mardi 5 septembre 2017

À DIEU !

LA CHUTE DE BOLT...
Pourquoi dit-on adieu à ceux qui nous quittent ? Sans doute parce qu’ils retournent à Dieu. On peut le dire aussi à ceux qui nous quittent sans pour autant retourner à Dieu, en mettant seulement fin à leur carrière et qu’on ne reverra plus. Disons adieu à un dieu des stades, Usain Bolt.
Nous devrions et pouvions le faire de façon unanime. Mais voilà qu’un nommé Renaud Lavilénie, sauteur à la perche réputé mais manquant de veine, a jugé qu’on a accordé trop de place à Bolt. Il n’a pas véritablement nié ses mérites de dieu. Il a tout juste estimé qu’on a trop parlé de lui au détriment d’autres athlètes qui assurément le méritaient aussi. Ne retournons pas son nom contre lui. Rappelons la place des courses de vitesse dans l’athlétisme mondial avant de rendre hommage au grand jamaïcain qui démontre que la renommée de son pays ne doit pas être limitée au seul reggae.
Comment réagissaient certains, avant le bien nommé Lavilénie, devant le succès de Noirs à la course ? On a d’abord pensé brillamment qu’ils avaient gardé l’habitude de courir pour échapper à leurs poursuivants qui voulaient leur remettre les fers. Oui, courir pour échapper. Nous savons donc tous pourquoi on s’en est pris aux pieds de Kunta Kinté. Cela engage les jambes mais peut se retrouver dans la musique. Nous connaissons la chanson dans laquelle Alpha Blondy crie à Samory « Bori ! » et de ne pas écouter ceux qui vocifèrent dans sa direction « Ilo ! Ilo ! ». Le chanteur demande de courir quand les soldats lui demandent de s’arrêter afin qu’ils l’arrêtent.
Mais Dadié avait déjà écrit que la tête des Noirs devait les aider à porter le monde et leurs narines sans doute servir à humer toutes les odeurs des parfums et des plats qui étaient inaccessibles pour eux.
« Complotisme » ? Nous sommes dans le ventre d’un complot historique depuis des siècles. Et les cirques, les rings et les stades eux-mêmes sont les nouvelles figures de la prison historique !
Le sprint permet donc d’échapper, c’est-à-dire de courir plus vite que les poursuivants. Et les courses de fond dans lesquelles brillent les Kenyans, Ethiopiens et aussi Mo Fara qui n’a pas changé de teint en changeant de nationalité ? Courir le plus longtemps possible et résister aussi longtemps que les poursuivants nous poursuivrons.
Mais avons-nous le droit d’exceller quelque part ? C’est la vilaine question que Lavilénie me conduit à me poser ! Avons-nous le droit de célébrer nos victoires selon la manière dont nous ressentons nos exploits, de Roger Milla à Usain Bolt ? Avons-nous le droit de retenir l’attention du monde pour des choses autres que le sida, les guerres de pauvres, les sècheresses, les ventres ballonnés d’enfants affligés par la faim ?
Ceux qui ne célèbrent pas leurs victoires n’ont certainement pas de raison de le faire. Pour eux la victoire est normale, l’exploit ordinaire ! C’est le résultat de leur histoire victorieuse. Ils ne peuvent perdre. Ils ne peuvent être vaincus. Ils sont nés pour gagner. Se trouvent alors face à face deux historiens : Victor Hanson avec son Pourquoi l’Occident a vaincu les autres, et Walter Rodney avec son Comment l’Europe a sous-développé l’Afrique.
Cependant, ce ne sont pas les Noirs qui ont fait les règles et saucissonné l’athlétisme en disciplines si nombreuses qu’une bonne partie d’entre elles nous échappent, nous les originaires du Sud. Il faut être marteau, chez nous, pour participer au lancer de marteau !
Les autorités sportives ont fait du 100 mètres la course reine. Ce n’est pas Jesse Owens, ni Bob Hayes, ni Wilma Rudolph, ni Carl Lewis, ni notre Abdou Sèye (médaille de bronze au 200 en 1960), de nationalité française puis sénégalaise, ni Roger Bambuck. Nul ne peut expliquer pourquoi les Blancs n’y réussissent pas. Les Piquemal, et aujourd’hui Christophe Lemaître, qui les a empêchés de battre les autres et forcés à leur laisser les couronnes du sprint ? Ce ne sont pas non plus les Asafa Powell, les Gatlin, « Flo-Jo » Griffiths-Joyner et Elaine Thompson arrivés après. On ne peut non plus l’imputer à la légion jamaïcaine en sprint féminin comme masculin. Et si c’était seulement une affaire de race, pourquoi les Africains noirs ne prospèrent-ils pas dans ces épreuves de vitesse ? Je salue Meité, Ahouré, Ta Lou et le travail qui les a hissés là où ils se trouvent ! Je salue aussi la grande nigériane Blessing Okagbaré.
A contrario nous n’avons pas retenu beaucoup de noms de champions des courses de fond. Ma mémoire ne se souvient que des Zatopek, Alain Mimoun, Abebe Bikila et Keino. Chez nous qui connait le nom de Jean Toffey alors que nous savons qui est Gaoussou Koné ? Je n’ai pu retenir aucun nom des actuels champions de course de fond. On ne parle sans doute pas beaucoup de ces derniers. Ou bien, ils ne réussissent pas à devenir des héros médiatiques. Ou enfin, c’est moi qui suis blasé et ne cherche plus de héros !
On ne peut négliger le fait que les sprinters américains ont dominé la discipline et leurs journaux ont dominé et dominent l’univers des médias. Les Américains et les journaux américains sont de grands fabricants de héros ! Jusque-là, les Américains victorieux ne gênaient personne. Tout au moins jusqu’à ce que le dopage ne vienne abattre Justin Gatlin. Ce qui était normal, devenu problématique.
Alors, au lieu de revenir à la normale, voilà que des Jamaïcains sont venus subvertir l’ordre athlétique mondial. On dira que la Jamaïque « domine outrageusement » le sprint. On dénoncera l’amateurisme de la lutte des autorités contre le dopage. Surtout qu’Asafa s’est fait choper !
Ce qui a beaucoup gêné, probablement, c’est que ces indésirables ne savent pas célébrer discrètement leurs victoires. Qu’est-ce que tout ce cinéma fait par Bolt qui domine outrageusement le sprint mondial ! Et ces foules qui y adhèrent ! Et ce peuple jamaïcain « inattendument debout », comme dirait le voisin caribéen Césaire ! Les « Marrons » de l’athlétisme ! Il n’a pas (a)battu l’adjoint du shérif mais le shérif lui-même ! Ainsi pourrait-on détourner une chanson de Bob Marley.
Comme tous ceux qui dominent, on attendait sa chute. On l’espérait secrètement pour sanctionner l’arrogance qui a indisposé les « outragés ». C’est cet agacement qu’a exprimé le perchiste Lavilénie, perché là-haut sur l’Olympe de l’histoire. Le naufrage jamaïcain fut ainsi un grand soulagement pour certains athlètes et spectateurs.
Nous attendions, sincèrement pour certains, hypocritement pour d’autres, qu’Usain Bolt termine en beauté. Cela ne s’est pas produit mais on peut se satisfaire d’une ou deux choses. Je serais curieux de connaitre l’opinion du philosophe Cornel West qui a si bien commenté la chute de Mohamed Ali.
La chute de Bolt fut noble parce que progressive, avec le bronze, puis épique, avec la chute en pleine course et le refus de la chaise roulante. Courir, ramper mais pas de chaise roulante car MLK n’a pas dit rouler !
La foudre ne peut être foudroyée que par elle-même, par son propre corps, sa propre énergie. L’éclair ne pouvait s’installer indéfiniment dans le ciel ! Le contrat était d’y accéder et de le traverser, de le zébrer avec ses épaules, ses bras et son doigt.
L’adieu au public a dû énerver encore plus les « outragés ». S’attendait-on à ce qu’il s’effondre, explose en lambeaux et éclate en sanglots ? Comme nos dieux à nous, il doit retourner sur la montagne des Marrons de jadis, ce sommet d’où il observera les « aigris » pour voir qui va lui succéder. On est obligé pour ce temps de le considérer comme le plus grand sprinter de tous les temps.
En définitive, le dieu des stades est restauré dans son statut d’humain. Sachons dire adieu à un dieu. Depuis la chute de Bokar Biro dans le Fouta, nous savons quant à nous ce qu’est un « poème de la défaite » (A. K. Armah, The Eloquence of the Scribes). 

SÉRY Bailly

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