Ainsi naissent les révolutions... Et, comme tout ce qui naît, elles peuvent aussi mourir. |
Ils n’ont pas disparu, c’est
certain, mais beaucoup sont mécontents, s’impatientent, se lamentent et
gémissent, ou doutent. Mais que font-ils pour renouer avec l’élan
insurrectionnel de 2014 ? À qui la faute ? À qui faut-il s’en prendre
si les promesses de l’insurrection ne sont pas (toutes) tenues ?
Loin des nostalgiques de l’ancien pouvoir trentenaire,
mais aussi sans se complaire dans la critique fatiguée et fatigante de ce
régime débandé, on soutient fermement et rigoureusement ici que si l’élan
révolutionnaire et prometteur est freiné et brisé aujourd’hui, c’est parce
qu’il manque à l’insurrection de 2014 une dynamique et une force politiques qui
lui restent fidèles et la (sup)portent.
Illusions
et désillusions des insurgés
Pourtant ce sont, pour la plupart d’entre eux, des
insurgés qui sont aujourd’hui au pouvoir et qui nous gouvernent, puisqu’ils
appartiennent à un parti (MPP) qui a composé l’ancien CFOP dont la mobilisation,
jointe à celle de la société civile, a abouti à l’insurrection fatale aux
ennemis de l’alternance démocratique. Comment se fait-il donc que des insurgés
soient ou puissent être aujourd’hui mécontents d’un pouvoir aux mains de
dirigeants qui étaient eux-mêmes, en 2014, des insurgés ?
On s’abstient ici de toute critique facile et
superficielle du pouvoir burkinabè actuel, pour cette raison qu’il ne s’est pas
imposé à nous par la force d’un coup d’Etat, mais a été librement et
démocratiquement choisi par les burkinabè. Ce qui ne veut pas dire qu’aucune
critique ne devrait ni ne pourrait être formulée contre ce pouvoir et certaines
de ses décisions.
Mais c’est précisément à l’égard du pouvoir actuel que
se note la première grosse illusion des insurgés de 2014 : ils ont pensé
et continuent de croire, à leurs propres dépens, qu’en portant au pouvoir un
parti d’insurgés (et même si ce parti, le MPP, est un bien moindre mal qu’aucun
des partis de l’ex-majorité anti-alternance), ils verraient leurs attentes et
espoirs d’insurgés automatiquement et immédiatement satisfaits (surtout que,
paraît-il, certains de nos dirigeants sont milliardaires en CFA, mais un pays
ne devient pas riche parce que ses gouvernants sont riches !!) pour cette
raison que des insurgés ne pourraient pas trahir des insurgés. Une foi bien
naïve d’insurgés ! Car, en réalité le MPP, pas plus qu’aucun des autres
partis de l’ex-CFOP insurgé, n’est pas un parti [issu] de l’insurrection. Comme
les autres partis insurgés, ce parti aujourd’hui au pouvoir avait et a son
agenda et son programme propres, lesquels ne datent pas de l’insurrection ou
nés avec elle, et ne sont en rien, sinon après coup, inspirés par
l’insurrection. Ce parti n’est donc pas « obligé », pas plus qu’un
autre à sa place, d’incarner l’insurrection et de lui rester fidèle en tous
points. N’étant pas un parti [issu] de l’insurrection mais, comme tous les
partis d’insurgés, un parti d’avant l’insurrection, certaines des décisions du MPP
au pouvoir peuvent heureusement retrouver, rencontrer et satisfaire l’élan
insurrectionnel de 2014, pendant que d’autres s’en écartent et s’en éloignent
selon l’agenda et le programme propres du parti. Ce qui ne devrait donc pas
étonner.
On insiste ici sur le génitif subjectif dans « parti
[issu] de l’insurrection », pour dire qu’un parti politique devait et
devrait exister qui fut né et engendré par l’insurrection elle-même qui aurait
ainsi son parti politique pour se donner forme, force et consistance
politiques. C’est un constat : il n’existe pas aujourd’hui, au Burkina
Faso, une force politique née avec et par l’insurrection, force qui aurait
confirmé et assuré la nature révolutionnaire de l’insurrection.
Conséquence : l’insurrection de 2014 reste une révolution sans
révolutionnaires, un mouvement sans moteur qui le maintienne en mouvement et en
action...
D’où deux autres grosses illusions des insurgés qui
prennent leur source dans le constat qui vient d’être fait :
D’une part, l’illusion (voire l’erreur) d’une logique
chosifiante de l’insurrection propre aux insurgés,
logique ou conception qui
fait de l’insurrection une chose, un objet, un bien : « on nous a volé notre révolution », comme le répètent à
(se) fatiguer certains insurgés. Mais si on leur a « volé » « leur »
révolution, on s’étonne que les insurgés n’aient rien fait et surtout ne
fassent rien pour se réapproprier politiquement et concrètement cette
révolution née dans l’insurrection, après la parenthèse de la Transition, en se
retrouvant dans une force politique propre qui serait allée aux élections présidentielles
et législatives (mais peut-être que cela se fera avant les prochaines élections
de 2020, c’est tout notre espoir personnel d’insurgé).
Voilà ça ! |
D’autre part l’illusion, chez les insurgés, d’une
logique toute « terminusienne » du changement qu’ils ont espéré et
attendent, c’est-à-dire un changement auquel ils croient naïvement parvenir et
arriver comme un voyageur arrive à un terminus : « Ici changement, vous êtes arrivés au terminus du voyage »,
voici ce que beaucoup d’insurgés de 2014 croient pouvoir entendre ou lire sur
un grand panneau suspendu au-dessus de tout le Burkina Faso !! Pour enfin
s’exclamer et s’ébaudir : « Ça
y est, voici le changement, nous y sommes ! »...
Évidemment, disant cela, on n’a rien à apprendre à
tous ceux qui, individuellement ou collectivement, n’ont pas attendu
l’insurrection de 2014 pour œuvrer en faveur du changement au pays dit des
hommes intègres. Au contraire, ces citoyens ne font que poursuivre le travail
et s’activer comme si rien ne s’était passé et n’avait changé, ce qui est la
meilleure recherche du changement bien compris (je pense au Centre National de
Presse Norbert Zongo, au Centre pour la Gouvernance Démocratique, au Balai
Citoyen, et au Manifeste des intellectuels qui avait organisé une réflexion sur
le changement avant l’insurrection, et qui devrait à mon avis la réactiver
aujourd’hui après l’insurrection et la Transition). Mais il n’existe pas de
force politique qui soit la traduction et l’expression de toutes ces forces du
changement après l’insurrection.
Des
insurgés sans conviction
Tout se passe donc comme si les insurgés avaient fait
le plus dur en se soulevant les 30 et 31 octobre 2014, et comme si cette
insurrection était la fin dernière des désirs de changement et pas un simple
début d’éclaircie dans la longue nuit vers le changement. Mais c’est alors
oublier que si nous avons pu venir à bout de l’ancien pouvoir, c’est parce que
nous étions organisés et en synergie. De la même manière donc que Blaise
Compaoré n’allait pas partir tout seul sans l’insurrection, de même les
changements attendus n’arriveront pas sans une force politique à travers un
parti de l’insurrection. Persuadés d’avoir fait le plus dur en s’insurgeant,
les insurgés se croient désormais dispensés de toute lutte.
aujourd'hui au pouvoir
LES MÊMES
hier au pouvoir
Tout se passe donc comme si nous nous étions insurgés
sans conviction, mais en suivant simplement le mouvement, sans même savoir ce
que nous voulions au juste. Une preuve en est les violences électorales et
post-électorales graves dans lesquelles des (ex)-insurgés s’écharpent et se
tuent pour des postes de maires, entre partis d’insurgés ou à l’intérieur d’un
même parti d’(ex)-insurgés. Ces violences prouvent que des insurgés n’ont rien
compris à leur insurrection contre Blaise Compaoré (une insurrection par hasard
et par accident), puisqu’il lui était reproché de vouloir le pouvoir pour le
pouvoir. En effet, du pouvoir à vie au pouvoir même local mais à mort et à
couteaux tirés, on ne change pas de logique ni ne sort d’une conception du
pouvoir vissée sur la personne.
Des gens qui se sont insurgés contre un pouvoir qu’ils
ne voulaient pas excessif et personnel se battent et se tuent pour des postes
de maires. Mais si l’on tue pour être maire, c’est que la conception que l’on a
du pouvoir et de la représentation même les plus modestes et locaux reste
singulièrement archaïque et plus centrée sur les personnes et les intérêts
personnels que sur l’intérêt public ; c’est que, il faut le dire sans
tergiverser, l’on manque cruellement d’élégance et de civilisation politiques,
si ce n’est de civilisation tout court...
Si l’on se tue entre insurgés pour des postes de
députés et de maires, que ne ferait-on pas pour être et rester président du
Faso ?! Chasser Blaise Compaoré pour cause de boulimie et de
personnalisation du pouvoir, et s’entre-tuer sauvagement pour de petits
pouvoirs locaux autour de personnes et pas de valeurs républicaines, prouve que
pour les Burkinabè (et les Africains au-delà) le pouvoir et la représentation
en général, à tous les niveaux (y compris dans nos diasporas), ne se conçoivent
que personnels, essentiellement liés à la personne et au « nom ». On
cherche le pouvoir, on cherche à représenter pour sa seule personne et pas pour
son pays (ou derrière son pays se cache à peine sa personne).
Mais c’est sans doute aussi cet excès de
personnalisation qui empêche la naissance et la surrection d’une force
politique qui soit un véritable « groupe en fusion » (pas groupe
d’intimes), comme le dirait Jean-Paul Sartre, et éviter aux insurgés de n’être
que de simples éléments épars d’un « collectif en série ». De même
que cette personnalisation à outrance, décidément maladive et génétique
empêche, malgré des diplômés qui égrènent leurs diplômes et titres comme des
chapelets en temps de carême, qu’il y ait une vie proprement intellectuelle
entre intellectuels burkinabè. Or, quand la vie intellectuelle d’un pays de 18
millions d’habitants est en souffrance et en délestage définitif, en plus que
ce pays compte 90 % d’illettrés et d’analphabètes citadins et villageois,
il ne faut pas s’étonner que des pratiques et mentalités qui semblent sortir
tout droit de la brousse la plus épaisse et sauvage persistent et sévissent à
tous les niveaux, politique et intellectuel, et que des insurgés reconduisent
et pratiquent cela même contre quoi ils se sont insurgés, sans jamais s’en
apercevoir : le délestage intellectuel nourrit la koglwéogoïsation des
esprits !...
Ce qui est remarquable en Afrique et au Burkina en
particulier, c’est que les peuples sont capables du meilleur dont pourtant ils
ne tirent aucun profit et n’en font rien, même lorsque, comme au Burkina des
insurgés, aucune force ni aucun pouvoir dictatorial ne les en empêche. Les
révolutions africaines ont inspiré l’idée et la pratique d’une démocratie de la
rue en Occident, mais sont restées volontairement ou involontairement
impuissantes à se transformer en forces politiques de changement. Or sans
organisation et dynamique politiques, les mouvements les plus populaires, les
plus révolutionnaires et les plus prometteurs ne laissent derrière eux que
déceptions et frustrations : c’est ce que les Espagnols du parti Podemos (« Nous
Pouvons ») ont parfaitement compris après le grand élan populaire du 15
mai 2011 (M-15), et que les insomniaques Français de « Nuit Debout »
sont en train de ne pas comprendre...
Où sont les insurgés que nous sommes ? S’ils
existent individuellement, ils sont inexistants collectivement, et donc
politiquement. L’insurrection de 2014 reste aujourd’hui orpheline non de père
mais d’héritiers fidèles, convaincus et déterminés, à la hauteur de la rupture
qu’elle représente. Seule une force politique pourrait assumer cette fidélité,
en même temps qu’elle infléchirait la politique de tous les partis existants, y
compris les partis d’ex insurgés lorsqu’ils s’éloignent des aspirations du
peuple, et libérerait alors les OSC insurgées de la politique qu’elles font
malgré elles : c’est parce qu’il n’existe pas de parti de l’insurrection
qui fasse de la politique que les OSC comme le Balai Citoyen sont obligées
d’intervenir parfois dans la politique alors qu’elles ne sont pas des partis
politiques.
La question « Où
sont les insurgés d’octobre 2014 ? » n’est donc pas seulement le
titre d’un article en passant, mais l’appel pour une force politique des
insurgés aux côtés des autres partis alors sous sa pression constante au profit
du peuple. Aussi peut-elle être reprise par d’autres, et sera régulièrement
reprise par moi-même, comme une chronique, jusqu’en 2020... L’objectif est de
ne rien céder aux ruses et calculs qui consistent à décapiter la Transition des
Kafando, Zida et Sy en la discréditant de corruptions et de détournements, et
d’empêcher ainsi toute fidélité à l’insurrection que cette Transition a essayé
d’incarner, et particulièrement toute fidélité qui voudrait s’appuyer sur Zida
ou Sy pour constituer une force politique : là se trouve le piège dans
lequel des insurgés sont en train de tomber pieds joints avec leurs bréviaires
de champions en éthique qui refusent de constater que des prisonniers pour des
faits graves sont libérés ou vont l’être pour continuer à faire de la politique
au Burkina, pendant que nos petits pères blancs de l’éthique attendent des
personnalités irréprochables aux mains pures et propres pour penser renouer
avec l’élan révolutionnaire de 2014, ou pour « rectifier » la Transition.
Nous ne croyons pas aux « rectifications » post-révolutionnaires et
nous en méfions comme des chats échaudés. Nous croyons à la fidélité à un
événement (l’insurrection) qui, précisément parce qu’il n’est pas imité hors du
Burkina, demeure VRAI...
K.D.C. Dabiré |
(C’est dans cette logique de fidélité active et
dynamique à l’insurrection que je salue ici le jeune Maurice BEDA et son titre
récent que j’ai pu apercevoir sur lefasonet : « Plus rien ne sera comme avant : moi j’y crois, et
toi ? ». Continuer de croire à la rupture introduite au Burkina
par l’insurrection, malgré tout, malgré les fautes et les erreurs à corriger
sans "rectification", c’est cela la fidélité, et c’est l’unique
protection contre les régressions et les retours en arrière)...
Kwesi Debrsèoyir Christophe DABIRE
Source : Lefaso.net 27 juin 2016
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire