C’était en 1990. Nous étions
au début de notre démocratisation. Et les affrontements entre partis
politiques, par étudiants interposés, commencèrent à l’université. Le premier
mort fut un certain Thierry Zébié. Tué à coups de pierres par ses camarades
étudiants. Qui fut sanctionné véritablement ? Personne à ma
connaissance.
Zébié est le
nom que ma mémoire a retenu. Mais il y eut toutes ces personnes lynchées par
des étudiants dans des cités universitaires, parce que soupçonnées de vol. Sans
que personne fronce le sourcil. Je me souviens de cet homme présenté comme un
malade mental que des étudiants de Port-Bouët avaient tué, parce qu’il aurait
volé un T-shirt. Puis il y eut Habib Dodo. C’était vers la fin de
2004 ou en janvier 2005, je me souviens seulement avoir écrit ces lignes dans
Fraternité Matin, le 15 janvier 2005 : «
Il s’appelait Habib Dodo et était étudiant ».
D’après ce qui
a été rapporté dans la presse, il aurait été enlevé au domicile d’un leader
politique par d’autres étudiants, emmené sur le campus où il aurait subi un
simulacre de procès au terme duquel il aurait été condamné à mort et pendu
publiquement devant d’autres étudiants. Son corps a été retrouvé, quelques
jours plus tard, dans un sac, près de la clôture du campus. Que s’est-il passé
ensuite ? Rien ! Ou si peu. Quelques organisations de défense des droits
de l’homme ont dénoncé ce crime et la vie a suivi son cours normal. Jusqu’à ce
jour, aucune arrestation n’a eu lieu.
Y a-t-il
seulement une enquête pour essayer de retrouver les assassins de Habib
Dodo ? L’Etat ne s’est pas senti concerné. A-t-on entendu un intellectuel,
un leader politique ou religieux dénoncer ce crime abominable ? Ce n’était
sans doute pas nécessaire, puisqu’il s’agissait d’une histoire d’étudiants.
Mais lorsqu’une histoire d’étudiants se termine de cette façon, cela devient
une histoire de notre société. Dans quelle société sommes-nous ? On dira
que nous avons fabriqué des monstres. Mais les monstres ne naissent-ils pas
aussi parfois de monstres ? Quelle société avons-nous fabriquée ?
N’est-ce pas parce que notre société est devenue elle-même monstrueuse qu’elle
crée de tels monstres ? »
A cette époque,
personne n’avait réagi. Aucun magistrat, aucun ministre, aucune autorité. Et
les étudiants continuèrent leurs forfaits. Ce fut, par la suite, une jeune
fille qu’ils violèrent sur le campus. Puis, lorsque le pouvoir de Laurent
Gbagbo prit fin, on découvrit plusieurs tombes et ossements sur le campus et à
la cité universitaire Port-Bouët 3. Oh !, il y eut beaucoup d’autres crimes
encore plus horribles dans le pays à cette époque. Mais nous nous en tenons
aujourd’hui à ceux commis par les étudiants dont nous avons eu connaissance.
Jusqu’à ce jour, aucun magistrat n’a jugé utile d’ouvrir le dossier Habib Dodo.
Y a-t-il eu prescription ? Pas du tout ! Le procès des présumés assassins
de Robert Guéï vient de s’ouvrir. Son meurtre est antérieur à celui d’Habib
Dodo. Mais, sans doute, se dit-on que l’affaire de ce jeune homme est une
histoire d’étudiants. Il n’y a donc pas de quoi gâcher la sieste d’un
magistrat.
En son temps, on n’avait pas jugé les meurtriers de Thierry Zébié. Alors,
pourquoi veut-on que les étudiants arrêtent de commettre des crimes ? L’un
d’entre eux, Christian Wilfried Konin, a été tué, il y a un mois, par ses
camarades. Et cela n’a ému absolument personne dans ce
pays. À part, peut-être, mon confrère et ami André Silver Konan (Voir l’annexe). Aucun magistrat ne s’est senti concerné. Ni aucun
leader politique ou religieux. Comme lorsque Habib Dodo avait été assassiné.
Aujourd’hui, on parle de dissoudre des syndicats d’étudiants, d’exclure des
étudiants de l’université ; il y a ceux qui sont pour et ceux qui sont
contre, et personne ne parle du plus facile, du plus simple à faire dans un
État qui se veut de droit et qui est la poursuite des assassins.
Oui, André
Silver Konan le répète tous les jours dans son billet : le plus simple à
faire qui résoudrait tous les problèmes du même coup est de rechercher et
sanctionner ceux qui ont tué cet étudiant, comme le prévoient nos lois. Est-il
impossible, dans ce pays, de rechercher et d’arrêter les assassins
de Christian Wilfried Konin ? Quel est donc cet Ivoirien nouveau que l’on
veut voir émerger si l’on n’est pas capable de sanctionner nos enfants
lorsqu’ils commettent des fautes aussi graves que des meurtres ?
Croyons-nous vraiment que nous pourrons faire émerger notre pays si nous
bannissons le mot « sanction » de notre vocabulaire ? Quelle
société voulons-nous donc bâtir si nous autorisons nos étudiants à tuer, à violer
en toute impunité ? Est-ce cela la recherche de l’émergence ? En
vérité, en vérité, je vous le dis, tant que nous n’aurons pas mis
définitivement fin à l’impunité dans ce pays, nos enfants deviendront de plus
en plus monstrueux et ce sera cela, l’Ivoirien nouveau dont on parle depuis
quelque temps.
Venance Konan
Titre original :
« Ivoirien nouveau = sanction ».
EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons
des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson
avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité
ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu
informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des
mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
Source :
Fraternité Matin 21 décembre 2015
NOTRE COMMENTAIRE
Puisque Venance Konan cite « son ami André Silver Konan » à
l’appui de sa thèse selon laquelle la mort tragique de Thierry Zébié aurait été
un assassinat planifié et exécuté par des militants de la FESCI à l’appel des
dirigeants de l’organisation estudiantine, nos amis lecteurs voudront sans
doute en juger par eux-mêmes sur pièces. Nous leur en offrant la possibilité en
publiant ci-dessous la chronique qu’André Silver Konan a consacrée à ce drame dans
le quotidien ouattariste Le Nouveau Réveil du 23 janvier 2010. Même si
ce journaliste partage l’intime conviction de « son ami » Venance
Konan, il ne va tout de même pas jusqu’à écrire comme lui noir sur blanc que ce
sont des étudiants et des membres de la Fesci qui ont tué Zébié. Plus prudent ou
moins déhonté que « son ami », A.S. Konan se contente juste de laisser
planer le doute… Il sait bien – et je gage que Venance Konan aussi le sait –
que, dans ces temps gros d’une insurrection populaire dont la révolte des
étudiants était le signe avant-coureur, un régime aux abois cherchait à se
conserver coûte que coûte. On ne peut donc pas exclure que ce 17 juin 1991,
parmi les étudiants en colère qui manifestaient, il y avait aussi très
certainement des provocateurs professionnels en service commandé, et que c’est plutôt
parmi eux, et non parmi les militants de la Fesci, qu’il faudrait chercher les meurtriers
de Zébié.
Comme par hasard, nos deux journalistes-moralisateurs se gardent bien de citer
la presse de l’époque, où, à chaud, ces faits sont présentés à l’état brut,
sans préjugés ni arrière-pensées, comme c’est le cas dans leurs articles que
nous avons sous les yeux. On y voit clairement que Zébié reçut les premiers des
coups dont il est mort lorsque, se voyant cerné de toutes parts par ses
poursuivants, et comprenant qu’il ne devait attendre aucun secours de ses
employeurs, il commença d’avouer qu’il était bien ce dont les étudiants l’accusaient
d’être : un espion du pouvoir. On l’a tué pour l’empêcher n’en dire plus…
Voilà probablement la version de ce drame la plus proche de la vérité. Et
c’est probablement la raison pour laquelle les autorités de l’époque et leurs
épigones n’ont rien fait et ne feront rien pour retrouver les vrais coupables ?
Marcel Amondji
ANNEXE
« Plus de 18 ans après : Lumière
sur l’assassinat de Thierry Zébié ».
Qui était Thierry Zébié ? Comment a-t-il été tué ? Qui l'a tué et
pourquoi ? Plus de dix-huit ans après la mort violente de cet étudiant de 24
ans, inscrit à la faculté de sciences et techniques de l'université d'Abidjan,
témoins oculaires et auriculaires, acteurs directs ou indirects de cette affaire,
commencent à briser la loi de l'omerta qui depuis le jour noir du lundi 17 juin
1991, maintient cette mort au panthéon des crimes non élucidés. Le début de la
vérité sur ce crime attribué à la Fédération estudiantine et scolaire de Côte
d'Ivoire (Fesci), moins de deux ans après sa création ? Enquête sur un drame
médiatisé qui a bouleversé le milieu scolaire et estudiantin.
« Nous
ne sommes pas découragés, mais désolés et
déçus d’avoir constaté que la Côte d’Ivoire ait pu fabriquer des produits de cette
nature, les mêmes qui s’étaient signalés par l’assassinat de leur camarade
Thierry Zébié, il y a quelques années ». A la veille de
la fête de Noël 2002, en pleine crise politico-armée, Augustin Laurent Dona Fologo évoque un souvenir douloureux : la
mort de Thierry Zébié Zirignon. Le président du Conseil économique et social ne
cache pas son amertume. Désigné négociateur pour
le compte de l’Etat de Côte d’Ivoire par le président de la République Laurent
Gbagbo, quarante-cinq jours plus tôt, il revient du Togo, « la mort dans
l’âme », selon ses propres termes. Il fait le parallèle entre la mort
brutale de Thierry Zébié attribuée à la Fesci et la rébellion de ceux qui
s’appelleront plus tard les Forces nouvelles, conduite par un certain Guillaume
Soro, ex-secrétaire général de la Fesci, présent à Lomé.
L’accusation de Laurent
Dona Fologo, ministre au moment des faits et secrétaire général du Parti
démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, parti alors au pouvoir) est à la fois
impersonnelle et simple. Elle a toutefois le mérite de replacer la Fesci au
banc des accusés de crimes. L’énoncé des faits, lui, n’est pas aussi simple.
«
Le 17 juin, relate Alphonse
Voho Sahi, actuel conseiller spécial du chef de l’Etat et enseignant syndicaliste
à l’université d’Abidjan, à cette époque, dans son livre « Une chronique de la révolution démocratique
en Côte d’Ivoire (1989-1995) », au
cours d’un meeting organisé au parking de l’université, les étudiants décident
de "libérer le Koweit". Un nom donné à la cité universitaire de
Mermoz occupée par Zébié qui y règne en maître comme Saddam Hussein au Koweit.
Nous sommes dans le contexte de la première guerre du Golfe dont les images
sont retransmises chaque soir au Centre culturel français d’Abidjan, au journal
télévisé de la nationale française France 2. Il faut donc "libérer"
Mermoz comme les Américains, le Koweit. La marche rassemble tant de monde qu’au
moment où la tête de manifestation se trouve au Cours secondaire protestant
(CSP), la queue est toujours au campus. La foule n’est pas encore arrivée à la
cité Mermoz quand on découvre le corps de Thierry Zébié, couvert de toutes
sortes d’objets ; morceaux de bois et cailloux comme on en trouve sur un chien
écrasé ». Il est un peu plus de 12 heures.
Négocier avec Zébié
Eugène
Djué, alors numéro deux de la Fesci se souvient : « Quand nous convoquons notre meeting le
lundi 17 juin 1990, au campus de Cocody, Thierry Zébié n’entreprend rien de
grave. Nous finissons notre meeting sans incident. Les étudiants se dispersent.
Mais certains membres du bureau restent là
et nous nous rendons au "guédégbadrôme" (lieu de vente de beignets,
NDLR). Il y a des gens qui criaient pendant le meeting, "Libérez le Koweit
!" Mais cela ne relève d’aucune préméditation. Quand, à un moment donné,
on décide de rentrer, nous voyons des étudiants en train de courir partout. On
rencontre un, en sang, qui fuit. Nous devions passer par Mermoz pour aller chez Martial Ahipeaud, à la Sogephia.
Sur notre passage, les gendarmes sont arrêtés au carrefour de Mermoz.
Apparemment, ils ne sont pas informés qu’un drame vient de se produire. C’est
quand nous arrivons chez Martial Ahipeaud qu’on apprend que Thierry Zébié a été
tué ».
Martial
Joseph Ahipeaud, alors secrétaire général de la Fesci,
soutient qu’il fait tout ce qui est en son pouvoir, ce jour-là pour éviter le drame.
Dans un premier temps,
il dit « avoir essayé de contenir la
foule ». « Ce sont les filles de
Mermoz qui sifflent pour convoquer un meeting au campus, sur le parking. La
direction de la Fesci est prise de court car je m’apprête, ce jour-là à aller
déposer la liste des loubards à la Primature pour exiger du gouvernement une
action contre leurs exactions. C’est ainsi que je me retrouve sur le parking
pour essayer de contenir la foule », relate-t-il. Il soutient avoir, dans
un second temps, « envoyé certains
responsables de la direction vers Mermoz pour négocier avec Zébié et ses amis
en leur demandant de bien vouloir quitter la cité avant l’arrivée de la foule
puisqu’elle est difficile à contenir. Car les filles de Mermoz exigent un
meeting dans leur cité pour la libérer de l’emprise de Zébié et de sa terreur.
Les camarades du bureau exécutif national de la Fesci, envoyés sur place,
trouvent Zébié et ses camarades au kiosque. Lorsque les camarades leur donnent
l’information, tous les autres prennent des taxis et quittent la cité. Sauf
Zébié ».
Dans un troisième temps,
il dit tenter la diversion : « Pour faire
baisser la tension, je fais traîner la foule deux heures durant sur le campus
en inventant la marche sinueuse qui devrait parcourir toutes les administrations
de l’université ».
Sous la pression de « la foule d’étudiants qui exige que le
secrétaire général les conduise à Mermoz qui doit être "libéré", car
la Fesci doit y tenir son premier meeting contre l’avis des loubards »,
Martial Ahipeaud finit par prendre la voie de la cité universitaire de Mermoz. « Je suis à la montée de la colline du
Collège de Cocody, fait-il savoir, quand l’incident du meurtre de Zébié me
parvient ».
Le témoignage de Jean Blé Guirao, alors numéro trois de
la Fesci est plus précis : « La foule
d’étudiants qui devance le secrétaire général à Mermoz se retrouve nez à nez
avec Thierry Zébié et trois de ses gars, au kiosque, devant la cité. Thierry
Zébié est armé d’un pistolet. Devant la foule, il tire en l’air. Quand il sent
que la pression de la foule ne faiblit pas, il s’enfuit et va trouver refuge
dans la villa d’un couple qui, à ce temps, aide beaucoup les militants de la
Fesci. Thierry Zébié sait, étant donné qu’il était l’un des nôtres au début,
que quand on nous pourchasse de Mermoz, on se réfugie souvent là-bas. Les gens
le suivent. Très vite, la villa est encerclée. Le salon est investi. De même
que la chambre ».
Les dernières secondes
de l’étudiant relèvent des fictions de mort violente. Selon Jean Blé Guirao, « Il y a trois personnes en tenue jeans
complet avec des paires de basket, qui sont dans la cuisine. C’est l’un d’eux
qui porte la brique sur la tête de Thierry Zébié qui s’écroule ».
Par la suite, selon les
témoignages que Martial Ahipeaud dit avoir recueillis plus tard, l’individu « qui l’assomme le livre à la vindicte
populaire ».
« L’irréparable »
La nouvelle de «
l’irréparable », expression employée par le commentateur du reportage diffusé
au journal de 13 heures à la télé nationale, le même jour, plonge la Nation dans
l’émoi.
«
C’est un événement douloureux, se rappelle Thérèse
Yobouet, présentatrice du journal de 13 heures, ce jour-là. C’est la première fois qu’un tel drame survient et j’en suis
complètement bouleversée, puisqu’il s’agit de la mort d’un homme ».
Comment en est-on arrivé
là ? Dans un document disponible sur le site
de son parti politique, l’Union pour le développement et les libertés (UDL),
intitulé « De Zébié à Guéi : au nom de
la liberté », Martial Ahipeaud, aujourd’hui titulaire d’un doctorat et résidant
pour la plupart du temps en Europe, répertorie des actes qu’il attribue à
Thierry Zébié, susceptibles d’expliquer son lynchage à mort, du moins la fronde
des militants de la Fesci contre lui.
«
Le 7 février 1991, écrit Martial Ahipeaud, Thierry Zébié conduit une action de
sabotage de ma conférence de presse se tenant à l’amphi Robert Léon (…) Le 14
février 1991, Zébié et sa bande de loubards vont incendier la maison de mes
parents adoptifs à Cocody Sogefia. Entre février et mai 1991, ses actes de violation
de la dignité féminine sont légion à la cité universitaire de Mermoz. Le 15 mai
1991, à la tête d’une cohorte de loubards, Zébié attaque ma conférence de
presse qui se tient au Forum de l’université. Notre camarade Marius Eponon a la
paume transpercée quand il s’interpose entre le couteau d’un des loubards et
moi. La nuit du 17 mai 1991, Zébié conduit les forces spéciales qui massacrent
les étudiants à la cité universitaire de Yopougon. La nuit du 16 juin, il
laisse dans le coma, un étudiant sur le campus parce qu’il conteste avec
d’autres camarades la dernière décision du Président Houphouët de créer une
commission nationale d’enquête (sur les événements de Yopougon, dans la nuit du
17 mai 1991, NDLR) alors que la Fesci veut une commission internationale. C’est
cette énième action qui pousse les filles à organiser un meeting de
protestation contre sa bande le lendemain alors que la direction de la Fesci
avait donné le mot d’ordre de calme ».
La vengeance comme mobile du crime ?
«
J’affirme haut et fort que ce n’est pas la Fesci qui a commis ce crime »,
se défend Martial Ahipeaud. Non coupable ! Telle est invariablement la ligne de
défense de la direction de la Fesci.
«
A l’époque, je suis étiqueté comme le dernier des extrémistes, mais pas une
seule fois l’idée de tuer quelqu’un ne me vient en tête, en dépit, je précise,
de tout ce que Thierry Zébié nous fait subir, à savoir les humiliations, les
bastonnades, etc. Je suis là, sincère devant Dieu et je dis que jamais un jour
l’idée ne nous est venue en tête de le tuer. Jamais. Peut-être l’effrayer, le
frapper un peu et le laisser partir, mais aller jusqu’à le tuer, jamais ! »,
jure Eugène Djué.
Pour lui, le
gouvernement (PDCI) du Premier ministre Alassane Ouattara, qui désigne quatre
jours après, la Fesci comme étant responsable de la mort de Thierry Zébié,
trouve en eux « le coupable idéal. Ceux
qui tuent Thierry Zébié sont convaincus qu’ils ne seraient pas du tout
soupçonnés, parce que le coupable désigné est là, c’est la Fesci qui avait tenu
un meeting au cours duquel on a crié "Libérez le Koweit !" ».
Mais « "Libérez le
Koweit", c’est quoi ? Etait-ce aller tuer quelqu’un ? Non ! ».
Les responsables de la Fesci voient en cette mort,
un coup monté du pouvoir.
«
Les trois personnes en tenue jeans complet avec des paires de basket, sont
habillées exactement comme les éléments de la brigade de recherche de la
gendarmerie. Je savais comment ils s’habillaient parce qu’on était très souvent
confronté à eux. Ceux qui ont kidnappé une étudiante devant la cité Rouge
s’habillaient exactement ainsi. C’est l’un d’eux qui a porté la brique sur la
tête de Thierry Zébié », accuse Jean Blé Guirao, aujourd’hui
secrétaire général adjoint de l’Union pour la démocratie et la paix en Côte
d’Ivoire (UDPCI, parti d’opposition). Dans quel but le pouvoir ferait-il tuer
Thierry Zébié qui s’oppose à la Fesci, la bête noire du gouvernement ? Dans le
but de noircir le casier judiciaire de ce mouvement et de détruire son
honorabilité dans l’opinion ainsi que freiner son influence dans le milieu
estudiantin, répondent en chœur les responsables de l’époque. « La preuve est que, démontre Martial
Ahipeaud, le 21 juin 1991, soit quatorze
mois jour pour jour après la création de la Fesci, symboliquement, le
gouvernement prend une décision de dissolution de notre syndicat. A qui profite
alors le crime ? ».
Militant de la Fesci
A la Fesci, rétorque
d’un côté le gouvernement et de l’autre, d’autres étudiants qui fustigent les
méthodes de la Fesci. Parmi eux, Claude Daniel Djè Konan, alors étudiant au
département d’allemand et président de la Jeunesse estudiantine du PDCI,
section Yopougon-Toits rouges. Pour lui, «
Thierry Zébié est au départ un militant de la Fesci. Il découvre par la suite
que ce mouvement est plutôt une mafia à la solde de l’opposition d’alors pour
renverser le pouvoir PDCI. Il se retire carrément. La Fesci ne lui pardonne pas
ce qu’elle qualifie de "félonie". Elle cherche donc à l’éliminer. Non
seulement pour se venger de lui mais pour passer un message très ferme à tous
ceux qui, comme Thierry Zébié, seraient tentés de rallier le camp adverse. Des
gens de la Fesci le ratent une première fois dans un maquis à Yopougon. La
dernière tentative est l’opération conduite par Martial Ahipeaud lui-même à
partir du campus. Presque toute la Fesci réussit à surprendre Zébié dans le
kiosque à Mermoz ».
Eugène Djué reconnait,
en effet, que Thierry Zébié est au départ l’un des leurs. « C’est lui qui nous aide à escalader les murs quand la police boucle
certains endroits, au début de la lutte ».
Les allégations de
Claude Daniel Djè Konan sont corroborées par Fabrice Sibry Mahi, étudiant en
licence de mathématiques à cette époque et résident de la cité de Mermoz. « Je ne suis pas alors un ami de Thierry
Zébié, juste quelqu’un qui échange de temps en temps avec lui »,
précise-t-il. Il se souvient de lui comme étant « un garçon brillant, un solide gaillard, adepte des arts martiaux,
élégant et propre sur lui ». Fabrice Sibry Mahi, se disant aujourd’hui «
libre penseur » fait savoir qu’il assiste de loin à la scène, « parce que tout cela lui fait peur. Ce
jour-là, on sent que quelque chose de grave va se passer. Les militants de la
Fesci sont comme pris d’une transe collective. Ils courent dans tous les sens,
crient ». Il soutient qu’il voit des membres du bureau de la Fesci discuter
avec Thierry Zébié et des gens autour de lui. « Je ne m’intéresse pas trop aux manifestations, de ce fait, je sais
qu’ils sont membres du bureau de Martial Ahipeaud mais je ne connais pas leur
nom. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle ils en veulent à Thierry
Zébié. Ce dernier dans le milieu estudiantin est autant célèbre que Martial
Ahipeaud, plus que Eugène Djué, le numéro deux et encore plus que Blé Guirao,
que les étudiants connaissent à peine. En outre, nombre d’étudiants sont jaloux
de lui parce qu’ils lui reprochent une vie ostentatoire. Ce qui n’est pas faux
». Fabrice Sibry Mahi, aujourd’hui cadre supérieur dans une entreprise
privée, avance que « le 17 juin,
vers midi, alors que la foule d’étudiants encercle de plus en plus Thierry
Zébié, un coup de feu est tiré. Je ne vois pas Thierry Zébié tirer pas plus que
celui qui tire. Mais la thèse défendue plus tard par les responsables de la
Fesci, tendant à dire que Thierry Zébié tire avec un pistolet qu’il a sur lui,
pour moi est totalement contradictoire ». La raison : « Si tant est qu’il possède un pistolet et qu’il sait tirer, pourquoi
n’use-t-il pas de son arme pour se défendre quand il sent que son heure est
proche parce que les militants de la Fesci l’ont rejoint dans la maison où il
trouve refuge et le menacent avec des objets contondants divers ? ». Pour
lui, « c’est justement ce coup de feu qui
fait fuir Thierry Zébié, un garçon connu pour n’avoir peur de personne et qui
plus est, inspire la crainte chez ses assaillants qui n’osent d’ailleurs pas
l’approcher ». Fabrice Sibry Mahi est formel : « personnellement, je réprouve surtout la violence sexuelle attribuée à
Thierry Zébié, cependant ma conviction est faite que les responsables de la
Fesci de l’époque, ont minutieusement préparé son assassinat. Le motif est
simple : il les combat ouvertement et son combat commence à trouver des
soutiens dans d’autres cités, surtout celles de Cocody où certains étudiants
que la Fesci qualifie de loubards s’organisent pour ne pas qu’elle y prenne
pied ».
« Dieu nous pardonne »
La piste Fesci bénéficie
de l’intime conviction de l’Union interafricaine des droits de l’homme (UIDH).
Dans un communiqué publié en mai 2007, à la suite du saccage du siège de la
Ligue ivoirienne des droits de l’homme (Lidho) par des individus présumés de la
Fesci, l’UIDH affirme que « depuis
quelques années, la Fesci a pris une forme proche d’une organisation mafieuse.
Elle s’est illustrée de façon notoire, dans de nombreux cas de violations de droits
de l’homme. Son nom est associé aux assassinats de Thierry Zébié, un étudiant
hostile à ses agissements, d’Habib Dodo, un dirigeant de l’Association générale
des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (Ageeci) ».
Pour sa part, Laurent
Gbagbo monte au créneau quand Alassane Ouattara prend la décision de dissoudre
la Fesci. Il parle d’une « grande erreur » et apporte officiellement son
soutien politique à la Fesci.
Plus de dix-huit ans
après ce drame qui continue vraisemblablement de hanter les souvenirs de nombre
d’Ivoiriens et d’étudiants de cette époque, Martial Ahipaud continue de clamer
son innocence : « Dieu est mon juge et il
sait que je suis innocent de ce sang versé ».
En attendant la mise sur
pied d’une commission d’enquête, qu’il réclame, il conclut que « le 17 juin 1991, un crime fut commis et
fut mis sur le dos de la Fesci qui, par moi, avait tout tenté pour l’éviter.
Dieu nous pardonne le sang versé ».
André Silver Konan
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