lundi 25 avril 2016

Interview de l’opposant tchadien Mahamat Nouri

«Deby ne lâchera pas le pouvoir par les urnes»

Le général Nouri, auteur de la tentative de coup d’Etat de 2008, encourage la société civile à réagir après l’annonce de la réélection d'Idriss Deby.

Idriss Déby réélu pour la cinquième fois, êtes-vous surpris ?
Si les résultats ont été si longs à venir, dix jours après le premier tour, c’est parce qu’une fois de plus, ils ont été manipulés. 
En avez-vous des preuves ?
Nous savons tous que les résultats sont truqués. C’est tellement faux que la presse française n’en parle pas beaucoup ! Il n'y a aucune surprise, tout le monde sait ce qu’il se passe. Au Tchad, rien ne changera de manière démocratique. Idriss Deby ne lâchera jamais le pouvoir par les urnes. Je suis quand même déçu car cette fois on espérait au moins un deuxième tour. 
En 2008, vous étiez proches de prendre le pouvoir à Ndjamena par un coup d’Etat. Qu’êtes-vous devenu ?
Après un an d’exil au Qatar, j’ai voulu venir ici en France. Bien que je sois condamné à mort dans mon pays, je n’ai pas droit à l’asile politique. La preuve que les relations entre Paris et Deby sont bonnes !


« L’opposition doit continuer de contester les résultats »


Pensez-vous qu’une action armée du même type que la tentative de coup d’Etat mené en 2008 à Ndjamena soit possible aujourd’hui ?
C’est impossible dans les conditions actuelles. A l’époque, le Soudan nous servait de base arrière. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’autre grand pays voisin est la Libye, où comme vous le voyez il n’y pas d’Etat. Mais les tchadiens sont remontés contre Deby. Le mouvement de révolte à l’intérieur du pays s’amplifie et il n’existe pas d’armée nationale seulement une milice présidentielle qui protège Idriss Deby. 
Pourtant on dit l’armée tchadienne redoutable, elle a apporté un lourd tribut dans la guerre au Mali…
Il y a une grande campagne de communication en France en faveur de l’armée tchadienne. Il n’y a pas de grande armée, je suis bien placé pour le savoir en tant qu’ancien ministre de la Défense. Nous avons bien vu en 2009 que malgré le soutien de la France et de la Libye, Idriss Deby n’avait pas d’hommes extraordinaires autour de lui, sinon il se serait mieux défendu. 
Comment voyez-vous évoluer la situation ?
Je vois mal l’opposition s’organiser, mais il est important qu’elle continue de contester les résultats. La société civile pourra alors emboiter le pas. Pour la première fois, la population tchadienne a manifesté de Moundu à l’extrême Sud à Faya au Nord. Ca n’était jamais arrivé dans l’histoire du pays ! Toute la population a crié en chœur: «Ça suffit, Idriss dégage !». Les mentalités changent et la résistance s’amplifie y compris dans l’armée. Si la société civile descend dans la rue, beaucoup de soldats refuseront de tirer. L’armée aussi est animée par un fort mouvement de contestation. 
Où en est l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD) que vous avez créée au lendemain de la tentative de coup d’Etat ?
L’UFDD reste le mouvement d’opposition le plus actif du pays. Nous sommes en Arabie saoudite, au Tchad, au Soudan et en Libye. Dès les premières manifestations contre Kadhafi en février 2011, nous avons aussi aidé les rebelles libyens avec qui nous avons entretenu de bonnes relations jusqu’en 2014. 
Que s’est-il passé en 2014 ?
Idriss Deby à Dakar au sommet pour la sécurité en Afrique a lancé un appel pour une intervention internationale dans le Sud libyen. Le gouvernement de Tripoli a pris peur et a décidé de nous aider. J’ai dépêché le Secrétaire général de notre mouvement à Tripoli. Quand il est arrivé, les Libyens ont travaillé contre ma personne. Mon secrétaire général en a profité pour leur faire croire qu’il ne me restait qu’une quarantaine de partisans en Libye ce qui est faux. Et ensemble, Ils ont décidé de se débarrasser de moi.


« Le FACT est un groupe de mercenaires à la solde des islamistes de Misrata »


Cela explique les combats entre rebelles tchadiens le 26 mars dernier à Jufra en Libye qui auraient fait une trentaine de morts...
Il ne s’agit pas des combats, mais d’un massacre. Sur ordre de notre Secrétaire général, des hommes armés ont décimé l’état-major qui était réuni à Jufra. C’est le résultat d’un complot. Les Libyens y sont pour beaucoup dans cette histoire.

Quel intérêt pour les Libyens de se débarrasser de votre état-major ?
Tous les Libyens raisonnent comme Kadhafi: ils veulent utiliser les Tchadiens comme des mercenaires. Or, depuis que l’UFDD est en Libye, nous ne prenons pas parti ! Mes partisans ont su garder leurs distances par rapport aux différents groupes. Ils l’ont payé cher.

Votre ancien Secrétaire général Mahamat Mahdi-Ali annonce la création du Front pour l'Alternance et le changement au Tchad (FACT). Il le présente comme un mouvement concurrent au vôtre, l'est-il vraiment ?
Non pas du tout. Il a dit sur RFI que son premier souci était de «contenir l’avancée de Daech» en Libye. Il dit aussi vouloir aider les libyens à faire leur unité. En fait, il fait ce que nous avons toujours refusé de faire. Il dirige le FACT, un groupe de mercenaires à la solde de Misrata qui a pour mission d'asseoir le pouvoir des islamistes libyens à Jufra. Rien de plus.
S’il vous reste des hommes en Libye, n’y a-t-il pas un risque d’escalade de violence ?
Nous ne ferons pas ce cadeau à Idris Deby ! L’opposition doit rester unie. A Jufra, ce sont des aventuriers, sans idéal, sans patrie et sans projet pour le Tchad.

Par François de Labarre

Source : Paris Match 23 avril 2016

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire