mercredi 1 février 2012

Cardinal TUMI : Il fallait laisser les Ivoiriens résoudre leurs problèmes.


Le cardinal Christian Tumi devant la cathédrale de Douala en 2004. AFP / I. Sanogo


On connaissait déjà le franc-parler du cardinal Christian Tumi, l'archevêque émérite de Douala. Mais à 81 ans, le prélat camerounais va encore plus loin. Aux éditions Veritas, il publie Ma foi : un Cameroun à remettre à neuf. Et au micro de Christophe Boisbouvier, il parle sans détour de la situation de son pays, de la Côte d'Ivoire et du Nigéria, et fait quelques confidences sur le dernier conclave de 2005 où a été élu le pape Benoît XVI.


RFI : Pourquoi dites vous qu'il faut remettre le Cameroun à neuf ?   
Cardinal Christian Tumi : Je me suis dis qu'il faut que l'homme soit converti, c'est-à-dire qu'il change son cœur et qu'il se laisse gouverner par ce principe d'éthique humaine : faire toujours le bien, éviter toujours le mal. J'ai essayé de montrer que si tout allait bien spirituellement, beaucoup de choses iront dans notre vie politique.

RFI : Le Cameroun peut-il être remis à neuf, sans alternance politique ?   
CCT : Non, je crois qu'il faut l'alternance politique. Mais je n'ai jamais vu des élections bien organisées.

RFI : C'est-à-dire que depuis l'indépendance, vous n'avez jamais vu d'élections libres dans votre pays ?   
CCT : Non, je n'en ai jamais vu. J'avais deux cartes d'électeurs, je pouvais voter deux fois.

RFI : Vous-même, vous aviez deux cartes ?   
CCT : Oui, moi-même.

RFI : Et beaucoup d'autres gens avaient aussi deux cartes ?   
CCT : Non, une dizaine, une vingtaine de cartes.

RFI : Pour une seule personne ?   
CCT : Ils pouvaient voter vingt fois.

RFI : Pourquoi y a-t-il une alternance politique dans beaucoup de pays d'Afrique de l'Ouest et dans très peu de pays d'Afrique centrale ?   
CCT : Je crois que les anglophones insistent beaucoup plus sur la liberté et l'objectivité des choses et je crois que la France soutient nos leaders. Les Anglais ont beaucoup moins d'influence en Afrique.

RFI : Et que pensez-vous du rôle qu'a joué la France en Côte d'Ivoire, l'année dernière ?   
CCT : Je ne suis pas d'accord avec ce que la France et l'ONU ont fait en Côte d'Ivoire. J'ai posé une question à un évêque là-bas : « Qui a gagné les élections chez vous ? » Il m'a dit, sans hésitation, « c'est Gbagbo ». Maintenant, il est à La Haye. C'est pénible pour l'Afrique à mon avis.

RFI : Quand vous avez vu le transfert de Laurent Gbagbo à La Haye, vous n'avez pas du tout apprécié...?   
CCT : Non, pas du tout. Il fallait qu'il soit jugé dans son pays, pourquoi à La Haye ? Le camp international a déjà pris position contre lui !

RFI : Mais l'ONU dit que c'est Alassane Ouattara qui a gagné...   
CCT : Oui, oui, mais on ne sait pas pourquoi ils disent ça. Il fallait qu'ils laissent les Ivoiriens résoudre leurs problèmes. Je crois que quand l'extérieur intervient, il aggrave les choses en donnant des armes.

RFI : Vous avez fait vos études sacerdotales au Nigeria. Comment réagissez-vous aux massacres de plusieurs centaines de chrétiens dans le nord de ce pays ?   
CCT : C'est un crime contre l'humanité. Le droit fondamental de l'homme, c'est son droit d'adhérer à une religion de son choix. Les musulmans peuvent avoir la liberté de pratiquer leur religion, qu'ils laissent les autres aussi libres de pratiquer leur religion. Ils sont allés tuer les gens en pleine célébration à Noël, c'est intolérable !
Les gens croient à tort que les musulmans sont majoritaires au Nord-Cameroun, ce qui est faux. La présence musulmane est importante, mais on oublie qu'il y a quatre diocèses là-bas, au Cameroun du Nord, avec un siège métropolitain à Garoua. On obligeait les gens à devenir musulmans ou bien à changer leur nom chrétien pour avoir la promotion, pour avoir la bourse. Donc j'ai réagi contre cela, et je crois que cela a apaisé un peu les choses.
Mais il faut que les musulmans soient tolérants. Je leur ai dit que si un catholique se convertit à l'islam en toute liberté, ça va me faire beaucoup de mal mais je ne peux pas l'obliger à rester catholique. C'est sa liberté qui doit être respectée.

RFI : On dit souvent que Boko Haram est une secte isolée. Mais est-ce que son message antichrétien n'est pas en train d'être suivi par de plus en plus de musulmans ?CCT : De plus en plus, à cause de la peur. Car les musulmans qui ne sont pas dans ces sectes-là ont aussi peur, on peut également les attaquer. Les musulmans modérés seront aussi attaqués par les extrémistes.

RFI : Et que pensez-vous des réactions au sud où des mosquées sont incendiées ?   
CCT : Il ne faut pas que les chrétiens fassent la même chose. Il ne faut pas la vengeance. Ce n'est pas parce que l'autre me fait du mal que je dois aussi lui faire du mal. Ce n'est pas chrétien.

RFI : Vous êtes cardinal mais vous avez passé le cap des 80 ans, donc vous n'êtes plus électeur au conclave.   
CCT : Exact.

RFI : Est-ce que le prochain pape sera encore européen ou ne faut-il pas qu'il vienne d'un autre continent ?   
CCT : Cette question de nationalité ne se pose pas. On est en face d'un acte spirituel : quel chrétien peut bien conduire le peuple de Dieu ? C'est la seule question qu'on se pose. Qu'il soit Européen ou Africain, cela ne nous dit rien. Mais [il faut voir, ndlr] qui est compétent en ce moment.

RFI : Et est-ce qu'il y a des Africains compétents aujourd'hui pour être pape ?   
CCT : Je crois oui. Mais il faut savoir que dans le dernier conclave, il y avait des noms d'Africains qui sont sortis.

RFI : Notamment celui d'un Nigerian ?   
CCT : Je peux vous dire seulement qu'il y avait des noms d'Africains.

RFI : Plusieurs ?    
CCT : Deux, je crois (rires)

RFI : Anglophones ?   
CCT : Je ne peux pas dire plus !

RFI : Ils sont allés loin dans l'élection ?   
CCT : Pas beaucoup. A vrai dire dans cette élection, dès le début on peut le dire maintenant, c'est Joseph Ratzinger qui était à la tête dès le début.

RFI : Dès le premier tour ?   
CCT : Dès le premier tour.

RFI :      Mais il y avait deux collègues.CCT : Il y avait deux autres aussi de l'Amérique du Sud qui étaient des voix assez respectables mais l'actuel pape était toujours à la tête.

RFI : Mais la prochaine fois ?  
CCT : La prochaine fois on verra, avec l'aide de l'Esprit Saint.


Entretien avec Christophe Boisbouvier   - RFI 30 janvier 2012

tags: Alassane Ouattara - Benoît XVI - Cameroun - Côte d'Ivoire - Laurent Gbagbo

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