Le président français a inauguré il y a
quelques jours un monument qui rend hommage aux soldats africains morts à Reims
durant la Première Guerre Mondiale. Il avait à ses côtés le président malien Ibrahim
Boubacar Kéïta. Rappelons que ces soldats africains, qui se comptaient en
centaines de milliers et venaient de toutes les colonies françaises, ont été
forcés d’aller faire une guerre à laquelle ils ne comprenaient rien, contre des
gens qu’ils ne connaissaient même pas, et, à la fin du conflit, on a estimé
qu’ils n’étaient pas dignes d’avoir les mêmes pensions et droits que les
soldats français dont le pays était en danger. En 1939, on vint chercher
d’autres chairs à canon sur le continent africain durant la Seconde Guerre
Mondiale et on les traita de la même façon lorsque la guerre fut terminée. A
Thiaroye, au Sénégal, on massacra même les soldats africains qui avaient osé
réclamer ce à quoi ils avaient droit. Aujourd’hui, à l’occasion du centenaire de
la fin de cette Première Guerre Mondiale, la France leur rend hommage. Ça ne
coûte pas grand-chose, vu qu’ils ont tous disparu, mais c’est bien d’avoir
pensé à eux. Ce qui m’intéresse maintenant est de savoir si le président malien
qui était aux côtés du président Macron et tous ses homologues africains ont
rendu l’hommage qu’ils méritent à ces hommes emmenés contre leur gré mourir
pour une cause qui n’était pas la leur et qui furent traités comme ils le
furent. Il y a bien sûr des monuments aux morts dans certaines de nos villes,
mais regardez-les plus attentivement. Ce sont des monuments dressés par la
France, alors puissance coloniale, pour rendre hommage à ses morts des deux
guerres mondiales. Cela avait commencé chez nous à Abidjan, puis la mode s’est
propagée dans certaines villes de l’intérieur sans que nos populations n’y
comprennent quelque chose. Depuis quand avons-nous rendu hommage ou entretenu
la mémoire de nos morts ? Et pourtant Dieu seul sait combien de
morts ont jalonné notre douloureuse histoire. Il y eut les millions de déportés
des « traites négrières ». Qui se souvient d’eux et entretient leur
mémoire ? Il y eut ceux de la colonisation, qui se comptent aussi en
millions ; ceux de la lutte pour l’indépendance, pour la construction de
notre pays, pour la démocratie. Qui se souvient d’eux et entretient leur
mémoire ? Il y a tous ces grands hommes et femmes qui ont contribué à
façonner notre histoire. Qui se souvient d’eux ? Où entretient-on la
mémoire de Félix Houphouët-Boigny, pour ne citer que ce seul exemple ?
D’ailleurs, où rencontre-t-on l’histoire ivoirienne ? La connait-on
encore.
Les Africains sont presque tous
convaincus d’une vie après la vie. Ils croient dur comme fer qu’il y a des âmes
dans l’au-delà qui peuvent intervenir dans leur vie terrestre. Mais autant ils
se dépensent corps et âmes pour avoir les meilleures relations avec les âmes
défuntes des autres peuples, ceux que l’on a appelé des saints, autant ils
ignorent royalement leurs propres morts. L’Africain est le seul à ne pas savoir
que tous les peuples sont en compétition. Alors, si les morts peuvent aider les
vivants à réussir ou échouer dans cette vie, pourquoi l’Africain pense-t-il que
ce sont les morts des autres peuples qui l’ont réduit en esclavage, colonisé,
et qui continuent de l’exploiter, qui viendront le sauver ? Tant que les
Africains ne rendront pas les cultes qu’ils méritent à leurs morts, ils
continueront de patauger dans l’histoire, à la merci de tous les prédateurs.
Le 11 novembre prochain le président
français commémorera le centenaire de la fin de la Première Guerre Mondiale. Il
aura à ses côtés de nombreux chefs d’Etat dont des Africains qui n’ont jamais
rien commémoré de leur histoire, à part la fête de l’Indépendance. Durant la
semaine qui a précédé cette date, le chef de l’Etat français a visité plusieurs
lieux de mémoire liés à cette guerre au cours de ce que l’on a appelé son
« itinérance mémorielle ». De nombreux analystes ont résumé ce voyage
comme une volonté du président français, qui est malmené actuellement par les
sondages, de vouloir s’appuyer sur le passé pour reconstruire son présent. Tous
les peuples du monde entretiennent soigneusement leurs passés parce qu’ils
savent combien cela est important pour la construction de l’avenir d’un pays. Il
n’y a que nous, les Africains, à ne pas le comprendre et à croire que l’on peut
bâtir une société viable en effaçant sa mémoire. Voyez dans quel état sont nos
archives et musées ! Et voyez dans quel état sont corrélativement nos
pays. Nous sommes les seuls à ne pas comprendre que celui qui ne tire pas de
leçon de son histoire se condamne à la revivre. Et c’est ainsi que nous sommes
en train de tout mettre en place pour revivre les terribles épreuves que notre
pays a connues ces vingt dernières années. Honnêtement, où nous conduira la
guerre déclarée actuellement entre messieurs Bédié et Ouattara ? Ceux qui
soufflent sur les braises sont certainement ceux qui ne connaissent pas
l’histoire ou qui l’ont effacée de leur mémoire. Mais on ne peut rien leur
reprocher puisque nous n’avons rien fait pour entretenir la mémoire de cette
histoire tragique. Pleure, o peuple sans mémoire. Ta peine sera très grande.
Venance Konan
EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de
provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre
ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou
l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu
informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des
mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
Source : Fraternité
Matin 08 novembre 2018
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