Résultats du 1er tour de la présidentielle de 2010 |
Qui a gagné l’élection présidentielle de 2010 en Côte
d’Ivoire ? Officiellement, c’est Alassane Ouattara. En réalité ? Bonne
question.
Laurent Gbagbo, élu président en 2000 pour un mandat
de cinq ans, repoussait d’année en année la tenue d’un nouveau scrutin
présidentiel tant que les rebelles qui occupaient la moitié nord du pays
n’avaient pas désarmé et que l’Etat ivoirien n’avait pas retrouvé sa
souveraineté sur la zone CNO – zone centre, nord et ouest contrôlée par les
rebelles pro-Ouattara. Rappelons au passage – deux poids deux mesures – que
c’est pour permettre à l’Etat malien de recouvrer sa souveraineté au nord que
la France a déclenché l’opération « Serval » en janvier 2013.
Pour une raison que j’ignore, en 2010, Laurent Gbagbo
abandonne ces deux conditions et accepte d’aller à l’élection, convaincu qu’il
va gagner, sondages réalisés par Euro RSCG à l’appui. Or, pour la France et la
communauté internationale, cette élection est un moyen de chasser Laurent
Gbagbo du pouvoir. C’est également le calcul du président burkinabé Blaise
Compaoré. L’analyse électorale sommaire que font les acteurs internationaux,
c’est que le président sortant ne pèse que le poids de son ethnie, les Bété,
insuffisant selon eux pour remporter le scrutin.
Plus de votants que d’inscrits
Pour Nicolas Sarkozy et la diplomatie française, cette
élection ne peut avoir qu’un seul résultat acceptable : la victoire d’Alassane
Ouattara. Il règne à l’Elysée et au Quai d’Orsay une véritable hystérie
anti-Gbagbo. Les esprits sont préparés à un conflit, pas à une négociation.
J’ai décrit dans une précédente chronique combien la France était obsédée par
le départ de Laurent Gbagbo, parant le candidat Alassane Ouattara de toutes les
vertus.
Le premier tour se tient le 31 octobre 2010. Les
résultats provisoires donnent Laurent Gbagbo en tête avec 38 % des voix, suivi
d’Alassane Ouattara (ADO) avec 32 % et Henri Konan Bédié (HKB) en troisième
position avec 25 %. Ce dernier annonce très vite qu’il va former un recours en
annulation portant sur près de 600 000 voix (il y avait un peu plus de 300 000
voix d’écart entre ADO et HKB). De nombreux procès-verbaux en zone CNO sont en
effet suspects : plus de votants que d’inscrits, 100 % des voix pour le
candidat Ouattara. Mais, par un concours de circonstances bien étrange, le recours
sera déposé hors délai.
Henri Konan Bédié, qui a présidé la Côte d’Ivoire de
1993 à 1999, évoque en octobre 2013 l’élection de 2010, lors d’un congrès du
Parti démocrate ivoirien (PDCI) : « Le
rang que j’ai occupé à l’élection de 2010 n’était pas le mien… mais vous
conviendrez avec moi que les dés étaient déjà pipés ». Ambigus aussi les
propos de Jean-Marc Simon, ambassadeur de France à Abidjan, lorsqu’il sort du
domicile d’Henri Konan Bédié en 2012 avant de quitter ses fonctions : « Tous ont beaucoup apprécié son attitude
tout à fait digne d’éloges démocratiques après le premier tour où il a accepté
de ne pas être présent au second tour et d’apporter un soutien sans faille à
celui que les Ivoiriens ont ensuite désigné, le président Alassane Ouattara ».
Un ambassadeur qui félicite un candidat « acceptant » de ne pas être au second
tour et qui a soutenu « sans faille »
son ancien premier ministre et adversaire Alassane Ouattara ? Etonnant !
Faut-il y voir de l’ingérence ou de la diplomatie « engagée » ? Ou encore les intérêts bien compris de l’ambassadeur
Simon, qui n’allait pas tarder à se reconvertir dans les affaires, à Abidjan.
Laurent Gbagbo ne contestera pas les résultats du
premier tour car il se retrouve dans la configuration la plus favorable pour
affronter ADO au second tour. Il a commis une erreur.
Le second tour se tient le 28 novembre 2010. La
Commission électorale indépendante (CEI) n’arrive pas à se mettre d’accord sur
les résultats à annoncer. Le camp présidentiel n’a pas la majorité au sein de
la CEI et conteste le travail de compilation des résultats. Cette bataille
rangée au sein de la CEI culmine le 30 novembre quand le représentant de
Laurent Gbagbo arrache des mains du porte-parole de la CEI les résultats qu’il
veut annoncer devant la presse. La mission d’observation électorale de l’Union
européenne regrettera dans son rapport final que la CEI n’ait pas publié les
résultats par bureaux de vote, comme elle regrettera d’avoir été empêchée
d’observer la consolidation des résultats du premier tour.
C’est finalement le président de la CEI qui proclame
les résultats provisoires, hors du délai de trois jours imparti par la loi
électorale. L’annonce est faite à l’Hôtel du golf, le QG d’Alassane Ouattara,
la mission de l’ONU en Côte d’Ivoire (Onuci), ayant refusé que cela se déroule
chez elle. Alassane Ouattara est déclaré vainqueur avec une avance de 376 000
voix.
De son côté, le Conseil constitutionnel, s’étant saisi
du dossier puisque la CEI était hors délai, annule, dans la précipitation, les
votes de sept départements de la zone CNO et proclame Laurent Gbagbo vainqueur
de l’élection.
Dans la foulée, Choi Young-jin, le représentant du
secrétaire général des Nations unies à Abidjan, certifie ses propres résultats
et déclare Alassane Ouattara vainqueur avec des chiffres différents de ceux de
la CEI et du Conseil constitutionnel.
L’enjeu du taux de participation
Rappelons que l’Onuci certifie l’élection alors que
ses représentants n’étaient présents que dans 721 bureaux de vote sur un total
de 20 073, soit 3,6 % des bureaux de vote. Choi Young-jin affirme dans son
livre, Au cœur de la crise ivoirienne (Nouveau Monde Editions, 2015), que ses
équipes ont visé tous les procès-verbaux. Mais elles ne peuvent concrètement
garantir l’authenticité que d’une petite partie d’entre eux.
Le taux de participation au second tour est annoncé à
81 % (83 % au premier) alors que le vice-président de la CEI, Amadou Soumahoro,
membre du parti d’Alassane Ouattara, avait estimé, le lendemain du vote, une
participation avoisinant les 70 %, tout comme Gérard Latortue, le chef de la
mission des observateurs de la Francophonie. C’est un enjeu crucial, car une
participation moindre handicapait Alassane Ouattara et favorisait Laurent
Gbagbo. En outre, la société SILS Technology, chargée de compiler
électroniquement les procès-verbaux, certes filiale d’une société d’Etat
dirigée par un proche de Laurent Gbagbo, écrit à la CEI que son logiciel a
rejeté 2 000 procès-verbaux de bureaux de vote car ils comportaient plus de
votants que d’inscrits. Selon Bernard Houdin, conseiller de Laurent Gbagbo, ces
2 000 PV rejetés représentaient 300 000 votes.
Il y avait donc de bonnes raisons de prendre le temps
de recompter. Et personne n’était plus à quelques semaines près après avoir
attendu cinq ans. Or la France s’oppose obstinément à tout recomptage. Nous ne
saurons jamais si cela aurait évité à la Côte d’Ivoire de basculer dans la
guerre civile. Les deux camps étaient lourdement armés et convaincus qu’ils ne
pouvaient pas perdre l’élection. Mais, au moins, la communauté internationale
aurait eu la satisfaction d’avoir tout tenté.
Je ne sais pas qui a réellement remporté l’élection de
2010 mais une chose est certaine, les résultats certifiés par les Nations unies
ne sont pas les bons.
Par Laurent Bigot[*] (Le Monde 27 mai 2016)
Titre original : « Côte
d’Ivoire, mais qui a gagné la présidentielle de 2010 ? »
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Source : CIVOX.NET
27 mai 2016
[*]Laurent
Bigot est un ancien diplomate français devenu consultant indépendant. En 2010,
il était sous-directeur pour l’Afrique de l’Ouest au Quai d’Orsay.
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