mardi 20 novembre 2018

Les impressions de lecture d’Habib Kouadja


A propos d’Un pompier pyromane…

Si les audiences du procès de la Haye continuent de replonger les Ivoiriens  dans la crise politique qu’a connue leur pays, la production de livres qui lui sont dédiés, continue de nourrir le débat sur cette dernière.

Le  dernier de cette série, Un pompier pyromane, écrit par Raphaël Granvaud et David Mauger, et publié aux éditions Agone, semble s’être donné pour objectif de présenter, comme un autre livre[1] avant lui, un dérouler de la crise ivoirienne.

A part quelques poncifs qui semblent avoir la vie dure chez les Occidentaux, et quelques informations qui pourraient créer le doute chez le lecteur peu prudent, ce livre qui se lit facilement, pourrait faire l’objet de discussions, entre observateurs de la situation politique du pays des éléphants.

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Dans l’installation du décor dans lequel devait se développer leur récit, les auteurs ont essayé de faire un résumé de l’histoire politique de la Côte d’Ivoire. Malheureusement, la reprise par eux de certains poncifs et mensonges, comme « La très grande majorité adopte la ligne « réaliste » définie par Houphouët,… »[2], pourrait laisser le lecteur un peu penaud. En effet il peut paraître bizarre que l’on se donne pour objectif de faire la lumière sur les mauvais agissements de la France en Côte d’Ivoire, et par la même occasion, justifier les causes de ces agissements. La période passée sous silence, pour ne pas dire zappée, par ces auteurs est bien la période 1949-50. En ce début d’année 1949, au cours du 2ème[3] Congrès  interterritorial du RDA[4], Houphouët et sa ligne « réaliste » furent déjà mis en minorité. Il arriva à ses fins, après l’arrestation des dirigeants pro-indépendantistes de la section ivoirienne[5] du RDA, tombés dans ce qui ressemble bien à un  traquenard[6], le 6 Février 1949. Les « irréductibles » en prison, l’exposition de cette soit disant ligne réaliste, née de ce que son géniteur appellera euphémiquement « repli tactique »[7], sera le milieu de culture dans lequel se développeront les relations ivoiro-françaises, objet de ce livre, et dont la quête d’un nouveau « masque » est à la base de la vraie-fausse crise ivoiro-ivoirienne de 2002. Il ne s’agissait donc pas d’une quelconque très grande majorité, mais tout simplement de la branche collaborationniste du mouvement indépendantiste ivoirien. Si cette grande majorité, avait existé, comment s’expliquer alors la naissance de la JRDACI[8] ; la défaite du candidat de la  très grande majorité, Auguste Denise, face au candidat de la minorité, et ancien prisonnier du 6 Février 1949, Jean Baptiste Mockey, au 3ème Congrès du PDCI-RDA de 1959 ? L’usage de la force par les pseudo-majoritaires, par le biais des complots de 1963 pour remettre en prison les pseudo-minoritaires ? Non, s’il y a eu majorité à cette période de l’histoire de la Côte d’Ivoire, elle était forcément du côté des indépendantistes ivoiriens.

Le lecteur pourra aussi constater que la facilité avec laquelle les auteurs acceptèrent cette version française des évènements du 6 février 1949, semble être la même avec laquelle la supposée xénophobie des Ivoiriens est acceptée et avalisée d’eux. Grâce à quelques phrases glissées ici et là dans leur texte, l’on a l’impression que la version européenne de l’ivoirité à valeur d’axiome pour ne pas dire de dogme. Sinon comment peut-on s’expliquer qu’avec tout ce temps passé, des journalistes d’investigation n’aient pu démêler le vrai du faux de cette affaire d’ivoirité et donc de xénophobie des Ivoiriens ? Lire des phrases comme : « Il n’empêche que chacune de ces dispositions ne vise qu’à exclure Ouattara du prochain scrutin, et qu’on recourt pour les justifier à une rhétorique et une politique de plus en plus xénophobes »[9] ou encore « Sous Bédié est remis à l’honneur le concept d’« ivoirité », par opposition aux étrangers d’abord, puis pour distinguer les vrais Ivoiriens, ou Ivoiriens de souches, des faux Ivoiriens ou Ivoiriens de circonstances. »[10] C’est croire que Boa Ramsès, universitaire ivoirien, n’a jamais rien écrit[11] sur le sujet. On a même l’impression que tout le monde doit et peut parler de ce sujet, surtout les étrangers, mais pas les Ivoiriens. D’ailleurs, cette histoire d’« ivoirité » fait penser au débat sur la déconnexion de l’économiste marxiste Samir Amin. Ayant défini ce concept comme un devoir pour les pays de la périphérie de soumettre leurs relations économiques internationales aux besoins de leurs économies nationales, les tenants du discours libéral, au nom de leur appartenance au cercle de la raison, dénièrent au concepteur la définition de son concept pour faire de ce dernier le synonyme de l’autarcie. Malgré la sortie, en 1985, par cet économiste, d’un livre ayant même pour titre la déconnexion, la définition mensongère de ses adversaires libéraux continua à  exister dans nos amphithéâtres.

Pour un livre riche en anecdotes sur la Françafrique, et qui s’est donné pour objectif de montrer les rôles de pyromane et de pompier de la France, le lecteur, se fut notre cas, aura parfois l’impression que dans la description du rôle de pyromane, une place est faite à la nuance. Plus précisément, on a l’impression que la rébellion qui endeuilla la Côte d’Ivoire depuis le 19 Septembre 2002 est l’œuvre d’un monsieur, Blaise Compaoré, et que cette macabre entreprise ne sera récupérée par la France qu’au fil du temps. Affirmer que « Pour comprendre les raisons qui ont amené les autorités françaises à susciter ou laisser faire un coup d’État contre Gbagbo, il est d’abord nécessaire de revenir sur les intérêts français que ce dernier menaçait de bousculer »[12], c’est laisser entrevoir l’existence d’une autonomie de Blaise Compaoré, et cela est trop gros pour être avalé. Pour ce que représente la Côte d’Ivoire dans l’économie régionale, la modestie des moyens financiers du Burkina-Faso, et à voir la manière dont la France exfiltra ce monsieur de son pays après sa chute, insinuer que Blaise Compaoré a pris de façon autonome la décision d’attaquer la Côte d’Ivoire sans l’autorisation de la France est impossible. Pour aller même plus loin, en ce temps de débats sur le Franc CFA, la remarque suivante pourrait aider le lecteur à nous saisir : si la zone CFA d’Afrique de l’Ouest, jouissait d’une autonomie dans la gestion de cette dernière, le 20 septembre 2002, c’est à dire le lendemain du début de la crise, tous les autres pays de cet ensemble, auraient fondu sur le Burkina-Faso pour lui régler son compte[13]. Si ça n’a pas été le cas, c’est tout simplement parce que ces derniers et surtout le cogérant de cette zone, ont avalisé ce projet de déstabilisation. A vrai dire, l’avis du cogérant français est le seul requis dans cette zone, au regard du « spectacle » proposé lors de la dévaluation de 1994.

Passé cette escale dans la sphère économique, nous continuons à affirmer que la France est l’instigatrice de cette rébellion et ce ne sont pas des  histoires comme celles du sieur Christian Dutheil de la Rochère à Lomé qui pourraient nous faire changer d’avis. Selon nos auteurs, « Dans la foulée, la France annonce qu’elle dépêche un « observateur » aux négociations : Xavier[14] Dutheil de la Rochère, ancien ambassadeur de France en Côte d’Ivoire. Mais ce dernier n’est pas sur la longueur d’onde souhaitée : dans ses comptes rendus confidentiels, il dénonce le rôle du « président Blaise Compaoré, qui veut mettre “l’un de ses frères” au pouvoir à Abidjan, à savoir Alassane Dramane Ouattara !, rapporte La Lettre du continent »[15]. De deux choses l’une : soit M. Dutheil de la Rochère n’est pas un diplomate et il est allé à Lomé à son propre compte, soit cette anecdote tirée de La Lettre du Continent est une fake news, qui avait pour objectif de détourner les regards rivés vers la France des observateurs avertis. Ça ne pourrait pas être la première hypothèse, car ce monsieur est un ancien ambassadeur de France, dont le CV[16] nous dit qu’il est tout sauf un nouveau venu en diplomatie. Surtout,  dans celle de son pays en Afrique. Ne l’aurait-on pas briefé avant de lui confier cette mission sur Lomé ? Incroyable ! Nous optons pour la deuxième hypothèse, c’est-à-dire pour le mensonge, présenté sous l’apparence d’une information diplomatique.

La lecture de ce livre, nous a aussi permis de dissiper des doutes et de renforcer certaines convictions. A l’époque du déroulement de cette funeste entreprise, nous avions certains doutes quant aux capacités militaires de cette bande de bidasses, venue endeuiller la Côte d’Ivoire. L’on présentait l’un des comzone[17] de la rébellion, Chérif Ousmane, comme celui-là qui avait « débarrassé » l’Ouest ivoirien des rebelles libériens. Nous trouvions à l’époque cette histoire surfaite, au regard des informations, sur les capacités intellectuelles du personnage. Nous fûmes rassurés de savoir que nos doutes se justifiaient en lisant que « L’Ouest ivoirien est « nettoyé » par les rebelles des éléments libériens et sierra-léonais récalcitrants, avec l’aide discrète de l’armée française »[18]. Et pour ceux qui douteraient encore du caractère politique de la dette, lire que : « Bercy laisse entendre que des arrangements pourront être trouvés concernant la dette ivoirienne et que les discussions avec le FMI vont pouvoir reprendre »[19] pourrait les aider à saisir le caractère politique de la dette.

Le lecteur pourra enfin, à l’occasion de sa lecture, se remémorer, des évènements qui se sont passés au cours de cette guerre franco-onusienne contre la Côte d’Ivoire. Pour  notre part, la lecture dans ce livre, de deux  histoires, nous ont permis d’analyser notre démarche pour le reste du chemin à parcourir. Ces deux histoires sont relatives à « l’affaire Julia » et à la gestion de notre ascendant juridique sur l’agresseur de Novembre 2004. On peut lire : « On apprend ainsi début octobre qu’il a aidé à l’organisation de la "mission Julia", du nom du député français qui a tenté de faire libérer les journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot retenus en otage en Irak. À la manœuvre, "quelques anciens des réseaux Foccart qui circulent entre la Côte d’Ivoire et la France et qui poussent à la réconciliation entre Paris et Laurent Gbagbo" »[20] et, « En 2006, Gbagbo disposait notamment d’un rapport d’enquête sud-africain comprenant entre autres une expertise balistique à charge pour les militaires français. Il a également embauché un cabinet d’avocats britannique qui aurait "réuni suffisamment d’éléments pour entamer une procédure devant une juridiction indépendante". Mais le dossier restera à l’état de moyen de pression diplomatique. En 2010, Gbagbo a proposé à la France un règlement à l’amiable au sujet des massacres de civils commis par les forces françaises et a mandaté un cabinet canadien qui a remis à Paris un mémorandum dans lequel il était proposé de constituer une commission mixte chargée d’évaluer les réparations dues aux victimes. Cette proposition est restée lettre morte et, comme on le sait, le président ivoirien a été déposé par l’armée française l’année suivante »[21]. Ces évènements, qui peuvent paraître anodins, posent un problème, celui de la place de la rectitude dans la marche vers l’indépendance. Les coûts de cette marche s’évaluant malheureusement et habituellement en vies humaines, il importe de ne pas avoir au cours de cette marche des comportements qui frisent l’inconstance, voire la peur de se couper des causes de notre dépendance, de nos malheurs. L’indépendance de la Côte d’ Ivoire, n’étant pas encore chose acquise, sachons-nous servir de ces erreurs, pour le reste de la lutte.

H. KOUADJA 


[1]- France Côte d’ivoire. Une histoire tronquée, Fanny Pigeaud,  Editions Vents d’ailleurs, 353p,
[2]- P16
[3]- Du 3-6 Janvier 1949 à Treichville
[4]- Rassemblement Démocratique Africain
[5]- PDCI (Parti Démocratique de Côte d’Ivoire)
[6]- Marcel Amondji, Côte d’Ivoire le PDCI-CI et la vie politique de 1944 à 1945, Editions l’Harmattan, p51 et p58
[7]- Ibid., p51
[8]- Jeunesse R.D.A de Côte d’Ivoire
[9]- P24-25
[10]- P27
[11]- L'IVOIRITÉ ENTRE CULTURE ET POLITIQUE, Editions Harmattan 264p ; lire aussi article Ivoirité, Identité culturelle et intégration africaine : logique de dédramatisation d’un concept du même auteur en accès libre sur la toile.
[12]- P61
[13]- La traque de l’ETA (Organisation armée basque indépendantiste, opérant des deux côtés de la frontière franco-espagnole)  par la France  et l’Espagne, pourrait aider le lecteur à saisir le niveau de coopération qu’exige l’existence d’un instrument, réel, commun, et aussi important comme une monnaie
[14]- Il s’agit plutôt de Christian et non de Xavier Dutheil de la Rochère
[15]- P102
[16]- http://www.academieoutremer.fr/academiciens/fiche.php?aId=210
[17]- Néologisme de rebelles, signifiant commandant de zone
[18]- P173
[19]- P178
[20]- p191
[21]- P223

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