vendredi 12 octobre 2012

Pourquoi Ouattara n’y arrive pas

Le président ivoirien enregistre des réussites sur les plans économique et financier, mais le climat politique reste toujours délétère. Ce qui inquiète les investisseurs. Faute d’une véritable volonté de réconciliation, la Côte d’Ivoire risque de rechuter.
« Il n’en fait qu’à sa tête », « Il n’écoute pas ce qu’on lui dit », ces réflexions reviennent de plus en plus souvent dans les couloirs du quai d’Orsay (ministère français des Affaires étrangères) et dans les officines qui travaillent à l’épanouissement des intérêts des multinationales françaises en Côte d’Ivoire.
« Il », c’est Alassane Ouattara, le successeur de Laurent Gbagbo. Après dix-sept mois à la tête de son pays, le président ivoirien a réduit la dette, lancé de grands chantiers, mais il est loin d’avoir pacifié le pays.
Pire, plus le temps passe, plus les antagonismes semblent s’exacerber, plus la Côte d’Ivoire s’enfonce dans une crise politique dont on ne voit pas l’issue, plus les investisseurs doutent de sa capacité à restaurer la sécurité.
Pourtant, Ouattara, qui bénéficie de la confiance de toutes les institutions internationales (FMI, Banque mondiale), dispose de nombreux atouts pour réussir dans sa mission de reconstruction du pays.
Mais, les milliards ne peuvent suffire à guérir les traumatismes, à rebâtir un consensus et une volonté de vivre ensemble. Pour sept raisons.

1. Une justice à géométrie variable

Lors de sa campagne électorale, Alassane Ouattara avait promis la fin de l’impunité. On peut évidemment se féliciter qu’enfin, en Côte d’Ivoire, on inculpe, on juge et on condamne les responsables d’assassinats politiques, comme ceux du colonel Dosso (un proche du nouveau président) ou du général Robert Guéi, mais les investigations de la justice se limitent à traquer les pro-Gbagbo.
Recherche-t-on ceux qui ont abattu Emile Boga Doudou, le ministre de l’Intérieur de Gbagbo, lors du coup d’Etat manqué du 19 septembre 2002 , ceux qui ont exécuté plusieurs dizaines de gendarmes « loyalistes », à Bouaké, en octobre 2002, ceux qui ont asphyxié dans des conteneurs plusieurs dizaines de partisans d’Ibrahim Coulibaly, le chef rebelle dissident, en 2004 à Korhogo (nord du pays) ?
Selon une commission d’enquête mise en place par le nouveau pouvoir lui-même, les forces armées pro-Ouattara seraient responsables de la mort de 727 personnes lors des violences postélectorales de fin 2010 et 2011. Contre 1.452, attribués aux pro-Gbagbo. Soit 2.179 victimes au total, un bilan nettement sous-estimé.
Cette comptabilité macabre prend-elle aussi en compte les centaines de Guérés (une ethnie de l’ouest, à la frontière avec le Liberia) exécutés dans l’ouest du pays, en avril 2011 par des milices pro-Ouattara, un massacre dont aucun auteur n’a été arrêté à ce jour ?
Pourquoi enfin des ex-ministres de Gbagbo, des responsables du FPI, le parti de l’ancien président, continuent-ils d’être détenus sans jugement dix-sept mois après leur arrestation ?

2. Une base électorale qui s’effrite

Alassane Ouattara a été porté au pouvoir par un scrutin électoral dont la communauté internationale a jugé les résultats « incontestables » : 54,1% contre 46,9% à son adversaire.
Mais, tel qu’il a été proclamé, il ne prend pas en compte les fraudes constatées par de nombreux observateurs en zone ex-rebelle, dans le nord et le centre du pays.
Faute d’avoir obtenu un recomptage des bulletins, les partisans de Gbagbo, qui s’estiment floués, refusent aujourd’hui d’admettre leur défaite électorale.
De plus, Ouattara (32,08% au premier tour) a dû sa victoire au soutien de l’ex-président Henri Konan Bédié et du PDCI, l’ex-parti unique.
Une formation aujourd’hui traversée par des courants contradictoires que Bédié s’efforce d’annihiler en restant, à 78 ans, assis sur le couvercle de la marmite.

3. Des soutiens militaires en grande partie acquis à Soro

L’ossature des FRCI (Forces républicaines de Côte d’Ivoire) est constituée de com-zones, ces chefs militaires de l’ex-rébellion qui se sont partagés le pays et les quartiers d’Abidjan.
Pendant huit ans, ils ont tenu le nord du pays sous les ordres de leur chef politique Guillaume Soro, désormais président de l’Assemblée nationale.
Ce sont eux qui, en avril 2011, ont marché sur Abidjan pour déloger Gbagbo avec l’aide des dozos, ces chasseurs traditionnels venus du nord et de pays voisins, et de soldats étrangers, en majorité burkinabè.
Ils ont conquis la capitale ivoirienne grâce aux bombardements des hélicoptères français et de l’ONU, et au renfort décisif dans la matinée du 11 avril 2011 des blindés français.
Depuis son entrée en fonction, le président ivoirien, qui a pris les fonctions de ministre de la Défense, s’est efforcé, sans grand succès, de réduire leur pouvoir. Et de les contrôler en les propulsant à des postes de chefs dans la nouvelle armée ou même en leur donnant des casquettes de préfets.
Mais, c’est Soro qui reste le patron effectif de la plupart d’entre eux. Et donc, maître du jeu.

4. L’ombre de Gbagbo

Eloigné à La Haye, où il est détenu depuis le 29 novembre 2011, l’ex-président continue de hanter la politique ivoirienne.
Ses partisans exigent toujours sa libération comme préalable à une éventuelle réconciliation. La Cour Pénale Internationale n’a toujours pas organisé l’audience de confirmation des charges.
Elle tergiverse, en attendant que des pro-Ouattara, responsables de massacres, lui soient livrés. Ce qui l’absoudrait d’une accusation de partialité et de pratiquer, elle aussi, la « justice des vainqueurs ».
Comme Ouattara fait la sourde oreille aux demandes de la CPI, on ne voit pas comment Gbagbo pourrait s’asseoir seul au banc des accusés. Et l’ex-président a été tellement diabolisé, notamment dans les médias français, qu’il paraît difficile à la CPI de le remettre en liberté sans autre forme de procès et sans perdre la face.

5. La menace d’une crise sociale

Même s’il n’a pas réussi à collecter auprès des bailleurs de fonds internationaux tous les milliards promis lors de sa campagne électorale, Alassane Ouattara, qui ne cesse de parcourir le monde, est parvenu à renflouer les caisses exsangues de son pays. C’est même ce qu’il fait de mieux.
Les routes défoncées sont réparées, l’université, qui était devenue une jungle, est rénovée, de grands chantiers sont lancés. On nettoie les rues des ordures qui les encombraient sous Gbagbo. On débarrasse les trottoirs des baraques de commerçants dioulas installés là sans autorisation. Bref, c’est le grand ménage et la Côte d’Ivoire est de retour.
Mais, derrière les apparences, l’extrême pauvreté gagne du terrain. Les prix de denrées de base comme le riz, flambent. A cause d’une inflation mondiale mais aussi de circuits de production ou de distribution défectueux ou corrompus.
De nombreux miliciens pro-Ouattara ne sont toujours pas désarmés. Les braquages et l’insécurité empêchent l’activité économique de décoller. Les jeunes sont sans travail.
Un contexte social qui pourrait rapidement devenir explosif. Ouattara saura-t-il alors trouver les mots et les actes pour le désamorcer ? 

6. La réconciliation en panne

La crise postélectorale a gravement traumatisé les Ivoiriens qui n’avaient jamais vraiment connu la guerre.
L’irruption de combattants étrangers (français, ouest-africains, dozos) dans le conflit a profondément déséquilibré une communauté d’une soixantaine d’ethnies qui avaient réussi à trouver un modus vivendi, malgré des tensions croissantes depuis les années 90.
Le traumatisme est sans doute aussi profond que celui provoqué par la conquête coloniale et il faudra des années pour le guérir.
Pour remettre le pays en route, il était urgent d’engager de fortes actions de réconciliation comme l’Afrique du Sud en a connu à la fin de l’apartheid (Nelson Mandela a été élu en 1994). Mais Ouattara n’est pas Mandela.
Au lieu de tendre la main aux vaincus, il s’est crispé dans une vindicte judiciaire souvent nécessaire, mais toujours partisane.
Les pro-Gbagbo sont sommés de demander pardon, de faire amende honorable comme si c’était une faute inexpiable d’avoir soutenu le président déchu.
Résultat, des dizaines de milliers d’entre eux sont toujours en exil et refusent de rentrer au pays. Et certains, parmi les plus radicaux, mènent des actions de guérilla avec, semble-t-il, le renfort de partisans d’Ibrahim Coulibaly. 

7. Un Etat de droit un peu tordu

Les FRCI, qui ont beaucoup rançonné les pro-Gbagbo, sont perçus comme une force partisane, à l’unique solde du pouvoir en place.
La corruption continue à régner. Des chefs militaires se promènent au volant de véhicules de type Hummer.
L’instauration d’un véritable Etat de droit apparaît bien lointaine, même si Ouattara ne cesse de mettre en garde ses ministres contre des actes de prédation et de prévarication.
Or, le nouveau président a installé à certains postes clés des hommes, certes d’une fidélité irréprochable, mais d’une moralité parfois douteuse.
Beaucoup de partisans de Gbagbo rasent les murs dans leur propre pays, se gardant de s’exprimer publiquement.
Des journaux d’opposition sont régulièrement suspendus et des artistes interdits d’antenne à la RTI (Radio-Télévision ivoirienne).
Deux des principaux chefs du FPI (Front populaire ivoirien) sont détenus à la Maca, la maison d’arrêt d’Abidjan.
Pourtant, pour sortir de la lourde crise politico-militaire qu’elle vient de vivre, la Côte d’Ivoire a besoin de la mobilisation de toutes ses énergies.
 
Philippe Duval

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Source : slateafrique.com

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