L’empêchement
de la tenue de la deuxième session 2011 du Parlement, organisé par le régime du
coup d’Etat du 11 avril, avec la complicité du president de cette institution
lui-même, a été l’occasion pour Marthe Agoh, la première vice-présidente de
l’Assemblée nationale, de sortir de sa réserve pour nous livrer quelques
vérités sur la conception pour le moins égocentrique que Mamadou Koulibaly
avait de sa fonction et sur les bizarreries de son comportement depuis la
tentative de putsch du 19 septembre 2002. Ce sont apparamment des informations
qu’elle détient depuis longtemps ; mais une sorte d’omerta de parti l’avait
retenue jusqu’ici de les livrer au public. On peut regretter que cela vienne si
tard, et alors que ce faux type a déjà leurré tant de gens notamment au sein du
Fpi… Mais ne dit-on pas qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire ? Il faut remercier
cette élue courageuse et désintéressée de cette action citoyenne exemplaire.
Marthe
Agoh s’est confiée à “Notre Voie”.
Ecoutons-la.
le CVBB
“Mamadou Koulibaly a trahi le peuple ivoirien”
Une interview de Marthe Amon Agoh, première vice-présidente
de l’Assemblée nationale.
Notre Voie : Madame la première vice-présidente, les
Ivoiriens ont été surpris de voir la semaine dernière que les portes de
l’Assemblée nationale ont été fermées aux députés au moment où vous alliez à
l’ouverture de la 2ème session ordinaire de l’année. Qu’est-ce qui s’est passé
?
Marthe Amon Agoh
: En terme de surprise, je suis la première à être véritablement surprise. Je
ne pouvais jamais m’imaginer un tel scénario. Je ne sais si on a déjà vu à
travers l’humanité, le président d’une institution mettre fin au fonctionnement
de cette institution de cette manière-là. Je pourrais qualifier cela
d’infanticide. C`est-à-dire, quelqu’un qui tue son propre enfant. C’est ce qui
s’est passé. C’est pourquoi j’ai immédiatement fait une conférence de presse
pour prendre le peuple que nous représentons à témoin. Mais également pour
prendre à témoin tous les peuples du monde assoiffés de démocratie.
N.V. : Qu’est-ce qui s’est passé pour qu’on en arrive
à cette situation ?
M.A.A. : Je ne
sais vraiment pas ce qui a pu conduire à cette situation, parce que les choses
se sont passées comme elles ont l’habitude de se passer dans cette assemblée
nationale. Mamadou Koulibaly a été très souvent absent aux activités de
l’assemblée nationale. Pour la petite histoire, les journalistes se sont
souvent demandé « où est passé Mamadou Koulibaly ». Et je l’ai toujours suppléé
comme le disent nos textes. Ce n’est donc pas nouveau ce qui s’est passé. C’est
même l’absence de Koulibaly qui était devenue la règle dans cette assemblée, si
je peux ainsi le dire. Dans la deuxième république, il a été prévu un président
et un 1er vice-président de l’assemblée nationale. Ceci justement pour suppléer le président en cas
d’absence. Et dans le règlement de l’assemblée nationale, je le supplée dans
toutes ses fonctions. J’assume même aussi la vacance du pouvoir au cas où le
président ne peut pas le faire pour diverses raisons. Et cela est écrit dans la
constitution. Cela dit, tous les textes précisent que c’est bien le président
qui convoque toutes les plénières, puisqu’il est le chef de l’administration.
Et moi je le seconde. Et donc quand il n’est pas là, je le remplace. Et très
souvent, je suis prise de court puisqu’il ne me prévient même pas de son
absence. Et c’est fréquent. Et c’est toujours comme ça que Koulibaly a
fonctionné avec moi. J’ai fini par m’habituer. Donc je prends toujours mes
précautions. Je ne sais pas ce que Koulibaly recherchait, mais c’est comme ça
qu’il fonctionnait avec moi. C’est dire que je ne suis pas surprise. Pour tout
dire, les choses se sont passées la fois dernière comme elles se passent depuis
toujours.
N.V : C’est-à-dire…
M.A.A.:
L’article 62 dit que chaque année, l’Assemblée nationale se réunit de plein
droit en deux sessions ordinaires. Je dis bien de plein droit ! La première session
s’ouvre le dernier mercredi du mois d’avril. Donc pour cette année, elle devrait s’ouvrir le 27 avril 2011. La
deuxième session commence le premier mercredi du mois d’octobre. Donc c’était
bien le 5 octobre dernier. Ces deux sessions sont obligatoires et tout député
digne de ce nom doit s’y conformer. Vous remarquerez que l’Assemblée nationale
est la seul institution pour laquelle la constitution a pris la précaution de
fixer la date de l’ouverture des sessions. Même les dates des conseils de
ministres ne sont pas fixées par la constitution. Pour l’Assemblée nationale,
les dates sont fixées par la constitution. Et au risque de me répéter, la
constitution dit bien que l’assemblée nationale se réunit de plein droit.
N.V. : Qu’est-ce que cela veut dire ?
M.A.A.: Cela
veut dire que l’Assemblée se réunit obligatoirement à ces deux dates. Les députés
n’ont pas le choix. Et cela s’impose à tout citoyen, y compris le président de
la République. Une fois qu’on est en dehors de ces deux dates, si on convoque
les députés, c’est une session extraordinaire. Et c’est une procédure
particulière qui est aussi réglée par la constitution. Cela veut dire qu’en
dehors de ces deux sessions vous ne pouvez pas donner du travail aux députés si
ce n’est en session extraordinaire.
N.V. : Alors comment se préparent les sessions quand
ces dates constitutionnelles arrivent ?
M.A.A.: Pour
voir le fonctionnement de l’assemblée nationale, il faut s’en référer au
règlement administratif. Nous sommes des grands responsables. Quand on vous
confie une mission, c’est à vous de vous organiser pour remplir au mieux cette
mission. Vous mettez alors en place des règles de fonctionnement. C’est ce
qu’on appelle le règlement intérieur. Le règlement intérieur de l’Assemblée
indique donc que c’est le bureau de l’Assemblée nationale, composé du président
de l’assemblée, du 1er vice-président, des autres vice-présidents et des
questeurs qui, assisté du secrétaire général nommé par le président, prépare
les travaux de l’Assemblée. Le bureau se réunit deux fois dans le mois. Et donc
quand approchent les dates constitutionnelles, c’est le secrétaire général qui
attire l’attention du président. C’est alors que le président et le 1er
vice-président, assistés du secrétaire général, préparent l’ordre du jour et
convoquent la réunion du bureau de l’assemblée en vue de la préparation des
travaux de la session. Il est écrit clairement dans nos textes que j’assiste le
président dans la préparation des réunions. Mais Koulibaly n’a jamais voulu que
je l’assiste bien que cela soit écrit noir sur blanc. C’est un vieux débat
sur lequel je ne reviens pas. Il dit qu’il
aime travailler seul. Donc en réalité, on ne s’est jamais mis à trois pour
préparer les réunions. C’est peut-être pour cela aussi qu’il ne m’a jamais
prévenu de son absence. Je pense même que s’il avait la possibilité de se faire
suppléer par le secrétaire général pour présider les travaux des sessions, il
l’aurait fait. Mais hélas ! La constitution ne l’y autorise pas. Et donc j’ai
pris l’habitude d’interpeler moi-même le secrétaire général quand les dates
arrivent pour savoir si le président sera là ou pas. Parce que si je suis
surprise et que je ne suis pas préparée, c’est moi qui risque de prendre la
honte. Cette année, en avril, malgré les coups de canon, j’ai pris mes
responsabilités pour voir s’il y avait quelqu’un à l’assemblée. J’ai cherché le
président Koulibaly en vain. J’ai donc envoyé mon chef de cabinet voir le
directeur de cabinet du président de l’Assemblée. Celui-ci a dit qu’il ne
savait pas où se trouvait Koulibaly. Nous étions donc dans ces démarches quand
je vois dans Fraternité Matin que le président Koulibaly a tenu une conférence
de président sans m’y convier. Et à la sortie de cette conférence, il déclare
avoir invité le président nouvellement installé à la tête du pays à l’ouverture
de la première session.
N.V. : Que s’est-il passé ensuite ?
A.A.M : Le jour
de l’ouverture de la session, je me suis apprêtée comme tout député pour m’y
rendre en dépit du fait je n’avais pas vu de communiqué convoquant les députés.
Et mon personnel qui m’avait devancé m’appelle pour me dire qu’ils ont vu
seulement quelques députés, mais pas le président de l’Assemblée. Et comme je
ne peux pas l’avoir au téléphone. Je précise que depuis plus d’un an, Koulibaly
ne m’a jamais appelé au téléphone et il ne m’a jamais prise au téléphone. Je
travaille avec lui à travers son personnel et le secrétaire général. Donc ce
n’est pas nouveau. Toute la journée on est resté là sans nouvelle de Koulibaly
et la session n’a pas été ouverte. J’avoue que jusqu’à présent, je n’en connais
pas les raisons.
N.V. : Lui avez-vous posé la question ?
M.A.A.: Mais je
vous dis que je n’ai pu avoir Koulibaly au téléphone. Je n’ai pas de contact
personnel avec le président de l’Assemblée nationale.
N.V. : Vraiment ?
M.A.A.: Mais
c’est pourtant la réalité hélas ! Koulibaly communique avec moi à travers le
secrétaire général ou le directeur de cabinet. Mais depuis près d’un mois, je
n’arrive pas à avoir même le secrétaire général. Quelquefois quand je l’ai, il
me dit qu’il est au village aux funérailles, et quand il vient il ne me rappelle
pas. Donc j’ai pris des précautions. Donc, le jour de l’ouverture de session,
je me suis préparée comme tout député pour me rendre à l’ouverture de la
session. Mais tout en me préparant aussi psychologiquement à le relayer en
sachant que s’il n’est pas là c’est moi. Mais mon chef de cabinet qui m’a
devancée m’a dit qu’il a vu la voiture du président. J’étais donc toute
heureuse à l’idée que je n’aurais rien à faire puisqu’il allait présider
lui-même l’ouverture. Du moins je le pensais sincèrement. Et donc j’arrive et
j’appelle dans son bureau pour savoir voir s’il est vraiment là, sa secrétaire
me dit qu’il n’est pas là. Surprise ! On me dit qu’il est là mais il est caché
dans une autre salle. Mais on empêche les gens d’accéder à lui. Pour moi il n’est pas là, c’est tout ! Je
prends donc les dispositions pour le suppléer comme d’habitude. C’est à ce
moment que j’apprends que l’hémicycle est fermé. Je dis comme ça : l’hémicycle
est fermé ? Je demande qu’on appelle le secrétaire général, il n’est pas là non
plus. Je dis donc : fouillez-moi tout le bâtiment et appelez-moi le personnel
que vous trouverez en place. C’est comme ça deux membres du personnel sont venus
me voir. Je leur dis, vous savez qu’aujourd’hui c’est l’ouverture de la session
ordinaire. Le président de l’Assemblée n’est pas là. Et quand il n’est pas là
c’est moi qui le remplace. C’est alors que Mme Diaby a pris la parole pour dire
que certaines personnes ont pris l’habitude de tenir des réunions à l’Assemblée
sans demander l’autorisation. C’est ce qu’elle a expliqué au secrétaire général
et celui-ci lui a donné l’ordre de fermer l’hémicycle et de ne pas l’ouvrir
tant lui n’a pas donné l’ordre de le faire.
N.V. : Le président de Koulibaly savait que ce jour-là
l’ouverture solennelle de la 2ème session aurait lieu ?
M.A.A.: Mais il
savait très bien, après toutes les démarches que j’ai faites et dont j’ai parlé
plus haut.
N.V. : Mais le président Koulibaly parle de vice de
procédure.
M.A.A.: Je suis
désolée, il n’y a pas eu de vice de procédure. Demandez-lui à quel niveau la
procédure a été viciée. Qu’il vous montre le texte qui subordonne l’ouverture
de la session à la tenue de la réunion de la conférence des présidents. Les
textes sont là sous mes yeux. La conférence des présidents prépare seulement
les travaux de la session. Et surtout posez-lui la question de savoir qui
convoque cette conférence des président qui, pour lui, doit être préalable à
l’ouverture. Les textes disent bien que c’est lui qui doit la convoquer. Alors
s’il sait que la conférence des présidents est préalable à l’ouverture de la
session, pourquoi ne l’a-t-il pas convoquée alors que la date butoir de
l’ouverture de la session était arrivée ? En réalité la conférence des
présidents établit seulement le programme de la session. Mais cela peut se
faire après l’ouverture de la session dont la date est incompressible. On peut
ouvrir la session et après convoquer la conférence des présidents pour établir
l’ordre du jour. Ça ne peut pas empêcher la tenue de l’ouverture de la session.
Donc ce qu’il dit est faux. La date de l’ouverture est constitutionnelle. Tant
qu’elle n’a pas eu lieu, les députés ne peuvent pas travailler. C’est comme
l’année académique à l’université. Tant qu’on n’a pas ouvert l’année
académique, les professeurs ne peuvent pas programmer d’examen. En dehors de l’année
académique, tout examen n’est pas valable.
N.V. : Quelle analyse faites-vous de cette situation ?
M.A.A. :
L’infraction est tellement grave que je ne trouve pas de mot pour la qualifier.
Sans constitution, notre pays n’existe pas en tant qu’organisation juridique.
C`est-à-dire qu’il n’y a pas d’Etat. Or si nous sommes d’accord qu’un peuple
sur un territoire donné s’organise avec des règles, la constitution est la loi
fondamentale. C’est la constitution qui définit la forme de gouvernement pour un
pays. Notre constitution dit que l’Etat de Côte d’ivoire est une République
indépendante et souveraine. Vous savez que tous les Etats ne sont pas des
Républiques. Donc si tu paralyses l’assemblée nationale, tu fais un Etat
manchot. Ce n’est plus une république. C’est ce que Mamadou Koulibaly vient de
faire. L’Etat de Côte d’Ivoire est amputé d’un de ses moyens d’expression.
C’est vous dire la gravité de l’acte de Mamadou Koulibaly. Le président de la
république est le détenteur exclusif du pouvoir exécutif. Et le parlement
légifère. C’est-à-dire qu’il vote les lois qui doivent permettre au président
de gouverner. C’est une précaution très importante pour l’équilibre et
l’harmonie de la société. Pour que une fois élu, le président ne prenne pas
le peuple en otage en faisant ce qu’il veut. C’est la situation dans laquelle Koulibaly a mis le peuple de Côte
d’Ivoire en paralysant l’Assemblée nationale. C’est une trahison qui ne dit pas son nom.
N.V. : Mais dans l’entendement du président Koulibaly,
l’Assemblée n’est pas dissoute puisqu’il revendique encore le statut du n°2 du
régime…
M.A.A.: Mais on
ne l’a pas élu pour ça. C’est ça la plaie de l’Afrique. C’est cela la plaie de
nos intellectuels. Ils courent toujours après les positionnements personnels.
L’Afrique est malade pour cela, elle est soumise à l’Occident pour tout ça. Ils
sont très, très égoïstes et méchants. Parce qu’ils ne pensent qu’à eux. Mais le
pouvoir est un service. Il cherche un intérim conformément à la constitution.
Mais lui-même il ne respecte pas la constitution. La même constitution te dit
que tu dois ouvrir la session ordinaire à une date précise. Et tu ne l’as pas
ouverte. Est-ce que tu existes en tant président de l’Assemblée pour être
intérimaire du chef de l’Etat ? Tu te prévaux du grade de président de l’Assemblée
et tu fermes l’hémicycle. Or l’Assemblée a
un rôle à jouer. Sa mission principale ce n’est pas l’intérim. Moi aussi la
constitution fait de moi aussi l’intérimaire au cas où. Mais ce n’est pas là
l’essentiel. Le parlement doit être le gardien du pouvoir exécutif. C’est comme
ça que nous avons fait échouer Marcoussis qui était un complot contre l’Etat de
Côte d’Ivoire. Ce n’est pas pour rien que le GTI proposait la dissolution de
l’Assemblée. C’est parce qu’elle était un frein à la réalisation du complot
contre la Côte d’Ivoire. En réalité, c’est le coup d’Etat de 2002 que Koulibaly
vient de parachever en paralysant l’assemblée nationale. Pour moi il en est un
des acteurs. Il y en a qui étaient chargés de démolir l’exécutif. Neutraliser
le président de la République, le tuer s’il faut. Ils n’ont pas pu le tuer, ils
ont réussi à le mettre en prison. Et comme pour les députés, on ne peut pas le
faire, Koulibaly a été chargé de neutraliser l’Assemblée dont il est le
président. C’est une haute trahison du peuple de Côte d’Ivoire. Moi je n’ai
jamais pensé que Koulibaly pouvait en arriver là. Et vous voyez qu’il ne nie
pas d’avoir fait fermer l’hémicycle, il tente plutôt de se justifier. En
parlant de la conférence de président. Si tel est le cas, pourquoi il n’a pas
ouvert en avril alors qu’il a tenu la conférence des présidents ?
Interview réalisée par Boga Sivori pour Notre Voie.
(source :
abidjan.net 12/10/2011)
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