Le président ivoirien enregistre des réussites sur les
plans économique et financier, mais le climat politique reste toujours délétère.
Ce qui inquiète les investisseurs. Faute d’une véritable volonté de
réconciliation, la Côte d’Ivoire risque de rechuter.
« Il n’en fait qu’à sa tête », « Il n’écoute pas ce
qu’on lui dit », ces réflexions reviennent de plus en plus souvent dans les couloirs
du quai d’Orsay (ministère français des Affaires étrangères) et dans les
officines qui travaillent à l’épanouissement des intérêts des multinationales
françaises en Côte d’Ivoire.
« Il », c’est Alassane Ouattara, le successeur de
Laurent Gbagbo. Après dix-sept mois à la tête de son pays, le président
ivoirien a réduit la dette, lancé de grands chantiers, mais il est loin d’avoir
pacifié le pays.
Pire, plus le temps passe, plus les antagonismes
semblent s’exacerber, plus la Côte d’Ivoire s’enfonce dans une crise politique
dont on ne voit pas l’issue, plus les investisseurs doutent de sa capacité à
restaurer la sécurité.
Pourtant, Ouattara, qui bénéficie de la confiance de
toutes les institutions internationales (FMI, Banque mondiale), dispose de
nombreux atouts pour réussir dans sa mission de reconstruction du pays.
Mais, les milliards ne peuvent suffire à guérir les
traumatismes, à rebâtir un consensus et une volonté de vivre ensemble. Pour
sept raisons.
1. Une justice à géométrie variable
Lors de sa campagne électorale, Alassane Ouattara
avait promis la fin de l’impunité. On peut évidemment se féliciter qu’enfin, en
Côte d’Ivoire, on inculpe, on juge et on condamne les responsables
d’assassinats politiques, comme ceux du colonel Dosso (un proche du nouveau
président) ou du général Robert Guéi, mais les investigations de la justice se
limitent à traquer les pro-Gbagbo.
Recherche-t-on ceux qui ont abattu Emile Boga Doudou,
le ministre de l’Intérieur de Gbagbo, lors du coup d’Etat manqué du 19
septembre 2002 , ceux qui ont exécuté plusieurs dizaines de gendarmes « loyalistes
», à Bouaké, en octobre 2002, ceux qui ont asphyxié dans des conteneurs
plusieurs dizaines de partisans d’Ibrahim Coulibaly, le chef rebelle dissident,
en 2004 à Korhogo (nord du pays) ?
Selon une commission d’enquête mise en place par le
nouveau pouvoir lui-même, les forces armées pro-Ouattara seraient responsables
de la mort de 727 personnes lors des violences postélectorales de fin 2010 et
2011. Contre 1.452, attribués aux pro-Gbagbo. Soit 2.179 victimes au total, un
bilan nettement sous-estimé.
Cette comptabilité macabre prend-elle aussi en compte
les centaines de Guérés (une ethnie de l’ouest, à la frontière avec le Liberia)
exécutés dans l’ouest du pays, en avril 2011 par des milices pro-Ouattara, un
massacre dont aucun auteur n’a été arrêté à ce jour ?
Pourquoi enfin des ex-ministres de Gbagbo, des
responsables du FPI, le parti de l’ancien président, continuent-ils d’être
détenus sans jugement dix-sept mois après leur arrestation ?
2. Une base électorale qui s’effrite
Alassane Ouattara a été porté au pouvoir par un
scrutin électoral dont la communauté internationale a jugé les résultats « incontestables
» : 54,1% contre 46,9% à son adversaire.
Mais, tel qu’il a été proclamé, il ne prend pas en
compte les fraudes constatées par de nombreux observateurs en zone ex-rebelle,
dans le nord et le centre du pays.
Faute d’avoir obtenu un recomptage des bulletins, les
partisans de Gbagbo, qui s’estiment floués, refusent aujourd’hui d’admettre
leur défaite électorale.
De plus, Ouattara (32,08% au premier tour) a dû sa
victoire au soutien de l’ex-président Henri Konan Bédié et du PDCI, l’ex-parti
unique.
Une formation aujourd’hui traversée par des courants
contradictoires que Bédié s’efforce d’annihiler en restant, à 78 ans, assis sur
le couvercle de la marmite.
3. Des soutiens militaires en grande partie acquis à Soro
L’ossature des FRCI (Forces républicaines de Côte
d’Ivoire) est constituée de com-zones, ces chefs militaires de l’ex-rébellion
qui se sont partagés le pays et les quartiers d’Abidjan.
Pendant huit ans, ils ont tenu le nord du pays sous
les ordres de leur chef politique Guillaume Soro, désormais président de
l’Assemblée nationale.
Ce sont eux qui, en avril 2011, ont marché sur Abidjan
pour déloger Gbagbo avec l’aide des dozos, ces chasseurs traditionnels venus du
nord et de pays voisins, et de soldats étrangers, en majorité burkinabè.
Ils ont conquis la capitale ivoirienne grâce aux bombardements
des hélicoptères français et de l’ONU, et au renfort décisif dans la matinée du
11 avril 2011 des blindés français.
Depuis son entrée en fonction, le président ivoirien,
qui a pris les fonctions de ministre de la Défense, s’est efforcé, sans grand
succès, de réduire leur pouvoir. Et de les contrôler en les propulsant à des
postes de chefs dans la nouvelle armée ou même en leur donnant des casquettes
de préfets.
Mais, c’est Soro qui reste le patron effectif de la
plupart d’entre eux. Et donc, maître du jeu.
4. L’ombre de Gbagbo
Eloigné à La Haye, où il est détenu depuis le 29
novembre 2011, l’ex-président continue de hanter la politique ivoirienne.
Ses partisans exigent toujours sa libération comme préalable
à une éventuelle réconciliation. La Cour Pénale Internationale n’a toujours pas
organisé l’audience de confirmation des charges.
Elle tergiverse, en attendant que des pro-Ouattara,
responsables de massacres, lui soient livrés. Ce qui l’absoudrait d’une
accusation de partialité et de pratiquer, elle aussi, la « justice des
vainqueurs ».
Comme Ouattara fait la sourde oreille aux demandes de
la CPI, on ne voit pas comment Gbagbo pourrait s’asseoir seul au banc des
accusés. Et l’ex-président a été tellement diabolisé, notamment dans les médias
français, qu’il paraît difficile à la CPI de le remettre en liberté sans autre
forme de procès et sans perdre la face.
5. La menace d’une crise sociale
Même s’il n’a pas réussi à collecter auprès des
bailleurs de fonds internationaux tous les milliards promis lors de sa campagne
électorale, Alassane Ouattara, qui ne cesse de parcourir le monde, est parvenu
à renflouer les caisses exsangues de son pays. C’est même ce qu’il fait de
mieux.
Les routes défoncées sont réparées, l’université, qui
était devenue une jungle, est rénovée, de grands chantiers sont lancés. On
nettoie les rues des ordures qui les encombraient sous Gbagbo. On débarrasse
les trottoirs des baraques de commerçants dioulas installés là sans autorisation.
Bref, c’est le grand ménage et la Côte d’Ivoire est de retour.
Mais, derrière les apparences, l’extrême pauvreté
gagne du terrain. Les prix de denrées de base comme le riz, flambent. A cause
d’une inflation mondiale mais aussi de circuits de production ou de
distribution défectueux ou corrompus.
De nombreux miliciens pro-Ouattara ne sont toujours
pas désarmés. Les braquages et l’insécurité empêchent l’activité économique de
décoller. Les jeunes sont sans travail.
Un contexte social qui pourrait rapidement devenir
explosif. Ouattara saura-t-il alors trouver les mots et les actes pour le
désamorcer ?
6. La réconciliation en panne
La crise postélectorale a gravement traumatisé les
Ivoiriens qui n’avaient jamais vraiment connu la guerre.
L’irruption de combattants étrangers (français,
ouest-africains, dozos) dans le conflit a profondément déséquilibré une
communauté d’une soixantaine d’ethnies qui avaient réussi à trouver un modus
vivendi, malgré des tensions croissantes depuis les années 90.
Le traumatisme est sans doute aussi profond que celui
provoqué par la conquête coloniale et il faudra des années pour le guérir.
Pour remettre le pays en route, il était urgent
d’engager de fortes actions de réconciliation comme l’Afrique du Sud en a connu
à la fin de l’apartheid (Nelson Mandela a été élu en 1994). Mais Ouattara n’est
pas Mandela.
Au lieu de tendre la main aux vaincus, il s’est crispé
dans une vindicte judiciaire souvent nécessaire, mais toujours partisane.
Les pro-Gbagbo sont sommés de demander pardon, de
faire amende honorable comme si c’était une faute inexpiable d’avoir soutenu le
président déchu.
Résultat, des dizaines de milliers d’entre eux sont
toujours en exil et refusent de rentrer au pays. Et certains, parmi les plus
radicaux, mènent des actions de guérilla avec, semble-t-il, le renfort de
partisans d’Ibrahim Coulibaly.
7. Un Etat de droit un peu tordu
Les FRCI, qui ont beaucoup rançonné les pro-Gbagbo,
sont perçus comme une force partisane, à l’unique solde du pouvoir en place.
La corruption continue à régner. Des chefs militaires
se promènent au volant de véhicules de type Hummer.
L’instauration d’un véritable Etat de droit apparaît
bien lointaine, même si Ouattara ne cesse de mettre en garde ses ministres
contre des actes de prédation et de prévarication.
Or, le nouveau président a installé à certains postes
clés des hommes, certes d’une fidélité irréprochable, mais d’une moralité
parfois douteuse.
Beaucoup de partisans de Gbagbo rasent les murs dans
leur propre pays, se gardant de s’exprimer publiquement.
Des journaux d’opposition sont régulièrement suspendus
et des artistes interdits d’antenne à la RTI (Radio-Télévision ivoirienne).
Deux des principaux chefs du FPI (Front populaire
ivoirien) sont détenus à la Maca, la maison d’arrêt d’Abidjan.
Pourtant, pour sortir de la lourde crise
politico-militaire qu’elle vient de vivre, la Côte d’Ivoire a besoin de la
mobilisation de toutes ses énergies.
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qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale,
pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte
d'Ivoire et des Ivoiriens et que, par leur contenu informatif, ils soient de
nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de
la «crise ivoirienne ».
Source :
slateafrique.com
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