La responsabilité est le pilier sur lequel repose la liberté. Sans
responsabilité, il est illusoire de parler de
liberté. Tout le monde connaît le
proverbe qui dit que « La liberté des uns s'arrête là où commence celle des
autres. ». Ces mots doivent être pris au sérieux si l’on ne veut pas, dans un
modèle exempté de toute limite, vider la liberté de sa substance. Ainsi, les
tristes évènements qui ont endeuillé l’hebdomadaire français Charlie Hebdo nous
interpellent. Peut-on, au nom d’un rejet de toute foi, injurier, provoquer
gratuitement et intentionnellement ? Cette attitude dénuée de responsabilité
exprime-t-elle la liberté d’expression au nom de laquelle la France s’est levée
comme un seul homme ?
F. Hollande, M. Valls et A. Hidalgo, maire de Paris, lors des obsèques officielles, aux Invalides, des trois policiers tués lors des attentats de Paris. |
Ne pas ériger les
victimes en symbole de liberté
Condamner les épouvantables attentats que la France vient de subir est un
devoir, comme celui de s’unir dans une conscience citoyenne. Il est cependant
permis de ne pas transformer les victimes du journal, en symbole de la liberté.
Il n’y a certes pas de commune mesure entre l’assassinat d’un journaliste et
son attaque, aussi grossière soit-elle. Cependant, celui qui blesse les
consciences, humilie les intimités, est aussi un vecteur de violence. Une
communication responsable implique une analyse contextuelle qui permettra de
doser les propos. Même s’il est en marge des religions, l’athée doit chercher à
comprendre les cordes intimes qui animent la profondeur de la foi dans toutes
les religions et cela d’autant qu’il est journaliste. C’est une démarche responsable
socle de sa liberté d’expression. Au-delà du droit qui, en France, ne semble
pas punir le blasphème, il y a l’éthique, la morale et simplement le bon sens.
Auto-évaluer la liberté
d’expression dans une volonté d’harmonie sociale
Le bon vivre ensemble, en famille, avec les voisins, dans le travail, exige
un usage "civilisé" de la liberté d'expression. Celui qui ne respecte
pas les règles de bien séance, de politesse finira par se retrouver seul. Ce
n'est pas de l'autocensure, mais un comportement social responsable, une
volonté de vivre en harmonie avec les autres. L’Etat ne devrait d’ailleurs pas
s’ingérer dans ce processus naturel. La liberté d’expression ne devrait relever
que du libre arbitre des individus. C’est le cas aux États-Unis et le système
fonctionne sur une base responsable. La liberté d'expression est mise au
service de l'harmonie familiale, de la réputation individuelle et donc de la
cohésion sociale. La retenue volontaire dans l'usage de la liberté d'expression
fait partie de la vie courante. Si de simples individus font cela, les
intellectuels, les journalistes, les responsables politiques doivent pouvoir
s’y astreindre.
La liberté d’expression
: outil de progrès
Rappelons que la liberté d'expression est fondamentale. Elle a en effet
permis la prospérité et la civilisation. Autrement dit, on parle de liberté
d'expression constructive, qui permet d'enrichir le débat, de faire émerger de
nouvelles idées, des innovations. À ce propos, il est opportun de rappeler que
sans cette liberté de pensée et d’expression, la civilisation européenne
n’aurait pas pu renaitre de ses cendres et se mettre définitivement sur la voie
du progrès. La liberté d’expression est le socle d’une démocratie, mais aussi
est le vecteur de [la] prospérité. Sans elle il ne peut exister de
contre-pouvoir. Lorsque la liberté d'expression est fondée sur la provocation
stérile, ce n’est plus un vecteur de progrès, mais au contraire un facteur de
recul car cela empêche un débat serein en société ; car on se sent visé,
stigmatisé, touché dans son identité.
Assumer les conséquences
de ses actes
Soulignons que si chacun a le droit de faire des choix libres, il doit en
assumer les conséquences. Il ne s’agit pas de dire que l’équipe de Charlie
Hebdo a eu ce qu’elle mérite. Rien ne justifie son sort mais le journal, au
lieu d’être érigé en symbole de liberté, devrait assumer ses erreurs
stratégiques qui ne sont pas dépourvues de conséquences fâcheuses. D’ailleurs,
le déclin du nombre de lecteurs de Charlie Hebdo [était] la preuve que son
humour n’était pas du goût [de tous les] Français. Quand une entreprise pollue,
elle doit réparer et prendre des mesures pour stopper le danger. Il doit en
être de même pour les communications polluantes. L’absence de responsabilité
dans l’usage d’une liberté quelle qu’elle soit génère des effets indésirables
au reste de la société car cela pervertit les incitations. Les plaies de la
crise des subprimes ne sont pas encore guéries pour témoigner du fait que la
liberté économique en l’absence de mécanismes de responsabilisation a incité
les banques, avec la complicité des politiques (encore d’autres irresponsables)
à créer une bulle de crédit dont le dégonflement a créé un désordre économique
mondial.
Par ailleurs, ceux-là mêmes qui plaident pour une liberté absolue oublient
que ce genre d’épisodes est du pain béni pour les politiques et les
gouvernements afin d’accroître leur contrôle sur la société et asseoir
davantage leur pouvoir au nom de la lutte contre le terrorisme, comme ça [été]
le cas aux États-Unis avec le « Patriote Act ». En effet, il est à prévoir que
les libertés individuelles va encore être restreintes en France pour répondre
aux nouvelles exigences sécuritaires, et les Français vont devoir payer la note
du dispositif de sécurité renforcé. Parler de liberté dans ce contexte est
sournois et injustifié. La liberté ne peut s’assortir de l’irresponsabilité.
G. Dutheuil |
Ce qui est encore plus inquiétant, des voix s’élèvent désormais pour
proposer de légaliser le blasphème. Provocation illimitée légalisée. Pendant
qu’on y est, pourquoi ne pas légaliser la vulgarité, l’insulte, l’insanité ?
Alors, la liberté deviendrait la permissivité. L’État français, au nom de sa
spécificité, le principe de laïcité, est en train de légaliser les abus à
l’égard des religions et l’on qualifie cela sournoisement de liberté. Ce n’est
pas de la liberté. La lourdeur du droit asphyxie déjà le pays. La lourdeur du
droit tente désormais d’anéantir la responsabilité.
Pendant ce temps une partie du monde musulman se soulève contre Charlie,
avec une violence que l’on ne peut que condamner, et la liste des morts
s’allonge inexorablement (ce n’est d’évidence que le début). Désormais, on est
face à deux réactions extrêmes des deux côtés qui ne peuvent qu’apporter de
l’eau au moulin des chantres du clash des civilisations. D’où la nécessité
d’apaiser les esprits et rappeler les fondamentaux de la liberté d’expression,
mais aussi de la responsabilité d’expression. Retombons sur terre. « Dieu se rit des hommes qui déplorent les
effets dont ils chérissent les causes », disait Bossuet.
Gisèle Dutheuil et Hicham El Moussaoui - Libre Afrique 20/01/2015
(*)
- Titre original : « Charlie Hebdo : Peut-on injurier et provoquer au
nom de la liberté ? »
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crise ivoirienne ».
Source : connectionivoirienne.net 21 janvier 2015
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