J. K. Koné |
Le message du Chef de l’Etat le 6 août
dernier, la reprise de l’interminable procès du Président Laurent Gbagbo et du
ministre Charles Blé Goudé, la rupture du PDCI d’avec son allié, l’organisation
des élections locales meurtrières, la sortie du livre du Professeur Francis V.
Wodié, ancien président du Conseil constitutionnel et la création d’une
nouvelle plate-forme politique autour du PDCI-RDA sont les évènements majeurs
qui ont marqué la vie politique au cours du trimestre écoulé.
Même s’ils n’ont pas tous la même portée
nationale, ces évènements ont eu l’avantage d’exposer, au monde entier, toutes
les incohérences de la vie politique en Côte d’Ivoire.
Ces incohérences, qui ne faiblissent pas
malgré le drame qu’elles engendrent depuis plusieurs décennies dans le pays,
tirent leur vitalité d’une seule source : la ruse permanente avec la vérité.
Nous avons érigé en norme nationale et en référent de réussite politique le
mensonge et tous ses avatars.
Le 6 Août, le Chef de l’Etat a fait la
traditionnelle adresse à la nation à la veille de la fête nationale. Cette
adresse a été accueillie avec assez d’enthousiasme parce qu’elle ouvrait une
lucarne d’espoir dans l’épaisse incertitude qui enveloppe la vie politique
depuis septembre 2011.
L’on a cru voir dans la mesure
d’amnistie suivie de l’élargissement des hautes personnalités du FPI
injustement incarcérées depuis plus de 7 ans, et la promesse de la réforme de
la très contestée CEI un pas vers une possible réconciliation nationale. Hélas,
l’espoir a vécu le temps d’un feu de paille : vif et long mais très vite
éteint.
La meilleure preuve de la précarité des
effets de la mesure d’amnistie sur la réconciliation est la violence meurtrière
qui a émaillé les dernières élections locales. La raison est que le Chef de
l’Etat a rusé avec sa propre mesure d’amnistie. Il l’a utilisée pour se donner
une bouffée d’air à un moment de grandes tribulations pour son régime sans pour
autant avoir eu l’intention irrévocable de se donner les moyens de construire
une véritable réconciliation.
L’exclusion des militaires de cette
mesure d’amnistie, dont certains après avoir été libérés des prisons ont dû
prendre immédiatement le chemin de l’exil parce que traqués pour être remis en
prison, et surtout l’exclusion des célèbres et encombrants prisonniers de la
CPI révèlent la véritable intention du Chef de l’Exécutif ivoirien par rapport
à la réconciliation. L’absence de l’ouverture d’un dialogue politique inclusif
et sincère a considérablement réduit la portée de l’amnistie par rapport à la réconciliation
nationale.
Le second point de cette ruse est le
revirement spectaculaire du Chef de l’Etat qui, en moins d’un mois, a renié sa
propre parole au sujet de la CEI. La restriction postérieure qu’il a portée à
son engagement solennel de reformer la CEI avant les prochaines élections
montre la duplicité des acteurs politiques majeurs de notre pays. Cette
duplicité s’est bien illustrée pendant les dernières élections locales. En
effet, comment comprendre autrement la participation à une élection organisée
par une structure, que l’on reconnait comme partiale et illégale, et se
plaindre, après coup, des manquements de cette structure si ce n’est faire
preuve de duplicité ?
Non seulement elle est illégale et ploie
sous le poids d’une suspicion à la fois légitime et générale, mais en plus,
l’on demande à cette CEI d’organiser sa dernière élection avant sa disparition
sous sa forme actuelle. En d’autres termes, les animateurs de cette structure
savent qu’ils réalisent là leurs dernières « affaires » ; il faut bien qu’elles
soient juteuses avec l’assurance surtout qu’il n’y aura aucune responsabilité à
assumer a posteriori. Soyons sérieux
un jour avec nous-mêmes.
Si toutes les parties d’un match de
football contestent d’emblée l’arbitre et acceptent, néanmoins, de lui confier
l’arbitrage du match, il est certain que chaque partie s’est donné les moyens
secrets de s’imposer autrement que par les décisions de cet arbitre. C’est
exactement ce qui s’est passé avec la violence meurtrière qui a accompagné les
dernières élections dans lesquelles tous les acteurs y compris la CEI ont joué
à la ruse. La violence et le manque de sincérité du scrutin étaient plus que
latents ; ils étaient inévitables.
L’argument qu’il fallait y aller quand
même, pour convaincre les derniers sceptiques de l’inefficacité et de la
partialité de la CEI, est trop spécieux pour être pris au sérieux. Après la
décision de la Cour de justice des droits de l’homme et des peuples de l’UA de
2016 et le discours du Chef de l’Etat lui-même, toute aventure dans une
quelconque élection avec cette CEI n’est que turpitude.
Imaginons un seul instant que le FPI eût
participé à cette élection, la violence enregistrée lui aurait été
opportunément et malveillamment imputée pour servir et faire valoir d’élément
factuel probant à la série de science-fiction que ne cesse de monter le
Procureur de la CPI sur la crise politique ivoirienne. Le Président Laurent Gbagbo
et son parti n’ont pas participé aux dernières élections qui se sont déroulées
entre amis.
Elles ont enregistré de nombreux morts,
des nombreux blessés et, même, des disparus. Pourtant, l’on tente
maladroitement de leur attribuer l’exclusivité de la violence électorale de
2011. Quand nous attirons l’attention des uns et des autres sur la dangerosité
du procès du Président Laurent Gbagbo pour la cohésion sociale en Côte
d’Ivoire, beaucoup nous traitent de pro-Gbagbo radicalisés par un excès de «
gbagboïsme ».
Aucun ivoirien, animé de la plus petite
dose d’honnêteté, ne peut attribuer au Président Laurent Gbagbo le moindre
trait caractéristique de violence ou de xénophobie.
Primo, La simultanéité de l’apparition de la violence et de l’arrivée des tenants actuels du pouvoir dans la sphère politique n’est pas un concours de circonstances hasardeuses. La tentative d’immaculation espérée avec le changement du nom de leur parti est peine perdue.
Primo, La simultanéité de l’apparition de la violence et de l’arrivée des tenants actuels du pouvoir dans la sphère politique n’est pas un concours de circonstances hasardeuses. La tentative d’immaculation espérée avec le changement du nom de leur parti est peine perdue.
L’histoire et la conscience ivoirienne
ont retenu cette réalité infalsifiable. La violence meurtrière enregistrée,
pour une élection mineure, bat en brèche toute la thèse du procureur de la CPI.
Ce n’est pas un plan conçu par le Président Laurent Gbagbo pour se maintenir au
pouvoir qui a occasionné la violente crise post-électorale de 2011. C’est
plutôt le refus systématique du respect des règles démocratiques par ses
adversaires qui a engendré cette crise.
Secundo, les Ivoiriens n’ont jamais été
xénophobes et aucun des gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays n’a
élaboré ou implémenté une politique de xénophobie. Paradoxalement, c’est la
méthode de l’épouvantail, médiatiquement bonifiée à des fins politiques pour
jeter l’anathème sur eux, qui risque de conduire les Ivoiriens sur le chemin
très glissant de la xénophobie. Les dommages qui en découleraient seront
énormes pour tout le monde. Or, toute la thèse de l’accusation, dans le procès
qui a cours à la CPI, repose sur la xénophobie présumée du Président Laurent Gbagbo.
La thèse mensongère du supposé plan
commun, élaboré et implémenté par le Président Laurent Gbagbo pour tuer les
Ivoiriens du Nord et ceux de la CEDEAO, n’est rien d’autre qu’une illustration
de cette xénophobie selon le procureur de la CPI. La mobilisation silencieuse
ou manifeste autour du Président Laurent Gbagbo prouve que personne, en Côte
d’Ivoire comme à l’extérieur, ne croit à cette thèse même si le mutisme de
certains sachants, quant à l’invraisemblance de ladite thèse, est gênant pour
la cohésion nationale.
En revanche, chaque jour que l’homme
passe en prison, chaque fois que le procureur tente de réécrire l’histoire de
la crise ivoire, il blesse davantage les Ivoiriens. Le soutien, au-delà des
clivages politiques, apporté au candidat du PDCI au Plateau, un parfait anonyme
de la scène politique ivoirienne, est un message très fort.
Elle rappelle cette autre mobilisation
derrière Yasmina Ouégnin, quelques années avant à Cocody, parce que le passé de
rebelle de son adversaire, bien que brillante, était jugé incompatible avec les
valeurs sociales qu’entendaient défendre les électeurs de cette circonscription.
La société humaine a plusieurs façons de s’exprimer. Il faut savoir l’écouter
afin d’anticiper ses réactions. Ceux qui, par de petits calculs, font prolonger
la détention arbitraire du Président Laurent Gbagbo font courir de graves
risques à notre pays. Alors que cette question constitue la clé de la
réconciliation, ici encore, l’on continue de ruser avec.
Un autre aspect de l’excès du dol dans
la vie politique ivoirienne est l’inconstance idéologique de la classe
politique. Telle une masse mouvante insaisissable, désorganisée et sans
identité, celle-ci se déplace machinalement, tantôt à droite, tantôt à gauche,
d’un pôle à un autre, au gré des contingences immédiates sans perspectives sur
le long terme.
L’on s’unit pour déshabiller Paul et
habiller Pierre avant que celui-ci ne se retrouve, à son tour, déshabillé au
profit de celui-là. Pendant ce temps, les défis sérieux s’amoncellent sur le
chemin de la nation. Le peuple s’interroge sur la capacité de la classe
politique dans son ensemble à sortir le pays de l’ornière.
Hélas, cette démarche contorsionniste
n’est pas propre aux seuls politiques. Des intellectuels, des quasi-savants y
ont pris goût. L’ancien président du Conseil constitutionnel, émérite juriste
dont la science est mondialement reconnue, maître incontesté des facultés et
des écoles de droit, le très respecté constitutionaliste Francis V. Wodié,
affirme, dans son livre qui vient de paraître, qu’il s’est laissé gagner par
les petits arrangements politico-juridiques parce qu’il croyait pouvoir ainsi
sauver les institutions de la République.
S’étant rendu complice, au moins
passivement, de l’éviction de ce poste, pourtant réputé inamovible, du
professeur Yao Ndré, une autre icone perdue du droit ivoirien, lui aussi, à
cause de ses propres turpitudes, il se surprend à emprunter la même porte de
sortie que son prédécesseur.
Les arrangements politico-juridiques,
qui l’ont hissé au sommet du Conseil Constitutionnel, sont les mêmes qui l’en
ont fait descendre. Aucune dictature ne prospère si elle ne bénéficie pas de
complicités actives ou passives de la part de la classe politique. Je me
laisserais difficilement convaincre de ce que, ce qui arrive en Côte d’Ivoire
depuis 2011 est surprenant. Tout était prévisible. L’essence de chaque pouvoir,
comme un matériel génétique de tout corps vivant, se constitue dès l’origine de
ce pouvoir.
L’avènement d’une démocratie par les
armes est la plus grande illusion vendue aux Ivoiriens. Maintenant que la
supercherie semble être découverte par tous y compris les plus candides, il
faut en sortir le plus rapidement possible. En Côte d’Ivoire, le contrat social
est rompu. Il y a maintenant plusieurs contrats claniques qui menacent la République
et la nation.
Il faut trouver le cadre pour fondre
tous ces contrats claniques en un seul contrat social pour donner un nouveau
départ à ce pays et, ce, avant 2020. Sinon ni aucune ruse, ni aucune
incantation ne nous sauveront d’un naufrage collectif. Allah, lui-même, n’est
pas obligé de nous écouter puisque nous lui mentons dans nos prières.
J. Katinan Koné
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ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu
qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et
des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à
faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la «
crise ivoirienne ».
Source : IvoireBusiness 22 octobre 2018.
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