jeudi 9 février 2012

Claude Guéant, les civilisations et le diable devenu ermite


A Serge Letchimy, député de la Martinique

Un qui finira bien par écrire son « Mein Kampf » à force d'accumuler des petites phrases sur l'inégalité des civilisations – ne dites plus « races », dites « civilisations » –, c'est le petit Claude Guéant. J'écris « petit », non à cause de sa taille, mais parce que le rapprochement de ce patronyme proche de « géant » avec l'étroitesse d'esprit de ce petit politicien de service – oui, de service, comme les escaliers de même nom et usage – fait l'effet d'un oxymoron. Qu'est-ce qu'un Claude Guéant, cette ombre portée de Nicolas Sarkozy ? Et qui sont-ils, ces membres du gouvernement que nous vimes s'enfuir de la chambre des députés, chassés par l'éclat des vérités énoncées par – horresco referens ! – un homme de couleur ? Ne participent-ils pas tous, avec Guéant et Sarkozy, de la même « droite décomplexée » ? Décomplexée comme celles où, de 1920 à 1945, s'illustrèrent Horthy, Mussolini, Salazar, Hitler, Franco ou Pétain… Ou bien, avant ceux-là, les thermidoriens ou un Adolf Thiers.





« Droite décomplexée », tel était en effet leur cri de guerre, et leur projet, quand, en 2007, ils s'élancèrent à l'assaut de la République française. Et depuis cinq ans, ils n'ont été que cette « droite décomplexée ». Et c'est ce qu'ils voudraient bien continuer à être en tentant, de faux dérapages en vraies provocations, d'attirer à eux les suffrages de ces égarés de lepenistes. Après le prochain scrutin présidentiel, si du moins ils gagnent encore cette élection, c'est ce qu'ils seront avec encore moins de réserve et moins de retenue.

Une chose m'étonne beaucoup dans tout le bruit qu'on fait autour de cette affaire de « civilisations » qui ne se vaudraient pas, c'est qu'on n'évoque jamais l'atavisme comme une possible cause de la propension de Claude Guéant ou de tel autre militant de cette « droite décomplexée » à toujours tout ramener aux dogmes qui étaient à la mode dans les milieux dominants de l'Occident entre les deux guerres. Qu'est-ce qui est scandaleux dans les paroles du député de la Martinique ? Est-ce qu'en France les femmes ont toujours joui des mêmes droits civiques (droit de voter, droit d'être élues) que les hommes ? Est-ce qu'il n'y a jamais eu en France, je ne dis pas nécessairement parmi les ascendants de Claude Guéant ou de François Fillon, mais peut-être dans leur voisinage proche ou lointain, des gens qui en firent tuer des milliers d'autres, ou qui les regardèrent mourir sans vraiment s'émouvoir parce que, selon eux, ils appartenaient à des « civilisations » inférieures à la leur ? Ha ! Quel bonheur de ne pas savoir garder la mémoire de ses propres laideurs, tout en étant capable de se rappeler toutes celles de son prochain !

Comme cette histoire de « génocide arménien », par exemple, que tout Turc, parce qu'il est Turc, devrait expier pour ainsi dire à perpétuité. Tandis qu'aucun Français, surtout ceux qui s'engraissèrent en faisant saigner le burnous ou le boubou, n'auraient absolument rien à se reprocher. Ou cette affaire de Libye où, Bernard-Henri Lévy jouant les éclaireurs, Sarkozy et Cameron allèrent bravement apporter la démocratie, comme il y a un siècle ou deux leurs aïeuls répandaient leur inégalable « civilisation ». Ou celle de Syrie, où ils n'ont peut-être pas allumé l'incendie, mais où ils sont en train de tout faire pour l'attiser afin qu'il se propage le plus loin et dure le plus longtemps possible. Ou encore celle de la Côte d'Ivoire où Paris s'est tant démené et tué ou fait tuer tant des nôtres… Et devinez pourquoi. Pour, s'il faut en croire Jean-Marc Simon, ambassadeur de France en Côte d'Ivoire et grand stratège de l'opération « Capturez Gbagbo ! », ressusciter Houphouët : « Après dix années de souffrance, voici que la France et la Côte d'Ivoire que certains, poursuivant des buts inavoués, ont voulu séparer d'une manière totalement artificielle, se retrouvent enfin dans la joie et dans l'espérance. (...). Nous avions su inventer vous et nous, sous l'impulsion du président Félix Houphouët-Boigny et du Général de Gaulle, cet art de vivre ensemble qui étonnait le monde et qui faisait l'envie de toute l'Afrique » (Le Nouveau Réveil 18 juin 2011).

Ils sont adossés à des armées formidables dotées de l'arme atomique. Ils entretiennent dans le monde entier des services secrets tentaculaires, c'est-à-dire des bandes d'espions, de provocateurs, de diversionnistes et même d'assassins. Grâce à quoi ils font aux peuples faibles, ou leur font faire, ce qu'ils veulent, sans se soucier le moins du monde de ce qu'il leur en coûte. Mais ne leur parlez surtout pas de Sétif, ni de Guelma, ni de Madagascar, ni d'octobre 1961, ni de Charonne, ni de la « semaine sanglante », ni de « bloody Sunday » ni de Boby Sand, ni de la baie des Cochons, ni des bombardements au napalm, ni de Guantanamo, ni de Dimbokro, ni de Séguéla, ni de Palakha, ni de Victor Biaka Boda, ni de Duékoué, ni des gendarmes de Bouaké et de leurs enfants, ni des danseuses d'adjanou, ni des soixante et quelques jeunes gens aux mains nues massacrés devant l'hôtel Ivoire, impunément, par les hommes du colonel Destremau, le 4 novembre 2004, etc., etc., etc.. Ça les offusquerait, les bonnes âmes…

Le diable est déjà fastidieux quand il se présente à nous sous son vrai jour, mais quand il s'est fait ermite et prétend nous faire la morale, il est tout à fait insupportable.
Marcel Amondji

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