vendredi 25 décembre 2015

Notre histoire avec le colonialisme français (suite)

L'Exposition coloniale de 1931


Quelques stations de métropolitain – pour l'occasion, la ligne 8 a été prolongée jusqu'à la porte Dorée –, et les voilà à se presser par dizaines de milliers aux abords du bois de Vincennes, ce 6 mai 1931. Les Parisiens veulent faire « le tour du monde en une journée » – comme le promettent les affiches et les actualités cinématographiques depuis des mois – et découvrir cette exposition coloniale si longtemps attendue. Les officiels sont à peine repartis que les visiteurs s'élancent sur les 110 hectares dédiés à la gloire de l'empire. Reproduction à l'échelle du temple d'Angkor Vat, fort en pisé de l'Afrique occidentale française, pavillons de Madagascar et des Etats du Levant sous mandat de la Société des nations... aucun territoire n'a été oublié dans une mise en scène au folklore assumé. Les badauds s'offrent une traversée du lac de Daumesnil en pirogue malgache ; ils s'arrêtent un instant dans les cafés maures, admirent le travail des artisans africains ou la grâce des danseuses annamites, repartent avec un souvenir, objet traditionnel ou casque colonial. Un peu plus loin, ils se bousculent au jardin zoologique : pour la première fois, des animaux sont présentés comme s'ils étaient dans leur milieu naturel et non en cage. Renforcer la communauté nationale autour de l'empire
Le soir venu, l'éclairage des fontaines, véritable prouesse technique à l'époque, recueille tous les suffrages. Le 2 juillet, Claude Mauriac passe la soirée à Vincennes avec ses parents : « Que dire, en effet, de ces jeux d'eau et de lumière qui ne soit rabâché ? Il suffit de les apprécier et de les admirer tacitement »[1]. Jusqu'à la fermeture, le dimanche 15 novembre, plus de 8 millions de personnes – pour la moitié des Parisiens, 3 millions de provinciaux et 1 million d'étrangers – s'acquittent des trois francs exigés à l'entrée. Les visiteurs s'amusent, mais les organisateurs veulent plus qu'une simple fête foraine, ils entendent que l'on s'imprègne de l'ambition coloniale. Dans ces années 1930, où la crise économique atteint l'Europe, où les nazis se renforcent en Allemagne, le gouvernement veut montrer la puissance de la France et souder la communauté nationale autour de l'empire. Le décret qui a lancé l'Exposition en 1928 était sans ambiguïté : elle doit « présenter sous une forme synthétique l'œuvre réalisée par la France dans son empire colonial ; l'apport des colonies à la métropole » et avoir « un rôle nécessaire de propagande directe ». Le jour de l'inauguration, Paul Reynaud, le ministre des Colonies, enfonce le clou : « Il faut que chacun de nous se sente citoyen de la Grande France ». L’absence de plusieurs pays européens, pourtant invités, transforme ce qui devait être une exposition internationale en un événement presque entièrement dévolu à la gloire de l'empire colonial français. Malgré de multiples relances, la Grande-Bretagne a décliné, avançant des difficultés d'organisation et financières. La préparation de la loi sur le statut de Westminster, qui accorde aux colonies britanniques les plus anciennes le statut de « dominion » – et une certaine autonomie – n'est sans doute pas étrangère à ce refus. Absentes également, l'Allemagne, qui s'est vue privée de ses colonies depuis le traité de Versailles de 1919, et l'Espagne. Le maréchal Lyautey, ancien résident général du protectorat français au Maroc, nommé, à l'âge de 73 ans, commissaire général de l'Exposition, prend ce rôle de promotion de l'empire et d'éducation très au sérieux. Il insiste pour que soit créée une « cité des informations » où les hommes d'affaires qui souhaitent investir dans les colonies trouveront les renseignements nécessaires à leur aventure. Plus de 10.000 élèves de primaire sont conviés à Vincennes durant l'été 1931, n'échappant pas aux leçons sur l'empire entre un goûter et une distraction organisée. A rebours de la mode des années précédentes, Lyautey refuse le sensationnalisme et les exhibitions humaines – il y aura bien le spectacle des « Kanaks cannibales », mais il s'agit d'une initiative privée de la Fédération française des anciens coloniaux et, installée à l'autre bout de Paris, au jardin d'acclimatation, elle n'a pas de présence permanente à l'Exposition.

De très rares opposants au projet
L'Exposition gomme les aspects les moins glorieux de la colonisation et donne à voir aux habitants de la France métropolitaine une image joyeuse du lointain empire ; elle suscite peu de critiques. Il y a bien, à l'initiative du Parti communiste, une contre-exposition intitulée La vérité sur les colonies, mais elle n'attire, entre juillet 1931 et février 1932, que 5.000 visiteurs environ. Il y a bien ce tract de 12 surréalistes (dont Eluard, Breton et Aragon), titré « Ne visitez pas l'exposition coloniale », mais il ne rencontre que peu d'échos. Il y a bien cette prise de distance du socialiste Léon Blum, rappelant que « dans l'univers entier les peuples conquis ou soumis commencent à réclamer leur liberté », mais elle n'endigue pas le flot qui se presse dans les pavillons. Pourtant, lorsque les portes de l'Exposition se referment, l'objectif des organisateurs est loin d'être rempli. Dans le bilan qu'il fait un an après la fin de l'événement, le maréchal Lyautey se montre très mesuré : « Si l'Exposition a produit son maximum d'effet et atteint ses buts d'éducation vis-à-vis des masses et surtout de la jeunesse, elle n'a en rien modifié la mentalité des cerveaux adultes, ou ceux des gens en place qui n'étaient pas, par avance, convaincus ». Une nouvelle exposition aura lieu en 1937, mais déjà la guerre est proche. En 1945, l'ambiance est tout autre. En Indochine, en Algérie, les mouvements indépendantistes lancent leurs premières actions qui mèneront à la décolonisation. Pas plus que la conquête coloniale, celle-ci ne fera consensus au sein du peuple français. Les débats houleux qui, au fil des décennies, accompagneront les vies successives du Palais de la porte Dorée – musée permanent des colonies jusqu'en 1935, rebaptisé musée de la France d'outre-mer, puis musée des Arts d'Afrique et d'Océanie, avant de devenir, en 2007, musée de l'histoire de l'immigration – en témoignent.
Agnès Laurent
Source : L'Express 25 décembre 2015


[1] - Cité in L'Exposition coloniale, de Catherine Hodeir et Michel Pierre (Editions Complexe).

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