samedi 15 décembre 2018

« La mort nous vide d’une tête pleine ».


L’hommage de Michel Koffi au professeur Séry Bailly

Séry Bailly (1948-2018)
Dimanche, dans le calme du soir, le professeur Séry Bailly, membre de l’Académie ivoirienne, Ascad, est mort pour entrer dans l’immortalité.
« La mort nous vide d’une tête pleine ». Ces mots ne sont pas de moi, je les ai volés au détour d’une conversation à un confrère, Bledson Mathieu. Comme c’est si bien dit. Je ne dirai pas, dans cet hommage, le brillant universitaire, si riche de son savoir qu’il aimait tant à partager, à faire partager (voir texte de Josué Guébo), toujours disponible, avec les autres. Avec lui, point de superlatif. C’était un intellectuel de haut vol, dont la mort qui nous a foudroyés en ce dimanche du 2 décembre, n’est pas sans rappeler celles de Memel Fotê, (Anthropologie esthétique), Wondji Christophe (Histoire africaine) …et tout près de nous, de Bernard Zadi Zaourou (stylisticien, poète, dramaturge) qui l’ont initié aux choses de ce monde.
Sa mort, ce n’est guère dans le sens d’un départ attendu auquel on refusait d’y croire, parce que tous, nous savions le Maître Zadi malade, très malade, tout comme les premiers cités, mais cette mort inattendue du Pr Séry Bailly – rien n’indiquait un quelconque signe, mais c’est cela aussi la mort, imprévisible ! –  annonçait aussi le départ inattendu de celui dont on aurait tant voulu bénéficier de ses savoirs. Il n’avait que 70 ans ! Et il prolongeait en quelque sorte l’héritage des anciens, du Cercle des poètes disparusC’est un des derniers géants de la Faculté des Lettres de l’Université d’Abidjan qui part.
‘’Et demain s’éloigne !’’ (Voir texte de Tiburce Koffi). Non, je ne dirais pas non plus l’écrivain, le flamboyant chroniqueur de l’hebdomadaire Notre Temps, le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Culture ; je dirais l’homme ; l’homme que j’ai eu le privilège de côtoyer dans les années 1990. De loin mon aîné, il était le voisin du Café St-Jean de Cocody. Il vivait une certaine solitude à l’époque, et le Café, après la Fac, était son exutoire. Il y venait, tous les jours presque, par la petite sortie du quartier qui y menait, prenait son café, je crois, et disparaissait, sans bruit. Ce n’était pas l’intellectuel incompris dans sa société, il comprenait tout l’homme, même dans ses insoutenables légèretés, et était toujours prêt à tendre la main, pour donner toujours des chances aux fraternités de prospérer. Les différends avec un être qu’il apprécie, l’affligeaient. Je fus témoin d’une altercation verbale malheureuse entre mon frère aîné et lui. Il en avait ressenti de l’amertume, et mon aîné, un regret d’avoir « offensé » cet autre Prof qu’il appréciait. L’incident fut rapidement clos, sous mon entremise, sollicité d’ailleurs par le professeur Séry Bailly. Oui, c’était cela, Prof !
Il avait été ministre de la République, mais jamais cette fonction ne l’avait amené à se vêtir du costume de la suffisance. Il portait le pagne de ceux qui savent, humbles, simples, courtois, respectueux des autres, prêts à les aider à surmonter leur handicap. Ministre de l’Enseignement supérieur, au temps de la Fédération des élèves et étudiant de Côte d’Ivoire, la Fesci de la fureur, je ne fus pas surpris qu’il soit parti de ce poste. Non, le monde de la violence et des fureurs des revendications syndicales et autres, ne fait pas partie du mode de vie de ce fils de syndicaliste. C’était un modéré, qui, face aux extrêmes, aux blocs qui bloquent tout (Wodié), choisissait toujours la médiane. Non de peur de trancher, mais de donner une chance à la réconciliation. Pour moi, il a représenté l’intellectuel modéré dans ses prises de position, plein d’humour. Comme il n’ose jamais blesser l’autre avec les mots, c’est à travers l’ironie qu’il camoufle si bien ce qu’il entend dire à l’autre. S’il n’a pas compris, tant mieux ; lui, il s’est libéré de sa petite indignation. Ce n’est guère un hasard s’il fut membre de la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation (Cdvr), et, plus tard, de la Commission Nationale pour la Réconciliation et l’Indemnisation des Victimes (Conariv).
Á la naissance de l’Académie ivoirienne, Ascad, sous Memel Fotê, je fus, des années durant, chargé de la Communication auprès des Immortels ivoiriens. Quelle ne fut donc pas ma trouille d’avoir à exposer, les premiers jours, mon travail devant le Grand, au propre comme au figuré, Memel Fôté ! Impressionnant de silence. Impressionnant de savoirs.  Dans la préface du Tome I des Chroniques des temps qui tanguent, de Bernard Zadi Zaourou, paru à FratMat Editions, Séry Bailly écrivit ceci : « Mais ne l’oublions pas, au moment où les aînés sociaux vont débattre des questions relatives à la vie de la communauté, ce sont des cadets qui portent leurs sièges afin qu’ils puissent discuter assis et donc posément. C’est ainsi qu’eux-mêmes s’initient aux débats publics et s’instruisent des choses de la vie. Il fut, pour moi, cet aîné social, toujours là, à orienter et indiquer le chemin, non de manière docte, mais toujours dans le sens de la concertation, de la fusion des intelligences ».
La mort de cet homme qui s’en va, attriste. Il savait honorer ceux qui allaient le solliciter, pour telle ou telle conférence, pour telle ou telle préface. C’était un bonheur désintéressé de se savoir utile. Alors, il était présent, partout, quand il le pouvait, aux rendez-vous du savoir, pour transmettre. Il aimait à dire, pénétré des valeurs de sa tradition, riche des images que lui fournissent le matériel langagier de son terroir : « (…) Quand on a lavé ses mains, on peut manger avec les grands ! ».
Nous n’avions pas encore fini de laver nos mains ; nous nous y essayons, et voilà que tu pars pour de bon, secoué d’abord par un mal soudain, en plein colloque consacré à une icône du monde de l’art en Côte d’Ivoire, Sijiri Bakaba. C’était aussi ta raison de vivre, d’instruire aux choses de la vie, tes cadets, tes étudiants, la masse. Dors en paix, digne transmetteur de savoirs, repère perdu.

Michel Koffi
Titre original : « Hommage : L’inattendu départ d’un intellectuel modéré ».

Source : Fraternité Matin 04 décembre 2018

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