vendredi 23 septembre 2011

"Lors du dernier congrès du Pdci-Rda, j'avais indiqué que nous n'avions pas d'armée..."

LA DERNIERE INTERVIEW DU GÉNÉRAL BERTIN ZÉZÉ BAROUAN, ANCIEN CHEF D'ETAT-MAJOR DES FORCES NATIONALES DE CÔTE D'IVOIRE (1979-1987).
Le soir du 22 septembre 2002, soit trois jours après le début du coup d'Etat le plus long de toute l'histoire (2002-2011), le général Barouan, un ancien chef d'état-major des Fanci, lançait un appel à la résistance en direction des officiers, sous-officiers et soldats loyalistes. Puis il regagna sa retraite discrète et silencieuse de Daloa, jusqu’à cet entretien qu'il accorda en 2003, quatre ans avant son décès, au journal "Le Front", où il se prononce sans langue de bois sur la situation politique du pays et sur l'état de son armée. 
Le Front : mon général, ainsi donc vous n’êtes pas mort comme l’ont prétendu des mauvaises rumeurs, Dieu soit loué !
Vous le voyez vous-même, je ne suis pas mort, je suis virant. Puisque vous me posez des questions.
Votre dernière apparition publique remonte à septembre 2002. Presque un an jour pour jour, on vous annoncé officiellement à la tête des opérations militaires des Fanci,, quelques jours après l’insurrection armée du 19 septembre. Comment en êtes-vous arrivé là, mon général ?
Le ministre de la Défense nous a convoqués le 22 septembre à son bureau avec tous les officiers. C'est à ce titre-là que j’ai été au ministère de la Défense. Et comme j’étais le plus ancien dans le grade le plus élevé, j'ai donc eu l'honneur de prendre la parole au nom de tous les officiers. Ce qui m'a amené a présenter le bataillon de commandement et du service (BCS) au ministre de la Défense d'alors. Voilà.
Comment expliquez-vous cette présence aux côtés des Fanci alors que Doué Mathias, généra/ chef d’état-major en service n'était pas disqualifié ?
II y a deux choses différentes qu'il faut absolument dissocier. Il y a l’état-major des Forces armées dont le chef est le général Doué. Et puis, il y a le ministère de la Défense. Nous faisons, nous, partie des effectifs du ministère de la Défense. C'est à ce titre que le ministre nous a convoqués.
Beaucoup ont pourtant vu dans votre réflexe, celui d'un grand frère qui venait  « sauver »  son petit frère de la même tribu. Etait-ce cela le sens de votre démarche ?
Je dis qu'il ne faut pas extrapoler. Le ministre de la Défense nous a convoqués pour peut-être nous présenter la situation telle qu'elle était. Pour que certainement chacun donne ce qu'il pense de la situation. Et donc nous avons pris un certain nombre de résolutions que nous avons soumises au ministre. Notre rôle s'arrête là, au niveau du ministère. C'est le ministre qui prend les décisions. S'il voulait prendre des officiers à la retraite pour les mettre quelque part, il l'aurait fait. Mais tel n'a pas été le cas.
Au niveau précis dont vous parlez, qu’avez-vous fait concrètement pour l’armée régulière ?
Voyons, je répète que je n'étais pas à !a tête des Farci. Ne mélangeons pas les choses. Je vous ai situé le ministère de la Défense dont nous faisons partie par rapport à l'état-major qui est à part. A notre niveau, lorsque le ministre nous a présenté la situation, nous avons fait une déclaration de soutien aux forces armées de notre pays, au ministre de la Défense, et au président de la République. Cela n'a rien à voir avec le commandement de l'armée. Pour être là-bas, il faudra que te ministre me rappelle et qu'il me sorte tes effectifs des réservistes. Mais tel n'a pas été le cas. Nous avons fait cette déclaration pour marquer notre soutien aux forces armées et leur dire que nous étions prêts à tout moment pour tout ce que déciderait le ministre de fa Défense. Notre intention s'arrête là.
Connaissez-vous les colonels Bakayoko, Michel Gueu et autres soldats Tuo Fozié, Chérif Ousmane... ?
il y a parmi ces militaires, des officiers que j'ai bien appréciés, tels que Michel Gueu. Beaucoup de ces officiers sont de ma formation. Vous savez, la politique a gagné l'armée. Depuis un certain moment des militaires prennent position dans des débats politiques. Ceux-là étaient au nord, où ils étaient facilement touchables. Est-ce que le bureau de suivi et de sécurité militaire de l'état-major marchait ? On devrait dénombrer ceux qui sont avec tel ou tel politicien pour prendre en conséquence des dispositions. Ceux-là étaient au nord. Peut-être ont-ils été touchés plutôt là-bas et certains d'entre eux tués Ceux qui n'ont pas voulu se faire tuer, sont passés du côte de la rébellion. Ce qui est possible. Mais, je ne peux pas dire moi, pourquoi tel est passé là-bas et tel autre n'est pas venu ici. II y en a d'autres qui ont pris le fuite pour venir par ici. Chacun a ses raisons. Je pense que c'est à ces officiers que la question revient : « Vous étiez ici, pourquoi est-ce que vous êtes passés de l'autre côté ? Demain vous serez rappelés dans les Fanci, qu’elle est votre position ? » C'est a cette interrogation qu'ils doivent répondre.
En tant que doyen des Forces armées ivoiriennes, pensez-vous que votre réaction du 22 septembre 2002 était appropriée ? Cette guerre était réellement la vôtre ?
il y a des choses qu'il convient de savoir et j’insiste : il faut dépolitiser l’armée. Ce sont les hommes politiques qui ont orchestré tout ce que nous vivons. L'armée doit être une armée du peuple, pour le peuple et non contre le peuple. Nous avons tous juré à la sortie des écoles. Celui qui vient prendre une position contre son pays a peut-être ses raisons. Des raisons qui ne sont certainement pas militaires, mais politiques. Je condamne fermement quelles que soient les raisons, la rébellion. Je la condamne parce que ce n'est pas normal et ce n'est pas acceptable dans ce pays. J'ai passé neuf ans à la tête de l'armée en qualité de chef d'état-major. Il y a eu des tentatives de complot, plusieurs tentatives que nous avions réussi à tuer dans l'œuf. On n'a pas dit qu'il n'y a jamais eu de complots au temps d’Houphouët-Boigny. Il y en a eu bel et bien, qui ont été étouffés parce que nous étions renseignés. Je m'interrogeais tantôt si le bureau de sécurité militaire était vraiment en action pour signaler ce genre de choses-là ? Donc moi, personnellement, je condamne. C'est pourquoi au premier appel du ministre je suis allé à Abidjan. Je ne peux pas accepter qu'on soit officier et qu'on se mette contre son pays. Même quand on constate qu'il y a quelque chose qui ne va pas, on le dit à son chef d'état-major On ne doit pas taper sur le dos de notre pays. Ce n'est pas bien.
Vous accusez la classe politique d'avoir politisé l'armée. A qui vous faites allusion et comment pensez-vous que cela a-t-il été possible ?
Je dis que ce sont les politiciens qui ont politisé notre armée. Tous les hommes politiques, sans exclusive. Vous savez bien que certains militaires sont partis avec tel ou tel politicien, tout de même. Vous êtes un Ivoirien non ? Ils se sont partagé les officiers dans les différents partis politiques que nous connaissons. J'ai déjà accusé tout le monde dans le temps, à travers la presse.
Et comment appréciez-vous /'évolution de la situation socio-politique depuis les années 90 jusqu'à cette crise ?
J'apprécie hautement les gestes de la population ivoirienne qui a armé ses forces militaires dans cette crise. On dit : « à quelque chose malheur est bon ». En temps de paix on n'aurait pas vu ça. Aujourd'hui, notre armée a les moyens de la politique de son pays, je l'affirme et je le confirme. Les populations ont donné beaucoup d'argent et il y a eu beaucoup d'achats de matériels de guerre. Je me dois de féliciter hautement ces populations qui ont donné les moyens de faire la politique du peuple ivoirien. Je leur rends hommage. Ce que je tiens à souligner, c'est que depuis quelques années, il y avait déjà une dégradation au sein des forces armées qui a conduit à cette situation. Une dégradation qui a abouti au coup d'Etat de 1999. Et ce coup d'Etat a provoqué ce qui est arrivé en septembre dernier. Parce que le général Guéi avait formé des gens en dehors de l'armée et ces hommes ont demandé a être réintégrés. C'est là le nœud au problème, parce qu'on n'a pas voulu certainement satisfaire à cela. Et c'est ce problème d'intégration dans la l'armée que les politiciens ont récupéré. Vous n'êtes pas sans le savoir vous, journaliste.
Vous n'êtes pas non plus sans savoir, mon général, qu’il y a eu dans ce pays, des décisions politico-judiciaires qui ont été beaucoup décriées par l’opinion nationale et internationale, et qui ont fragilisé l’unité nationale ?
Si vous voulez, je parle d'une situation qui me concerne. C'est-à-dire la situation de l'armée. Il y a même des politiciens qui ont exprimé ouvertement leur satisfaction devant ce qui est arrivé à la Cote d'Ivoire. Je peux citer nommément par exemple Alassane Dramane Ouattara qui, depuis Paris, déclarait qu'il était content de ce qui se passe et qu'il en est le patron. J’avais déjà dénoncé que Ado était le premier ennemi de la Côte d'Ivoire. Il vient de le confirmer par cette réaction.
Vous avez au moins une idée des accords de Marcoussis. Qu'en pensez-vous ?
Je suis à Daloa. Toute réunion qui concerne cette ville et qui ne se tient pas ici, je n'y assiste pas. S'il y a une réunion qui concerne Daloa, on doit la tenir à Daloa et non ailleurs. Pour permettre aux concernés de suivre et de comprendre. C'est le cas de Marcoussis. Une décision qui est prise en dehors de mon pays, rien que sur ce plan, je ne la considère pas. Marcoussis ou pas, une décision qui concerne la Côte d'Ivoire, doit se prendre ici, pour que les Ivoiriens suivent. Mais toute décision conçue dans un autre pays, et qu'on veut appliquer à la Côte d'Ivoire est difficile à accepter. C'est en cela que Marcoussis ne m'intéresse pas.
Marcoussis a été pourtant conçu avec la participation de toutes les forces politiques de la Côte d'Ivoire, au cours d'une table ronde ?
Quand on va ailleurs pour des réunions, on n'a pas la même âme que quand on se réunit chez soi. Vous êtes Ivoirien et vous parlez comme ça (ton élevé) j'ai participé à plusieurs réunions, je sais donc de quoi je parle. Vous ne voyez pas comment Gbagbo parle ? Quand il est ici, il a une âme, mais ailleurs il n'a pas la même âme.
Au-delà de cette considération, quelle analyse faites-vous, 7 mois après la signature des accords de Marcoussis ? Les choses piétinent...
Il y avait une position de la constitution par rapport à Marcoussis. Vous saviez qu'il allait y avoir problème. Gbagbo une fois de retour chez lui, ici, en Côte d'Ivoire, ne pouvait que s'intégrer dans la constitution, ce pourquoi il est président de la République. Vous oubliez ça ? Puisqu'ils n'ont pas réussi a te renverser et à supprimer la constitution. C'était ça leur ambition. Tuer Gbagbo et placer quelqu'un pour préparer les élections. Ils sont passé à côté et lui s'est installé dans sa constitution ; parce qu'il y a des choses contraires à la Constitution dans cette démarche. Alors, que vouliez-vous qu'il choisisse ? Marcoussis à la place de la constitution ? A Paris, il ne leur a pas signifié que tel ou tel point était contraire à la constitution de la Côte d'ivoire. II le savait bien mais n'a rien dit. Puisque le président veut la paix, i! a dit que Marcoussis est un médicament qu'il faille essayer pour voir. Si dans la marche de Marcoussis, l'Etat de Côte d'Ivoire ne le refuse pas, si ça ne rencontre pas de difficultés quelque part, tant mieux. On a essayé le médicament et on a eu la diarrhée. Les difficultés, qu'est-ce que c'est ? Cela veut dire, simplement voir si dans l'application de cet accord, on ne blesse pas la constitution, ni Marcoussis lui-même.
Connaissez-vous le général Ouassénan Koné ? Que retenez-vous de lui, en bien, en mal ?
Voyez-vous, je ne critique pas un ami. II a été deux fois ministre de la Sécurité, il a été commandant supérieur de la gendarmerie. Ce sont les chefs qui l'ont nommé à ces postes, qui l'ont apprécié. Mais moi, je ne suis pas là pour le critiquer.
Oui mais le contexte actuel devait vous amener à le faire, parce que Ouassénan a été proposé par les signataires de Marcoussis au poste de ministre de la Défense. Une proposition à laquelle le président Gbagbo fait objection.
On a proposé beaucoup. Je ne connais pas les conditions d'acceptation, ni les critères de choix. C'est le président de la République qui sait et qui peut accepter telle ou telle personnalité. Il y a plusieurs autres personnalités qu'on a proposées dont vous n'avez pas entendu les noms. Je ne sais pas si l'on fait exprès. Quand Ouassénan dit que c'est lui qui a conduit les opérations à Gagnoa dans l'affaire du Guébié, le président de la République qui est un fils de Gagnoa peut-il accepter de lui confier la gestion de l'armée ? Soyons sérieux quand même. Lui-même a déclaré sur les journaux qu'il était à la tête des opérations de Gagnoa. Comment voulez-vous que Gbagbo puisse accepter de nommer ce dernier au ministère de la Défense ? Soyons raisonnables. Est-ce que devant une telle histoire encore fraîche, on peut te nommer ministre de la Défense ? En plus Ouassénan a frappé un ministre dans son bureau. Ce sont des actes qui militent en sa défaveur. Peut-être, si Gbagbo n'était pas à la tête du pouvoir. Vous voyez bien que c'est clair. Le président lui-même l'a dit, il ne portera jamais sa signature au bas d'une telle décision. Allez donc lui poser la question pourquoi il ne veut pas de Ouassénan.
Votre regard critique d’ancien chef d’état-major sur la  prestation des Fanci pendant cette guerre, cette grande première, mon général ?
Nous les généraux qui avons assuré les hautes fonctions militaires, avons du mal à voir l'armée se dégrader. Je suis déjà intervenu personnellement là-dessus. Mais du temps de Bédié, je faisais partie de la commission défense, sécurité et droits de l'homme lors du dernier congrès du Pdci-Rda. J'avais indiqué que nous n'avions pas d'armée. Les gens qui étaient dans la commission ont tressailli. Ils se demandaient ce qui se passe, pourquoi donc l'armée n'évoluait pas. Les militaires couchent en ville et non au camp, il y a un désordre inouï. J'en ai parlé au chef. C'était mon devoir de le faire. Mais on me répondait : « on verra ça, on verra ça ». Au début même de mon commandement, j'ai demandé que les militaires soient reçus dans les casernes. On m'a rétorqué que s'ils sont dans les casernes, ils feront des complots. Oubliant qu'en ville, les militaires sont plus en contact permanent avec le monde politique. Le résultat c'est cela, c'est ce que nous connaissons aujourd'hui. Mettre les militaires dans les quartiers, c'est le résultat que nous connaissons avec cette guerre.
Vous continuez de réclamer cette condition, celle d’encaserner le soldat plutôt que de le laisser loger en ville ?
Absolument, oui. Si demain le président me demande, je réitérerai ma position. II faut que les militaires aillent dans les casernes. Célibataires, mariés, officiers, tous peuvent loger dans les casernes. Il y a un service de sécurité militaire dans l'armée : c'est-à-dire le renseignement qui surveille le comportement des militaires entre eux-mêmes et leur comportement à l’égard des civils.
Entretien réalisé à Daloa par L. Athanase Sakré (Le Front 30 août 2003)

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