lundi 6 février 2017

Notre histoire avec le colonialisme français (suite)


Le 6 Février 1949, par Adama Traoré
J.-B. MOCKEY (1915-1981)
Dans toutes les possessions françaises dans le monde, la colonisation est violemment contestée par les colonisés au lendemain de la seconde guerre mondiale. En décembre 1946, la guerre éclate au Viêtnam. En 1947, une sanglante répression française s’abat contre le mouvement patriotique malgache. La même année, à Dakar, éclate la grève historique des cheminots de l’AOF, qui dure cinq mois.
En Côte d’Ivoire, le mouvement anticolonialiste atteint son point culminant pendant l’insurrection nationale de 1949-1950. Le 6 février 1949, à Treichville, à l’occasion de la réunion du Bloc démocratique d’Etienne Djaument, leader proche des colons, de graves incidents éclatent et la machine répressive de l’administration se met en route. Le gouverneur Péchoux, en mission pour « casser » du RDA, va livrer une guerre de harcèlement contre les militants du RDA ; c’est le « péchoutage ». L’historien Laurent Gbagbo parle de « deuxième pacification » après celle, meurtrière, d’Angoulvant dans les années 1910.
 Suite aux « rixes du 6 février 1949 », 30 militants du RDA sont arrêtés, dont huit dirigeants membres du Comité directeur [de la section locale]. Ce sont Philippe Vieyra, René Séry Koré, Albert Paraiso, Lamad Kamara, Jacob Williams, Jean-Baptiste Mockey, Bernard Dadié, Mathieu Ekra. Ils deviennent les héros adulés de millions d’Africains.
L’ambiance est insurrectionnelle. Le peuple de Côte d’Ivoire est debout. L’ardeur et la détermination des militants à braver la répression sont rendues ici par ces quelques vers parus dans le journal Le Réveil du 23 mai 1949, signés par Mourou Ben Daouda, pseudonyme du grand poète et patriote Bernard Binlin Dadié, incarcéré à la prison de Grand–Bassam :
« Nous vivrons parce que toujours sur la brèche,
Nous nous battrons pour la paix
Nous nous battrons pour la liberté
Nous saisirons les bellicistes au collet
Et sur leurs méfaits ferons le jour, un jour cru,
Pour sûr, nous saisirons les bellicistes au collet ».
[1]
Anne Marie Raggi, Marie Gallo, Marguerite Sacoum prennent le leadership de la lutte. Les femmes organisent la Grande Marche sur la prison de Grand Bassam, le 24 décembre 1949, et le boycott du commerce français du 15 décembre 1949 au 15  janvier 1950. A l’étranger, une campagne internationale est organisée par le parti communiste français et des organisations démocratiques.
Mais l’administration intensifia la répression et les incidents se multiplièrent sur tout le territoire. Les incidents les plus graves eurent lieu à Bouaflé, Dimbokro et Séguela.
A Bouaflé, une manifestation de protestation des militants du RDA contre les provocations de Sekou Baradji est réprimée. Bilan officiel : trois morts et de nombreux blessés. 
Prenant prétexte de cette manifestation, la justice coloniale lance un mandat d’arrêt contre le député Félix Houphouët–Boigny. Devant la mobilisation exceptionnelle du peuple qui converge vers Yamoussoukro, et la menace pour l’ordre colonial, les autorités sursoient aux poursuites contre le leader du RDA. Mais, dans la nuit du 27 au 28 janvier 1950, le sénateur Victor Biaka Boda, nationaliste intrépide du RDA, est enlevé, torturé, achevé à coup de baïonnettes et décapité par des gendarmes sur la route de Bouaflé.[2]
A Dimbokro, l’arrestation du leader local du RDA, Samba Ambroise Koné provoque en réaction une grande manifestation le 30 janvier 1950 sur la place du marché. La répression est aveugle et meurtrière : 13 morts tirés dans le dos et des dizaines de blessés.
A Séguéla, la manifestation organisée pour réclamer la libération des militants RDA, suite aux provocations de Sékou Sanogo, transfuge du RDA, se solde par trois militants assassinés par la police.
Le mois de janvier 1950 fût particulièrement sanglant. « Chaque jour de ce mois fut inscrit en lettres de sang dans l’histoire de la Côte d’Ivoire ».[3]
Sur l’ensemble de l’année 1950, il y eut plus de cinquante morts, des centaines de blessés, près de 5000 détenus.[4]
Voici quelques témoignages[5] de la barbarie blanche des années 1949 et 1950 :
« Pillages, incendies, saccages, viols, dire que le territoire a été mis en état de siège et c’est à ce moment que nous avons assisté aux arrestations massives ». (Coffi Gadeau)
« Nos militants totalisent déjà 134 années de prison, 25 années de réclusion, dont Zoro-bi Tra à lui seul en compte 8, et la Côte d’Ivoire n’est pas la seule à subir cette répression ». (Gabriel d’Arboussier)
« Tantôt, les gendarmes européens les forçaient à danser à la cadence des coups qu’ils recevaient, tantôt, on leur demandait de crier : RDA et d’insulter Houphouët. (…). Moussa Sidibé fut battu, son corps zébré de plaies fut enduit de chaux vive et il lui fut défendu de se laver. Bamori Fofana et Tiadoua Fofana portaient tous la barbe. Elle fut arrachée par les gardes de cercle, fourrée dans leur bouche avec ordre de l’avaler sous une pluie de coups. Paul Séry fut battu jusqu’à ce qu’il tombe inanimé sous les rires des Européens ». (Rapport Damas n° 11348)

Adama Traoré (24 janvier 2015)

Source : afrocentricity international division Abidjan


[1] - Valy Sidibé et Bruno Gnaoulé–Oupoh (sous la direction de), « Bernard Binlin Dadié : Conscience critique de son temps », CEDA, Abidjan, page 65.
[2] - Devalois Biaka, « Côte d’Ivoire, La disparition du patriote Victor Biaka Boda », L’Harmattan, Paris, 1993.
[3] - Marcel Amondji, « Côte d’Ivoire, le PDCI et la vie politique de 1944 à 1985 », L’Harmattan, 1986. Page 46.
[4] - Ibid.
[5] - « Morceau choisi : Bernard B. Dadie, auteur ivoirien écrit à Me Verges », publié le 29/06/2006 par le panafricain. WWW.africatime.com  consulté le 4 mars 2007.

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