Co-fondatrice et directrice de l’IVERIS (Institut de Veille et d’Etude des Relations Internationales et Stratégique), Leslie Varenne a été journaliste d’investigation pendant 20 ans. Elle est une spécialiste reconnue de l’Afrique, continent sur lequel elle se rend régulièrement et auquel elle a consacré de nombreux articles, reportages, rapports et ouvrages. Elle a également consacré de nombreuses enquêtes et publications à la politique et à l’économie française et internationale. Elle nous parle ici des Ivoiriens réfugies au Ghana.
Dans un camp de réfugiés ivoiriens |
Comment avez-vous entendu parler des réfugiés Ivoiriens au Ghana
et pourquoi avez-vous décidé de les rencontrer ?
Aucune personne, suivant la politique africaine
attentivement, ne peut ignorer les multiples camps de réfugiés qui existent
dans toute l’Afrique. Aujourd’hui, l’actualité est centrée sur les migrants
arrivant en Europe, mais on oublie que les plus grandes migrations sont
interafricaines. Un pays comme le Cameroun héberge, dans l’indifférence
générale quelques 200.000 Centrafricains, le Maroc ou l’Algérie sont également
des Etats accueillant des milliers d’exilés venus des quatre coins du
continent. Des réfugiés maliens sont encore dans des camps en Mauritanie, au
Burkina Faso, en Algérie, ils auraient dû rentrer depuis la signature de
l’accord d’Alger en 2015 et ils sont toujours loin de leurs terres. Ces Maliens
sont la preuve que cet accord n’est pas respecté, tout comme les réfugiés
ivoiriens dans les camps du Ghana sont la preuve que la réconciliation
nationale n’a pas eu lieu en Côte d’Ivoire.
Aller à la rencontre de ces personnes fait partie de mon
travail tel que je le conçois, ne pas me contenter de faire de la recherche
depuis Paris, mais me rendre sur le terrain. Par ailleurs, j’ai beaucoup appris
de ces échanges avec de nombreux réfugiés du camp d’Egyeikrom. Les discussions
ont été d’une grande qualité, notamment sur le fonctionnement du
Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR). Au regard de leurs conditions de vie,
j’ai été surprise de constater le niveau d’information de ces personnes tant
sur leurs droits que sur la politique ivoirienne et ghanéenne.
Qui sont ces réfugiés ? Vivent-ils tous dans des camps ?
Il y a deux catégories de réfugiés, ceux qu’on dit «
urbains » et ceux qui vivent dans les camps, ils ne sont pas du tout confrontés
aux mêmes problèmes. La première catégorie correspond aux personnes qui ont les
moyens financiers de subvenir à leurs besoins et qui vivent de manière autonome
dans les villes. Les situations sont très diverses, certains vivent de l’aide
de parents ou d’amis, d’autres de leurs rentes. Dans leur grande majorité, ils
viennent d’une autre classe sociale, ils ont été en responsabilité dans le
passé et bénéficient d’une notoriété qui les protège, d’une certaine manière.
S’ils décident de rentrer, la presse ivoirienne parle d’eux, ils risquent
parfois la prison, comme dans le cas d’Assoa Adou, mais leur cas attire
l’attention. D’autres négocient leur retour directement avec le Gouvernement et
assurent ainsi leur sécurité et parfois même bénéficient d’une aide sonnante et
trébuchante contre une photographie avec un ministre. Ceux qui vivent dans les
camps sont les « sans » : sans argent, sans voix, sans protection. S’ils
rentrent au pays personne ne se soucie de leur sort, selon leur région ou leur
quartier ils craignent les FRCI, les Dozos ou encore les microbes. La plupart
des réfugiés des camps sont originaires de l’Ouest, n’ont plus ni maison, ni
travail. S’ils tentent de rentrer pour revendiquer leurs plantations, ils
risquent leur vie, ceux qui occupent leurs biens ne le leur rendront pas avec
des fleurs.
Pour quelles raisons ne sont-ils pas
rentrés chez eux après la crise postélectorale ?
Comme je l’ai dit plus haut, les principales raisons qui
les empêchent de retourner chez eux, sont la sécurité et la privation de leurs
biens. Lors de la dernière rencontre entre Helen Johnson Sirleaf et Alassane
Ouattara, la question des réfugiés ivoiriens du Libéria a été évoquée. Leurs
déclarations respectives sont particulièrement étonnantes. La Présidente
libérienne a demandé aux exilés de rentrer chez eux, car « ils trouveront du
travail » ! ; de son côté, le Président ivoirien a dit « ceux qui veulent
rester pour des raisons personnelles sont chez eux au Libéria »[i]. Ces propos
sont aberrants et démontrent que soit, ces deux chefs d’Etats sont ignorants
des problèmes, soit ils s’en moquent. Personne ne reste en exil par plaisir ou
convenances personnelles ; être loin de chez soi est une blessure. J’ai
mesuré cette souffrance à Egyeikrom. Il y flotte dans l’air une infinie
tristesse.
Les partis politiques et potentiels candidats aux élections
présidentielles évoquent le cas des prisonniers politiques sans jamais se
pencher sur celui des réfugiés abandonnés à leur sort. La population aussi
semble ne rien savoir d’eux. Pourquoi sont-ils des oubliés de la société Ivoirienne
?
A mon sens, il y a plusieurs raisons à cela. Je pense que
les Ivoiriens ont été traumatisés par la guerre de 2011, ils n’ont plus envie
de se rappeler ces souvenirs-là, ils ont envie d’aller de l’avant et de passer
à autre chose. Ces réfugiés leur rappellent que cette histoire n’est pas
terminée. Ne pas les voir est une sorte de déni de réalité. La deuxième raison
me semble-t-il est liée à l’origine sociale, même si dans les camps, ils se
trouvent des étudiants, des anciens petits chefs d’entreprises, la majeure
partie vient d’une classe populaire que tout le monde délaisse, c’est une forme
de mépris de classe. D’ailleurs, ce désintérêt ne s’applique pas qu’aux
personnes qui vivent dans les camps, il s’applique également au sort des
populations de l’Ouest, qui ont été les plus meurtries par le conflit de 2011.
Elles continuent à en subir les conséquences, ce problème foncier crucial dans
cette partie de la Côte d’Ivoire est dramatiquement occulté par la classe
médiatique et politique. Cela tient également au fonctionnement de la presse
ivoirienne, c’est une presse d’opinion avec ses bons côtés mais également ses
mauvais, elle s’intéresse plus à la politique politicienne qu’aux problèmes de
fond. En septembre, il y a eu deux ou trois articles sur le sujet, mais je
crains qu’avec l’actualité ivoirienne chargée, les réfugiés ne retombent à
nouveau dans l’oubli.
Par quelles aides ces populations subsistent-elles depuis ces six
longues années ? Par quels mécanismes cette aide fonctionne-t-elle ?
Jusqu’en septembre 2015, le HCR fournissait une aide
alimentaire, c’était peu, du riz, de l’huile, mais elle permettait au moins de
survivre. Depuis cette date, sous prétexte que la Côte d’Ivoire est en paix,
les donateurs n’octroient plus de fonds et cette aide a été supprimée. Cela
pose un réel problème, les réfugiés se débrouillent comme ils le peuvent.
Certains travaillent en dehors, d’autres bénéficient de petites aides de leur
famille, amis, par-ci, par-là, ils essayent de survivre au jour le jour, leur
situation est véritablement catastrophique. Ils ne reçoivent aucun don, pire,
ils disent n’avoir jamais vu la couleur de certains fonds qui leur étaient
destinés.
Ces aides remplissent-elles leur mission ? Quelles sont les
principales difficultés rencontrées par les réfugiés Ivoiriens ?
Les difficultés sont nombreuses, dans un camp tout est
problématique : se nourrir, se soigner, s’éduquer. Certains dorment encore
dans des tentes depuis six ans. Mais je pense que le pire problème est d’ordre
psychologique. Etre loin de sa terre, loin de sa famille, ne pas savoir de quoi
sera fait demain. Lorsqu’ils sont arrivés, ils pensaient rester quelques mois,
ils sont là depuis six ans, combien de temps vont-ils garder espoir ?
Selon vous, quelles sont les solutions que nous pouvons mettre en
œuvre, politiques et citoyens, pour que nos refugiés reviennent au pays ?
A mon sens, la solution est politique et tient à la
réconciliation nationale ; tant qu’elle n’aura pas lieu, ils ne pourront
pas rentrer. Paradoxalement, cette réconciliation nationale ne pourra avoir
lieu que si les problèmes des réfugiés et des populations de l’Ouest deviennent
une cause nationale. Il revient donc aux partis politiques et aux médias de
mettre les projecteurs sur ces situations pour que d’un côté les Ivoiriens, de
l’autre les chancelleries, les organisations internationales, puissent faire
pression afin que le gouvernement commence à s’occuper du problème.
Pour rappel, à l’issue des négociations de Marcoussis, la
communauté internationale avait obligé le Président Laurent Gbagbo à décréter
une amnistie pour tous ceux qui avaient attaqué l’Etat en septembre 2002. Sans
des mesures fortes, la situation ira de mal en pis…
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