"Le
parti de Laurent Gbagbo était membre de l’internationale socialiste. Quelle
contribution a pris l’internationale socialiste au règlement de la crise ?
Aucun. Quels ont été les membres de cette illustre organisation qui se sont
interposés dans le drame ? Aucun. Pourtant le PS français assure la vice-présidence
de cette organisation et Pierre Mauroy en a été le président ! Que dit cette
organisation sur la capture de l’un des siens et son emprisonnement dans une
zone contrôlée par des mercenaires sanguinaires ? Rien. Quant aux dirigeants
français du PS, prompts à faire des visites sur place ? Rien. Combien d’années,
le délégué national aux questions africaines a-t-il été aussi un intime de
Laurent Gbagbo ? Lui, du moins, a-t-il assumé loyalement jusqu’au bout. Mais
les autres ? Et euro RSCG, l’agence de communication de Dominique Strauss-Kahn,
organisatrice de la campagne électorale de Laurent Gbagbo. Vont-ils rendre
l’argent au nouveau pouvoir pur et sincère de monsieur Ouattara ? Non bien sur
! Sinon il faudrait rendre celui d’Eyadema, celui de Bongo et celui de combien
d’autres ? Admettons. Admettons que chacun ait, en cours de route, découvert
qu’ils ont soutenu par erreur un odieux tyran. Dans ce cas pourquoi ne
demandent-ils pas à l’internationale socialiste une réunion pour prendre la
mesure du nombre de ses membres qui viennent de perdre le pouvoir dans la
violence ? Pourquoi n’ont-ils jamais demandé leur exclusion avant ? Pourquoi
ont-ils gardé toutes leurs responsabilités dans cette organisation ?
Ces débats
sur la nature et l’orientation de cette organisation m’ont été mille fois
refusés, l’air excédé, par un François Hollande, du temps qu’il dirigeait le
PS. Il n’y a pas eu une minute de débat quand leur ami De Larua fit tirer sur
la foule argentine par ses policiers, ni quand leur ami président du Venezuela
social démocrate fit tirer sur celle de Caracas, ni sur leur cher Alan Garcia
élu président du Pérou avec l’aide de la droite qui fit massacrer paysans et
prisonniers de droit commun. Aucune de mes mises en garde concernant cette
organisation, faites de vive voix ou par écrit dans mes livres et articles, n’a
jamais reçu un mot de réponse ni soulevé une minute de débat. Ils s’en moquent,
ils ne savent pas où c’est, ils ne savent pas de qui il s’agit… On connait la
musique. Ils soutiennent n’importe qui, n’importe comment, du moment que
l’intéressé a un tampon de l’Internationale Socialiste et paye le voyage. «
Nous ne permettons pas aux autres de nous dire ce que nous devons faire, de
quel droit irions-nous leur dire ce qu’ils doivent faire eux » m’avait lancé
François Hollande. Après quoi ils sont prêts à abandonner leurs amis d’un jour
à la mare aux caïmans, quand ça tourne mal.
Mais le cas
de Laurent Gbagbo ne ressemble à aucun autre. Je prends le risque de me voir
affubler par bien des petites cervelles qui liront ces lignes une nouvelle fois
de leurs simplifications offensantes. Mais je ne risque, moi, aucune
confrontation désagréable avec mes actes. J’ai rencontré Simone Gbagbo du temps
où elle était dans l’opposition. Je n’ai jamais été invité sous sa présidence.
Je n’ai jamais participé à une conférence sur place, ni été défrayé pour cela,
je n’ai pas eu de tâche d’écriture rémunérée par euro RSCG. Gbagbo ne m’a
jamais téléphoné, écrit, fait porter des messages ou interpellé. J’étais, pour
lui aussi, ce que j’étais pour ses chers amis du PS et de la gauche du PS. Une
ombre au tableau. Mais il reste ceci : que ça plaise ou pas : Gbagbo a été la
seule tentative de faire de la vraie sociale démocratie en Afrique. Qu’il ait
échoué, dérivé ou ce que l’on voudra, mérite mieux que le lâche abandon auquel
ont procédé les dirigeants du PS français. Les Ivoiriens méritaient au moins
une tentative d’interposition politique. Aujourd’hui, au moins par compassion
humaine, par respect pour leur propre passé et leur ancienne amitié, ils
devraient se soucier de savoir ce que devient Laurent Gbagbo et sa famille
entre les mains des mercenaires givrés d’Alassane Ouattara. Ils ne le feront
pas. Ils espèrent juste que ça passe et qu’on ne leur demande aucun compte.
Je crois
bien que les images de « l’arrestation » de Laurent Gbagbo devraient créer un
grand malaise. Leur violence, le style « mercenaire aux yeux rouges » des
assaillants, l’ambiance de lynchage des vaincus, les violences faites aux
femmes, l’évidente main mise de notre armée sur l’opération, rien ne
ressemblait moins à une opération de protection de la population sous mandat de
l’ONU. Mais, depuis le début, Laurent Gbagbo est l’homme à abattre pour les
concessionnaires français qu’il a menacé dans leurs intérêts un temps même s’il
les a bien cajolé ensuite. Cela n’excuse rien, mais cela explique tout. Et
d’abord la réécriture de la personnalité d’Alassane Ouattara. En fait, un vrai
aventurier repeint en bon père de la démocratie. Soutenu par l’ancien président
hier accusé de totalitarisme, Konan Bédié qui l’avait empêché en son temps
d’être candidat à l’élection présidentielle, et par le premier ministre de
Gbagbo, un soi disant « rebelle du nord », vrai seigneur de la guerre, dont les
mercenaires ont été immédiatement maintenus en place et rebaptisés en « force
républicaine », le changement de camp valant amnistie pour les crimes qui leur
étaient hier reprochés. Alassane Ouattara est un chef de clan et rien de plus.
L’argument de sa victoire électorale est une fiction qui pouvait être utile
aussi longtemps qu’il pouvait y avoir une perspective d’accord sur ce point
entre les parties. Mais il n’y en avait pas.
Ne
restaient donc en présence qu’une addition de tricheries. Valider les mensonges
des bourreurs d’urnes d’Alassane Ouattara revenait à prendre partie dans une
guerre civile. Elle dure depuis 2003. La raconter obligerait à un récit qui
prendrait trop de place. Aucune page n’y valut mieux que la précédente. Mais
aucune ne correspond au récit simpliste de la lutte entre gentil et méchant qui
repeint Gbagbo en tyran et Ouattara en démocrate. Car si l’on en a vu beaucoup
montrer du doigt ce fait que Gbagbo n’a pas obéi aux injonctions de l’ONU, on
dit moins, et même jamais, que Ouattara n’y a pas davantage obéi. Notamment
parce que ses mercenaires n’avaient pas désarmé pendant l’élection,
contrairement à la demande de l’ONU. Leur influence pédagogique explique sans
doute les votes à 90 % en faveur de sa candidature dans les zones qu’ils
contrôlaient. On vit clairement le parti pris quand fut refusé le recomptage
des suffrages, demandé par Gbagbo et refusé par Ouattara. Pourquoi ? On l’avait
bien fait aux USA, faut-il le rappeler ? A la fin il faut se souvenir que le
mandat de l’ONU était de "protéger les civils" et d’"empêcher
l’utilisation d’armes lourdes" contre eux, pas d’aller arrêter un
président sortant en bombardant le palais présidentiel.
Mais qui
s’en soucie ? « Vae victis », comme dirait Michel Denisot. Malheur aux vaincus
! Je crois que cette opération militaire déclenchée sans le début d’une
discussion et ou d’un vote de l’assemblée nationale commence un mauvais style
pour la suite de nos relations avec l’Afrique. Il est urgent que notre pays se
ressaisisse. En premier lieu que le parlement ne laisse plus s’installer cette
habitude qui voit dorénavant tous les artifices d’interprétation et de
procédure réunis pour justifier que les parlementaires n’aient jamais leur mot
à dire sur les expéditions militaires du pays. On n’a voté à l’Assemblée et au
Sénat ni sur l’Afghanistan, ni sur la Libye, ni sur la Cote d’Ivoire ! Ni avant,
ni pendant, ni depuis ! Et, bien sûr, c’est nous qui donnons des leçons de
démocratie aux autres ! Mais nous, quel genre de démocratie est donc la nôtre
entre l’Europe qui nous dicte des lois et des astreintes jamais délibérées et
un régime présidentiel qui déclenche des guerres à sa guise et sans mandat ni
contrôle du parlement ? Il me semble qu’une commission d’enquête parlementaire
sur cette intervention est seule capable de faire la lumière sur l’enchaînement
qui a conduit jusqu’à cette intervention militaire française dans la guerre
civile ivoirienne.
(Source :
Le blog de Théophile Kouamouo 02/02/2012)
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