A la veille de la Journée commémorative
de l’abolition de l'esclavage, le président du Conseil représentatif des associations
noires de France rappelle que la question des réparations n'a toujours pas été
réglée.
Le débat est ancien. Les esclaves, en effet, ont toujours
exigé deux choses : liberté et justice. La liberté, ils se sont battus
pour l'obtenir ; pour ce qui est de la justice, le combat continue. C'est ce
qu'on appelle la «réparation», car il n'y a pas de justice sans réparation.
Depuis des siècles, cette noble cause a été soutenue par des personnalités
aussi emblématiques que Condorcet, Lincoln, Martin Luther King, Malcolm X, Aimé
Césaire, Franz Fanon, Desmond Tutu, Wole Soyinka, Christiane Taubira, et tant
d'autres. Et depuis quelques années, la bataille progresse de manière
significative dans le monde entier. En 2012, à l'unanimité, les chefs d'Etat de la Caricom
(marché commun des Caraïbes ont demandé réparation aux anciennes puissances
coloniales. Au Brésil, il y a quelques années, les associations noires ont obtenu la mise en place d'un ministère
de l'Egalité raciale et de la Réparation.
Récemment, aux Etats-Unis, plusieurs entreprises, à
commencer par la plus grosse banque du monde, Bank of America, ont payé des
réparations sous forme de bourses universitaires. En ce moment même, l'Union africaine réfléchit aux formes que devrait prendre cette réparation.
Il y a trois mois, interpellé par le Cran, le Conseil
de l'Europe a recommandé «aux autorités françaises de poursuivre le débat sur
la question des réparations autres que pécuniaires à la suite de la traite
négrière et du passé colonial de la France, en concertation avec la société
civile, et de définir une politique à cet égard», ce qui constitue une première
historique. Avec ces réparations non pécuniaires, on pourrait déjà mettre en
route de nombreux projets comme le musée de l'esclavage ou la
réforme agraire pour les descendants d'esclaves.
En France, justement, où en est-on ? L’appel que nous
avions publié dans le Monde du 12 octobre 2012 regroupait des signatures
allant du NPA à EE-LV en passant par le PCF, le Syndicat de la magistrature, Sud,
la CGT, la Fondation Frantz-Fanon, la Fondation Copernic, Attac, auxquels il
faudrait ajouter les 63%de Français d'outre-mer favorables aux réparations[1].
Depuis lors, la plupart des grandes associations antiracistes ont rejoint le mouvement et ont pris
position en faveur des réparations, du Mrap à la Licra en passant par SOS Racisme.
Tandis qu'en octobre 2012, Jean-Marc Ayrault s'était
engagé à mettre en place «une politique de réparations pas seulement financières»,
donc y compris financières, François Hollande s'y est opposé le 10 mai
2013, en évoquant dans
son discours «l'impossible réparation». Dans ces conditions, le Cran a
engagé plusieurs actions judiciaires, qui n'ont pas été sans conséquences. En novembre 2014, au cours de
sa visite à Thiaroye (village sénégalais où s'est produit un massacre colonial tristement
célèbre en 1944), François Hollande a déclaré : «Je suis venu réparer
l'injustice», sans qu'on sache à ce jour ce qu'il mettait concrètement
derrière ces mots. Par ailleurs, le 10 mai 2015, lors de l'inauguration du Mémorial Acte en
Guadeloupe, François Hollande s'est engagé
à «s'acquitter» de
sa dette à l’égard d’Haïti, car la France a exigé de ce peuple
des réparations à l'envers au lendemain de l'indépendance (l'équivalent de 21
milliards de dollars d'aujourd'hui), mais une dépêche de l'Elysée a expliqué
quelques heures plus tard qu'il ne s''agissait que d'une «dette morale». On
le voit, cette question, qui était autrefois taboue, est désormais posée au
plus haut niveau. Et on ne peut plus parler d'esclavage sans parler de réparations.
Le Président, qui était tout à fait fermé à ce sujet, semble désormais plus ou
moins ouvert aux réparations (morales, en tout cas), même si ses positions
paraissent hésitantes et floues (comme c'est souvent le cas avec François
Hollande).
Cette année, plus de 100 associations antiracistes se sont
regroupées afin de lancer un appel pour les réparations. Parmi leurs revendications
figurent la création d'un «Centre Dumas» (qui regrouperait un musée de l'esclavage
et un «Centre des cultures d'Afrique»), la question de l'éducation et des
programmes scolaires, la mise en place d'une fondation pour la mémoire de l'esclavage,
abondée par l'Etat et les entreprises ayant bénéficié de la traite, la mise en œuvre
d'un «plan Marshall» pour les Français issus de l'esclavage et de la
colonisation (afin qu'ils bénéficient de l'égalité réelle en matière d'emploi,
de logement, d'accès au foncier), la lutte contre les violences policières,
l'annulation de la dette et la reconnaissance du travail forcé dans les
colonies comme crime contre l'humanité, l'élaboration d'une vraie politique de
développement, au service des peuples, etc.
L. G. TIN |
Par
Louis-Georges Tin, président du Conseil représentatif des associations noires
de France (Cran)
Source : Libération
9 mai 2016
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