mercredi 2 mars 2016

Réfugiés ivoiriens des camps du Ghana. Quand le HCR coupe les vivres pour un retour forcé

Vue du camp d'Ampain
Qui pourrait croire que 5 ans après la « crise postélectorale » de 2011 en Côte d'Ivoire, plus de 100000 réfugiés mènent une vie précaire en Afrique de l'Ouest ? Sans doute les plus mal connus sont ceux du Liberia, 50000 officiellement, mais beaucoup plus en fait : favorisés par les liens familiaux par-delà les frontières, beaucoup sont dans les villages libériens, tels les Wê ivoiriens installés chez les Krahn, ou les Yacouba chez les Gyo.
Le gouvernement d'Abidjan après avoir bloqué leur venue par peur d'Ebola, se dit prêt à favoriser leur retour. Un nombre bien plus restreint est installé au Togo, tant à Lomé que dans le camp d’Azepozo. Le pays le plus accessible pendant les hostilités était le Ghana, où vivent environ 10000 ivoiriens, déclarés ou non, notamment à Accra, mais aussi dans les camps du HCR, tel celui d'Ampain très proche de la frontière ivoirienne, où Afrique Asie les a rencontrés.
Au Ghana, une contre -société ivoirienne s est reconstituée, avec ses hiérarchies, ses notables et ses déshérités. Si d'aventure un voyageur cherche à rencontrer les responsables de la diaspora, c’est presque à un « gouvernement en exil » qu'il a affaire.
Le « comité de coordination » qui le reçoit comporte nombre d'anciens ministres de Laurent Gbagbo, tels Emile Guirieoulou ou Bertin Cadet, des intellectuels comme Gnamien Messou ou Thomas N'guessan ; une situation particulière est celle de l’actuel porte-parole du président Gbagbo, Koné Katinan, qui relaie et interprète la parole de l’illustre prisonnier de la Haye. Des cyberactivistes de talent ou des membres actifs de l’ancienne « galaxie patriotique » (comme Damana Pickass) cohabitent tant bien que mal, à travers factions, générations ou clivages politiques, qui traversent jusqu'aux familles : ainsi des « affidés », proches de Pascal Affi N'guessan, ralliés implicites au « système Ouattara » et tentés par le retour. Certains sont à part pour d’autres raisons : comme le disait Gide de Borges, Lazare Koffi Koffi, poète, écrivain, homme politique, « vaut le voyage » !
De fait, les réfugiés ivoiriens connaissent des situations très diverses, qui vont d'une intégration relative jusqu'à la clandestinité ; parfois le retour furtif et temporaire au pays, entre la peur des représailles et la grande misère des camps. Officiellement, les statistiques du « Conseil fédéral des réfugiés ivoiriens » (CFRI,) recensent pour 2015, 10985 réfugiés, répartis dans trois camps, hormis environ 2000 vivant en zone urbaine.
Il faut bien une journée de route, depuis Accra, pour accéder au camp surpeuplé d'Ampain, et les villes côtières ghanéennes, comme Cape Coast, Elmina, Takoradi, comprennent chacune une colonie de réfugiés ivoiriens. Rien ne serait plus faux que de les voir comme statiques : aller et retour permanents de travail et de sociabilité entre ces cités, le long de la « côtière », pour les autres pays limitrophes, voire exil jusqu’au Bénin, Nigeria, et même Maroc. Et parfois des émissaires réfugiés se livrent à des tentatives spontanées ou organisées de voir « au pays » les possibilités de retour ; mais les 3 dernières missions, à l'instigation du HCR, concluent à une insécurité persistante, et à des règlements de comptes ou exécutions possibles par les milices FRCI.
Vue du camp d'Ampain
Le camp d’Ampain, géré par le Ghana Refugee Board, héberge tant bien que mal 5100 réfugiés, et les tensions sont vives depuis septembre 2015.Le HCR, sur instruction de Genève, a tout simplement coupé les vivres ! Prétextant les « nouvelles crises » comme l'Irak ou la Syrie, le HCR a transmis les instructions de Genève dans les pays limitrophes de la Côte d'Ivoire : retour forcé – pourtant interdit par les textes – ou, du moins, contraint par l'absence de vivres et de médicaments depuis 5 mois.
De fait, cette politique de rapatriement dépend plus de l’analyse politique de la situation politique en Côte d'Ivoire que de la situation des réfugiés. Situation qui date de plusieurs années, puisque de graves événements sont survenus en avril 2013 pour les mêmes raisons dans le camp de réfugiés ivoiriens au TOGO. Tentes brûlées, réfugiés violemment molestés, arrestations. Le régime Eyadema avait même menacé de mort les leaders des réfugiés et envoyé la soldatesque.
On n'en est pas là au camp d'Ampain – le président John Dramani Mahama protège les réfugiés – et si le temps des enlèvements et voies de fait par les nervis venus d'Abidjan est fini, la situation de fond est identique : que faire sans aide alimentaire ? Accompagnés par le Ministre Monnet (responsable du CFRI) et par Maitre Dakouri (président de l'association ARID), les réfugiés évoquent les difficiles et partiels palliatifs à la disette. A l’africaine, négocier la possibilité de cultiver des vivriers avec les autochtones N'Zima – mais ce sont des droits d'usage révocables. Se faire aider par les ONG, mais avec les services onusiens elles ont quasiment déserté le camp. Compter sur la solidarité aléatoire de la famille au pays natal – mais leur aide est limitée.
Alors prostitution et délinquance, drogue et violences se développent. On essaie de partir, n’importe où, en ville ou à l'étranger – partout sauf en Côte d'Ivoire. La faim, la valise ou le cercueil, pensent beaucoup de réfugiés, tel est l’insoutenable dilemme.
C’est que les trois quarts des réfugiés sont des Wê de l'Ouest de la Côte d'Ivoire, et restent fidèles à leurs opinions pro-Gbagbo, qui leur a valu de payer un lourd tribut : un millier de morts (hommes femmes et enfants) à Duekoué, en Mars 2011 ; 200 au camp de Nahibli, en
M. Galy
2012. Leurs terres sont confisquées au profit des sahéliens, dans une sorte de « génocide de substitution », puisqu'ils ont été, sous peine de mort, forcés à l'exil. Cinq ans après, à l'Ouest de la Côte d'Ivoire comme dans les camps de réfugiés au Ghana, la situation est toujours explosive, dans l'impuissance, si ce n'est la forfaiture, de la « communauté internationale ».

Michel Galy - Afrique Asie, mars 2016

Source : la page Facebook de Lazare Koffi Koffi 2 mars 2016

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