Nous
invitons nos amis lecteurs à faire plus ample connaissance avec l’un des tout premiers
martyrs du mouvement anticolonialiste et de libération nationale ivoirien, à
travers ce résumé de la biographie de V. Biaka Boda extrait de l’ouvrage de
son parent Devalois Biaka : Côte d’Ivoire.
La « disparition » du patriote Victor Biaka Boda. Plaidoyer pour
libérer sa dépouille mortelle, L’Harmattan 1993 ; pages 17-19.
La Rédaction
Fils de Gagnoa et
militant du RDA
Victor Biaka Boda est né en 1913 à
Dahiépa (région de Gagnoa) dans une famille de Chefs qui ne tiennent pas leur
autorité de l'administration coloniale mais de la tradition guerrière
précoloniale. En effet, les ancêtres de Victor Biaka Boda sont réputés avoir
été de braves guerriers au cours de leurs péripéties migratoires à partir des
terroirs du Sud-Ouest ivoirien jusqu'à la formation de la Fédération de
Kéhi-Toutou[1], non
loin de la Sous-Préfecture de Ouragahio.
Certes, la généalogie de la famille
Boda Biaka est une et indivisible. Ses membres sont descendants du patriarche
Ani Hito (Ani le Grand), de son fils Boda Menetché et de son petit-fils Biaka
Daugoré mais le même arbre a engendré deux branches à Dahiépa, caractérisées
par des luttes d'influence.
L'ancêtre Ani Hito fut originaire du
village de Djédjédigbepa. Issu d'une famille noble, celle de Tchéby Agré, il
fuit son village à la suite d'un accident de chasse pour s'installer
définitivement à Dahiépa. La famille Boda Biaka se présente donc sous trois
branches : l'une à Dahiépa, l'autre à Djédjédigbepa dont le membre influent
(après le décès du vieux Anatole Kobéa) est l'Abbé Robert Atéa (premier prêtre
bété à Gagnoa) ; une autre dans le village de Bodocipa (canton Gbadi-Nord).
Devenu très tôt orphelin de père et
de mère, l'enfant est recueilli et élevé par ses parents maternels à Biakou,
village situé à environ douze kilomètres de Dahiépa, dans la région de
Gbadi-Est.
En 1920, Dakaud Guimené est représentant
de l'administration coloniale à Dahiépa où a été créé un poste administratif
pour le Gbadi-Est. C'est par ce village que transitent les produits
d'exportation et vivriers destinés aux colons blancs basés à Ouragahio. Lorsque
les colonisateurs demandent à Dakaud Guimené des enfants à scolariser, il ne
désigne pas les siens, mais envoie chercher Victor Biaka Boda dans son village
maternel. L'enfant est ramené à Dahiépa et livré à l'administration. Ses
tantes pleurent car à l'époque, l'école est considérée comme une « sinistre
prison d'où un enfant ne revient pas vivant ». Les colons ne veulent pas de cet
enfant chétif et fragile. Ils lui préfèrent un garçon vigoureux et résistant.
Dakaud Guimené répond : « C'est le seul que vous pouvez emmener ». Il pense
ainsi le condamner à un mauvais sort par ce choix irrévocable.
C'est donc en 1920, que Victor Biaka
Boda fréquente les premières écoles primaires publiques de Gagnoa jusqu'à
l'obtention du Certificat d'Etudes en 1927. Frondeur, ne tolérant aucune
injustice, il est classé parmi les élèves rebelles mais il est cependant
admis, en raison de sa vive intelligence, à l'Ecole [primaire]supérieure de
Bingerville où il fait de brillantes études.
Après obtention en 1930 du Brevet
d'Etudes Primaires Supérieures, il accède à l'Ecole de Médecine de Dakar dont
il obtient en 1936 le diplôme qui lui confère le titre de médecin africain.
Le jeune médecin est alors affecté
en Guinée française, au Service de la trypanosomiase. Il épouse
(coutumièrement) deux Guinéennes. De leurs unions, sont nés six enfants dont
l'aîné des deux garçons, Guy Biaka, est mort dans les conditions que l'on
évoquera plus loin. Victor Biaka Boda, se lie d'amitié avec Sékou Touré, président
de la section RDA de Guinée, leader charismatique qu'il admire pour sa
combativité et son nationalisme. Le RDA est un Mouvement panafricain créé à
Bamako en Octobre 1946. Son principal objectif est de libérer l'Afrique noire
de la domination des puissances coloniales. Victor Biaka Boda n'hésite pas à
adhérer à ce Mouvement d'émancipation politique, dont les idéaux sont
conformes à ses aspirations profondes. En effet, comme tout homme de l'Ouest,
il est par nature attaché à la liberté de pensée et d'action. Admis au Comité directeur
du RDA (Section Guinéenne), il participe aux grands meetings politiques au
cours desquels il apporte un ferme soutien aux populations et fustige le
colonialisme.
En 1947, ayant obtenu un congé
administratif, Victor Biaka Boda rentre en Côte d'Ivoire où il va demeurer.
L'Administration coloniale de Guinée ne veut plus de ce « révolutionnaire » qui
a galvanisé tout le peuple guinéen par sa fougue oratoire. A l'issue de son
congé, il sert successivement à Soubré et à Bouaké avant d'effectuer un stage
de principalat à Abidjan.
En Côte d'Ivoire, Victor Biaka Boda
continue de militer au sein du R.D.A, toujours en tant que membre du Comité directeur
mais il constate ici que le R.D.A, empreint de l'esprit du P.D.C.I, manque
d'ardeur militante. C'est en vain que ses frères de l'Ouest — Djédjé Capri,
Dignan Bailly, Etienne Djaument et Jean Dacoury Tabley — le pressent de quitter
le RDA pour former une coalition autonome, bref un parti d'opposition. Il leur
répond que, contrairement à ce qu'ils pensent, il n'est pas au service d'un
homme, c'est-à-dire Houphouët, mais de l'Afrique qui lutte pour son indépendance
immédiate. A Bouaké, le Dr Dia Koffi, anti-RDA viscéral, sème la terreur. Il a
la réputation d'être un homme violent, giflant certains militants RDA qui
viennent le consulter. Lui aussi ne réussit pas à convaincre Victor Biaka Boda
de démissionner du RDA.
Le RDA est déjà un grand mouvement
de masses populaires. Victor Biaka Boda se distingue par des déclarations
empreintes d'un nationalisme extrême. Après le stage d'Abidjan, il prend
service à Zuénoula. En 1947, c'est un militant engagé.
Son militantisme à toute épreuve lui
vaut d'être élu le 14 Novembre 1948 conseiller de la République pour la Côte
d'Ivoire, c'est-à-dire sénateur dans le cadre de l'Union Française. Alors
commence une brève mais brillante carrière politique marquée en Côte d'Ivoire
par un militantisme exemplaire et en France par une belle éloquence. Claude
Gérard, biographe des « Pionniers de
l'indépendance », célébrant son militantisme, le présente comme un « excellent orateur ».
C'est un homme sobre, presque
végétarien. Selon des témoignages émanant d'hommes de sa suite, il ne prenait
souvent pour tout repas du jour qu'un peu de bouillie de riz et du jus de
citron. Pour être toujours dispos, car selon lui, la bonne chère alourdit
l'esprit et entrave la libre expression des idées. Il a banni depuis longtemps
de ses repas l'alcool et tout autre excitant.
Conscient de sa mission fondée sur
la capacité de persuasion, il affine son art oratoire. D'après M. Maurice
Irigalé, l'un de ses « gardes du corps », il avait l'habitude de s'enfermer
dans une chambre où il soliloquait plusieurs heures durant. Il lisait beaucoup
pour se cultiver. Ses lectures préférées : la biographie des grands hommes
d'Etat.
Au plan régional, Victor Biaka Boda
lutte depuis son retour en Côte d'Ivoire pour l'avenir de la ville de Gagnoa
qu'il veut faire ériger en Commune de Moyen Exercice. Jean Papoué le félicite
pour ses efforts, par lettre datée du 30 août 1948. Il installe et organise à
Gagnoa la sous-section du PDCI-RDA placée sous sa responsabilité directe. Son
ami Augustin Sibailly en est élu Secrétaire général. L'action de son meilleur
ami Koudougnon Ballet lui est d'un grand appui pour la mobilisation autour du PDCI-RDA
que combat avec virulence le parti SFIO de Dignan Bailly.
[1] - Kehi-Toutou : Grand Kéhi comprenant huit villages qui se sont dispersés à la suite des guerres tribales. Ils se regroupent aujourd'hui par affinités dans l'actuelle région de Kéhi.
[1] - Kehi-Toutou : Grand Kéhi comprenant huit villages qui se sont dispersés à la suite des guerres tribales. Ils se regroupent aujourd'hui par affinités dans l'actuelle région de Kéhi.
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