lundi 12 janvier 2015

NI CHARLIE NI CHARLOT…

        
Avant d'affirmer bêtement « je suis Charlie » à l'unisson avec le troupeau français, il serait bon que vous preniez le temps de découvrir par vous-mêmes le vrai visage de Charlie Hebdo dont le siège a subi l'attentat meurtrier du 7 janvier 2015. Manifester de la compassion à l'égard des morts, condamner ouvertement et fermement cette mise à mort calculée, ne doit pas vous empêcher de savoir qui est Charlie à qui on vous demande de vous identifier.

Pour ma part, même si je suis solidaire de mes compatriotes dans la douleur, je refuse de prendre la place de Charlie pour mener son combat imbécile qui consiste à entretenir la division sociale par d'incessantes stigmatisations. Je refuse d'être Charlie parce que je refuse d'être un raciste et un islamophobe. Si demain Marine Le Pen était assassinée pour ses idées racistes, je dénoncerai le crime parce que tout le monde a le droit d'exister avec les idéaux qu'il défend. Mais que l'on ne vienne pas me demander de me mettre à sa place pour assumer et défendre son idéal. Les racistes mangent avec les racistes. Je ne veux pas être des leurs. Si demain je tombe au front dans mon combat contre l'impérialisme français en Afrique, ne demandez pas aux impérialistes français de se substituer à moi pour mener mon combat anti-impérialiste. Qu'ils me plaignent s'ils veulent ; mais qu'ils laissent à mes compatriotes et amis anti-impérialistes le soin de mener mon combat. Nous avons le devoir de reconnaître à chaque individu le droit d'avoir des idées différentes des nôtres ; mais on ne doit pas nous mettre dans l'obligation d'approuver, sous le coup de l'émotion, celles que nous ne partageons pas. Et pire, embrasser des idéaux contraires aux nôtres.
            Quant aux enseignants qui profitent de l'innocence des enfants pour les pousser dans cette mare aux relents nauséabonds en leur demandant d'affirmer qu'ils sont Charlie, je les mets en garde contre le reproche qui leur sera fait demain. Qu'ils imaginent ces êtres découvrant dans dix ou quinze ans les caricatures racistes et islamophobes de Charlie Hebdo auquel le professeur d'école ou de collège les a obligés à s'identifier. Le ressentiment pourrait être violent et leur image transformée en épouvantail !    
            Se contenter de dire qu' à travers le journal satirique Charlie Hebdo c'est la liberté d'expression qui est attaquée et qu'il faut la défendre, c'est nier que ce sont les multiples frustrations engendrés par nos comportements et nos politiques ici et ailleurs qui poussent certains à ces actes extrêmes que nous réprouvons. Se contenter de dire que c'est la liberté d'expression qui est attaquée et qu'il faut la défendre, c'est se boucher les yeux et refuser de se poser des questions, c'est embrasser nos certitudes habituelles au lieu de chercher à comprendre si ce qui nous arrive n'a pas une cause plus profonde. C’est ne voir jamais plus loin que le bout de son nez. C’est croire que quand on a bien mangé et bien bu, tout le monde devrait être content.
            On ne tue pas avec une telle sauvagerie pour une caricature blessante. Seul un fou peut commettre un tel acte ; à moins de considérer celui-ci sous l’angle d’un fanatisme exacerbé comme aux temps du catholicisme outrancier de la France où l’on vouait au bûcher des êtres simplement soupçonnés de faute moindre que des caricatures. Cette tuerie calculée et minutieusement préparée ne peut être l’œuvre d’un fou. Seule la vengeance ou l'implacable animosité peut l’expliquer. Cette preuve nous est donnée par le comportement des Français suite à l'attentat contre le siège du journal satirique français. Que voyons-nous depuis ? Des Français se vengent en attaquant des mosquées ! De nombreuses mosquées ont été lapidées, saccagées, mitraillées. Ces Français ont-ils agi ainsi parce qu'ils sont contre la liberté de culte en France ? Non ! Ils exprimaient une vengeance et une animosité. Il nous faut donc nous poser la question de savoir ce qui dans notre comportement a pu et peut nourrir ces sentiments chez l'autre. Et c’est ce que j’ai fait dans un précédent article.
           Un dessin peut-il être raciste ou islamophobe ?
            Puisqu’il s’agit de parler ici de la liberté d’expression, il convient de retenir que de même que l’on ne fait pas toujours ce que l’on veut, nous devons apprendre à ne pas toujours dire ce que nous voulons. La liberté, ce n’est pas seulement agir et s’exprimer selon sa volonté ; c’est aussi savoir fixer des limites à ses actes et à ses mots. Tous les jours, les enseignants apprennent aux élèves — ces citoyens de demain — que dans les actes comme dans les mots, notre liberté s’arrête là où commence celle des autres. Quand l’autre dit que mon acte ou ma parole le blesse, je dois avoir l’intelligence de comprendre que j’ai franchi les limites de ma liberté d’expression ou d’agir. Est-ce que ridiculiser l’autre, l’humilier constamment est nécessaire à ma liberté ? Est-ce que ma vie n’aurait pas de sens si je n’entreprends jamais de stigmatiser l’autre, de le décrier par mes écrits, mes paroles et mes œuvres artistiques, par tous les moyens d’expression dont je dispose ? Et puis posons-nous cette autre question : est-ce qu’une parole ou un texte cesse d’être raciste parce que l’un ou l’autre est exprimé sous la forme d’un dessin ? Non ! Les enseignants qui, soudain, demandent aux élèves de défendre la liberté d'expression qui blesse et stigmatise se fourvoient dangereusement.
            Toute liberté a une limite. Et selon les lieux et les époques, les limites des
libertés diffèrent et fluctuent au gré de la morale, des institutions, des pratiques ordinaires, des pouvoirs et des caprices des gouvernants. La totale liberté d’expression est une illusion, un rêve semblable à un effet d’optique insaisissable parce qu’aux contours changeants et fuyants. Tous nos gouvernants qui nous parlent de liberté d’expression nous bercent d’illusions. Partout dans le monde nous sommes libres mais gouvernées ; c’est-à-dire qu’il y a toujours une volonté qui préside ou prescrit des lois à notre liberté. Ne nous laissons pas bercer par l'illusoire liberté d'expression qui nous rendrait semblable à l’âne qui suit la carotte au bout du bâton de celui qui est sur son dos. La totale liberté d'expression que nous voulons atteindre fuit constamment devant nos yeux ; et toujours selon la volonté de nos gouvernants et des circonstances.

            Ainsi, la France octroie la liberté de dire et de faire à certains mais l'interdit à d'autres. De nombreux individus soudainement privés d'antenne ou affectées à d'autres fonctions — quand ils ne les perdent pas — ne me contrediront pas. On n'a pas le droit de dire ce que l'on veut sur les radios et les télévisions françaises. On peut même être interdit de spectacle public. Il y a des instances qui veillent à ce que ne s'expriment que ce que nos autorités tolèrent. En 2010, en Côte d'Ivoire, la liberté d'expression du conseil constitutionnel de ce pays a été contestée par la France qui a remplacé le président désigné par cette institution par l'homme qu'elle préfère. Combien de Français ont crié au scandale ? Il me plaît de signaler ici l'entrée dans l'espace européen qui est interdit à l'ancien ministre malien de la culture, Aminata Traoré, et à son compatriote le député Omar Mariko parce qu’ils soutiennent des idées qui ne sont pas favorables à la politique étrangère de la France en Afrique. Convenons donc que le spectacle des gouvernants d’hier et d’aujourd’hui manifestant pour défendre la liberté d’expression n’est rien d’autre qu’une fourberie.

Une vidéo sur la liberté d'expression en France : https://www.facebook.com/video.php?v=780733235341250&pnref=story  

Raphaël ADJOBI
Titre original : « refuse d'être Charlie ou pourquoi la totale liberté d'expression est une illusion ».
 

EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
 
 
Source : htpp://raphael.afrikblog.com 11 janvier 2015

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