jeudi 25 octobre 2012

« Quittons dans ça »

L’euphorie des politiques a de quoi surprendre lorsqu’ils annoncent avec fierté qu’ils ont réussi à obtenir pour leur pays, le statut de PPTE. Mais comment peut-on se réjouir d’une telle appellation? Pays pauvre très endetté, ça veut dire qu’à la notion de pauvreté qui était inhérente au terme de pays sous-développé, on ajoute celle de mauvais gestionnaire. Certes, la reconversion d’une partie de la dette en investissements directs qu’on obtient après avoir atteint le point d’achèvement, est bonne pour l’économie en général et la création d’emplois en particulier. Mais avait-on besoin de donner à ce processus une dénomination aussi dévalorisante, voire même humiliante ?

Ceux qui vendent ce programme de développement sont les mêmes qui, il n’y a pas si longtemps, nous certifiaient que les programmes d’ajustement structurel (PAS) imposés aux pays africains les feraient sortir de leur sous-développement. Force est de constater qu’ils se sont bien trompés. La plupart des pays qui sont passés sous le rouleau compresseur de ces PAS en sont sortis pauvres et très endettés au point de nécessiter un nouveau programme.

Ce qui est le plus sidérant, c’est que la gouvernance financière internationale est en train d’imposer à quelques pays européens, la plupart des recettes contenues dans ces fameux programmes d’ajustement structurel qui, en Afrique, n’ont ni permis d’améliorer la gouvernance, ni contribué au mieux-être des peuples. Sans prendre trop de risque, on peut se dire qu’aussi vrai que les PAS n’ont quasiment rien apporté à l’Afrique, on ne doit pas s’attendre à ce que les politiques d’austérité imposées à certains pays européens soient couronnées de plus de succès.

Le véritable drame de ces politiques d’austérité, c’est la souffrance qu’elles imposent aux peuples. En Afrique, nous avions affaire à des populations qui, dans leur grande majorité, n’avaient pas vraiment connu le développement. Ajouter un peu plus de misère à de la misère ne change pas, de façon significative, les difficultés de populations déjà habituées à la débrouillardise. Par contre en Europe, c’est loin d’être le cas. On demande à des gens qui ont connu des conditions de vie décentes de se contenter de vivre avec moins que ce qu’eux-mêmes considèrent comme étant le strict minimum. Cette situation me parait bien plus explosive que celle qu’a connue l’Afrique des PAS, surtout qu’à cela s’ajoutent des taux de chômage abyssaux. Un taux de chômage à plus de 25% de la population active en Grèce n’est tout simplement pas acceptable dans ce pays comme partout ailleurs.

Ce ne sont pas les mesures d’austérité qui sortiront l’économie mondiale de son marasme et la question est de savoir combien d’années il faudra aux partisans de cette approche pour comprendre qu’ils ne réussiront certainement pas à sauver le système financier international en appauvrissant les peuples. Pour le non économiste que je suis, la solution pourrait être la mise en place au côté du programme PPTE, d’un programme PRTE pour ces pays riches très endettés.

Il est temps que la gouvernance financière internationale remette en cause ses certitudes et trouve un nouveau modèle économique mondial qui ne se servira plus des travailleurs comme variables d’ajustement. Ce modèle devra faire en sorte que la création de richesses s’accompagne d’une nouvelle clé de répartition entre nantis et défavorisés, afin de combler une bonne partie des écarts actuels qui semblent pour le moins inacceptables. Il ne s’agit pas là de défendre une idéologie face à une autre. Il s’agit tout simplement de faire preuve de plus d’équité dans la gestion financière internationale. Pour cela, il faut que les politiques se souviennent que leur mission première est de veiller au bien-être des populations qui, dans les systèmes démocratiques, les ont mandatés en mettant leur bulletin dans l’urne. Fort de ce mandat, ils se doivent de faire pression sur les pouvoirs financiers afin qu’on passe de ce système régis par un totalitarisme qui ne dit pas son nom, à un système moins arrogant, laissant la place à d’autres approches économiques et sociales.

La deuxième chose qui a de quoi laisser perplexe en cet an 12 du vingt-et-unième siècle, est la célébration du franc des Comptoirs Francophones d’Afrique. Cette situation est absolument anachronique. La France est la seule puissance coloniale qui maintienne ses ex-colonies africaines dans ce carcan. Le pire, c’est qu’on est arrivé à convaincre des intellectuels du bien-fondé de ce montage inepte, qui fait que la banque de France a son mot à dire dans la gestion de la monnaie de pays qui mis ensemble ont une puissance économique qui dépasse de loin celle de la France. Quel avantage un pays en voie de développement a-t-il à voir sa monnaie indexée sur l’une des plus fortes monnaies au monde ? Disposer d’une main-d’œuvre bon marché n’est-il pas l‘un des meilleurs moyens pour attirer les investisseurs ? Cette monnaie rend la main-d’œuvre et l’activité industrielle de la zone CFA non compétitive par rapport aux pays d’Asie.

Dans ce cas comme dans bien d’autres, il ne faut surtout pas émettre un avis contraire à celui promu par la puissance coloniale, sinon vous risquez d’être indexé et mis au banc des accusés. Alors que le nouveau Président de la République française jure la main sur le cœur que la Françafrique c’est fini, on célèbre ce symbole on ne peut plus ostentatoire de cette Françafrique. Cette monnaie qui ne reflète pas l’activité économique des pays qui la partagent, présente néanmoins l’avantage de faciliter les échanges entre eux. Mais cette monnaie communautaire avait-elle besoin d’être rattachée à l’Euro ? J’en doute et je crois qu’aussi vrai que la Roupie mauricienne n’empêche pas l’Ile Maurice de se développer, pour ne pas parler du Ghana voisin, un Franc communautaire d’Afrique de l’Ouest et du Centre non rattaché à l’Euro ne devrait pas empêcher le développement des pays dont il serait la monnaie. Tout est une question de volonté politique.

Tant que les politiques africains penseront que leur survie politique dépend plus de leur capacité à satisfaire les tenants de l’ordre mondial actuel que de la satisfaction des attentes de leur peuple, notre sous-développement a encore de beaux jours devant lui. Tant que la politique se résumera à nous faire prendre des vessies pour des lanternes et qu’aucune manipulation politicienne des faits ne nous sera épargnée, les pays africains, même s’ils bénéficient d’un programme PPTE, resteront dans le sous-développement, limitant leur rôle à celui de vache à lait du monde. Ce dont l’Afrique en général et la Côte d’Ivoire en particulier ont besoin, ce n’est pas de dirigeants pétris de certitudes qui, au nom de la vérité qu’ils croient détenir, tentent d’inhiber et d’annihiler tout avis contraire. Ce dont elles ont besoin, c’est de dirigeants qui doutent et qui, de ce fait, acceptent la contradiction sans laquelle il ne peut y avoir de démocratie. Oui, l’Afrique a besoin pour se développer que le jeu démocratique s’exprime et comme le disait Trudeau, « La démocratie a besoin pour s'épanouir, d'un climat d'honnêteté. »

Ce devoir d’honnêteté de nos politiques doit s’ajouter à la conviction formulée par Clément Richard Attlee qui dit que « La démocratie n'est pas simplement la loi de la majorité, c'est la loi de la majorité respectant comme il convient les droits des minorités. »

Jean-Antoine Zinsou 

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Source : Fraternité Matin 17 octobre 2012

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