A en croire celui qui se dit « président du Pdci-Rda »,
ce parti serait « Issu du Syndicat
Agricole Africain » et il aurait été « créé pour soutenir la candidature de Félix Houphouët-Boigny à
l’Assemblée constituante française ».(abidjan.net 09/04/2016)
Le président du Pdci-Rda "accompagnant" son homologue, le président du Rdr |
Pauvre Bédié ! Donc il ne sait même plus ce qu’il est !
Même un élève du cours élémentaire sait que c’est en 1945 qu’Houphouët
fut élu pour la première fois à l’Assemblée constituante, et que le Pdci ne fut
fondé qu’en 1946 – raison pour laquelle cette année 2016 est le 70e
anniversaire de sa fondation. Ce n’était donc pas pour « soutenir la candidature
de Félix Houphouët-Boigny à l’Assemblée constituante » que le Pdci fut
fondé, mais pour appuyer son action au moment où, comme rapporteur, il
défendait devant l’Assemblée nationale – où il siégeait donc déjà… – la loi
d’abolition du travail forcé qui porte son nom. Et il est tout aussi faux de
dire que ce parti est « issu du Syndicat agricole africain » car ce
fut en réalité la création d’un collectif dont la majorité des membres
n’appartenaient pas à ce syndicat, n’étaient même pas des Ivoiriens de
naissance – certains même étaient des « Métropolitains » –, et dont
la principale motivation était l’anticolonialisme. Parce que, à son origine, le
Parti démocratique de Côte d’Ivoire était d’abord et avant tout un
mouvement anticolonialiste. Son objectif était la libération de la Côte d’Ivoire
et des Ivoiriens du joug que leur imposaient les colonialistes français. Rien à
voir donc avec cette bande de « Beni Ouioui » déhontés que « préside »
aujourd’hui un Bédié, lui-même tout différent de celui qui, le 22 décembre 1999,
disait vouloir restaurer la souveraineté du peuple ivoirien sur la Côte d’Ivoire,
et qui fut illico renversé pour cela.
Il y a vingt ans, à l’occasion du 50e anniversaire de la
fondation du Pdci, sous le titre : « Le jubilé des ouvriers de la
onzième heure », notre collaborateur Marcel Amondji, alors chroniqueur
occasionnel du magazine parisien Le
Nouvel Afrique Asie, livrait ses réflexions sur le rapport du Pdci authentique
avec ceux qui se réclament à cor et à cris de son glorieux passé tout en en étant
si évidemment indignes. Nous les offrons à nos amis lecteurs, en particulier
aux Ivoiriens qui n’ont jamais accepté la trahison d’Houphouët ni celle de ses
successeurs, afin qu’ils se souviennent de ce dont nos pères ont rêvé sans
pouvoir le réaliser.
La Rédaction
LE JUBILÉ DES OUVRIERS DE LA ONZIÈME HEURE
Les dirigeants du Parti
démocratique de la Côte d’ivoire (PDCI) ont choisi de situer le temps fort de
la célébration du cinquantième anniversaire de leur parti au 30 avril 1996, au
lieu du 9 avril qui eût été un choix plus conforme à la vérité historique si,
du moins, le but de ces festivités était de rappeler aux Ivoiriens leur
glorieuse initiative de ce temps-là, et non l’acte administratif automatique
qui le sanctionna. Pourquoi ? Selon le président du groupe parlementaire
du Front populaire ivoirien (FPI), Doudou Boga, ce serait pour faire pièce à
son parti qui, ce même jour, célébrait sa fête annuelle de la Liberté. Pour
preuve, il rappelait comment, le 27 mai 1995, Laurent Fologo avait aussi appelé
le ban et l’arrière ban du PDCI à défiler dans les quartiers d’Abidjan à seule
fin de démontrer qu’il était capable de faire mieux que le Front républicain de
Djény Kobina et de Laurent Gbagbo n’avait fait trois semaines auparavant. C’est
de bonne guerre. Le FPI se prépare en effet à entrer de nouveau en campagne, en
vue des partielles, dans les circonscriptions où les législatives avaient été
ajournées en raison des troubles qui y avaient émaillé le scrutin présidentiel
d’octobre 1995. Ses candidats, dont L. Gbagbo, partent largement favoris ;
mais il n’y a pas de mal à tirer un peu la couverture à eux. Encore que
s’arrêter à cette interprétation puisse suggérer qu’en somme, la guerre
apparemment sans merci que se livrent depuis six ans les deux formations qui
dominent la scène politique ivoirienne, guerre au demeurant sans enjeu
discernable, n’est rien qu’un vain concours de gesticulations. En fait, compte
tenu de la manière dont l’histoire de la Côte d’Ivoire s’écrit depuis 1951, ce
choix eût été exactement le même si le 30 avril n’était pas aussi le jour de la
fête annuelle du FPI.
Le PDCI fut fondé le 9
avril 1946, mais c’est le 30 avril qu’il fut enregistré par les services du
gouverneur. Pour les dirigeants de l’ancien parti unique, c’est donc ce jour-là
qui marque le commencement de son histoire, conformément au principe
houphouétiste qu’il n’y a de légitimité que celle qui procède directement du
fait colonial. Pour autant, le 9 avril ne fut pas totalement oublié. Il y a
encore trop de survivants de cette époque, et qui ne partagent pas tous le
point de vue officiel sur elle, pour qu’il soit possible de l’escamoter. Il y
eut donc, ce jour-là, un rassemblement sur le site du bar-dancing L’Etoile du sud, où avait eu lieu la
réunion constitutive d’un parti « destiné à soutenir l’action du député
Félix Houphouët », l’homme qui allait, deux jours plus tard, attacher son
nom à la loi d’abolition du travail forcé dont il était le rapporteur.
Pour l’occasion, les
médias gouvernementaux donnèrent la parole à quelques survivants de cette
époque. Certains d’entre ces héros avaient été jusqu’alors, pour le moins, bien
négligés. Ainsi de Mme Anne-Marie Raggi, qui tâta même de la prison en 1963.
Ainsi de Mme Marguerite Sakoum qui, elle, fut carrément reléguée dans une sorte
d’exil intérieur jusqu’à ce 9 avril 1996 ! Le rôle insigne qu’elles
jouèrent dans le mouvement insurrectionnel de 1949-1950 ne fut récompensé que
par une montagne d’ingratitude ! Ces deux figures monumentales de la trop
brève épopée du RDA ivoirien sont apparues là, aussi admirables de courage, de
patriotisme et de modestie qu’aux jours de leurs vingt ans. Quand on les a
entendues, on comprend mieux pourquoi la commémoration du 9 avril 1946 se fit,
pour ainsi dire, à la cloche de bois. Tous ceux qui peuvent se sentir concernés
par cet anniversaire-là ne sont pas précisément des adorateurs ou des
adoratrices du grand fétiche de Yamoussoukro.
Le
9 avril 1946, il ne s’agissait que de donner un nom à un mouvement qui existait
déjà de façon virtuelle, tant les populations étaient avides de secouer le joug
colonial. C’est ce qui explique le succès extraordinaire et immédiat du PDCI
auprès des masses ivoiriennes. Ce succès s’accompagna de l’ascension rapide à
sa direction de jeunes cadres radicaux acquis aux idées politiques et sociales
dominantes de l’époque ; idées que leurs aînés, et Félix Houphouët en
particulier, étaient loin de partager, même si au Palais-Bourbon et au palais
du Luxembourg les élus du Rassemblement démocratique africain (RDA), fondé en
octobre 1946, et qui tirait toute sa force du PDCI, sa section ivoirienne,
étaient apparentés aux groupes des élus progressistes et communistes. Et c’est
ainsi que ce qui faisait la force de ce parti devait bientôt constituer une
brèche par laquelle ses ennemis allaient l’atteindre au cœur. En 1947,
l’attitude du Syndicat agricole africain (SAA) devant la grève des cheminots
avait montré que l’unité du PDCI n’était pas à toute épreuve. Dès lors
l’administration et le colonat allaient tout tenter afin d’élargir cette
première brèche. Ils commencèrent par circonvenir F. Houphouët dont ils avaient
pu mesurer et l’égotisme et l’hostilité atavique aux tendances dominantes du
mouvement dont il était, un peu à son corps défendant, le principal dirigeant.
Dès 1948, lors d’une
entrevue secrète avec le haut-commissaire en AOF, le président du RDA s’était
pratiquement engagé à rompre avec ses alliés progressistes français. La chose
ne se fit pas alors parce que le comité de coordination refusa de le suivre
dans cette résolution. Mais, de ce moment, F. Houphouët était entré dans
l’engrenage qui devait le conduire progressivement à dévoyer le PDCI de son
orientation primitive et à en faire, à partir de 1951, un simple instrument de
sa prodigieuse carrière. En attendant ce jour, il se laissa cependant porter
par le mouvement comme s’il adhérait toujours à ses objectifs, y compris les
plus radicaux. De sorte que la réputation de communisme que lui firent alors
les milieux réactionnaires n’était pas sans vraisemblance.
Le 6 février 1949 eut
lieu l’événement qui devait avoir les plus graves conséquences sur l’évolution
ultérieure du PDCI. Ce jour-là, une provocation magistralement exécutée fournit
au gouverneur Laurent Péchoux le prétexte pour jeter en prison les dirigeants
les plus radicaux et les plus populaires du RDA ivoirien non protégés par
l’immunité parlementaire. Le mouvement était décapité ; mais c’est alors
qu’il fit vraiment la démonstration de la force qu’il représentait.
Le coup du 9 février
provoqua une levée en masse des Ivoiriens, à laquelle le gouverneur répondit en
établissant un véritable régime de terreur qui ensanglanta toute la Côte
d'Ivoire tout au long de l'année 1949, et durant les premiers mois de l'année
suivante. C'est pendant cette période qu’eurent lieu tous les actes d’héroïsme
dont les dirigeants actuels du PDCI attribuent toute la gloire à Houphouët,
alors que du vivant de ce dernier il valait mieux ne pas en parler si on
voulait faire carrière à son ombre. C’est à cette époque qu’apparurent les
figures sublimes de Marguerite Sakoum, Anne-Marie Raggi, Marie Koré, Mami
N’Doli Amoin, Macoucou Célestine Ouezzin, et de dizaines d’autres femmes qui
furent justement surnommées les amazones du RDA. Epouses des prisonniers ou
simples militantes, elles s’étaient levées partout pour prendre la relève de
leurs hommes, et elles donnèrent plus de grain à moudre au sanguinaire Péchoux
que ces derniers. Un de leurs hauts faits est resté dans l’histoire sous le nom
de Marche des femmes sur la prison de
Grand-Bassam, touchante initiative dont Houphouët devait dire, en 1986, que
ce fut… une sottise !
Après le coup du 6
février, le PDCI fut interdit. Il le restera pratiquement jusqu’en 1959,
l’année où, pour la première fois depuis 1947, un congrès put enfin se réunir.
Entre temps, toutes les mesures d’exception dont on avait frappé l’ancienne
direction furent maintenues. Ainsi en avait décidé un ministre de la France
d’Outre-mer nommé François Mitterrand. Le but de la manœuvre était d’écarter de
la direction du mouvement tous les éléments jugés « idéologiquement irréductibles »
et de favoriser « en revanche les authentiques messagers de la libération
africaine que l’assentiment et la fidélité de leur peuple autant que l’amitié
de la France mèneraient aux plus hauts destins. »[1]
Fin 1950, alors que ses
amis se trouvaient encore en attente de jugement et que le péchoutage n’avait pas cessé, le président d’honneur du PDCI
conclut avec le ministre de la France d’Outre-mer un pacte de sauvegarde
personnelle au prix de la rupture avec les communistes et de l’abandon de
l’anticolonialisme radical qui, jusqu’alors, caractérisait le PDCI. C’est le repli tactique. Un an plus tard, il
demandait solennellement aux Ivoiriens de se soumettre à l’administration
coloniale qui, elle, n’avait rien appris ni rien oublié : « Je
demande à nos militants le respect des lois et des autorités
constituées. »[2]
En même temps il ouvrait le mouvement à tous ceux qui l’avaient combattu. C’est
ainsi que, sans changer de nom, le PDCI changea totalement d’orientation et de
nature même, jusqu’à devenir le contraire de ce qu’il était à son origine. En
sorte que si son nom conservait encore toute sa charge symbolique aux yeux des
masses villageoises qui l’avaient porté pendant ses quatre années d’existence,
la chose elle-même avait cessé de leur appartenir. Le PDCI ressuscité vers le
milieu des années 1950 n’était plus qu’un parti de notables et de possédants
ayant fait leur paix séparée avec le parti colonial, et partageant avec lui la
rente caféière et les places politiques. C’est la raison pour laquelle certains
auteurs ont défini le régime Houphouët comme le régime des planteurs ;
bien à tort car, dans ce régime, le gros commerce colonial jouait un rôle plus
déterminant que les planteurs autochtones.
En 1959, sous
l’influence de la JRDACI créée à l’initiative de la première vague de diplômés
de l’enseignement supérieur revenus au pays, le 3è congrès fut, en quelque
sorte, une tentative de ramener le PDCI dans le sillon d’origine,
l‘anticolonialisme radical, symbolisé par l’élection de Jean-Baptiste Mockey,
l’homme que le parti colonial avait le plus détesté, au secrétariat général en
remplacement d’Auguste Denise. Mais, alors, étroitement chaperonné par les
fameux réseaux Foccart, Houphouët était déjà trop puissant pour que cette
tentative, ainsi que celle du début des années 1960 (affaire des complots qui,
aux dires d’Houphouët-Boigny lui-même, n’en étaient pas !), d’intention
sinon de nature semblable, pussent aboutir.
Au début des années
1970, le dégel consécutif au Grand
dialogue favorisa l’intégration de quelques jeunes diplômés dans le
gouvernement et dans les instances dirigeantes du parti unique. Un an plus
tard, après le règlement à l’africaine
de l’affaire des pseudo-complots de 1963-1964, tous les exclus de la période
antérieure furent réintégrés. Mais cela ne pouvait plus rien changer car, sous
la houlette d’Houphouët et de son bras droit le secrétaire général Philippe
Yacé, l’appareil du PDCI était tout à fait devenu une simple administration
vouée à la propagande du régime et au conditionnement des populations.
A la fin de cette mue
forcée commencée au lendemain de la provocation du 6 février 1949, le PDCI
devint, et resta jusqu’en 1990, ce parti dont on a pu dire : « Le
parti unique complète le présidentialisme. Il en est un des instruments…
Derrière l’apparence d’un parti de masse, il s’agit d’un parti qui encadre plus
qu’il ne mobilise la population. Grâce à son monopole, il permet de canaliser
la participation politique et donc de la contrôler. »[3]
Encore le mot parti est-il plutôt
impropre dans cet emploi, puisque d’une part tous les Ivoiriens majeurs, et
même tous les résidents d’origine négro-africaine, étaient comptés comme
membres du PDCI et devaient obligatoirement y cotiser, et que d’autre part tous
ceux qui occupaient des positions intéressantes dans la fonction publique ou
dans le secteur privé étaient théoriquement membres de ses directions, avec au
moins une voix délibérative, étant bien entendu que toute décision y
appartenait à Houphouët-Boigny seul. De sorte que jusqu’à l’abolition du système
de parti unique fin avril 1990, le PDCI n’était pas un parti politique, mais le
peuple lui-même. En théorie tout au moins.
Avant le 30 avril 1990,
le PDCI ignorait l’adhésion volontaire. Aujourd’hui, le parti de ce nom est
composé de gens qui, en 1990, ont choisi le camp d’Houphouët plutôt que
d’adhérer à l’un des nouveaux partis apparus alors, puis, en 1995, le camp
d’Henri Konan Bédié plutôt que le Rassemblement des républicains (RDR)
d’Alassane Ouattara et Djény Kobina, sans pour autant que ces choix recouvrent
une réalité sociologique ou un projet politique vraiment différent de ceux de
leurs adversaires. En sorte que le parti qui en est résulté, s’il est
incontestablement l’héritier de l’ancien parti unique, il ne l’est, cependant,
qu’en tant qu’il est avant tout le parti de celui qui gouverne et qui est, à ce
titre, le grand maître des carrières et le dispensateur des fortunes, même si,
en 1995 comme en 1990, ses éclatants succès électoraux ont prouvé qu’il
bénéficie lui aussi, comme l’ancien parti unique, du prestige du mouvement
anticolonialiste des années 1940.
Les dirigeants du PDCI
furent, on s’en souvient, les premiers surpris par leurs victoires de l’année
terrible 1990. C’est sans doute la raison principale de cette célébration
conçue comme un rituel fétichiste d’incorporation.
Marcel
Amondji, in Le Nouvel Afrique Asie N°
81, juin 1996.
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