NOUS
AVONS LE GRAND PLAISIR D'ANNONCER À NOS AMIS LECTEURS LA PARUTION DE « MÉDITATIONS
SILENCIEUSES »[1], LE DERNIER OUVRAGE DE LAZARE
KOFFI KOFFI, PRÉFACÉ PAR NOTRE COLLABORATEUR MARCEL AMONDJI. POUR MARQUER
L'ÉVÉNEMENT, NOUS VOUS OFFRONS CETTE PRÉFACE, EN ESPÉRANT QU'ELLE VOUS DONNERA L’ENVIE
D'ALLER DÉCOUVRIR PAR VOUS-MÊMES CE NOUVEAU RECUEIL DE POÈMES DE COMBAT.
LA RÉDACTION
Je
ne connaissais pas Lazare Koffi Koffi autrement que de nom et pourtant nous
nous étions déjà rencontrés, et c’était dans une de ces circonstances qui
créent des liens entre les hommes, ou qui les resserrent encore plus quand ces
liens existaient déjà. C’était à Katiola les 19, 20 et 21 septembre 2002, à
travers le court récit qu’il fit, il y a deux ou trois ans, de ces journées
fatidiques… Au moment où je commence cette préface qu’il m’a invité à donner à
son nouveau recueil de poèmes militants, je dois préciser – je crois que c’est
important – que lors de cette rencontre symbolique, sa profonde dévotion à
Jésus Christ, qu’il avoue et assume crânement dans l’avant-propos de ce
recueil, et qu’il partage du reste avec un assez grand nombre de nos
compatriotes postés de ce même côté de la barricade, n’est pourtant pas ce qui
me frappa le plus chez lui – et pour cause, car il n’en fut point question
alors –, mais l’esprit d’ouverture qui imprégnait ce récit. Alors ministre de la Jeunesse, de la Formation professionnelle et
de l’Emploi, Lazare Koffi Koffi était à Katiola pour y présider un acte
solennel organisé par son département. Il avait tenu à y associer deux
personnages de l’autre bord, un de ses collègues dans ce tout premier
gouvernement d’union de l’ère Gbagbo, et un ancien général natif de la région,
l’un des bourreaux du Guébié, ancien ministre « sécurocrate » acharné
à persécuter les opposants progressistes, alors député de ce même bord…
L’événement n’aura finalement pas lieu, car c’est ce même jour qui vit la
tentative de coup d’Etat qu’on transforma en « rébellion », puis en
une manière de chantage permanent à la guerre civile, à seule fin de nous
imposer Marcoussis, puis l’« accord politique de Ouagadougou », en
attendant l’occasion de nous faire le coup du 11 avril 2011. Piégé dans une
ville située en plein cœur de la zone où les mercenaires à la solde de la
France s’étaient repliés après leur échec à Abidjan, ce ministre technique
révèlera, face aux dangers très concrets qui l’environnaient, de nouvelles
facettes de sa personnalité : énergie, sang-froid, résolution et, en général,
une conduite empreinte d’une grande dignité citoyenne. La dévotion à Jésus
Christ devait bien évidemment exister déjà en lui, aussi profonde. Mais sans
doute n’y avait-il pas encore le même besoin – ou la même nécessité –
qu’aujourd’hui de la manifester expressément comme dans cet avant-propos et
dans maints endroits du corps de ce recueil.
*
Ce
besoin de préciser s’est imposé à moi justement à la lecture de cet
avant-propos. Parce que tandis que je le lisais, sans cesse me revenaient ces
vers de Louis Aragon, au début de son poème La Rose et le Réséda :
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l'un fut de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l'un fut de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
[…]
N’allez pas penser que, face à Lazare Koffi Koffi, qui est si profondément « celui qui croit au ciel », je prétende
me poser en « celui qui n’y croit pas ». Grâce à Dieu, ce que je suis
vraiment, que j’aurais d’ailleurs bien de la peine à définir, ne m’a jamais
opposé à personne de ceux qui croient sincèrement ce qu’ils croient. Aussi ne
fais-je point de différence entre « celui qui croit au ciel » et
« celui qui n’y croit pas », du moment qu’ils font, pour paraphraser
une formule du jeune Marx, le rêve de la même chose. Je serais donc, plutôt, de
ceux qui ont toujours rêvé de les voir s’associer pour voler ensemble au
secours de « la belle prisonnière des soldats » que l’un et l’autre
adorent. Or d’après ses racines, d’après ce que je sais de son parcours, et
plus encore depuis que je lis ce recueil, je soupçonne que, si
« sectaire » qu’il semble vouloir y paraître, Lazare Koffi Koffi aussi est fondamentalement de ce bord-là. Sinon il n’écrirait pas tant, ni
sous cette forme alléchante – car la préférence de nos compatriotes qui lisent,
les plus jeunes surtout, pour les textes brefs et entraînants est bien connue –
qui fait penser que ce recueil est aussi une invitation au partage. Aussi bien,
comme cela
est suggéré dans l’avant-propos, ces poèmes ne sont pas
que des simples objets d’art pour l’art. Ce sont des actes. Et des actes pour
en préparer d’autres, en y entraînants, espérons-le, le plus possible de ceux
de nos compatriotes qui doutent encore qu’un avenir de liberté et de justice
soit possible pour notre peuple.
Malheureusement, la passion soutenue qui conduit sa
plume tout au long de ce recueil fait parfois craindre que celui que nous avons
vu à Katiola si large d’esprit, si disponible, se soit retranché dans ses
identités ou ses partis pris politique et religieux. Au risque que les lecteurs
distraits le confondent avec certaines personnes dont la démarche et les vrais
desseins sont aux antipodes des siens. Supposons, par exemple, un quidam qui ne
saurait pas que toutes les pièces qui composent ce recueil datent de bien plus
longtemps que l’étrange « Message aux populations de Côte d’Ivoire »
de Marthe Agoh ; plusieurs d’entre elles pourraient sonner à son oreille
comme autant d’échos de ce « message », alors qu’en réalité
l’ensemble en est aussi éloigné qu’il est possible.
Le « message » de Marthe Agoh, c’est en
effet le cri d’agonie d’une désespérée. Lazare Koffi Koffi au contraire, même quand il use des mêmes mots et des mêmes symboles
qu’elle, c’est pour nous exhorter à rester debout, à tenir bon, à continuer de
nous battre, en un mot : à espérer.
*
Ces jours-ci, peut-être à cause de ce « message »
lancé si mal à propos, c’est très souvent que je m’interroge sur la pertinence
du fameux mot d’ordre : « Asseyons-nous et discutons ! ».
Oui, asseyons-nous et discutons mais, surtout, n’oublions pas que pour discuter
de façon vraiment utile, il faut au préalable avoir beaucoup réfléchi. Car si
nous tous, femmes et hommes, jeunes et vieux, nous avons notre mot à dire sur
ce drame que nous vivons – et c’est notre devoir de le dire haut et fort –,
nous avons encore un autre devoir, c’est de veiller à être le plus à l’unisson
possible, ce qui suppose de bien nous écouter les uns les autres, afin de bien
nous accorder. Donc mieux vaudrait dire : « Asseyons-nous et
réfléchissons bien à ce dont il faut que nous discutions ! ». Au
moins cela nous éviterait le spectacle affligeant de toutes ces palinodies et
de toutes ces pantalonnades auxquelles la dernière parodie de scrutin
présidentiel a donné lieu.
Au fond, n’est-ce pas aussi à cela que Lazare Koffi
Koffi nous engage à travers ses poèmes militants ?
*
En guise de conclusion, j’emprunte ces
vers d’un poète anglais du XVIIe siècle que l’abolitionniste
étatsunien Henry David Thoreau (1817-1862), qu’on surnommait « le chantre
de la désobéissance civique », cita dans son oraison funèbre du héros
antiesclavagiste John Brown :
Quand l’épée brille
au-dessus de la tête du juge,
Et que la peur a
réduit au silence les pleutres ecclésiastes,
Alors vient l’heure
du poète ; c’est là qu’il se dresse
Et se bat, seul,
pour la cause de la vertu délaissée ;
Quand la roue de
l’empire tourne à rebours
Et bien que l’axe
incohérent du monde craque
Il chante encore les
vieilles qualités et les temps meilleurs
Marcel Amondji (23 novembre 2015)
[1] - L’Harmattan, février 2017, 171 pages, 17,50€
[2] - Vers extraits de
« Tom May’s Death », du poète métaphysique et homme politique
anglais Andrew Marvell (1621-1678), que Thoreau récita au début de son oraison
funèbre de John Brown lors de l’office organisé à Concord le jour de sa mort (2
décembre 1859).
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