6 FÉVRIER 1949-6 FÉVRIER 2015
c*d
A l’occasion du
66e anniversaire de la provocation du 6 février 1949, qui servit de
prétexte au gouverneur Péchoux pour décapiter le mouvement anticolonialiste
ivoirien, retour sur les événements de 1949 et 1950, avec Georges Chaffard,
l’auteur de « Les Carnets secrets de la décolonisation »
(Calmann-Lévy, 1965).
du plus large assentiment
populaire
Abidjan colonial Le palais des gouverneurs |
A
Paris, ses élus sont toujours apparentés au parti communiste. Pour Houphouët,
il s'agit d'un apparentement tactique. A l'ancien ministre du front populaire
Georges Monnet qui, légèrement imprudent naguère avec Vichy, est venu se
refaire une virginité dans les affaires en Afrique, Félix Houphouët explique,
un jour de mars 1948 : « Nous avons de
bonnes relations avec le P. C., c'est exact. Mais être apparenté cela ne
signifie pas, si peu que ce soit, que nous soyons nous-mêmes communistes.
Est-ce que moi, Houphouët, chef traditionnel, médecin, grand propriétaire,
catholique, on peut dire que je suis communiste ? Mais notre apparentement au
P. C. nous a été précieux, en ce sens que nous avons trouvé en France des
groupes parlementaires qui nous ont accueilli amicalement alors que d'autres ne
s'occupaient pas de nous, et nous avons trouvé chez eux la possibilité de faire
triompher des causes que nous avions dans le cœur.
Nos collègues malgaches, qui n'étaient
eux aussi que deux ou trois lorsqu'ils défendaient, après leur élection, des
projets en faveur de leur grande Ile, ne trouvaient aucun écho. Chaque fois que
nous, du R. D. A., défendons un projet, nous pouvons compter sur les 183 voix
du parti communiste.
Et ainsi nous avons pu faire connaître
et apprécier nos points de vue. Si, en échange, nous laissons aux groupes
parlementaires communistes nos bulletins de vote pour que, sur d'autres
problèmes, ils en disposent, qu'est-ce que cela peut nous faire ? A notre sens,
la France ne peut pas nous abandonner. Que la France soit dirigée par les uns
ou les autres, elle ne peut se désintéresser de l'Afrique. Donc, nous ne voyons
pas pourquoi nous aurions à regretter cet apparentement. »
Mais
parmi les dirigeants et militants du R. D. A., il en est qui sont plus engagés
que leur président. Pour ceux-là, l'apparentement n'est pas tactique, mais
doctrinal. C'est le cas de ceux issus des « Groupes d'études communistes » (G.
E. C.) créés en Côte-d'Ivoire, au Soudan, en Guinée, par des fonctionnaires ou
enseignants français servant en Afrique. C'est le cas, surtout, du secrétaire
général du Rassemblement, l'homme qui a organisé « l'appareil », l'intelligent,
habile et séduisant Gabriel d'Arboussier, alors conseiller de l'Union française
au titre de la Côte-d'Ivoire. […] Il est
l'un des fondateurs du R. D. A. et en devient rapidement secrétaire général.
Infatigable commis-voyageur du progressisme africain, il est aussi, à
l'assemblée de Versailles, l'orateur le plus écouté dans les débats sur les
affaires d'outre-mer. Car si les thèses qu'il défend sont dures, leur
expression est toujours mesurée. D'Arboussier ne se départit jamais, à la
tribune, d'une courtoisie qui lui vaut l'estime de nombreux adversaires. Il siège
à l'époque au comité directeur du Mouvement de la Paix et se lie d'amitié avec
Frédéric Joliot-Curie.
Le
parti communiste ne contrôle pas le R. D. A., comme affectent de le croire ses
adversaires. Mais il lui fournit un support matériel et surtout lui envoie des
militants. Les « Groupes d'études communistes » fondés en divers
territoires ne sont pas l'avant-garde d'un « parti » africain. Leurs membres
sont invités à militer au sein du R. D. A. Les dirigeants du P. C. F.
admettent que le Rassemblement ne peut être assimilé à un mouvement communiste
stricto sensu. Ses bases historiques et sociologiques sont trop diverses, d'un
territoire à l'autre. L'objectif de son combat, s'il s'inscrit dans des
perspectives progressistes générales, est d'abord l'accession aux droits
civiques et à l'égalité économique : collège unique, suffrage universel,
liberté d'expression, fin du monopole des grandes compagnies commerciales,
etc. La revendication d'indépendance n'est pratiquement jamais posée,
l'accession éventuelle à un régime socialiste jamais évoquée. Le combat se
situe dans le cadre de l'Union française telle qu'elle est définie par la
Constitution de 1946. Que le parti communiste français nourrisse, à partir des
années 1948-1949 l'arrière-pensée d'infléchir, de l'intérieur, l'orientation du
R. D. A., pour en faire un allié idéologique du bloc communiste dans la guerre
froide, cela est possible. Mais les motivations du R. D. A. n'en sont pas
moins, initialement, strictement africaines, et ses perspectives restent, à l'unanimité
des dirigeants, franco-africaines.
Ceux
que son audience populaire inquiète, fonctionnaires coloniaux en retard sur le
siècle, milieux d'affaires défendant farouchement des monopoles et des chasses
gardées, sont évidemment enclins à exagérer l'influence communiste sur le R. D.
A., et à en tirer argument pour obtenir du gouvernement et du Parlement la condamnation
du mouvement d'Houphouët-Boigny. En cette aube de la guerre froide, le « coup
de Prague » hante les esprits des démocrates bourgeois. Le conflit indochinois
attise les sensibilités anticommunistes. Les dirigeants de la IVe
République ont aussi à subir la surenchère du R. P. F. Il est donc
relativement facile d'émouvoir Paris, en présentant Houphouët, d'Arboussier et
leurs compagnons Mamadou Konaté, Gabriel Lisette, Ouezzin Coulibaly, Hamani
Diori, les uns comme de dangereux agents de Moscou, les autres comme de naïfs
gogos « manipulés » par les Russes, tous, comme des fossoyeurs conscients ou
inconscients de l'Union française.
[…]
Il
faut « casser » le R. D. A.
Depuis
le mois d'août 1948, le gouverneur général de l'A. O. F. est l'ancien ministre
socialiste Paul Béchard. […]. Dans les premières années de la IVe,
Béchard est l'un de ces « socialistes coloniaux » dont le libéralisme musclé
entend conduire les peuples d'outre-mer vers une promotion jalousement
circonscrite à l'ombre du drapeau tricolore. Ancien officier, Béchard a le sens
de l'ordre et de l'autorité. Homme politique, il n'échappe pas à ce travers des
gens de la S. F. I. O. qui, au pouvoir, se sentent obligés de donner des gages
à leurs alliés de droite. Il va, certes, introduire dans les mœurs officielles
en A. O. F. quelques innovations sympathiques : il reçoit au palais du
gouvernement général des personnalités africaines; il invite à sa table des
représentants de la bonne société autochtone et prescrit aux gouverneurs des
territoires d'en faire autant; il admet la liberté de la presse et ne s'oppose
pas à l'essor syndical. Dans l'esprit de l'époque, cela va, pour un
haut-commissaire en A. O. F., assez loin. Ses proches collaborateurs, son
directeur de cabinet, Jean Ramadier (fils de Paul), son chef de cabinet Henri
Gipoulon, sont de jeunes administrateurs à la mentalité ouverte. Mais pour
l'ancien secrétaire d'État à la Guerre Béchard, l'évolution doit se faire dans
un ordre rigoureux, et sans précipitation; pour le socialiste Béchard,
l'ennemi de l'ordre, c'est le communiste et son émanation locale, le R. D. A.
La
place forte du R. D. A. en 1948, c'est la Côte-d'Ivoire. Béchard fait nommer
là-bas un gouverneur à poigne, pour la « reprise en main ». Le solide Jurassien
Laurent Péchoux succède fin 1948 au bon Oswald Durand[2].
Béchard se défendra, plus tard, quand le nom de Péchoux sera devenu le symbole
d'une méthode d'administration exécrée des Africains, d'avoir eu part à son
action. Pourtant les dirigeants du R. D. A. détiennent dans leurs archives la
copie d'un échange de correspondance entre le haut-commissaire et l'une des
personnalités européennes les plus influentes en A. O. F. à cette époque, M.
Marc Rucart. Ancien garde des Sceaux, sénateur, éminence du parti radical et de
la franc-maçonnerie, directement intéressé dans plusieurs sociétés commerciales
d'outre-mer dont il défend les intérêts, Marc Rucart sera, sous la IVe
République, l'un des deux ou trois hommes avec qui un haut-commissaire à Dakar
doit compter. Le 29 juin 1949, Béchard lui écrit, dans un style révélateur —
le style, c'est l'homme — pour se plaindre d'avoir été oublié dans une
distribution d'éloges à l'occasion du règlement d'un litige local dans le sens
souhaité par Rucart[3]
: « Dans la distribution de satisfecit,
d'ailleurs parfaitement justifiés, à laquelle vous vous êtes livré, j'ai le
regret de constater que je n'ai pas eu ma petite part. Ne croyez point que j'y
tienne de façon particulière, mais j'ai été étonné que votre amitié n'ait point
voulu se rappeler que si Péchoux, qui réussit de si magnifique façon en
Côte-d'Ivoire (sic) a été nommé gouverneur de ce territoire, c'est parce que
j'ai demandé au ministre cette nomination, et qu'ensuite, une fois nommé, c'est
en complet accord avec moi et avec mon approbation qu'il a suivi la politique
qu'il pratique dans son territoire. »
Fin
1948, Laurent Péchoux n'a pas encore mis en route la « magnifique réussite »
dont Béchard revendiquera imprudemment sa part six mois après. Il vient
d'arriver en Côte-d'Ivoire. Mission : faire éclater le R. D. A. Mais comment
s'y prendre ? Le plus embarrassant est que le R. D. A., dès sa nomination, lui
offre de coopérer. Félix Houphouët et Gabriel d'Arboussier sont venus le voir à
Abidjan. Ils ont dîné au palais. Gabriel connaît bien Péchoux. Ils ont servi
ensemble, comme administrateurs, à Brazzaville. Péchoux mérite mieux que la
réputation qu'on lui fera plus tard. Bourru, direct, aimant la bagarre, il est
aussi honnête et discipliné. Lui aurait-on ordonné de pratiquer une politique
diamétralement différente, il eût obéi. Non de bon cœur. Péchoux est tout le
contraire d'un « progressiste ». Mais par sens de la discipline. En
l'occurrence, les instructions qu'il a reçues vont au-devant de ce qu'il pense
intimement : il faut « casser » le R. D. A. Ce n'est pas par hasard qu'il a été
choisi pour commander en Abidjan. Houphouët et d'Arboussier plaident auprès de
lui une autre politique : mieux vaut pour un gouverneur, disent-ils, être en
bonne intelligence avec un mouvement qui a derrière lui la quasi-unanimité de
la population. (« Voilà bien, justement,
où est le danger », se dit, in petto, Laurent Péchoux.) On se sépare sans
heurt, mais sans accord.
Une
sorte de veillée d'armes s'instaure, où l'on s'observe. Le R. D. A. sent que le
nouveau gouverneur le frappera durement à la première occasion. Péchoux cherche
la faille par laquelle il tentera de disloquer le mouvement.
Le 6 février 1949, à Treichville…
Le
R. D. A. n'est pas formé que de militants conscients et organisés, et tous n'y
sont pas des saints de la cause africaine. Comme toute société humaine, il a
ses durs et ses mous, ses apôtres et ses opportunistes, ses extrémistes et ses
modérés, ses partisans de la violence et ceux de la légalité. La brèche que
cherche Péchoux dans le mur du R. D. A. se révèle le 6 février 1949. Date
symbolique, qui fera crier à la provocation. Il semble bien pourtant que seul
le hasard en a décidé ainsi. Le sénateur Etienne Djaument — on dit encore «
conseiller de la République » — n'a pas réobtenu l'investiture du R. D. A. pour
le renouvellement de son mandat sénatorial. On lui a préféré le modeste
militant Biaka Boda. Pourtant Djaument croyait bien avoir fait tout ce qu'il
fallait pour plaire aux hautes instances du mouvement. N'a-t-il pas donné à
toutes fins utiles son adhésion aux « Groupes d'études communistes », persuadé
que ce patronage est le plus efficace? Il faut croire que le R. D. A. n'est
pas aussi inféodé qu'on le dit, puisque malgré cela, Djaument n'obtient pas
l'investiture. Homme fruste, il en conçoit un vif dépit et se livre au sein du
mouvement à une campagne contre la direction. Comme tout notable africain, il a
sa clientèle. Voilà donc une tendance « fractionniste » qui se manifeste. Elle
intéresse aussitôt l’administration. Djaument devient suspect à ses anciens
camarades. Le 6 février 1949, à Treichville, il est pris à partie dans la rue.
Il s'enfuit en voiture, se barricade dans sa maison. Des militants R. D. A. le
poursuivent. Houphouët envoie en hâte ses compagnons Denise et Mockey pour
calmer la foule. Trop tard. L'incident a déjà éclaté. Des fonctionnaires
partisans de Djaument ont tiré. Voici la police. Les amis d'Houphouët croiront
toujours avoir été victimes d'une provocation. Une trentaine de membres du R.
D. A. sont inculpés pour tentative d'agression sur la voie publique. L'administration
a vu large : elle a profité de l'occasion pour inclure dans le lot huit membres
du Comité directeur. Tous sont emprisonnés à Grand-Bassam.
C'était
l'erreur à ne pas commettre. Du jour au lendemain, toutes les sections du P. D.
C. I.[4]
se solidarisent avec les détenus de Bassam. Le R. D. A., de Côte-d'Ivoire lance
une campagne pour leur libération. On « dénonce » devant les foules le «
traître » Djaument, l'arbitraire du gouverneur Péchoux. L'administration
envoie à Paris des rapports alarmants. Le ministre de la France d'outre-mer
Paul Coste-Floret, éminent professeur de Droit, résistant courageux, mais
piètre décolonisateur (« Il n'y a plus de
problème politique en Indochine... Je peux dire que nous sommes au bout du
tunnel... ») entreprend une
tournée en Afrique noire. Partout, dans chacun de ses discours, il stigmatise
le R. D. A., ce mouvement « qui n'est ni démocratique, ni africain ». A
Ouagadougou, à Porto-Novo, le professeur Coste-Floret enseigne que la main de
Moscou guide les compagnons d'Houphouët-Boigny. Faisant allusion aux détenus de
Bassam, il demande que des mesures sévères soient prises contre les fauteurs
de troubles. Pour le gouverneur Péchoux, ces déclarations ministérielles sont
des ordres. Le temps de l'épreuve de force est arrivé.
Le peuple décide la grève des achats
L'objectif,
là comme ailleurs, sera de dissocier le noyau « dur » du R. D. A. de la masse
des sympathisants et adhérents. La menace, la persuasion, la ruse, bref tout
l'arsenal des méthodes traditionnelles, seront employés selon les
circonstances. Les fonctionnaires et les chefs de canton sont mis en demeure
de quitter le R. D. A. Faute de quoi ils sont révoqués. Ainsi sont suspendus de
leurs fonctions le chef de canton de Toumodi, Yao Kpri ; celui de Bouaké, Paul
Nguessan.
Au
vieux Gbon Coulibaly, cent ans, chef traditionnel des Sénoufos, un émissaire du
gouverneur dira :
–
Tu es, paraît-il, l'ami d'Houphouët.
–
Oui, répond le vieillard, je le considère comme mon
fils.
–
Attention, Houphouët est l'ennemi des Français. Toi,
Gbon Coulibaly, notre allié de toujours, toi qui as accepté jadis le
protectorat de la France sur le peuple Sénoufo, tu ne peux être l'ami de notre
ennemi. Nous te demandons de faire une déclaration pour te désolidariser d'Houphouët,
et conseiller à la population de ne plus voter R. D. A.
Gbon
refuse. Alors l'envoyé du gouverneur modère ses exigences :
–
« Bien, n'en parlons plus. Signe simplement ce papier
qui est une déclaration de fidélité à la France. »
Gbon,
qui ne sait ni lire ni écrire, appose son pouce au bas du papier. Quelques
jours plus tard, son fils Dramane Coulibaly lui rapporte ce qu'il a appris à
Abidjan : la soi-disant déclaration de fidélité était en réalité une
déclaration de démission du R. D. A. Alors le chef centenaire des Sénoufos
convoque Houphouët-Boigny à Korhogo, et devant la population assemblée, affirme
que sa bonne foi a été surprise et qu'il reste l'ami du président du R. D. A...
Anoublé
Kouakou, chef traditionnel baoulé, descendant de la reine Pokou fondatrice de
la dynastie, a depuis longtemps posé sa candidature devant le gouverneur pour
être nommé chef supérieur. Sans succès jusqu'à présent. Enfin Péchoux lui
accorde satisfaction. Le bulletin officiel de Côte-d'Ivoire publie l'arrêté de
nomination; le texte est suivi d'une déclaration d'Anoublé Kouakou annonçant sa
démission du R. D. A. Émues par cette nouvelle, des délégations du peuple
baoulé rendent visite au nouveau chef supérieur dans son village de Sakasso.
Anoublé Kouakou s'étonne : il n'a jamais signé de démission. Il vient à la
tribune de plusieurs meetings du R. D. A., à Treichville et Adjamé, pour
populariser son démenti. Enquête faite, on apprend que la déclaration publiée
dans le Bulletin officiel avait été signée « par procuration » par un commis
d'administration...
En
accord avec le gouverneur de Haute-Volta, Mouragues, Péchoux essaie de dresser
contre le R. D. A. les travailleurs Mossis, employés nombreux sur les
plantations de Côte-d'Ivoire. Plus efficaces sont les méthodes de persuasion
employées auprès d'élus de l'Assemblée territoriale. La crainte de devoir
affronter, lors du renouvellement des conseillers, l’hostilité de l'administration,
et l'espoir de devenir, à la tête de nouveaux groupuscules politiques, des «
interlocuteurs valables », conduisent une douzaine de conseillers généraux du
second collège à abandonner le R. D. A. «
Soyez des hommes libres, et non des marionnettes des communistes », leur
répètent les fonctionnaires du cabinet de Péchoux.
Dans
une circulaire aux militants, fin 1949, d'Arboussier appelle les membres du
mouvement à l'action « pour faire lever
sur notre terre d'Afrique l'aurore de la libération des peuples... ». Cet
appel à l'action de l'impétueux secrétaire général impressionne d'autant plus
l'autorité coloniale qu'il coïncide avec le déclenchement d'une grève de la
faim parmi les détenus de Bassam. Aussitôt commencée, la grève bénéficie d'une
campagne de solidarité dans tout le territoire. A Abidjan, la population indigène
décide la grève des achats, suivie de la grève des cuisiniers, jardiniers, boys
employés par les Européens. Des manifestations de femmes se produisent autour
de la prison de Bassam. L'administrateur Bereta veut faire disperser par les
pompiers les délégations féminines qui demandent à être reçues au Parquet. Les
femmes ripostent en lançant des pierres, des bouteilles vides, et des injures
colorées. Bereta est frappé... « d'une motte de terre en plein corps », relate
un rapport officiel. Il y a, indéniablement, « coups et blessures à agent de la
force publique dans l'exercice de ses fonctions ». Et pour arranger les choses,
c'est un lot d'avocats communistes qui débarque de Paris pour assurer la
défense des inculpés. Parmi eux, Me Blanche Matarasso et Me Douzon. Ils auront
naturellement tendance à politiser le procès, et, militants dont la sincérité
n'a d'égale que la combativité, deviennent vite les bêtes noires de la colonie
européenne.
La
grève des achats se poursuit pendant plus d'un mois. Les grandes sociétés de
commerce accusent le coup. Leur chiffre d'affaires a baissé de 80 %. Une
circulaire de la Société commerciale de l'Ouest africain (S. C. O. A.) à ses
clients et correspondants, datée du 28 janvier 1950, donne le ton : « Depuis
quelques semaines, nous assistons à une recrudescence de mouvements divers
fomentés par des agitateurs aux ordres de l'étranger... et tendant à entraver
l'essor économique de la Côte-d'Ivoire, puis à créer à la longue un climat
insupportable pour la partie saine de la population de notre colonie... Dans
l'ignorance totale des ordres qui seront lancés par les agitateurs, il nous
est impossible de vous donner maintenant des directives objectives quant aux
mesures à prendre pour la conservation de nos biens... »
Des
consignes ont été données aux forces armées dans l'hypothèse du maintien de
l'ordre. Le bataillon autonome de Côte-d'Ivoire (B.A.C.I.), dont la portion
principale est stationnée à Bouaké, a comme chef de corps un lieutenant-colonel
qui fera plus tard parler de lui. Il s'appelle Charles Lacheroy[5].
Au mois de novembre 1949, le B. A. C. I. a procédé en pays baoulé à des
manœuvres qui, en n'importe quelle autre période, auraient passé pour des
sorties d'entraînement de pure routine. Dans le climat politique du moment,
elles ont été interprétées, à tort ou à raison, comme des démonstrations de
force contre le R. D. A. Les protestations ont afflué à Abidjan, qu'il a fallu
apaiser en annonçant une enquête. Le bataillon Lacheroy compte dans ses rangs
un contingent de militaires syriens, des Alaouites. Employés naguère dans
l'armée française du Levant, ils ont demandé en 1946, au moment de
l'évacuation, de continuer à servir la France jusqu'à l'expiration de leur
contrat. On les a affectés en Côte-d'Ivoire. Soldats loyaux à l'autorité qui
les emploie, ils sont considérés par les Africains comme des mercenaires du
colonialisme.
Mandat d'arrêt contre Houphouët.
Le
22 janvier 1950, un riche commerçant africain de Bouaflé, Sékou Baradji, a une altercation
avec des militants du R. D. A. Roulant en automobile, il a croisé le secrétaire
de la sous-section de Bouaflé, Zoro-Bi-Tra, à bicyclette avec deux compagnons.
Baradji n'est guère populaire. On le sait lié avec les milieux d'affaires
européens. Le R. D. A. a donné pour mot d'ordre aux planteurs africains de
refuser de lui vendre leur récolte de café à bas prix, et d'attendre les
consignes. Les militants, sur son passage, font des gestes hostiles; Sékou
Baradji, qui a de boums oreilles, entend, malgré le bruit du moteur, des
injures à son adresse. Il s'arrête, descend de voiture avec ses compagnons de
route, et s'avance vers les cyclistes qui se sont arrêtés. On échange des
menaces. En vient-on aux mains ? Les versions sont contradictoires. Toujours
est-il que Sékou Baradji, remonté dans
son véhicule, tire des coups de feu en direction de ses adversaires,
avant de repartir. Personne n'est atteint. Il affirmera avoir seulement voulu
les intimider, s'estimant à la merci d'une agression.
Quand
la population de Bouaflé apprend que le commerçant a tiré sur le secrétaire du
R. D. A., elle s'assemble autour de la boutique de Sékou Baradji et gronde.
L'échauffement collectif fait son œuvre. Des manifestants pénètrent dans la
maison et commencent à la mettre à sac. Le commerçant s'enfuit par-derrière,
et va chercher refuge à la Résidence de l'administrateur. La foule le suit.
Plusieurs milliers de personnes se rassemblent autour de la Résidence, exigeant
qu'on leur livre Sékou. Sur l'ordre de l'administrateur, les forces de l'ordre
entreprennent de faire évacuer la place. Outre les gardes-cercles, qui sont des
policiers indigènes, on a fait appel à une compagnie du B. A.C.I. Elle est
commandée par le capitaine Fournier et le lieutenant africain Moussa. Ces deux
officiers font méthodiquement refluer la foule en gardant leur sang-froid. Des
projectiles de toutes sortes pleuvent sur la troupe. Fournier et Moussa[6]
sont blessés tous les deux, mais à aucun moment ne feront usage de leurs armes.
Les dirigeants du R. D. A. leur rendront d'ailleurs hommage. Pourtant, une
fusillade éclate. Trois manifestants sont tués. Des témoins africains
affirmeront que ce sont des civils européens qui n'ont pu résister à l'envie de
« faire un exemple ».
Le
23 janvier, Félix Houphouët arrive à Bouaflé, venant de son village familial de
Yamoussoukro. Il entend mener une enquête personnelle sur les incidents. Il
interroge divers témoins, et dans la soirée convoque à sa résidence de passage
le secrétaire de la sous-section R. D. A., Zoro-Bi-Tra. Bientôt, des forces de
police cernent la maison. Entrent le substitut du procureur de la République et
le juge d'instruction. Les deux magistrats montrent à Houphouët un mandat de
perquisition. Le juge d'instruction fouille la serviette du député, trouve les
notes prises par Houphouët sur les incidents de la veille, et entreprend de les
recopier. « Je suis très content,
lui dit Félix, de la peine que vous
prenez. Ainsi vous verrez de quelle façon sérieuse j'ai mené mon enquête, et
ces notes vous seront certainement utiles. » Le juge d'instruction
n'apprécie guère l'humour. Il demande d'un ton sec :
–
Y a-t-il quelqu'un d'autre dans la maison ?
–
Oui, dit Houphouët, il y a mon camarade Zoro-Bi-Tra
dans la pièce du fond. Je l'appelle...
Quand
le secrétaire du R. D. A. entre, il est mis en état d'arrestation sans autre
explication. Tout au plus les deux magistrats laissent-ils entendre que
l'incitation à la violence sur la voie publique est un délit grave.
Houphouët
regagne Yamoussoukro. Dans la nuit du 25 au 26, escorté de deux camions de
tirailleurs, le substitut se présente au domicile d'Houphouët. Le portier qui
garde l'entrée de la concession refuse de le laisser entrer : « Le député dort. On ne vient pas chez les
gens la nuit avec des armes. Repassez demain. » Le substitut n'insiste pas.
Houphouët est quand même parlementaire, un mandat d'arrêt ne s'exécute pas
avant le lever du jour, et pour tout dire, le magistrat n'est pas très rassuré
malgré son escorte de tirailleurs... Il retourne à Bouaflé.
Le
lendemain, un groupe de dirigeants du R. D. A. parcourt la ville, s'entretenant
avec la population des derniers incidents. Il y a là Ouezzin Coulibaly, le
sénateur Biaka, Auguste Denise, président du Conseil général, et Gabriel
d'Arboussier. Le substitut vient les trouver. Il demande à Denise :
–
Houphouët-Boigny est-il chez lui ?
–
Oui.
–
Pourquoi alors a-t-on refusé de me laisser entrer hier
soir ?
–
En raison de l'heure tardive, et de votre escorte
insolite. Mais si vous voulez vous entretenir avec le député dans des conditions
normales, il vous recevra.
Le
substitut reprend la route de Yamoussoukro avec deux inspecteurs et un seul
camion de tirailleurs. Houphouët, surpris dans sa sieste, le reçoit en pagne
dans l'enceinte de la concession familiale.
–
Monsieur le Député, dit le magistrat, voici mon
mandat. Je dois vous mettre en état d'arrestation pour flagrant délit de recel
de malfaiteur. Vous saviez que Zoro-Bi-Tra était recherché par la police, et
vous l'avez cependant laissé se réfugier chez vous à Bouaflé.
Houphouët
le prend de haut :
–
Je veux bien m'entretenir avec M. le Procureur quand
il voudra. Mais je refuse de me laisser emmener entre deux policiers. Je suis
parlementaire. Et je vous demande de réfléchir aux conséquences que pourrait
avoir mon arrestation auprès des populations. Vous-même ne sortiriez peut-être
pas vivant d'ici.
–
Vous refusez donc de me suivre ?
–
Je refuse.
Le
substitut est perplexe. Les tirailleurs, en dialecte, se concertent. « Si on nous demande de tirer, entend Houphouët,
nous savons contre qui envoyer nos balles. » Un des inspecteurs conseille
au magistrat de ne pas insister, et d'aller rendre compte...
Un
inspecteur reviendra seul à Yamoussoukro. Il apporte un mot du substitut : qu'Houphouët
se présente lui-même, spontanément, au procureur de la République. Félix se
méfie. Il préfère envoyer au procureur, en éclaireurs, ses compagnons d'Arboussier
et Ouezzin. En fait, ce que veut le chef du Parquet, ce n'est pas une
conversation avec le député, c'est bel et bien qu'Houphouët vienne se
constituer prisonnier. Aux arguments que font valoir les deux émissaires, il
réplique : « Tout cela m'est égal. Je ne
retirerai pas le mandat d'arrêt et j'ordonne qu'Houphouët se présente à moi. »
Informé
par ses négociateurs, le député écrit une lettre personnelle au procureur. Il
accepte de venir jusqu'à son bureau à Grand-Bassam, mais à condition de n'avoir
pas à répondre à une convocation de justice. La lettre est portée le 27 janvier
par le sénateur Biaka. Le procureur en prend connaissance nerveusement : « En voilà assez, dit le haut magistrat.
Dites à votre chef que je n'admets plus
aucune dérobade. Si Houphouët ne se présente pas à mon cabinet dans les
vingt-quatre heures, je fais raser Yamoussoukro. Les troupes sont prêtes, et je
suis couvert par le ministre. Allez. »
A Yamoussoukro,
Houphouët pense sérieusement à prendre le maquis. Il hésite devant les
conséquences incalculables qu'aurait son geste. Du jour au lendemain, ce serait
toute la Côte d'Ivoire qui basculerait dans la dissidence. On se trouverait
devant une situation analogue ou presque à celle de Madagascar deux ans plus
tôt.
A
Dakar, les conférences militaires se succèdent au cabinet du haut-commissaire.
On envisage de larguer deux compagnies de parachutistes autour de Yamoussoukro
pour s'emparer d'Houphouët et étouffer la rébellion dans l'œuf. Béchard
redevient stratège.
Les
conseillers d'Houphouët tentent une dernière démarche. D'Arboussier télégraphie
à ses amis Boissier-Palun et Guillabert, avocats fort influents du barreau de
Dakar. Ce sont deux Saint-Louisiens de vieille souche franco-africaine. Léon
Boissier-Palun est surtout un avocat d'affaires, très introduit dans la society dakaroise. Mais il a gardé
encore, en ce temps-là, assez de flamme pour défendre devant les tribunaux des
inculpés politiques africains. André Guillabert est un long et aristocratique
jeune homme, descendant d'un conseiller au parlement d'Aix venu chercher
fortune au Sénégal au XVIIIe siècle avec le chevalier de Boufflers. Tous deux,
à l'appel de d'Arboussier, vont demander audience au procureur général d'A. O.
F., Hyacinthe de Montera. Ils lui démontrent le caractère juridiquement
discutable du mandat d'arrêt lancé de Grand-Bassam, et surtout les
conséquences graves qui découleraient de son application. Le procureur général
se rend à leur raison d'autant plus aisément qu'il s'étonne de n'avoir pas été
normalement informé par le Parquet de Côte-d'Ivoire. Il télégraphie au
procureur de Bassam l'ordre de surseoir à l'exécution du mandat contre Houphouët.
Dès
le lendemain, au Parquet de Bassam, on assure, à la cantonade, qu'on n'a
jamais pensé sérieusement à faire arrêter Houphouët. Seule l'initiative
intempestive d'un jeune substitut a créé le malentendu...
Le R. D. A. interdit.
L'hostilité
contre le R. D. A. n'est pas pour autant désarmée. Car la grève des achats
lancée depuis décembre porte une atteinte de plus en plus lourde aux intérêts
du commerce européen. C’est l'équilibre économique de la colonie qui se trouve menacé.
L'homme qui a organisé le mouvement, c'est le secrétaire de la sous-section R.
D. A. de Dimbokro, Samba Ambroise. Une forte tête avec qui la « colonie » a un
vieux compte à régler. N'est-ce pas lui déjà qui, en 1945, au moment de la
grève des coupeurs de bois européens, est venu au secours du gouverneur Latrille
en fournissant le bois de chauffe nécessaire au fonctionnement du chemin de fer
et de la centrale électrique ?
Dans
la nuit du 28 au 29 janvier 1950, l'administrateur de Dimbokro et le juge de
paix se présentent au domicile de Samba Ambroise. Ils perquisitionnent,
emportent ses dossiers, et mettent le secrétaire du R. D. A. en état
d'arrestation. Comme un mécanisme inéluctable, la colère populaire se
déclenche dans la journée du 29. Manifestations, « maintien de l'ordre »,
échauffourées, fusillade. Bilan : 13 morts, 50 blessés, tous Africains. Les
morts sont jetés dans une fosse commune. Pourtant là encore les dirigeants du
R. D. A. innocenteront l'armée et loueront le sang-froid d'un capitaine
européen. Ils mettront nommément en cause des civils, colons et fonctionnaires.
(On peut penser aussi que quelques Africains hostiles au R. D. A. et
bénéficiant d'un port d'armes, peut-être même un ou deux tirailleurs d'origine
extérieure, ayant outrepassé les consignes de leurs chefs, ont ouvert le feu à
l'insu des autorités.) Quoi qu'il en soit, et selon la pratique constante dans
ce genre de drame, ce n'est pas contre les responsables de la fusillade que
vont s'orienter les foudres de l'autorité, mais contre le mouvement auquel
appartiennent les victimes.
Le
1er février, à Paris, sur rapports d'Abidjan, le conseil des
ministres décide l'interdiction de toutes les réunions du R. D. A. sur le
territoire de la Côte-d'Ivoire. Les inculpations et les emprisonnements se
multiplient. La tension monte à mesure que se rapproche la date prévue pour
l'ouverture, à Grand-Bassam, du procès des inculpés de 1949. […].
« Tais-toi, imbécile. »
Le
31 janvier, devant l'Assemblée de l'Union française, M. Georges Monnet dénonce
la collusion du R. D. A. avec le parti communiste, et prophétise sa prochaine
désagrégation. « Déjà neuf conseillers
généraux viennent de le quitter... pour constituer un mouvement d'indépendants.
» (Rires à l'extrême gauche.) « Les fidèles du R. D. A. deviennent de moins
en moins nombreux. » Et Georges Monnet de lire une lettre qu'il vient de
recevoir du député « administratif » Sékou Sanogo : « La majorité du Conseil général de Côte d'Ivoire compte sur vous... »
(Rires à l'extrême-gauche. Cris : « A
Vichy, à Vichy... »).
Le
16 février, c'est le débat de l'Assemblée nationale, où le ministre de la
France d'outre-mer demande et obtient le renvoi des interpellateurs. Il a été
précédé le 10, d'un nouveau débat des conseillers de l'Union française à
Versailles. Un nommé Schock (M. R. P.), rapporteur de la commission de
politique générale, a entrepris l'historique des événements de Côte-d'Ivoire,
en remontant au gouverneur Latrille, « ce valet du R. D. A. » et à « son
sinistre adjoint Lambert ». Latrille est « le grand responsable de la
situation d'aujourd'hui ». Ne vient-il pas d'envoyer, en apprenant les
derniers incidents, un télégramme de sympathie à Félix Houphouët ? Et Schock
d'énumérer à la tribune la liste des mouvements locaux qui se dressent contre
le R. D. A., et qui représentent, eux, la partie saine de la population : le « Bloc
démocratique éburnéen », le Groupe des Indépendants, le Groupe progressiste
(?), la S. F. I. O. ivoirienne... Une controverse pénible pour les socialistes
s'instaure sur la représentativité de leur section de Côte-d'Ivoire. Elle
compte 10.000 adhérents et sympathisants, assure M. Paul Alduy. Mais
d'Arboussier révèle que quelques centaines de cartes seulement ont été
distribuées. « Revenons au débat », supplie le professeur Charles-André Julien,
socialiste de gauche, mais solidaire de ses camarades de groupe, et à qui il
doit en coûter...
Le
vieil Albert Sarraut, qui n'est pas encore président de l'Assemblée, se lance
dans une période fleurie et redondante où il est plus question du « coup de
Prague » que de Dimbokro. L'élu R. D. A. du Niger, Boubou Hama, l'interrompt :
–
C'est de Côte-d'Ivoire qu'il faut nous parler.
–
Tais-toi, imbécile, répond rageusement l'éminence radicale.
Sur
les bancs africains, c'est la stupeur. Le bon Laurent-Eynac préside. Il a été,
trente ans plus tôt, un pionnier de l'aviation. Maintenant, il se grime et se
teint les cheveux en noir pour rester jeune... Il a fait semblant de ne pas
entendre, pour n'être pas obligé de rappeler à l'ordre le patriarche du
radical-socialisme et de deux républiques réunis.
(Extrait : pages 99-119)
NOTES
[1]
- Le premier collège est celui des Européens et des quelques Africains de
statut français.
[2] - Après un bref intérim du gouverneur Orselli, ancien
colonel d'aviation pass2 dans l'administration coloniale.
[3] - Il s'agit de la réintronisation, à la tête du
royaume de l'Indénié, du chef Essey Bonzo, révoqué en 1945 par le gouverneur
Latrille.
[4]
- Le parti démocratique de Côte d'Ivoire, nom de la section ivoirienne du Rassemblement
démocratique africain (R. D. A.).
[5] - Le futur théoricien de la guerre psychologique,
chef du 5e bureau de l'état-major d'Alger, condamné à mort par contumace le 1er
juin 1961.
[6] - Le gouverneur demande à Moussa de porter plainte
contre le R. D. A. Le lieutenant, de cœur avec les manifestants, refuse. Il est
muté en Indochine.
Très intéressant
RépondreSupprimernous sommes surpris par la qualité des informations
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