Nil novi sub
sole !
Comme le
campus de Yopougon le fut il y a 25 ans – presque jour pour jour –, le campus
universitaire d'Abidjan-Cocody a été à son tour le théâtre d’une expédition
punitive des sbires du régime fantoche dans la nuit du 13 au 14 avril. Ce raid d'une
rare brutalité aurait fait plusieurs blessés graves parmi les étudiants et les
étudiantes, dont plusieurs auraient même été victimes de violences sexuelles.
Ça craint dêh,
leur affaire d’émergence là… A cette allure, l’avenir de l’enseignement
supérieur en Côte d’ivoire promet d’être un cauchemar toujours recommencé.
A l’intention
de ceux de nos amis lecteurs qui n’étaient pas nés en 1991 ou qui étaient trop
jeunes alors pour se rendre compte de ces choses, voici l’article que notre
collaborateur Marcel Amondji consacra au drame de 1991 dans le Nouvel Afrique Asie, sous le titre de :
Invasion
nocturne d’une résidence universitaire ; matraquage d’étudiants surpris
dans leur sommeil ; viols ; des blessés graves ; plus de cent
quatre-vingts interpellations ; peut-être des morts… Dans la nuit du 17 au
18 mai, la Côte d’Ivoire a connu son massacre
de Lumbumbashi, avec cette variante que, dans ce cas, les agresseurs sont
identifiés : ce sont des para-commandos. D’après le professeur Marcel
Etté, secrétaire général du Syndicat national de la recherche et de
l’enseignement supérieur (SYNARES), ils opérèrent en présence du ministre de
l’Intérieur et du colonel chef d’état-major général de l’armée.
Cette
tragédie survient alors que la situation politique paraissait en bonne voie de
normalisation. En effet, depuis la fin de l’année dernière, le pouvoir a fait
preuve d’une réelle prudence, aussi bien dans ses décisions que dans ses
méthodes. De son côté, l’opposition, du moins sa composante actuellement la
mieux représentée au plan électoral, le Front populaire ivoirien (FPI) de
Laurent Gbagbo, affiche désormais le plus parfait légalisme. Cet apprentissage
coordonné de la démocratie permettait d'espérer que le pays avancerait
résolument dans la voie d'une vie politique civilisée. Le drame de Yopougon est
venu brutalement démentir cet espoir.
Mais,
à vrai dire, ce n’est pas le premier exemple de brutalités policières exercées
sur des citoyens sans armes et, qui plus est, à l’intérieur d’un espace clos,
depuis le début de cette année. Déjà le congrès extraordinaire du Syndicat
national de l’Enseignement secondaire (SYNESCI), ouvert le 3 mars à Bingerville
non loin d’Abidjan, et qui se déroulait dans le calme à l’intérieur des locaux
du Centre des métiers de l’électricité, fut sauvagement interrompu et dispersé
par les forces de l’ordre (police et armée) conduites par le sous-préfet et le
maire de la localité. L’opération fut menée avec la volonté évidente d’humilier
des enseignants qui avaient commis le crime de désavouer leurs dirigeants
syndicaux qui, en mars 1990, avaient donné leur accord aux réductions de
salaire programmées par le plan Koumoué
Koffi, du nom du ministre des Finances et de l’Economie de l’époque,
renvoyé depuis. Soldats et policiers, matraque à la main, les avaient forcés à
rentrer à Abidjan, à vingt kilomètres de là, au pas de course !
Depuis,
les autorités dénient toute représentativité à la nouvelle direction que le
congrès avait tout de même eu le temps d’élire, bien qu’elle soit investie de la
confiance des deux tiers des sous-sections du SYNESCI, reconnue et soutenue par
le SYNARES.
Le
pouvoir s’était pourtant montré beaucoup plus libéral avec le SYNARES qui
tenait son 4è congrès à la même époque (2-5 mars) à l’hôtel Ivoire d’Abidjan.
Quelques mois auparavant, le SYNARES avait fait l’objet d’une tentative de
déstabilisation par un petit groupe d’enseignants du supérieur non syndiqués et
plutôt proches du parti gouvernemental, qui lui reprochaient l’appartenance
d’un certain nombre de ses dirigeants à des partis d’opposition. Devant
l’attitude à la fois pondérée et ferme du secrétaire général du SYNARES et de
son bureau, le pouvoir n’avait pas porté son appui tacite à cette entreprise
au-delà de plusieurs pages ouvertes à la prose des putschistes dans le
quotidien gouvernemental. Les 2 et 5 mars, c’est même en présence de deux
ministres du gouvernement Alassane Ouattara que le congrès du SYNARES s’est
ouvert et s’est clôturé.
Mais
cette ouverture n’était peut-être qu’une ruse qui visait, en caressant le
SYNARES dans le sens du poil et en poussant le SYNESCI à bout dans le même
temps, à contrecarrer leur projet commun, et tout à fait public au demeurant,
de mettre rapidement sur pied une grande coordination de toutes les professions
de l’Education, du primaire au supérieur. Depuis le démantèlement de fait de
l’Union générale des travailleurs de la Côte d’Ivoire (UGTCI) pour cause de
multipartisme, les autorités vivent dans la hantise de voir surgir une nouvelle
centrale sur laquelle elles n’auraient pas la même influence que naguère. Or,
aujourd’hui, la volonté de s’unir qui anime les enseignants se retrouve
partout. La tendance est au rejet du « syndicalisme de
participation » toujours prôné par l’UGTCI, et à la constitution d’une
nouvelle centrale indépendante des pouvoirs publics et des partis politiques,
gouvernemental ou d’opposition. Aux yeux des autorités, tout ce qui est
susceptible de favoriser ce processus est un danger. D’où leur méfiance
traditionnelle vis-à-vis d’un milieu aussi sensible que le milieu enseignant.
Mais
il y a un milieu encore plus sensible ; c’est le milieu étudiant. A
l’instar de leurs maîtres, les étudiants ont aussi leur projet de se doter d’un
grand mouvement syndical indépendant chargé de les représenter et de défendre
leurs intérêts devant les autorités.
De
source étudiante, c’est en vue d’empêcher ce projet de prendre corps que, les
jours précédant la tragédie du 18 mai, des bandes de casseurs – sans doute les
mêmes qui, en mai 1990, arboraient les fameux T-shirts portant
l’inscription : les loubards du
président et qu’on a revus à l’œuvre lors de la rentrée de rattrapage de
l’année blanche, en septembre 1990 – venaient régulièrement provoquer et
terroriser les étudiants sur le campus. Fatigués de ces manigances dont les
commanditaires seraient, d’après eux, des personnes proches du parti
gouvernemental, les étudiants décidèrent d’en appeler publiquement à l’opinion.
A cet effet, ils projetaient de tenir un meeting le 18 mai…
Ce
meeting ne put avoir lieu, puisque ceux qui devaient l’organiser furent arrêtés
avant le lever du jour dit et emmenés vers des destinations inconnues ;
sans doute, comme c’est la coutume, vers quelque caserne de la région
d’Abidjan.
Il
est difficile de croire que c’est par pur hasard que, sous prétexte de protéger
les étudiants contre des trublions, l’armée (et non la police. Et on sait que
l’une et l’autre sont actuellement sous l’autorité, respectivement, d’un
général et de hauts fonctionnaires français) a investi le campus, envahi les
chambres, matraqué des étudiants tirés brutalement de leur sommeil, dont
certains dans la panique se seraient jetés par la fenêtre, d’ailleurs pour
retrouver d’autres matraqueurs au pied du bâtiment ! Il est d’autant plus
difficile de le croire que, cette nuit-là et au moment de cette intervention
musclée, le courant était coupé… comme ce fut le cas à Lumbumbashi !
Il
est probable qu’on ne saura jamais la vérité sur le bilan de cette aube
tragique. Les étudiants soutiennent que l’opération a fait quatre morts parmi
eux, et que les corps ont été emportés dans des véhicules de l’armée. Les
autorités démentent et menacent ceux qu’elles accusent de propager des fausses
nouvelles à des fins partisanes. Mais quelle que soit la vérité, et même s’il
n’y a pas eu de morts, l’assaut donné nuitamment au campus de Yopougon a sans
doute fait basculer la Côte d’Ivoire dans un processus que le légendaire
savoir-faire d’Houphouët-Boigny ne suffira plus à contenir.
Surtout
que son gouvernement n’a toujours pas été capable de remplir ses promesses
vis-à-vis des producteurs de café et de cacao : théoriquement garantis à
hauteur de 200 francs depuis septembre 1990, le prix d’achat réel de ces
produits atteint difficilement 25 et 50 francs, respectivement ! Tous les
bénéfices des victoires électorales de l’année dernière sur lesquelles se
fondaient les espoirs d’une transition tranquille sont compromis.
C’est
la fin de l’état de grâce pour ceux qui se préparaient à recevoir la succession
d’Houphouët-Boigny, et qui, dans l’euphorie de la paix sociale et politique
rétablie, commençaient à rêver très sérieusement d’une cohabitation à l’ivoirienne ;
voire la pratiquaient déjà activement au Parlement et dans l’antichambre de la primature.
M. Amondji
M. Amondji
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