L’hommage de Michel Koffi au professeur Séry Bailly
Séry Bailly (1948-2018) |
Dimanche, dans le calme du soir, le professeur Séry
Bailly, membre de l’Académie ivoirienne, Ascad, est mort pour entrer dans
l’immortalité.
« La mort nous vide d’une tête
pleine ». Ces mots ne sont pas de moi, je les ai
volés au détour d’une conversation à un confrère, Bledson Mathieu. Comme c’est
si bien dit. Je ne dirai pas, dans cet hommage, le brillant universitaire, si
riche de son savoir qu’il aimait tant à partager, à faire partager (voir texte
de Josué Guébo), toujours disponible, avec les autres. Avec lui, point de
superlatif. C’était un intellectuel de haut vol, dont la mort qui nous a
foudroyés en ce dimanche du 2 décembre, n’est pas sans rappeler celles de Memel
Fotê, (Anthropologie esthétique), Wondji Christophe (Histoire africaine) …et
tout près de nous, de Bernard Zadi Zaourou (stylisticien, poète, dramaturge)
qui l’ont initié aux choses de ce monde.
Sa mort, ce n’est guère dans le sens d’un
départ attendu auquel on refusait d’y croire, parce que tous, nous savions le
Maître Zadi malade, très malade, tout comme les premiers cités, mais cette mort
inattendue du Pr Séry Bailly – rien n’indiquait un quelconque signe, mais c’est
cela aussi la mort, imprévisible ! – annonçait aussi le départ inattendu
de celui dont on aurait tant voulu bénéficier de ses savoirs. Il n’avait que 70
ans ! Et il prolongeait en quelque sorte l’héritage des anciens, du Cercle
des poètes disparus. C’est un des derniers géants de la
Faculté des Lettres de l’Université d’Abidjan qui part.
‘’Et demain s’éloigne !’’ (Voir
texte de Tiburce Koffi). Non, je ne dirais pas non plus l’écrivain, le
flamboyant chroniqueur de l’hebdomadaire Notre
Temps, le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Culture ; je
dirais l’homme ; l’homme que j’ai eu le privilège de côtoyer dans les
années 1990. De loin mon aîné, il était le voisin du Café St-Jean de Cocody. Il
vivait une certaine solitude à l’époque, et le Café, après la Fac, était son
exutoire. Il y venait, tous les jours presque, par la petite sortie du quartier
qui y menait, prenait son café, je crois, et disparaissait, sans bruit. Ce
n’était pas l’intellectuel incompris dans sa société, il comprenait tout
l’homme, même dans ses insoutenables légèretés, et était toujours prêt à tendre
la main, pour donner toujours des chances aux fraternités de prospérer. Les
différends avec un être qu’il apprécie, l’affligeaient. Je fus témoin d’une
altercation verbale malheureuse entre mon frère aîné et lui. Il en avait
ressenti de l’amertume, et mon aîné, un regret d’avoir « offensé »
cet autre Prof qu’il appréciait. L’incident fut rapidement clos, sous mon
entremise, sollicité d’ailleurs par le professeur Séry Bailly. Oui, c’était
cela, Prof !
Il avait été ministre de la République,
mais jamais cette fonction ne l’avait amené à se vêtir du costume de la
suffisance. Il portait le pagne de ceux qui savent, humbles, simples, courtois,
respectueux des autres, prêts à les aider à surmonter leur handicap. Ministre
de l’Enseignement supérieur, au temps de la Fédération des élèves et étudiant
de Côte d’Ivoire, la Fesci de la fureur, je ne fus pas surpris qu’il soit parti
de ce poste. Non, le monde de la violence et des fureurs des revendications
syndicales et autres, ne fait pas partie du mode de vie de ce fils de
syndicaliste. C’était un modéré, qui, face aux extrêmes, aux blocs qui bloquent
tout (Wodié), choisissait toujours la médiane. Non de peur de trancher, mais de
donner une chance à la réconciliation. Pour moi, il a représenté l’intellectuel
modéré dans ses prises de position, plein d’humour. Comme il n’ose jamais
blesser l’autre avec les mots, c’est à travers l’ironie qu’il camoufle si bien
ce qu’il entend dire à l’autre. S’il n’a pas compris, tant mieux ; lui, il
s’est libéré de sa petite indignation. Ce n’est guère un hasard s’il fut membre
de la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation (Cdvr), et, plus tard, de la
Commission Nationale pour la Réconciliation et l’Indemnisation des Victimes
(Conariv).
Á la naissance de l’Académie ivoirienne,
Ascad, sous Memel Fotê, je fus, des années durant, chargé de la Communication
auprès des Immortels ivoiriens. Quelle ne fut donc pas ma trouille d’avoir à
exposer, les premiers jours, mon travail devant le Grand, au propre comme au
figuré, Memel Fôté ! Impressionnant de silence. Impressionnant de
savoirs. Dans la préface du Tome I des Chroniques des temps qui tanguent,
de Bernard Zadi Zaourou, paru à FratMat Editions, Séry Bailly écrivit ceci : « Mais ne l’oublions pas, au moment
où les aînés sociaux vont débattre des questions relatives à la vie de la
communauté, ce sont des cadets qui portent leurs sièges afin qu’ils puissent
discuter assis et donc posément. C’est ainsi qu’eux-mêmes s’initient aux débats
publics et s’instruisent des choses de la vie. Il fut, pour moi, cet aîné
social, toujours là, à orienter et indiquer le chemin, non de manière docte,
mais toujours dans le sens de la concertation, de la fusion des intelligences ».
La mort de cet homme qui s’en va,
attriste. Il savait honorer ceux qui allaient le solliciter, pour telle ou
telle conférence, pour telle ou telle préface. C’était un bonheur désintéressé
de se savoir utile. Alors, il était présent, partout, quand il le pouvait, aux
rendez-vous du savoir, pour transmettre. Il aimait à dire, pénétré des valeurs
de sa tradition, riche des images que lui fournissent le matériel langagier de
son terroir : « (…) Quand on a lavé ses mains, on
peut manger avec les grands ! ».
Nous n’avions pas encore fini de laver nos mains ; nous nous y
essayons, et voilà que tu pars pour de bon, secoué d’abord par un mal soudain, en
plein colloque consacré à une icône du monde de l’art en Côte d’Ivoire, Sijiri
Bakaba. C’était aussi ta raison de vivre, d’instruire aux choses de la vie, tes
cadets, tes étudiants, la masse. Dors en paix, digne transmetteur de
savoirs, repère perdu.
Michel Koffi
Titre original :
« Hommage : L’inattendu départ d’un intellectuel modéré ».
Source : Fraternité
Matin 04 décembre 2018
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