J. Katinan Koné |
Commençons cette
réflexion en empruntant au génie littéraire de Chinua Achebe, le célèbre
écrivain nigérian, l’un de ses titres phares : « le monde s’effondre ». L’écrivain retrace dans son
roman les derniers soubresauts de la civilisation Ibo, confrontée à la victoire
inexorable de la colonisation. Ainsi, sous les regards impuissants des anciens,
une société nouvelle avec ses valeurs, parfois des contrevaleurs pour la
société Ibo, se substitue à cette dernière. Mais l’expression « le
monde » n’est pas unisémique. Loin s’en faut. Elle recouvre de variantes
compréhensions suivant celui qui l’emploie. Elle est synonyme parfois
d’universalité parfois de spécificité. Elle est tantôt inclusive tantôt
exclusive. La Bible parle du « Monde » pour opérer une distinction entre
le Bon du Mauvais dans la perception biblique des choses. Mais sous quelque
angle qu’elle se laisse appréhender, l’expression « le monde »
renvoie à une cohésion organisationnelle construite sur des valeurs que se
partagent les composantes de cette cohésion. Sa diversité est synonyme du
particularisme des valeurs sociales. Ce qui est valeur sociale pour l’un peut
être une contrevaleur pour l’autre. Malheureusement, depuis bientôt 30 ans
(1989-2016), l’on a voulu uniformiser un concept qui est, par nature lui-même,
une diversité. La mondialisation ou la globalisation, prétexte, moyen et
finalité de la chute de l’empire soviétique, n’a pas résisté longtemps à la
dictature de l’impossible. Malgré l’armada que se sont donnée les concepteurs
et les promoteurs de ce concept, l’ordre des choses est en train de reprendre
son cours normal. L’Homme, sujet principal et porteur de l’idéal de chaque
groupe social, refuse de devenir l’objet de quelle que organisation que ce
soit. La déformation de sa nature originelle, voulue et conçue par les
constructeurs aux forceps du monde de l’impossible, n’a pas prospéré.
Voilà, en moins d’une génération, leur « monde » s’effondre.
Les coups mortels qui lui sont assénés viennent du côté le plus
inattendu. Ils viennent du cœur-même de ce monde. En effet, l’Angleterre
d’abord, et, ensuite les USA, viennent de porter au « monde » des
coups qui pourraient lui être fatals. C’est un cas parfait d’infanticide.
L’humanité contemporaine fait sa contre révolution là où elle a opéré
ses premières révolutions fondamentales. En effet, le vote des Anglais pour la
sortie de l’Europe et le vote des Américains du 8 novembre 2016 ont une et même
portée (I). Ces deux votes constituent une sorte d’appel du pied de
l’Afrique (II).
I/ Les Anglais et les Américains assomment le « monde »
Le 24 juin 2016,
les Anglais ont voté pour la sortie de leur pays de l’Europe. Au lieu de tirer
toutes les leçons de ce vote, l’ordre finissant, dans un sursaut d’orgueil de
dernière minute qui découle de l’arrogance et du mépris qu’il a toujours eus
pour les peuples, tente de contourner le vote du peuple anglais. Après
avoir échoué à orienter le vote des Anglais dans leur sens par
l’entremise de ses structures visibles et invisibles de propagande, le
« monde », immédiatement après son échec, transforma lesdites
structures en agences de prédictions apocalyptiques pour les Anglais. Dans une
démarche irrationnelle qui a au moins l’avantage de traduire sa peur, l’ordre
défait tenta une dernière reprise en mains de son destin qui lui échappe
visiblement. Une pétition est lancée dans la foulée du référendum anglais
visant, dit-on, à remettre en cause le vote fait la veille. Et l’on trouva des
media pour justifier cette démarche singulière qui défie le bon sens. Sont-ils
des Jupitériens ou des Martiens qui ont voté contre les Anglais pour les faire
sortir de l’Europe. Non, cette décision est le choix des Anglais qui ne croient
plus à l’aventure européenne, du moins, sa version chevaleresque conduite par
des mains sombres qui veulent décider ce qui est bon pour toute l’humanité. Les
porte-voix de ces mains obscures, joliment appelés media, rattrapés par leurs
mensonges, se sont jetés à bras raccourci sur les Anglais taxés de tous les
noms, juste parce qu’ils ont décidé ce qui ne convient pas à ceux qui se
prennent pour des robins des bois du monde. Au lieu de s’interroger
sur les causes du vote des anglais, les idéologues d’un monde de l’irréel s’en
sont plutôt attachés aux effets. Heureusement que la Cour Suprême anglaise
vient d’enjoindre le gouvernement d’appliquer, sans tarder, la décision du
peuple anglais telle que sortie du référendum.
Quelques
instants avant, l’on a feint de ne pas entendre le clairon des Grecs qui
annonce que les peuples du monde ont décidé de lancer la bataille pour la
conquête de leurs droits confisqués depuis 1989 par une oligarchie financière à
la fois cupide, arrogante et méprisante. L’arrivée de l’extrême gauche au
pouvoir en Grèce en 2014, chose qui n’était plus arrivée en Europe occidentale
depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, n’est pas un fait banal. La
« rébellion » contre l’ordre établi venant de l’un des plus faibles
du système, l’ordre fit sortir l’artillerie lourde pour étouffer dans l’œuf
cette rébellion grecque malgré le référendum du 05 juillet 2015 dont les résultats
confirment le choix du peuple pour une rupture avec l’ordre établi.
Mais la Grèce fait partis des cinq « porcs » (pigs en Anglais). C’est
par cet acronyme très méprisant que l’ordre financier qualifiait le Portugal,
l’Irlande, la Grèce et l’Espagne, (Portugal, Irlande, Greece, Spain) dont
l’économie avait connu des tribulations sérieuses à la suite de la crise
financière de 2008. Finalement, le problème des Grecs s’avèrent être également
celui des Anglais, et, pire encore, celui des Américains.
Qui l’eût
prédit ? Les citoyens du pays, concepteur et promoteur du
« monde », en souffrent autant que les autres. Ils l’ont clairement
exprimé par un vote retentissant, le mardi 8 novembre 2016. Epouvantés par une
campagne médiatique qui annonçait l’apocalypse en cas de victoire du
« diable » Donald Trump contre l’ange Hilary Clinton, les Américains
ont préféré, sans ambigüité, l’enfer du diable au paradis de l’ange. Comme dit
plus haut, la diversité des valeurs sociales traduit la diversité du monde.
Apparemment, les citoyens américains et le système ne partagent plus les mêmes
valeurs sociales. Le diable pour les uns est l’ange pour les autres. C’est un
véritable choc des valeurs qui se joue aux USA depuis ce mardi 8 novembre
16. Ici, encore, rebelote. Les Jupitériens et les Martiens ayant voté pour
Trump, les Américains se fâchent. Ils protestent contre l’élection de Trump.
C’est dans quelle dimension surréaliste l’humanité évolue-t-elle ? A qui
profite finalement ce monde ? Pas aux peuples. On peut le dire sans risque
d’être pris à défaut. Les plus courageux des peuples expriment ouvertement le
rejet de ce monde. Les moins courageux le murmurent. Mais tous disent une et
une même chose : ce monde n’est pas sérieux. Il faut opérer la rupture
avec lui. Donald Trump a su parler aux Américains. Il a su capitaliser leurs
craintes et porter leurs espoirs. N’en déplaisent aux idéologues des temps
finissants qui qualifient la démarche victorieuse de Trump de populisme. Ce
n’est pas le discours de Trump qui est mauvais. C’est le système qui n’inspire
plus confiance. L’establishment mondial ne s’en rend pas compte ou feint
de ne pas le voir venir, pourtant, en vérité, son
« monde » s’effondre. Les peuples échappent au système. La guerre
sémantique n’y changera rien. C’est la plus grande leçon de l’élection de
Donald Trump pour les Africains.
II/ Les Anglais et les Américains
interpellent l’Afrique
La faiblesse du
leadership africain réside essentiellement dans son manque d’originalité.
Consommateur sans limites des schémas exotériques, le leadership en Afrique
manque de créativité. Au moment où les peuples du système rejettent ledit
système, c’est maintenant qu’il retrouve toutes ses couleurs en Afrique. La
mondialisation trouve un terrain favorable en Afrique au moment où
l’on lui ferme les frontières ailleurs. Notre Continent qui a adopté
mutatis mutandis le schéma de développement de l’ordre dominant doit tirer les
leçons de l’échec de celui-ci. Si les dirigeants ne peuvent le comprendre, les
peuples, eux, ont suffisamment d’exemples pour se rebeller contre ce système.
Un monde s’effondre. Il donnera naissance inévitablement à un autre. Le
Continent africain a l’opportunité unique de son histoire de participer, en
tant qu’acteur et non spectateur, à l’élaboration de l’ordre naissant. C’est
pourquoi, des initiatives comme la Constitution imposée par le gouvernement ivoirien
au peuple doivent être combattues. C’est de la responsabilité du peuple qui a
besoin, pour ce faire, d’un leadership de rupture. L’élimination progressive du
peuple ivoirien en tant que composante sociale de l’humanité avec ses
particularités, au nom de la mondialisation qui s’essouffle ailleurs, est une
faute grave. Notre pays ne peut se donner le luxe de recycler les valeurs
finissantes ou éteintes ; surtout quand lesdites valeurs enchaînent le
sort du peuple africain.
Personnellement,
je n’attends rien de l’élection de Trump à la tête des USA, tout comme je
n’attendais pas plus, de celle d’Hilary Clinton. Trump a été élu par les
Américains pour gérer les problèmes américains. Je tire seulement la
satisfaction de ce qu’aucun système ne peut soumettre définitivement le peuple.
Les media, plutôt adeptes de la cartomancie que de l’information, ont tout fait
pour aligner le peuple américain sur leurs prédictions par des sondages
orientés et par une présentation manichéenne des choses, mais le peuple américain
ne s’est pas laissé abuser.
Depuis 2000, les
mêmes réseaux de mages, à la recherche de leur étoile divine dans le ciel
ivoirien, essaient de soumettre le peuple de Côte d’Ivoire en vain. Depuis
2011, le système tient en otage le Président Laurent Gbagbo à la CPI, il
noyaute le parti de ce dernier en Côte d’Ivoire. C’est pourquoi, la plus petite
victoire gagnée contre ledit système est également mienne. Le moindre coup
porté contre ce système me soulage. Peu importe la qualité de la main qui porte
ce coup. Or, le coup de Donald Trump est énorme. En attendant que
l’espoir qu’il suscite ne se transforme en mirage, je ne peux me priver de m’en
délecter pour le moment.
Le système donné
comme infaillible est, en fait, un tigre en papier qui n’effraie que ceux
qui n’ont pas confiance en eux-mêmes. Le seul maître de l’humanité reste
l’Homme. Tout système qui le méprise s’écroule de lui-même.
Le poisson
pourrit par la tête, dit l’adage. Le poisson de la mondialisation avilissante
pour l’Homme a entamé son pourrissement par sa tête : les USA.
Espérons
seulement que le « monde » comprenne enfin qu’il a fait fausse route.
Sinon, les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’humanité pourrait
expérimenter son troisième conflit mondial. Les peuples sont fatigués du
mensonge et de leur exploitation par une minorité arrogante.
Comment est-ce
possible que les USA, avec un PIB par tête d’habitant de l’ordre de 50 000
USD, puissent compter dans sa population des sans-abris, des
crève-la-faim, des personnes qui ne peuvent se soigner ? L’on a vendu au
monde l’utopie d’un monde meilleur après la chute de l’empire soviétique. La
réalité s’est avérée désastreuse. L’Homme est capable du meilleur. C’est une
certitude. C’est justement ce que les peuples veulent : un monde vraiment
meilleur. Vœux peut-être impossible pour les autres, mais de l’ordre du
possible pour l’Afrique. Si l’Afrique est le berceau de l’humanité, a combien
forte raison le sera-t-elle pour l’humanisme. Pour cela, il lui un leadership
audacieux, confiant en lui, pour porter à nouveau l’humanité vers son vrai
destin. La planète s’étouffe ailleurs, apportons lui de l’air frais en comptant
effectivement sur nos peuples, et non, en trichant avec eux.
Justin Katinan Koné (In « La Voie Originale » 16 novembre 2016)
Titre
original : « Après le brexit, Trump au pouvoir aux USA. Leur monde
s’effondre ! »
Source : civox.net 16 novembre 2016
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire