Le pays est un trépied.
En tout cas, il l’est devenu. Il tient sur trois pieds. C’est ce qui
aurait dû faire son équilibre. Mais l’histoire est telle que pour avancer, il
faut un peu de déséquilibre. Jadis nos grands planificateurs avaient parlé de « déséquilibres s’équilibrant à
terme ». L’histoire vécue nous a montré que nous avons
lourdement chuté faute d’équilibre.
La leçon que nous en avons
tirée, c’est qu’il faut savoir s’équilibrer avec deux pieds sur trois. C’est un
peu gênant mais ça peut marcher ou tenir. Les deux pieds en question peuvent se
faire mutuellement chanter. Ils se tiennent non plus par la barbichette mais
par les pieds. Sans toi je tombe mais sans moi tu tombes.
Le myriapode est plus riche
en pieds que nous qui nous vantons de nos trois pieds. D’ailleurs, il y a déjà
quelque temps que certains parmi nous avancent sur deux pieds. « Air H
deux pieds » ! Il y a des véhicules de transport en commun qui
se présentent comme des avions ! L’essentiel est d’arriver à destination,
surtout si on veut décoller et émerger !
Il est vrai, en effet, qu’on
peut et doit avancer sur deux pieds car il n’y a rien de plus inconfortable que
de marcher à cloche pied. Le bouvier qui se tient sur une jambe pour surveiller
son troupeau dans le sahel doit être admiré et cité en exemple. On ne doit pas
oublier cependant qu’il s’aide de son bâton.
Ne me parlez pas d’exclusion
quand deux pieds sur trois marchent ensemble. On n’a jamais vu des hommes
marcher sur trois pieds. Ce seraient des monstres. D’ailleurs qui a créé
l’expression « prendre son
pied » ? Elle ne date pas d’aujourd’hui ni n’a été inventée chez
nous en Eburnie. Le pied de qui s’agit-il, si ce n’est celui d’un autre puisque
chacun a besoin des siens pour avancer et conquérir ? Qui va prêter son
pied à un autre pour qu’il le double ?
Pendant qu’on se bat contre
la chaise vide et pour faire qu’elle soit pleine ou simplement occupée, qui
s’interroge sur le nombre de ses pieds ? Fauteuil à trois pieds, divan à
trois pieds, chaise à trois pieds. O tripodie douloureuse ! Éléphantiasis
d’éléphant à trois pieds.
Le myriapode, selon un
proverbe de chez nous, est un bon diplomate. Il traverse les colonnes de
fourmis rouges en demandant pardon aux unes et aux autres. Cela est vrai, mais
on comprend pourquoi il est si lent. Le mille-pattes est trop prudent, trop
conciliant, trop mouin, trop zouin ! Et puis qui a envie d’être laid comme
un mille-pattes, pire, être une scolopendre ? Le poète Bottey Moum Koussa
les appelait iules. Cela parait plus élégant !
On a déjà des problèmes de
partage avec deux pieds. Imaginez qu’on doive tenir compte de mille
pieds ! Chacun comprend qu’il est très difficile de partager, qu’il
s’agisse de paternité de la victoire ou/et des butins qui en résultent. Quand
on fait rimer butin et mutin, on comprend l’inflation de pieds. Que les
mille-pattes imitent les chenilles et entrent dans la forêt de Goin-Débé ou
d’ailleurs. Les feuilles y sont tendres et fort nourrissantes. « Mangeurs de zéklé de tous les pays
unissez-vous ! ».
Personne ne peut tout de même
dire qu’il est confortable d’être assis sur une chaise à deux pieds. Mais là
n’est pas le problème. On peut suppléer le manque de troisième pied avec ses
propres pieds. Souvenez-vous, on disait avant « apprenti mettez calé, si y a pas calé, mettez ton tête !».
Des pieds ressemblent à la
troisième ou quatrième ou même cinquième roue du carrosse. On peut rouler comme
à vélo en se passant de ces roues superfétatoires ou surnuméraire. Ils ont beau
crier : « Nous sommes aussi des
pieds ! », on leur demande de ne pas casser les pieds à ceux
qui ont besoin de sérénité pour exercer le pouvoir. Ils reçoivent même
parfois un bon coup de pied. N’est-ce pas ce que méritent tous les pieds
nickelés ?
Depuis quelque temps, il y a
un problème de piédestal. Quel sera le pied le plus haut ou le plus long,
dépassant les autres de plus d’une tête ? Comment parler de pied d’égalité
alors que nous n’avons pas la même taille ni la même pointure ? Cette
égalité pédestre n’est pas naturelle ! Assurément ! Sans doute
aucun ! Évidemment ! Mais chacun se dit et le dit tout haut, « Sans moi, nous ne serions pas partis
d’un bon pied ! ».
Dans notre trépied national,
la crise ne s’est pas arrêtée à la chaise mais s’est propagée à ses pieds.
Chaque pied se divise en autant d’orteils qu’il y a de têtes fortes. Il y a longtemps
que le pied bleu (différent de pied-bot) est en difficulté, ses orteils sont
divisés en deux parties. Les mauvaises langues diront : « Qui a deux doigts peut avoir deux
pieds et deux orteils ! ».
Et la case ? Elle ne
saurait avoir des problèmes de pieds, ses fondations étant bien implantées.
Mais il peut arriver que son toit soit percé ou ses tôles mal ajustées. Mais en
faisant des travaux de rénovation, il semble que le mur se soit fendillé. Le
proverbe a toujours dit que c’est au pied du mur qu’on voit le vrai maçon. Oui,
mais le maçon n’est pas le menuisier, même s’il s’agit de fauteuil
présidentiel.
L’éléphant quant à lui,
souvenez-vous, il y a quelques années, on disait qu’il boitait parce qu’il
avait mal à une de ses pattes. Maintenant, il semble avoir retrouvé son
équilibre et l’usage de toutes ses pattes. Même celles qui étaient entrées en
dissidence. Mais on peut le soupçonner d’être un mastodonte aux pieds d’argile.
Que les pattes d’éléphant soient grosses et imposantes, qui peut en douter ?
Mais qu’elles soient de chair ou d’argile, qui peut le jurer ? Je
comprends la nostalgie de ceux qui sont demeurés à la mode « basdèf ».
En voulant se couper l’herbe
sous les pieds les uns aux autres, nous nous mutilerons tous, nous deviendrons
une nation d’éclopés, les uns privés de jambes et les autres de pieds, mais en
course avec les nations du monde, aux olympiades du développement ! Nos
esprits sont déjà préparés à perdre car on nous a enseignés que les autres sont
les descendants d’Achille au pied léger quand nous trainons le lourd
poids de nos pyramides.

Pr SERY BAILLY
Titre original : « Un trépied »
Source :
Pole Afrique 24 octobre 2017
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