mercredi 9 novembre 2016

Où sont passés les insurgés d’octobre 2014 au Burkina Faso ? (2/2)




28 octobre 2014.

Des milliers de Burkinabè ont envahi les rues à l’appel de l’opposition.
  
Parce que l’insurrection de 2014 risque bientôt de passer de mode aussi bien dans les discours et actes politiques que dans les esprits des citoyens, si ce n’est même déjà le cas, et que l’on risque de devoir même se cacher et s’excuser désormais et de nous intimer aussi de nous taire si nous continuons de l’évoquer, je proposerai une série d’analyses qui se veulent des focus ou des zooms sur des points précis de la politique au Faso : 
Pour, d’une part, mettre en miroir ces zooms avec l’événement de l’insurrection, histoire de maintenir celle-ci, actuelle et vivante dans et par la réflexion, même si la pratique lui a déjà tourné le dos ou presque ; et d’autre part, pour prouver par là que l’après insurrection mérite autant que son avant une attention réflexive non partisane mais ferme (je ne suis personnellement encarté dans aucun parti politique, mais suis un insurgé, et n’ai rien contre ceux qui sont encartés, s’ils ne changent pas de cartes, de camp et de discours politiques à chaque élection, et si surtout ils ne décrètent pas que ceux qui n’ont pas la carte de leur parti devraient ne plus réfléchir et se taire), réflexion qui ne peut pas se réduire à dire seulement non à Blaise et à la modification du 37. Autrement dit, la lutte continue. Nous faut-il aujourd’hui avoir honte de nous être insurgés, ou le regretter, ou nous en excuser et demander pardon ? Non.
Aussi, après avoir souligné dans le premier article (« Où sont passés les insurgés d’octobre 2014 au Burkina Faso ? ») combien l’absence d’une force politique de l’insurrection était un handicap au changement véritable souhaité, et trahissait un manque de conviction des insurgés eux-mêmes qui sont en train d’oublier leur propre insurrection, nous proposons ici de nous arrêter brièvement sur le démarquage politique actuel entre majorité et opposition politiques, et plus particulièrement encore sur la position ou la situation stratégique du parti UPC (Union pour le Progrès et le Changement) de M. Diabré dans cette configuration politique.


Soulignons au passage deux traits saillants de la manière dont la politique est organisée et faite au Burkina :

1/ cette organisation politique n’a pas changé après l’insurrection. Il y a toujours plus d’une centaine de partis politiques, dont certains se créent pour uniquement soutenir le parti majoritaire au pouvoir, exactement comme c’était déjà le cas autour du CDP avant l’insurrection. Cette façon de faire de la politique, qui consiste à créer un parti non pour conquérir le pouvoir et gouverner avec un projet de société fiable et honnête, mais juste pour soutenir un grand parti qui n’en a du reste pas besoin pour gagner et s’imposer, et graviter ainsi autour de lui comme un parasite sur la peau d’un grand animal de proie, cette façon de concevoir et faire de la politique est assez étrange pour ne pas être remarquée et critiquée plus souvent, et passe même pour normale, hier comme aujourd’hui après l’insurrection.
Autrement dit, l’on continue de faire de la politique exactement comme on la faisait avant l’insurrection, alors que celle-ci était aussi censée conduire à une nouvelle façon non pas seulement de gouverner (transparence, intégrité, proximité et écoute, etc.) mais aussi de concevoir et faire de la politique. Aussi n’est-on pas étonné de constater que la politique même conduite par des (ex)-insurgés n’apporte pas, dit-on, le(s) changement(s) attendus et souhaités, si cette façon de faire de la politique reste inchangée. L’on ne fait alors que proposer, en termes de changement, quelques mesures provisoires et isolées, sans que la structure et l’organisation politiques elles-mêmes changent. Ce qui revient à vouloir faire et apporter du nouveau avec de l’ancien.
2/ Il est aujourd’hui difficile de savoir au juste sur quoi l’opposition et la majorité politiques s’opposent au fond (ne surtout pas confondre opposition politique et division nationale, dans une démocratie, qui plus est !). Malgré des désaccords ponctuels et sporadiques sur des faits divers politiques, par voie de presse, il n’y a pas grand-chose à se mettre politiquement sous la dent : la vie politique est morne, molle, assez fade, faute d’opposition véritablement politique entre l’opposition et la majorité. Pas une opposition seulement idéologique (libéraux/socialistes/socio-démocrates : il y a des socio-démocrates dans la majorité et dans l’opposition, et certaines mesures de la majorité sortent tout droit du libéralisme, voire d’un néo-libéralisme que les libéraux eux-mêmes ont abandonné : on y reviendra dans d’autres écrits), mais une opposition fondamentalement politique, clairement bipolaire, fait défaut. Ailleurs, et partout où il y a une vie politique saine et démocratique, cette opposition politique s’appelle gauche/droite, démocrates/républicains, travaillistes/conservateurs, etc...
Z. Diabré (gauche) et R. Kaboré

Chez nous, il n’y a rien de tel. Et pourtant nous avons, étonnamment, une ligne de démarcation et de démarquage politique claire et nette autour de laquelle devrait se construire une vraie opposition politique pour gouverner et construire le pays : l’insurrection. En tant qu’elle a opposé deux visions du pouvoir et de la démocratie, deux visions du changement, deux projets de société, entre insurgés et partisans d’un pouvoir congelé et d’une démocratie sans alternance derrière un seul chef que l’on suit partout même lorsqu’il est en fuite (le fameux Front dit "républicain" organisé autour du CDP).
Sous prétexte qu’il ne faut pas (se) diviser mais se réconcilier, on ne peut pas effacer cette ligne de démarquage et d’opposition politique qui peut même contribuer au surgissement de nouvelles idées et pratiques rivales mais sincères et fécondes pour construire le pays, au lieu d’accords hypocrites faits de trahisons et de coups bas : c’est aux anti-insurrection de nous prouver, en corrigeant leurs erreurs passées, en quoi les insurgés auraient eu tort de s’insurger, et aux insurgés de prouver qu’ils ont mieux à proposer concrètement au pays que les défenseurs de l’ancien régime !
C’est précisément là que j’aimerais par cet article faire porter le focus et attirer l’attention. L’UPC de M. Diabré est le deuxième parti politique du pays qui anime l’opposition face à la majorité MPP et ses partis satellites, et elle est l’un des partis qui ont participé à l’insurrection. Sa collaboration avec le CDP dans l’opposition est admirable d’un seul point de vue démocratique et humain : des adversaires d’hier qui sont aujourd’hui ensemble, cela est sans doute beau et émouvant (encore que personne ne verra un jour les Américains Hilary Clinton et Donald Trump, ou les Français Le Pen et Hollande ou même Sarkozy politiquement ensemble, sans que leurs positions politiques divergentes constituent une division de leurs pays) ! Et les âmes sensibles ne manqueront pas d’essuyer une larme d’émotion devant ce « mariage » politique burkibabè...
Y.I. Zida et Z. Diabré
Sauf que politiquement parlant, et en termes de stratégie politique et électorale, l’UPC, alors qu’elle est la deuxième force politique du pays, est isolée et bien seule, jusque dans ce mariage de démocratie avec le CDP. Et que, surtout, ce mariage risque même de finir par lui être fatal. Pourquoi donc ?
1/ Parce que l’UPC est la locomotive qui redonne un souffle et une vie politiques dans l’opposition au CDP qui profite d’elle pour exister et survivre politiquement : en ce sens, le CDP profite plus de la présence de l’UPC à ses côtés dans l’opposition que l’UPC ne tire bénéfice politique du CDP.
2/ Parce que, ce faisant, l’UPC risque (si je me trompe, c’est tant mieux) de nourrir l’un de ses propres fossoyeurs politiques : car le CDP que l’UPC épaule a, contrairement à elle, une réserve qu’elle n’a pas, une réserve importante dormante dans...le MPP ! Ce n’est un secret pour personne que des militants CDP ont rejoint le MPP sous lequel certains se sont même fait élire députés ou maires. En cas de fin de règne du MPP, ces militants ne retourneront probablement pas à l’UPC mais au...CDP (il leur suffira alors de demander pardon à leur parti d’origine, et de plaider la fraternité et la réconciliation entre frères et sœurs !). Surtout si le CDP se refait entre-temps une santé financière après le dégel de ses comptes, et en renflouant ses caisses depuis Abidjan ! De sorte que l’UPC risque de voir les futures victoires électorales lui passer sous le nez, du MPP au CDP, comme un spectateur de tennis regarde passer les balles de gauche à droite (je serai très heureux de me tromper)...
C’est qu’à cette solitude et à cet isolement politiques, l’UPC n’y peut rien et n’a pas trop le choix : il n’y a pas de parti des insurgés de poids avec lequel elle aurait pu s’associer et collaborer dans l’opposition (c’est très récemment qu’un Ablassé Ouédraogo parle de rejoindre le CFOP conduit par le président de l’UPC Diabré, mais son poids est bien trop léger et marginal d’avoir été assommé par les électeurs dans les urnes).
Les insurgés, on le sait, ne s’étaient pas rassemblés et unis pendant l’insurrection. L’on se
"Pas d'amnistie pour Diendéré"...
rappelle alors la cacophonie et la grande confusion qui ont régné dans et entre les partis de l’ex-CFOP surpris, déboussolés et déchirés par la victoire de l’insurrection, chacun de ces partis pro-insurrection voulant tirer à lui seul la grande couverture de l’insurrection et de l’après-insurrection.
Paradoxalement donc, l’insurrection a divisé et continue de diviser les insurgés eux-mêmes, au lieu de les unir. Et l’on ne risque pas de voir un seul de ces partis pro-insurrection, même pas les plus minuscules d’entre eux, se sacrifier et se saborder pour former ensemble un grand mouvement populaire sans chapelles politiques (ce serait le premier exemple de non division, il me semble, car comment unir les Burkinabè si les insurgés eux-mêmes ne le sont pas entre eux ?!) qui traduirait avec plus de sincérité et de conviction la volonté de changement des insurgés. Même les partis qui ont obtenu une seule voix dans les urnes, celle du président du parti, tiennent et s’accrochent à leurs chapelles.
Mais, quoi qu’il arrive, les seules erreurs et déceptions de part et d’autre, ainsi que le renforcement progressif des partis anti-insurrection (salutaire pour une vraie opposition politique) finiront tôt ou tard, nous le souhaitons vivement, par rendre ce grand mouvement des insurgés nécessaire et incontournable :
INSURGES DE TOUS LES PARTIS, UNISSEZ-VOUS !!...


Kwesi Debrsèoyir Christophe DABIRE


Source : Lefaso.net 13 août 2016

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire