Le président Nicolas Maduro |
Le chavisme a pris une claque – attendue – aux
élections législatives du 6 décembre dernier (42% des suffrages), mais dont
l’ampleur a surpris même les plus défaitistes. Le chavisme de base a adressé un
carton rouge au mal nommé « chavisme officiel », notamment en
s’abstenant dans des proportions inquiétantes.
L’opposition, de bric et de broc mais hégémonisée par
l’extrême droite, a capitalisé un « vote sanction » et gagné. A y
regarder de près, elle ne progresse pourtant que de 4,22% par rapport à 2013.
Face à cette chronique d’une défaite annoncée, peut-on
parler de « retour à la case départ », de « fin des
populismes » comme l’inénarrable journaliste du Monde ?
Faut-il plonger dès lors dans le catastrophisme, le pessimisme désespéré et
désespérant, le fatalisme ? Faut-il passer de l’euphorique vague
émancipatrice (longue de 16 ans) au noir absolu ? L’histoire ne
serait-elle qu’un éternel recommencement ? Les Etats-Unis ont-ils réussi à
renverser en leur faveur le rapport de forces en Amérique latine, à reprendre
la main ? Je ne le crois pas. Je ne le crois pas, sans pour autant verser
dans la « Méthode Coué ».
Le président Obama nous avait prévenus, au moment du
« réchauffement » avec Cuba : « Nous sommes en train de
renouveler notre leadership dans les Amériques ». Depuis 15 ans, de
puissants mouvements sociaux, comités, organisations populaires, assemblées,
ont émergé, se sont consolidés, obligeant des gouvernements progressistes à
plus et mieux de redistribution, de souveraineté ; cependant, les
indispensables réformes de structures, de rupture avec le système, sont restées
pour l’essentiel au niveau du discours. La « gauche d’en bas » s’est
organisée, enracinée, impliquée dans la construction – aux forceps – d’ébauches
concrètes d’alternatives, de réponses post-néolibérales. Ebranlé, le libéralisme
cannibale, prédateur, servile, demeure cependant plus ou moins majoritaire
partout.
Ceci dit, l’Amérique latine reste le continent des
possibles, du « oui l’on peut », même si commence aujourd’hui une
nouvelle séquence « contre-révolutionnaire », pro-impérialiste et
revancharde, lourde de conséquences, de régressions, de répressions, de
soumission ; les élites célèbrent le retour en force du
« libre-échange » (l’équivalent du renard libre dans le poulailler
libre).
En Argentine, le gouvernement Macri ressemble à un
club d’actionnaires gros et gras, au conseil d’administration d’une
multinationale bananière. Que des ministres liés à la haute finance ! Le
kirchnérisme se mobilise déjà frontalement pour défendre la « loi (la
démocratisation) des médias »... Au Venezuela, les salariés de la
Corporation Electrique Nationale (publique) se préparent à empêcher coûte que
coûte sa privatisation. Le président Maduro et le vice-président, gendre de
Chavez, appellent à poursuivre la révolution et le « socialisme du 21e
siècle »... Schizophrénie ? Simple slogan ?
Rhétorique vide ? Que ne l’ont-ils fait avant ? Nous avions
l’impression que gouvernement et président, paralysés, faisaient du surplace
dans l’attente de la catastrophe électorale. L’intellectuel et militant
Luis Britto Garcia affirme : « Seul un camp a mené la guerre
économique ». Pour cet auteur de référence : « le cadeau royal
fut celui du président Maduro au capitalisme parasite (60 milliards de dollars)
pour en finir avec les importations fallacieuses ». Britto Garcia parle de
« pacte économique » létal. Il poursuit (Aporrea,
20/12/2015) : « Comment a-t-on pu laisser la droite spéculer autant
sur le prix de la monnaie dans le marché parallèle, sans réagir
vigoureusement ? »
On va désormais, avec un parlement ultra-libéral,
(trois partis de la MUD sont affiliés à l’Internationale socialiste !!),
vers une confrontation sociale et de pouvoir, inédite et peut-être violente.
Les dirigeants, ministres, gouverneurs, bureaucrates
chavistes, ont-ils pris la mesure de la claque, ont-ils compris que seule une
« rectification de fond » peut relancer le chavisme, que la
corruption et la bureaucratie ont coûté cher politiquement et
électoralement ? Il est encore trop tôt pour le dire. Les changements (de
ministres, etc.) sont lents à venir, estime le prestigieux journaliste Eleazar
Diaz Rangel, ami de Chavez (Aporrea, 20/12/2015). L’énorme parti
chaviste (PSUV) tarde à devenir un réel outil politique. Dans les assemblées
d’autocritique, le peuple demande moins de rhétorique, de célébrations, et plus
de mesures concrètes. Les profiteurs s’accrochent, mais les militants exigent
globalement le retour à « l’esprit de Chavez », un « changement
de cap » afin de reprendre le cours « socialiste », au lieu de
céder à une « social-démocratisation » rampante, et à la
dépolitisation.
Comment préserver les acquis nombreux et vitaux de la
révolution face à un pouvoir législatif agressif et réactionnaire, très
majoritaire, et décidé à les anéantir ? Par des mesures efficaces,
répondent les interlocuteurs que nous avons sollicités par téléphone, par une
intense bataille des idées contre la guerre économique, idéologique, par une
proximité vraie avec les bases, par des pratiques et des réponses plus
éthiques, plus collégiales, plus participatives, plus « radicales ».
Par une cohabitation qui ne lâche rien.
Jean Ortiz
Titre original :
« Chavisme : une gifle salutaire ? »
Source : L’Humanité
21 Décembre 2015
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