L'Exposition coloniale de 1931
Quelques stations de métropolitain – pour
l'occasion, la ligne 8 a été prolongée jusqu'à la porte Dorée –, et les voilà à
se presser par dizaines de milliers aux abords du bois de Vincennes, ce 6 mai
1931. Les Parisiens veulent faire « le
tour du monde en une journée » – comme le promettent les affiches et
les actualités cinématographiques depuis des mois – et découvrir cette
exposition coloniale si longtemps attendue. Les officiels sont à peine repartis
que les visiteurs s'élancent sur les 110 hectares dédiés à la gloire de
l'empire. Reproduction à l'échelle du temple d'Angkor Vat, fort en pisé de
l'Afrique occidentale française, pavillons de Madagascar et des Etats du Levant
sous mandat de la Société des nations... aucun territoire n'a été oublié dans
une mise en scène au folklore assumé. Les badauds s'offrent une traversée du
lac de Daumesnil en pirogue malgache ; ils s'arrêtent un instant dans les cafés
maures, admirent le travail des artisans africains ou la grâce des danseuses
annamites, repartent avec un souvenir, objet traditionnel ou casque colonial.
Un peu plus loin, ils se bousculent au jardin zoologique : pour la première
fois, des animaux sont présentés comme s'ils étaient dans leur milieu naturel
et non en cage. Renforcer la communauté nationale autour de l'empire
Le soir venu, l'éclairage des fontaines,
véritable prouesse technique à l'époque, recueille tous les suffrages. Le 2
juillet, Claude Mauriac passe la soirée à Vincennes avec ses parents : « Que dire, en effet, de ces jeux d'eau
et de lumière qui ne soit rabâché ? Il suffit de les apprécier et de les
admirer tacitement »[1]. Jusqu'à la fermeture, le dimanche 15
novembre, plus de 8 millions de personnes – pour la moitié des Parisiens, 3
millions de provinciaux et 1 million d'étrangers – s'acquittent des trois francs
exigés à l'entrée. Les visiteurs s'amusent, mais les organisateurs veulent plus
qu'une simple fête foraine, ils entendent que l'on s'imprègne de l'ambition
coloniale. Dans ces années 1930, où la crise économique atteint l'Europe, où
les nazis se renforcent en Allemagne, le gouvernement veut montrer la puissance
de la France et souder la communauté nationale autour de l'empire. Le décret
qui a lancé l'Exposition en 1928 était sans ambiguïté : elle doit « présenter sous une forme synthétique
l'œuvre réalisée par la France dans son empire colonial ; l'apport des colonies
à la métropole » et avoir « un
rôle nécessaire de propagande directe ». Le jour de l'inauguration,
Paul Reynaud, le ministre des Colonies, enfonce le clou : « Il faut que chacun de nous se sente citoyen de la Grande France ».
L’absence de plusieurs pays européens, pourtant invités, transforme ce qui
devait être une exposition internationale en un événement presque entièrement
dévolu à la gloire de l'empire colonial français. Malgré de multiples relances,
la Grande-Bretagne a décliné, avançant des difficultés d'organisation et
financières. La préparation de la loi sur le statut de Westminster, qui accorde
aux colonies britanniques les plus anciennes le statut de « dominion » – et une certaine autonomie – n'est sans
doute pas étrangère à ce refus. Absentes également, l'Allemagne, qui s'est vue
privée de ses colonies depuis le traité de Versailles de 1919, et l'Espagne. Le
maréchal Lyautey, ancien résident général du protectorat français au Maroc,
nommé, à l'âge de 73 ans, commissaire général de l'Exposition, prend ce rôle de
promotion de l'empire et d'éducation très au sérieux. Il insiste pour que soit
créée une « cité des informations »
où les hommes d'affaires qui souhaitent investir dans les colonies trouveront
les renseignements nécessaires à leur aventure. Plus de 10.000 élèves de
primaire sont conviés à Vincennes durant l'été 1931, n'échappant pas aux leçons
sur l'empire entre un goûter et une distraction organisée. A rebours de la mode
des années précédentes, Lyautey refuse le sensationnalisme et les exhibitions
humaines – il y aura bien le spectacle des « Kanaks
cannibales », mais il s'agit d'une initiative privée de la Fédération
française des anciens coloniaux et, installée à l'autre bout de Paris, au
jardin d'acclimatation, elle n'a pas de présence permanente à l'Exposition.
![](//2.bp.blogspot.com/-lkZgIGHn09Y/Vn2WOrt4wDI/AAAAAAAAGDc/b5pYYT2-ZAs/s320/634515605.jpg)
De très rares
opposants au projet
L'Exposition gomme les aspects les moins
glorieux de la colonisation et donne à voir aux habitants de la France
métropolitaine une image joyeuse du lointain empire ; elle suscite peu de
critiques. Il y a bien, à l'initiative du Parti communiste, une
contre-exposition intitulée La vérité sur les colonies, mais elle n'attire,
entre juillet 1931 et février 1932, que 5.000 visiteurs environ. Il y a bien ce
tract de 12 surréalistes (dont Eluard, Breton et Aragon), titré « Ne visitez pas l'exposition coloniale »,
mais il ne rencontre que peu d'échos. Il y a bien cette prise de distance du
socialiste Léon Blum, rappelant que « dans
l'univers entier les peuples conquis ou soumis commencent à réclamer leur
liberté », mais elle n'endigue pas le flot qui se presse dans les
pavillons. Pourtant, lorsque les portes de l'Exposition se referment,
l'objectif des organisateurs est loin d'être rempli. Dans le bilan qu'il fait
un an après la fin de l'événement, le maréchal Lyautey se montre très mesuré : « Si l'Exposition a produit son maximum
d'effet et atteint ses buts d'éducation vis-à-vis des masses et surtout de la
jeunesse, elle n'a en rien modifié la mentalité des cerveaux adultes, ou ceux
des gens en place qui n'étaient pas, par avance, convaincus ». Une
nouvelle exposition aura lieu en 1937, mais déjà la guerre est proche. En 1945,
l'ambiance est tout autre. En Indochine, en Algérie, les mouvements
indépendantistes lancent leurs premières actions qui mèneront à la
décolonisation. Pas plus que la conquête coloniale, celle-ci ne fera consensus
au sein du peuple français. Les débats houleux qui, au fil des décennies,
accompagneront les vies successives du Palais de la porte Dorée – musée
permanent des colonies jusqu'en 1935, rebaptisé musée de la France
d'outre-mer, puis musée des Arts d'Afrique et d'Océanie,
avant de devenir, en 2007, musée de l'histoire de l'immigration –
en témoignent.
Agnès Laurent
Source : L'Express
25 décembre 2015
[1]
- Cité in L'Exposition coloniale, de Catherine Hodeir et Michel Pierre
(Editions Complexe).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire