mardi 27 septembre 2011

QUAND DJÉNI KOBINA FAISAIT LE LIT D’ALASSANE OUATTARA


L'événement le plus remarqué de la rentrée politique 1994, ce fut incontestablement la conférence de presse de Djéni Kobina annonçant la création du Rassemblement des républicains (RDR). C'était la toute première manifestation publique de ce parti issu d'une branche du PDCI qui, à force de pencher vers l'opposition d'alors, avait fini par y tomber tout à fait.
L'apparition de ce 41e parti dans un paysage politique déjà pléthorique, était en soi une complication que beaucoup auraient aimé éviter, surtout du côté du PDCI, mais probablement pas seulement de ce côté-là. Se voulant « au centre, ni à gauche ni à droite », quoique son discours fût plus proche de celui de la gauche – c'est du moins ce qu'affirmait son fondateur et porte-parole –, le RDR avait donc par nature vocation à chasser sur les deux territoires selon l'occasion, le climat et l'espérance de gibier.
Djeni Kobina n'en faisait d'ailleurs pas mystère : « Nous sommes centristes. Nous sommes dans l'opposition. Nous sommes un parti autonome. Un parti libre. Nous sommes un parti ouvert. Si demain entre certains partis de gauche et le RDR il y a convergence sur l'essentiel, on peut envisager des alliances. Si demain il y a convergence entre le projet de société du PDCI et celui du RDR, on peut envisager là aussi des alliances ».
La concurrence s'annonçait cependant plus rude pour la gauche, en particulier pour le Front populaire ivoirien de Laurent Gbagbo avec lequel le fondateur du RDR fut longtemps en coquetterie avant de se décider à rouler pour son propre compte. A en juger seulement d'après la position sociale et le passé politique des premières recrues et des premiers ralliements, il ne faisait aucun doute que le RDR pencherait plus souvent, et plus volontiers, à droite qu'à gauche ; autrement dit, qu'il serait plus conservateur que progressiste. Pour cette première manifestation de son parti, Djéni Kobina s'était en effet entouré de fort beaux linges : un ancien ministre d'Etat et son épouse, elle aussi ancien ministre ; plusieurs autres anciens membres du gouvernement Alassane Ouattara ; plusieurs membres du bureau politique du PDCI ; une bonne trentaine de députés de ce même parti, toujours en fonction mais qui avaient peut-être de bonnes raisons de croire que le PDCI ne les soutiendrait pas aux élections législatives qui approchaient ; enfin, il y avait le propre frère aîné d'Alassane Ouattara, et cette présence pouvait signifier que l'ancien Premier ministre, alors l'un des adjoints du Directeur général du FMI, n'était pas étranger à l'éclosion du RDR au moment précis où se multipliaient les grandes et les petites manœuvres en vue des batailles électorales de 1995. L'information donnée par Djéni Kobina à ce sujet ne confirmait pas cette impression, mais elle ne l'infirmait pas non plus vraiment : « M. Alassane Ouattara a quitté le PDCI-RDA parce que ses nouvelles fonctions lui imposent une obligation de réserve. L'homme n'est pas membre du RDR. Il est libre de se présenter à une élection présidentielle. S'il demande notre appui, nous le soutiendrons ».
L'entreprise de Djéni Kobina bénéficia-t-elle du soutien de certains personnages phares de la vie politique ivoirienne ? Interrogé sur les rapports de Philippe Yacé, l'ancien dauphin déchu, avec son initiative, Djeni Kobina répondit : « Aucun parti politique ne peut accepter une scission, et donc le président du Conseil économique et social a eu des contacts avec nous ». Réponse un rien perfide, dans laquelle les ennemis de Yacé ne manquèrent pas de voir la preuve de sa collusion avec les fossoyeurs du PDCI. La suite devait d'ailleurs montrer qu'il n'en était pas tout à fait innocent. Certes, ce n'était Yacé lui-même, mais son inamovible directeur de cabinet – j'allais écrire : son Guy Nairay –, le Français Marcel Jacques Gross, qui tirait les ficelles au bout desquelles Djéni Kobina gigotait. Après le lancement réussi du RDR, on retrouvera l'entreprenant Marcel Jacques Gross, avec le titre de… directeur de cabinet associé, dans l'entourage immédiat d'Alassane Ouattara lorsque, en 1998, il fera du RDR son cheval de bataille en vue d'assouvir son rêve de s'emparer de la Côte d'Ivoire. Puis il en disparaîtra sans qu'on sache pourquoi. Puis il réapparaîtra dans le jeu politique ivoirien à l'automne 2010, mais cette fois, comme communiquant au service de la campagne de Laurent Gbagbo ! Entre temps il aurait même joué le rôle de conseiller occulte auprès du général putschiste Robert Guéi.
Cette première manifestation publique n'avait pas levé tous les mystères qui enveloppaient le RDR. Beaucoup de ces mystères tenaient à l'équation personnelle de Djeni Kobina. On doit à feu Bernard Ahua, l'une des plus belles plumes journalistiques de sa génération, ce portrait-épitaphe acidulé du fondateur du RDR : « M. Djeni Kobina fut, plus que quiconque, un homme contrasté et pluriel, au destin souvent marqué par des sinuosités diverses, aux contours qui, parfois, furent qualifiés de compliqués par des hommes et des femmes qui, plus tard, le retrouvèrent dans des conditions qu'ils ne pouvaient alors prévoir. (…) Tout cela avec d'autant plus de mérite que s'il faut parler de courage, le concernant, ce sera sans oublier qu'il n'était pas taillé dans le même bois qu'un Gbagbo Laurent, que les épreuves ont souvent renforcé, alors que celles qu'ils subirent ensemble en 1971-73, provoquèrent chez l'illustre défunt, de profondes angoisses qui ne devaient plus jamais le quitter. Ce qui rend d'autant plus remarquables et touchantes les dernières années de sa vie : comment un homme qui craignait tant de retourner en prison, put-il prendre les risques qu'il prit parfois, à partir de 1990 ? (…) » (Fraternité Matin 28/10/1998). Sous l'élégance des mots, on comprend que le fougueux réformateur de 1994 n'était pas vraiment un foudre de guerre. D'ailleurs, la belle carrière de Djéni Kobina dans la haute fonction publique – en dépit de quelques menues erreurs de jeunesse qui lui valurent la prison et l'enrôlement forcé dans l'armée – le situe clairement comme un houphouétiste bon teint très bien intégré au système. Où donc puisa-t-il l'énergie qui lui permit de défier le pouvoir de Bédié ? Mystère…
Pressé de questions au sujet de ses motivations, l'habile Djéni Kobina s'en tira comme à son habitude par une salve de clichés et de lieux communs : « Le RDR veut participer à la marche pacifique de notre pays vers davantage de démocratie, de liberté, de justice. Afin qu'il se construise dans l'unité et la paix. Le RDR veut rassembler tous ceux qui pensent que la démocratie n'est jamais une donnée immédiate, que sa première condition est d'être inachevée par essence ; et donc qu'elle est toujours à parfaire, qu'elle ne se construit pas nécessairement dans une arène ». Cette dernière phrase était probablement une prise de distance par rapport à une idée, défendue alors notamment par le Parti ivoirien des travailleurs (PIT), à savoir que seule une conférence ou une concertation nationale pouvait permettre d'en finir réellement avec la grave crise politique qui avait éclaté au grand jour en 1990, mais qui en réalité minait la Côte d'Ivoire depuis la fin des années 1970. Mais ce scissionniste, qui n'en était plus à une contradiction près, ne s'en présentait pas moins comme un homme qui ne rêvait que d'« inventer une véritable culture du compromis et du consensus hors desquels aucune démocratie ne peut être viable ».
Durant sa conférence de presse, le fondateur apparent du RDR n'eut pas un mot pour évoquer les plaies qui rongeaient la société ivoirienne : l'insécurité généralisée, l'inefficacité d'une police gangrenée par la corruption et les sottes rivalités de ses différents services, la grande misère du système de santé, les évolutions dangereuses que connaissaient les forces armées depuis les mutineries de 1990, la déliquescence du système éducatif. A quoi s'ajoutaient les ravages du SIDA, du paludisme, etc.… Le président Bédié venait, il est vrai, de promettre un nouveau miracle économique. Mais, pour le croire il fallait une grande confiance dans sa sincérité et/ou dans ses capacités, et ce n'était pas précisément ce qui caractérisait Djéni Kobina et ses associés.
Le RDR avait-il vraiment un projet de société opposable à celui du PDCI alors au pouvoir ? Pour autant que ce dernier en eût jamais eu, évidemment ; car, quoi qu'on pense d'Houphouët, de ses ministres et de ses préfets, quand on voit les effets de trente-trois ans d'houphouétisme absolu sur le tissu social de la Côte d'Ivoire, il est difficile de croire qu'ils l'ont fait d'après un plan bien arrêté ! Questionné à ce sujet, Djéni Kobina répondit que le projet de société du RDR était en cours d'élaboration. Réponse surprenante ! C'est que cela faisait cinq pleines années déjà qu'on savait que le projet de société de Djéni Kobina était en chantier ! Dès le mois de juin 1990, c'est-à-dire au moment précis où Houphouët décidait de reprendre l'initiative après sa longue bouderie consécutive au Printemps ivoirien, dans son fameux « Appel à la rénovation du PDCI-RDA » – lancé avec la bénédiction d'Houphouët ; car, décidément, il n'y a pas de hasard ! –, Djeni Kobina écrivait : « Le groupe [des rénovateurs] conscient de l'importante responsabilité dont il vient d'être investi, travaille quotidiennement pour [entre autres tâches urgentes] élaborer un projet de société ». Et voici que, cinq années plus tard, l'élaboration n'en était pas encore terminée ! Fallait-il en conclure que, à l'instar de Pénélope, Djéni Kobina défaisait la nuit ce qu'il élaborait le jour ? Ou bien était-ce tout simplement parce qu'il n'avait rien à reprocher au bilan social d'Houphouët ? Il suffisait de constater la prospérité des premiers adhérents du RDR pour deviner la bonne réponse.
Aujourd'hui, il n'est plus possible d'ignorer que la création du RDR faisait partie d'une vaste conspiration dont l'objectif final, atteint le 11 avril 2011, était la forclusion des citoyens naturels de la Côte d'Ivoire ! Le premier acte de cette conspiration avait eu lieu le 7 décembre 1993, lorsque Ouattara tenta de s'emparer frauduleusement du pouvoir devenu vacant après l'annonce du décès de Félix Houphouët. Cette première entreprise fut la brèche par laquelle le ver de la trahison entra et s'installa peu à peu dans le fruit jusqu'à l'envahir complètement. Tous les drames que la Côte d'Ivoire et les Ivoiriens ont vécus depuis 1999 ont leur origine dans ce premier attentat inabouti, mais qui resta impuni. Le coup d'Etat du général Guéi, comme la tentative avortée de la nuit du 18 au 19 septembre 2002, ne visaient qu'un seul objectif : livrer la Côte d'Ivoire et les Ivoiriens poings et pieds liés aux néocolonialistes français dissimulés, aujourd'hui, derrière le masque d'Alassane Ouattara comme ils l'étaient, hier, derrière celui de Félix Houphouët.
Marcel AMONDJI (27 septembre 2011)

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