Le
général B. Clément-Bollée
(RFI/Franck
Launay)
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Interview du général Bruno Clément-Bollée, ancien
commandant de la Force Licorne.
RFI : Après deux mutineries successives, chacun des
8 400 mutins ivoiriens a obtenu 10 millions de francs CFA [15 200
euros]. Ces mutins, vous les connaissez bien. Que pensez-vous de leur
mouvement ?
Bruno Clément-Bollée : Je pense d’abord que ce sont des soldats un peu particuliers. Ce sont des soldats qui sont au sein de l’armée
ivoirienne aujourd’hui et qui n’ont pas eu de formation initiale. Et pour
cause, pour la plupart d’entre eux, ils ont traîné pendant des années au sein
des FAFN. Je rappelle que les FAFN [Forces armées des forces nouvelles],
c’était des rebelles qui ont été intégrés, mais sans aucune formation, qui
n’étaient pas payés, qui se payaient un peu sur les populations qu’ils
étaient censés protéger, et qui n’ont vécu finalement que de racket pendant
toutes ces années. Donc vous imaginez que, sans formation initiale, l’éthique
et le comportement qu’on peut attendre de ces soldats seraient très fortement à
reprendre.
D’où leurs actes d’indiscipline depuis le mois de
janvier 2017 et les quatre morts qu’on a déplorés lors de leur dernière
mutinerie. Donc ces mutins, ils réclamaient ces derniers mois des arriérés de
soldes qui remontaient à début 2009. Pourquoi cette date ? Et que leur avait
promis le président Ouattara à son arrivée au pouvoir en 2011 ?
Alors il faut revenir à
l’accord politique de Ouagadougou qui avait stipulé qu’un quota de 8 400
places était offert au FAFN pour reconstruire l’armée.
L’accord politique de Ouagadougou de mars 2007,
concernant notamment les Forces armées des forces nouvelles (FAFN),
c’est-à-dire les combattants de Guillaume Soro ?
Voilà. Les dispositions
de l’accord de Ouagadougou prévoyaient notamment que l’armée devrait être
reconstruite rapidement et que les soldats devaient rentrer en fonction début
2009. Il se trouve que l’armée en fait n’a pu être reconstruite qu’à l’issue de
la crise postélectorale, donc à la mi-2011. Mais le président, à ce moment-là,
considérait que ces soldats devaient être considérés comme soldats depuis
janvier 2009. Il y avait donc un arriéré de soldes assez conséquent. Et la base
des revendications, elle vient de là.
En janvier 2017, le président Alassane Ouattara a
versé à chacun de ces mutins, une première enveloppe de 5 millions de francs
CFA [7 600 euros] et leur a promis que le reliquat de 7 millions
[10 640 euros] serait versé d’ici la fin du mois de mai. Puis il s’est
ravisé d’où la nouvelle mutinerie de ce mois de mai. Et là, le président
Ouattara a tenté de mettre au pas les mutins, mais cela n’a pas marché.
Pourquoi ?
Vous savez, quand vous
menez une négociation, vous avez en gros deux stratégies : soit la fermeté,
soit céder. La fermeté, il faut bien avoir derrière soi les moyens pour mener
une telle politique. En l’occurrence, il y a eu alternance de stratégie,
c’est-à-dire qu’on parle d’une fermeté affichée dans les médias et au résultat,
on cède tout. Ça, c’est catastrophique dans ce type de situation.
Pour mettre au pas les mutins, le président voulait
s’appuyer notamment sur les forces spéciales et le Groupement de la sécurité
présidentielle (GSPR). Pourquoi ces unités-là n’ont pas réussi à faire rentrer
les mutins dans leur caserne ?
Je crois qu’il y a au
sein de l’armée nationale ivoirienne, un problème de cohésion. D’ailleurs, il
n’y a pas eu de réconciliation. Je vous rappelle en plus que ces unités sont
commandées par les ex com-zone [commandants de zone], dont on connaît
l’origine, ils étaient entre le grade de caporal-chef et de sergent-chef. Ces
fameux com-zone, eux, vivent dans l’opulence aujourd’hui et ce n’est peut-être
pas le cas de tous les ex-combattants.
Donc quand vous envoyez les com-zone négocier avec les
mutins, cela ne marche pas vraiment ?
A mon sens, ça ne marche
pas vraiment parce que ces com-zones sont discréditées un petit peu auprès
leurs troupes et ces com-zones ont plutôt été bien récompensés. Ils sont
aujourd’hui lieutenants-colonels ou colonels, cela crée des envieux.
Le 12 mai, le pouvoir a choisi la fermeté. Il a fait
monter des forces spéciales à Bouaké pour réduire la mutinerie. Mais les forces
spéciales n’étaient pas très nombreuses et elles ont refusé de faire feu sur
leurs anciens frères d’armes. Cela vous surprend-il ou pas ?
Pas vraiment. Ces
unités dont vous parlez, elles sont originaires globalement de la même région
que les mutins. Donc c’est un peu des cousins pour ne pas dire des frères. Puis
autrefois, ils ont combattu ensemble pour certains d’entre eux. Cela souligne
une fois de plus cette fragilité, cette division au sein de l’armée telle que
je vous le disais. Cela veut dire qu’en plus, elle n’est pas bien commandée. On
sait pourquoi. Les responsabilités ont été confiées aux chefs du Nord qui était
mal ou pas formés. Et en revanche, tous les officiers originaires du Sud ont
été écartés de toute responsabilité. Or, c’est eux qui étaient bien formés et
qui avaient été formés en Europe, aux Etats-Unis. Et là-dedans, il y a des
officiers de très bonne qualité. Et quand je parle de réconciliation, ça
commence peut-être là.
Divine surprise dans la soirée du 14 mai à Bouaké, au
moment où ces mutins étaient sur le point de céder, ils ont découvert dans une
maison, appartenant au directeur du protocole de Guillaume Soro, un véritable
arsenal de guerre. Est-ce que vous pouviez imaginer quand vous étiez vous-même
à Bouaké qu’il pouvait exister un tel arsenal dans une maison
particulière ?
Si à la DDR, on l’avait
su, on aurait fait agir les autorités pour vider de tels entrepôts.
Alors il y a les mutins et puis il y a aussi les
démobilisés qui, eux aussi, réclament leur part du gâteau ?
Ces démobilisés, il faut
bien se rendre compte que ce sont vraiment les frères des 8 400. Ils les
connaissent très bien. Ils ont combattu ensemble. En tout cas, ils étaient
ensemble dans les rangs des FAFN pendant les dix années de crise. Donc, eux ils se disent quoi ? Eh bien, nous
aussi.
Vous qui connaissez bien la situation en Côte
d’Ivoire, pensez-vous qu’il puisse s’agir d’une déstabilisation menée en
sous-main par des hommes politiques ?
Je crois qu’au départ,
il n’y avait pas de tentative de déstabilisation, il n’y avait pas
d’instrumentalisation. En revanche, les tentatives de récupération, cela est
possible. C’est bien pour cela qu’il faut être vigilant parce que, maintenant
que la crise est exportée de l’armée, il y a des risques de dérapage.
Le chef de tous ces anciens combattants FAFN du
Nord, c'était Guillaume Soro. Aujourd’hui, il est président de
l’Assemblée nationale. Et certains voient sa main derrière tout cela. Qu’en
pensez-vous ?
Moi, je ne peux pas me
prononcer. Je dis que ces tentatives de récupération, si tentative il y a, sont
possibles. Il ne m’appartient pas de déterminer, tout simplement parce que je
ne sais pas, de préciser les noms.
Propos recueillis par Christophe Boisbouvier
Source :
RFI 25 mai
2017
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