Mme Massany Bamba, ancienne députée, interpelle les cadres du Nord.
Au regard de l'évolution de l'actualité avec les procès qui
se déroulent ici en Côte d'Ivoire comme à la Haye, avec les chefs d'accusation
standards de « crimes contre l'humanité », je viens à nouveau
interpeller ma communauté d’origine, celle du Nord, sur le grave danger
qui plane sur notre pays par rapport au clivage artificiel et forcé que les
tenants de l’actuel pouvoir et leurs parrains entretiennent entre les
« Nordistes » et les autres communautés de la Côte d'Ivoire.
Pour rappel, tout le monde sait dans ce pays et même à
l’étranger la manière dont des personnes non originaires de la région nord du
pays et non musulmanes ont été chassées, violentées, mutilées, violées,
égorgées en 2002, dans la partie septentrionale de la Côte d'Ivoire par la
rébellion venue du Burkina Faso. En 2011, le Président Gbagbo a été renversé
par l'armée française de Nicolas Sarkozy collaborant en cela avec l’ONUCI en appui
à une coalition d'hommes armés venus de certains pays de la sous-région.
Les partisans du président Laurent Gbagbo ont été tués, traqués, spoliés. Ils
continuent de vivre le martyr. Notre pays n’avait jamais connu cette forme de
barbarie et de violence. Et depuis, les Ivoiriens ne s'en remettent pas. Ils
sont divisés et meurtris en prison ou en exil.
Avec la politique du « rattrapage ethnique » qui
veut que seuls les originaires du Nord et les musulmans aient droit à la vie
citoyenne, l’opinion publique est désormais convaincue de la citoyenneté à
double vitesse. La discrimination opérée contre des hommes et des femmes,
exclus de la vie sociale, politique, administrative et économique pour la seule
raison qu'ils ne sont pas musulmans et ressortissants du Nord met en péril
l’avenir du pays et plus gravement celui de nous, originaires du Nord et membres
de la communauté musulmane.
Face à ce sombre tableau, je m'interroge avec anxiété sur le
silence de la grande majorité de cette communauté du Nord, sur l'indifférence
totale des chefs coutumiers et traditionnels, garants de la sagesse séculaire
de notre région. Pourtant, ils n'approuvent pas cette mauvaise politique menée
en leurs noms, simple prétexte pour assouvir un destin funeste et personnel.
Chers parents, aussi vrai que « qui ne dit mot consent », votre
silence face à ces pratiques a valeur d’approbation et d’accord implicite,
faisant de vous des futurs coupables.
Le procès du Président Gbagbo qui se tient à la Haye, montre
aujourd'hui toute la laideur du mensonge du pouvoir, qui veut à tout prix et
par tous les moyens ignobles de corruption, démontrer un certain plan commun
élaboré par le Président Gbagbo et le ministre Charles Blé Goudé en « vue
d’exterminer les musulmans et les ressortissants du Nord ». Chers parents,
ce grotesque mensonge, qui pue la manipulation, ne nous honore point. Cessez
d’en être des complices par votre silence pouvant s’interpréter comme une
approbation et un soutien.
Chers frères, chères sœurs du Nord, ouvrons les yeux, démarquons-nous
de cette manipulation qui nous avilit et qui a assez duré. Lisons entre les
lignes et décryptons les signes. Car « demain est un autre jour ».
Ceux pour lesquels ce pouvoir a utilisé notre
communauté pour arriver à ses fins, ont compris et ne veulent plus être
complices des tragédies qui ont occasionné tant de morts en Côte d'Ivoire.
Telles doivent se comprendre les révélations faites aujourd'hui par ces
commanditaires d'antan sur la disparition de Guy André Kieffer, les assassinats
de Camara dit H, du colonel Dosso et bien d'autres victimes anonymes. C’est le
sens des révélations sur la réalité du bombardement du camp militaire français
de Bouaké et autant de crimes odieux commis dans le seul but d'accabler Laurent
Gbagbo. C’est ainsi qu’il faut décrypter la dénonciation de l’implication de
Guillaume Soro dans le putsch du Burkina Faso.
Le procès en cours en ce moment à la Haye révèle toute la
vérité au monde entier. Difficile de faire porter au Président Laurent Gbagbo
les crimes dont les seuls coupables et responsables sont désormais dévoilés au
grand jour. Le Nord, notre région, a servi hier de zone de non droit à la
rébellion. Aujourd’hui, il sert de « goulag » au régime en y
enfermant ses opposants. Le président Laurent Gbagbo, son épouse Simone et
beaucoup de ses proches, dont Sangaré Abou Drahamane, y ont été « embastillés »
des mois durant. Cela n’est pas acceptable, car notre région ne doit pas être
présentée comme le symbole de l’injustice, de l’intolérance et de la punition
infligées aux Ivoiriens qui n’en sont pas originaires.
Par ailleurs, chers parents, de faramineuses promesses vous
ont été faites pendant la campagne présidentielle de 2010. Avez-vous perçu ces
milliards ? Face à la cherté de la vie, avez-vous un marché « Dioula
bougou » propre à vous, où les prix sont différents de ceux des
« Boussoumany » ? Les quartiers détruits par-ci par-là de façon
inhumaine et sans dédommagement aucun, la démolition des petits étalages qui
vous servent de commerce vous épargnent-ils ? Voyez-vous, les autres
communautés ivoiriennes s'attendaient dans tous les cas à ce traitement
pénible, donc ils le vivent avec endurance et espoir, le temps d'un changement
irréversible et inexorable de pouvoir.
Pourtant, vous, mes parents, je vous vois. Je vous
entends soupirer dans le silence de vos peines comme si vous étiez obligés de
souffrir, de porter la douleur étouffée qu'on vous impose tout simplement parce
que vous voulez ménager un « frère », même dans le faux et dans le
mal. Chers parents, chers chefs coutumiers et traditionnels du Nord, chefs
religieux musulmans qui ne sont pas du Nord, j'en appelle à votre rôle, à
votre sagesse, à votre conscience, à votre position de leaders dans la société
: donnez de la voix pour dénoncer cette exclusion insensée afin que nous
puissions vivre demain en parfaite harmonie et sans complexe ni gène avec
nos concitoyens. Cela, surtout pour l’avenir de nos enfants.
La réconciliation a finalement été un vœu pieux. Des
personnes se réclamant « houphouëtistes » ont plutôt contribué à
dénaturer l'œuvre de la cohésion sociale, le véritable vivre ensemble, en
agrandissant sans scrupule ni gêne la fracture sociale et en décuplant la haine
dans les cœurs des Ivoiriens.
Sachez qu'il existe une justice divine
tôt ou tard. Car, ce régime qui règne plutôt qu’il ne gouverne, passera.
Mais, nous, communautés et musulmans du Nord, nous ne passons pas, nous sommes
de cette Côte d'Ivoire, terre que Dieu a bien voulu que nous ayons en partage
avec plusieurs autres communautés, dans une coexistence naguère pacifique et
exemplaire.
Evitons demain la stigmatisation et la
discrimination dont les autres communautés sont victimes aujourd’hui. Dénonçons
dès à présent vigoureusement et solidairement le martyr des autres communautés
nationales. Posons des actions en faveur du rapprochement de tous les
Ivoiriens, de leur union et de leur solidarité. Vos concitoyens ne sont
nullement vos adversaires, encore moins vos ennemis, parce que la Côte d’Ivoire
de demain doit être celle de tous ses enfants. Ce défi est encore dans nos
capacités. La religion musulmane est par essence vecteur de paix et notre pays
a plus que jamais besoin de paix. La partition des ressortissants du Nord est
capitale dans ce processus, pour faire tomber les préjugés. Chers parents, «
demain n’est jamais loin ; demain juge toujours ».
Fait à Abidjan le 10 mai 2016
Massany Bamba, ancienne députée
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Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de
provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre
ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou
l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu
informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des
mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
Source :
civox.net 14 mai 2016
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