à l’insurrection. Sa collaboration avec le
CDP dans l’opposition est admirable d’un seul point de vue démocratique et
humain : des adversaires d’hier qui sont aujourd’hui ensemble, cela est
sans doute beau et émouvant (encore que personne ne verra un jour les
Américains Hilary Clinton et Donald Trump, ou les Français Le Pen et Hollande
ou même Sarkozy politiquement ensemble, sans que leurs positions politiques
divergentes constituent une division de leurs pays) ! Et les âmes
sensibles ne manqueront pas d’essuyer une larme d’émotion devant ce
« mariage » politique burkibabè...
Y.I. Zida et Z. Diabré |
Sauf
que politiquement parlant, et en termes de stratégie politique et électorale,
l’UPC, alors qu’elle est la deuxième force politique du pays, est isolée et
bien seule, jusque dans ce mariage de démocratie avec le CDP. Et que, surtout,
ce mariage risque même de finir par lui être fatal. Pourquoi donc ?
1/
Parce que l’UPC est la locomotive qui redonne un souffle et une vie politiques
dans l’opposition au CDP qui profite d’elle pour exister et survivre
politiquement : en ce sens, le CDP profite plus de la présence de l’UPC à
ses côtés dans l’opposition que l’UPC ne tire bénéfice politique du CDP.
2/
Parce que, ce faisant, l’UPC risque (si je me trompe, c’est tant mieux) de
nourrir l’un de ses propres fossoyeurs politiques : car le CDP que l’UPC
épaule a, contrairement à elle, une réserve qu’elle n’a pas, une réserve
importante dormante dans...le MPP ! Ce n’est un secret pour personne que
des militants CDP ont rejoint le MPP sous lequel certains se sont même fait
élire députés ou maires. En cas de fin de règne du MPP, ces militants ne
retourneront probablement pas à l’UPC mais au...CDP (il leur suffira alors de
demander pardon à leur parti d’origine, et de plaider la fraternité et la
réconciliation entre frères et sœurs !). Surtout si le CDP se refait
entre-temps une santé financière après le dégel de ses comptes, et en
renflouant ses caisses depuis Abidjan ! De sorte que l’UPC risque de voir
les futures victoires électorales lui passer sous le nez, du MPP au CDP, comme
un spectateur de tennis regarde passer les balles de gauche à droite (je serai
très heureux de me tromper)...
C’est
qu’à cette solitude et à cet isolement politiques, l’UPC n’y peut rien et n’a
pas trop le choix : il n’y a pas de parti des insurgés de poids avec
lequel elle aurait pu s’associer et collaborer dans l’opposition (c’est très
récemment qu’un Ablassé Ouédraogo parle de rejoindre le CFOP conduit par le
président de l’UPC Diabré, mais son poids est bien trop léger et marginal
d’avoir été assommé par les électeurs dans les urnes).
Les
insurgés, on le sait, ne s’étaient pas rassemblés et unis pendant
l’insurrection. L’on se
rappelle alors la cacophonie et la grande confusion qui
ont régné dans et entre les partis de l’ex-CFOP surpris, déboussolés et déchirés
par la victoire de l’insurrection, chacun de ces partis pro-insurrection
voulant tirer à lui seul la grande couverture de l’insurrection et de
l’après-insurrection.
"Pas d'amnistie pour Diendéré"... |
Paradoxalement
donc, l’insurrection a divisé et continue de diviser les insurgés eux-mêmes, au
lieu de les unir. Et l’on ne risque pas de voir un seul de ces partis
pro-insurrection, même pas les plus minuscules d’entre eux, se sacrifier et se
saborder pour former ensemble un grand mouvement populaire sans chapelles
politiques (ce serait le premier exemple de non division, il me semble, car
comment unir les Burkinabè si les insurgés eux-mêmes ne le sont pas entre
eux ?!) qui traduirait avec plus de sincérité et de conviction la volonté
de changement des insurgés. Même les partis qui ont obtenu une seule voix dans
les urnes, celle du président du parti, tiennent et s’accrochent à leurs
chapelles.
Mais,
quoi qu’il arrive, les seules erreurs et déceptions de part et d’autre, ainsi
que le renforcement progressif des partis anti-insurrection (salutaire pour une
vraie opposition politique) finiront tôt ou tard, nous le souhaitons vivement,
par rendre ce grand mouvement des insurgés nécessaire et incontournable :
INSURGES DE TOUS LES PARTIS, UNISSEZ-VOUS !!...
Kwesi Debrsèoyir Christophe DABIRE
Source : Lefaso.net 13 août 2016
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