«Deby ne lâchera pas le pouvoir par les urnes»

Idriss Déby
réélu pour la cinquième fois, êtes-vous surpris ?
Si les
résultats ont été si longs à venir, dix jours après le premier tour, c’est
parce qu’une fois de plus, ils ont été manipulés.
En avez-vous
des preuves ?
Nous savons
tous que les résultats sont truqués. C’est tellement faux que la presse
française n’en parle pas beaucoup ! Il n'y a aucune surprise, tout le
monde sait ce qu’il se passe. Au Tchad, rien ne changera de manière
démocratique. Idriss Deby ne lâchera jamais le pouvoir par les urnes. Je suis
quand même déçu car cette fois on espérait au moins un deuxième tour.
En 2008,
vous étiez proches de prendre le pouvoir à Ndjamena par un coup d’Etat.
Qu’êtes-vous devenu ?
Après un an
d’exil au Qatar, j’ai voulu venir ici en France. Bien que je sois condamné à
mort dans mon pays, je n’ai pas droit à l’asile politique. La preuve que les
relations entre Paris et Deby sont bonnes !
« L’opposition
doit continuer de contester les résultats »
Pensez-vous
qu’une action armée du même type que la tentative de coup d’Etat mené en 2008 à
Ndjamena soit possible aujourd’hui ?
C’est
impossible dans les conditions actuelles. A l’époque, le Soudan nous servait de
base arrière. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’autre grand pays voisin est
la Libye, où comme vous le voyez il n’y pas d’Etat. Mais les tchadiens sont
remontés contre Deby. Le mouvement de révolte à l’intérieur du pays s’amplifie
et il n’existe pas d’armée nationale seulement une milice présidentielle qui
protège Idriss Deby.
Pourtant on
dit l’armée tchadienne redoutable, elle a apporté un lourd tribut dans la
guerre au Mali…
Il y a une
grande campagne de communication en France en faveur de l’armée tchadienne. Il
n’y a pas de grande armée, je suis bien placé pour le savoir en tant qu’ancien
ministre de la Défense. Nous avons bien vu en 2009 que malgré le soutien de la
France et de la Libye, Idriss Deby n’avait pas d’hommes extraordinaires autour
de lui, sinon il se serait mieux défendu.
Comment
voyez-vous évoluer la situation ?
Je vois mal
l’opposition s’organiser, mais il est important qu’elle continue de contester
les résultats. La société civile pourra alors emboiter le pas. Pour la première
fois, la population tchadienne a manifesté de Moundu à l’extrême Sud à Faya au
Nord. Ca n’était jamais arrivé dans l’histoire du pays ! Toute la
population a crié en chœur: «Ça suffit,
Idriss dégage !». Les mentalités changent et la résistance s’amplifie y
compris dans l’armée. Si la société civile descend dans la rue, beaucoup de
soldats refuseront de tirer. L’armée aussi est animée par un fort mouvement de
contestation.
Où en est
l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD) que vous avez
créée au lendemain de la tentative de coup d’Etat ?
L’UFDD reste
le mouvement d’opposition le plus actif du pays. Nous sommes en Arabie
saoudite, au Tchad, au Soudan et en Libye. Dès les premières manifestations
contre Kadhafi en février 2011, nous avons aussi aidé les rebelles libyens avec
qui nous avons entretenu de bonnes relations jusqu’en 2014.
Que s’est-il
passé en 2014 ?
Idriss Deby
à Dakar au sommet pour la sécurité en Afrique a lancé un appel pour une
intervention internationale dans le Sud libyen. Le gouvernement de Tripoli a
pris peur et a décidé de nous aider. J’ai dépêché le Secrétaire général de
notre mouvement à Tripoli. Quand il est arrivé, les Libyens ont travaillé
contre ma personne. Mon secrétaire général en a profité pour leur faire croire
qu’il ne me restait qu’une quarantaine de partisans en Libye ce qui est faux.
Et ensemble, Ils ont décidé de se débarrasser de moi.
« Le FACT
est un groupe de mercenaires à la solde des islamistes de Misrata »
Cela
explique les combats entre rebelles tchadiens le 26 mars dernier à Jufra en
Libye qui auraient fait une trentaine de morts...
Il ne s’agit
pas des combats, mais d’un massacre. Sur ordre de notre Secrétaire général, des
hommes armés ont décimé l’état-major qui était réuni à Jufra. C’est le résultat
d’un complot. Les Libyens y sont pour beaucoup dans cette histoire.
Quel intérêt
pour les Libyens de se débarrasser de votre état-major ?
Tous les
Libyens raisonnent comme Kadhafi: ils veulent utiliser les Tchadiens comme des
mercenaires. Or, depuis que l’UFDD est en Libye, nous ne prenons pas parti !
Mes partisans ont su garder leurs distances par rapport aux différents groupes.
Ils l’ont payé cher.
Votre ancien
Secrétaire général Mahamat Mahdi-Ali annonce la création du Front pour
l'Alternance et le changement au Tchad (FACT). Il le présente comme un
mouvement concurrent au vôtre, l'est-il vraiment ?
Non pas du
tout. Il a dit sur RFI que son premier souci était de «contenir l’avancée de
Daech» en Libye. Il dit aussi vouloir aider les libyens à faire leur unité. En
fait, il fait ce que nous avons toujours refusé de faire. Il dirige le FACT, un
groupe de mercenaires à la solde de Misrata qui a pour mission d'asseoir le
pouvoir des islamistes libyens à Jufra. Rien de plus.
S’il vous
reste des hommes en Libye, n’y a-t-il pas un risque d’escalade de violence ?
Nous ne
ferons pas ce cadeau à Idris Deby ! L’opposition doit rester unie. A Jufra, ce
sont des aventuriers, sans idéal, sans patrie et sans projet pour le Tchad.
Par François
de Labarre
Source :
Paris Match 23 avril 2016
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