Avant d'affirmer bêtement « je suis Charlie » à l'unisson avec le
troupeau français, il serait bon que vous preniez le temps de découvrir par
vous-mêmes le vrai visage de Charlie
Hebdo dont le siège a subi l'attentat meurtrier du 7 janvier 2015.
Manifester de la compassion à l'égard des morts, condamner ouvertement et
fermement cette mise à mort calculée, ne doit pas vous empêcher de savoir qui
est Charlie à qui on
vous demande de vous identifier.
Pour ma part, même si je suis solidaire de mes compatriotes dans la douleur, je
refuse de prendre la place de Charlie
pour mener son combat imbécile qui consiste à entretenir la division sociale
par d'incessantes stigmatisations. Je refuse d'être Charlie parce que je refuse d'être un raciste et un
islamophobe. Si demain Marine Le Pen était assassinée pour ses idées racistes,
je dénoncerai le crime parce que tout le monde a le droit d'exister avec
les idéaux qu'il défend. Mais que l'on ne vienne pas me demander de me mettre à
sa place pour assumer et défendre son idéal. Les racistes mangent avec les
racistes. Je ne veux pas être des leurs. Si demain je tombe au front dans mon
combat contre l'impérialisme français en Afrique, ne demandez pas aux
impérialistes français de se substituer à moi pour mener mon combat
anti-impérialiste. Qu'ils me plaignent s'ils veulent ; mais qu'ils laissent à
mes compatriotes et amis anti-impérialistes le soin de mener mon combat. Nous
avons le devoir de reconnaître à chaque individu le droit d'avoir des idées
différentes des nôtres ; mais on ne doit pas nous mettre dans l'obligation
d'approuver, sous le coup de l'émotion, celles que nous ne partageons pas. Et
pire, embrasser des idéaux contraires aux nôtres.
Quant aux enseignants qui profitent de l'innocence des enfants pour les pousser
dans cette mare aux relents nauséabonds en leur demandant d'affirmer qu'ils
sont Charlie, je les
mets en garde contre le reproche qui leur sera fait demain. Qu'ils imaginent
ces êtres découvrant dans dix ou quinze ans les caricatures racistes et
islamophobes de Charlie
Hebdo auquel le professeur d'école ou de collège les a obligés à
s'identifier. Le ressentiment pourrait être violent et leur image transformée
en épouvantail
!
Se contenter de dire qu' à travers le journal satirique Charlie Hebdo c'est la liberté
d'expression qui est attaquée et qu'il faut la défendre, c'est nier que ce sont
les multiples frustrations engendrés par nos comportements et nos politiques
ici et ailleurs qui poussent certains à ces actes extrêmes que nous réprouvons.
Se contenter de dire que c'est la liberté d'expression qui est attaquée et
qu'il faut la défendre, c'est se boucher les yeux et refuser de se poser des
questions, c'est embrasser nos certitudes habituelles au lieu de chercher à
comprendre si ce qui nous arrive n'a pas une cause plus profonde. C’est ne voir
jamais plus loin que le bout de son nez. C’est croire que quand on a bien mangé
et bien bu, tout le monde devrait être content.
On ne tue pas avec une telle sauvagerie pour une caricature blessante. Seul un
fou peut commettre un tel acte ; à moins de considérer celui-ci sous
l’angle d’un fanatisme exacerbé comme aux temps du catholicisme outrancier de
la France où l’on vouait au bûcher des êtres simplement soupçonnés de faute
moindre que des caricatures. Cette tuerie calculée et minutieusement préparée
ne peut être l’œuvre d’un fou. Seule la vengeance ou l'implacable animosité
peut l’expliquer. Cette preuve nous est donnée par le comportement des Français
suite à l'attentat contre le siège du journal satirique français. Que
voyons-nous depuis ? Des Français se vengent en attaquant des mosquées
! De nombreuses mosquées ont été lapidées, saccagées, mitraillées.
Ces Français ont-ils agi ainsi parce qu'ils sont contre la liberté de culte en
France ? Non ! Ils exprimaient une vengeance et une animosité. Il nous faut
donc nous poser la question de savoir ce qui dans notre comportement a pu et
peut nourrir ces sentiments chez l'autre. Et c’est ce que j’ai fait dans un précédent article.
Un dessin peut-il être
raciste ou islamophobe ?
Puisqu’il s’agit de parler ici de la liberté d’expression, il convient de
retenir que de même que l’on ne fait pas toujours ce que l’on veut, nous devons
apprendre à ne pas toujours dire ce que nous voulons. La liberté, ce n’est pas
seulement agir et s’exprimer selon sa volonté ; c’est aussi savoir fixer
des limites à ses actes et à ses mots. Tous les jours, les enseignants
apprennent aux élèves — ces citoyens de demain — que dans les actes comme dans
les mots, notre liberté s’arrête là où commence celle des autres. Quand l’autre
dit que mon acte ou ma parole le blesse, je dois avoir l’intelligence de
comprendre que j’ai franchi les limites de ma liberté d’expression ou d’agir. Est-ce
que ridiculiser l’autre, l’humilier constamment est nécessaire à ma
liberté ? Est-ce que ma vie n’aurait pas de sens si je n’entreprends
jamais de stigmatiser l’autre, de le décrier par mes écrits, mes paroles et mes
œuvres artistiques, par tous les moyens d’expression dont je dispose ? Et
puis posons-nous cette autre question : est-ce qu’une parole ou un texte cesse
d’être raciste parce que l’un ou l’autre est exprimé sous la forme d’un
dessin ? Non ! Les enseignants qui, soudain, demandent aux élèves de
défendre la liberté d'expression qui blesse et stigmatise se fourvoient
dangereusement.
Toute liberté a une limite. Et selon les lieux et les époques, les limites des
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libertés diffèrent et fluctuent au gré de la morale, des institutions, des
pratiques ordinaires, des pouvoirs et des caprices des gouvernants. La totale
liberté d’expression est une illusion, un rêve semblable à un effet d’optique
insaisissable parce qu’aux contours changeants et fuyants. Tous nos gouvernants
qui nous parlent de liberté d’expression nous bercent d’illusions. Partout dans
le monde nous sommes libres mais gouvernées ; c’est-à-dire qu’il y a
toujours une volonté qui préside ou prescrit des lois à notre liberté. Ne nous
laissons pas bercer par l'illusoire liberté d'expression qui nous rendrait
semblable à l’âne qui suit la carotte au bout du bâton de celui qui est sur son
dos. La totale liberté d'expression que nous voulons atteindre fuit constamment
devant nos yeux ; et toujours selon la volonté de nos gouvernants et des
circonstances.
Ainsi, la France octroie la liberté de dire et de faire à certains mais
l'interdit à d'autres. De nombreux individus soudainement privés d'antenne ou
affectées à d'autres fonctions — quand ils ne les perdent pas — ne me
contrediront pas. On n'a pas le droit de dire ce que l'on veut sur les radios
et les télévisions françaises. On peut même être interdit de spectacle public.
Il y a des instances qui veillent à ce que ne s'expriment que ce que nos
autorités tolèrent. En 2010, en Côte d'Ivoire, la liberté d'expression du
conseil constitutionnel de ce pays a été contestée par la France qui a remplacé
le président désigné par cette institution par l'homme qu'elle préfère. Combien
de Français ont crié au scandale ? Il me plaît de signaler ici l'entrée dans
l'espace européen qui est interdit à l'ancien ministre malien de la culture,
Aminata Traoré, et à son compatriote le député Omar Mariko parce qu’ils
soutiennent des idées qui ne sont pas favorables à la politique étrangère de la
France en Afrique. Convenons donc que le spectacle des gouvernants d’hier et
d’aujourd’hui manifestant pour défendre la liberté d’expression n’est rien
d’autre qu’une fourberie.
Une vidéo sur la liberté d'expression en France : https://www.facebook.com/video.php?v=780733235341250&pnref=story
Raphaël ADJOBI
Titre original : « refuse d'être Charlie ou pourquoi la totale
liberté d'expression est une illusion ».
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Sous cette rubrique, nous vous proposons
des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à
l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec
l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par
leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des
causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
Source : htpp://raphael.afrikblog.com
11
janvier 2015
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