mardi 31 octobre 2017

« Sans toi, je tombe mais sans moi, tu tombes ».

Le pays est un trépied.  En tout cas, il l’est devenu. Il tient sur trois pieds. C’est ce qui aurait dû faire son équilibre. Mais l’histoire est telle que pour avancer, il faut un peu de déséquilibre. Jadis nos grands planificateurs avaient parlé de « déséquilibres s’équilibrant à  terme ». L’histoire vécue nous a montré que nous avons lourdement chuté faute d’équilibre.
La leçon que nous en avons tirée, c’est qu’il faut savoir s’équilibrer avec deux pieds sur trois. C’est un peu gênant mais ça peut marcher ou tenir. Les deux pieds en question peuvent se faire mutuellement chanter. Ils se tiennent non plus par la barbichette mais par les pieds. Sans toi je tombe mais sans moi tu tombes.
Le myriapode est plus riche en pieds que nous qui nous vantons de nos trois pieds. D’ailleurs, il y a déjà quelque temps que certains parmi nous avancent sur deux pieds. « Air H deux pieds » ! Il y a des véhicules de transport en commun qui se présentent comme des avions ! L’essentiel est d’arriver à destination, surtout si on veut décoller et émerger !
Il est vrai, en effet, qu’on peut et doit avancer sur deux pieds car il n’y a rien de plus inconfortable que de marcher à cloche pied. Le bouvier qui se tient sur une jambe pour surveiller son troupeau dans le sahel doit être admiré et cité en exemple. On ne doit pas oublier cependant qu’il s’aide de son bâton.
Ne me parlez pas d’exclusion quand deux pieds sur trois marchent ensemble. On n’a jamais vu des hommes marcher sur trois pieds. Ce seraient des monstres. D’ailleurs qui a créé l’expression « prendre son pied » ? Elle ne date pas d’aujourd’hui ni n’a été inventée chez nous en Eburnie. Le pied de qui s’agit-il, si ce n’est celui d’un autre puisque chacun a besoin des siens pour avancer et conquérir ? Qui va prêter son pied à un autre pour qu’il le double ?
Pendant qu’on se bat contre la chaise vide et pour faire qu’elle soit pleine ou simplement occupée, qui s’interroge sur le nombre de ses pieds ? Fauteuil à trois pieds, divan à trois pieds, chaise à trois pieds. O tripodie douloureuse ! Éléphantiasis d’éléphant à trois pieds.
Le myriapode, selon un proverbe de chez nous, est un bon diplomate. Il traverse les colonnes de fourmis rouges en demandant pardon aux unes et aux autres. Cela est vrai, mais on comprend pourquoi il est si lent. Le mille-pattes est trop prudent, trop conciliant, trop mouin, trop zouin ! Et puis qui a envie d’être laid comme un mille-pattes, pire, être une scolopendre ? Le poète Bottey Moum Koussa les appelait iules. Cela parait plus élégant ! 
On a déjà des problèmes de partage avec deux pieds. Imaginez qu’on doive tenir compte de mille pieds ! Chacun comprend qu’il est très difficile de partager, qu’il s’agisse de paternité de la victoire ou/et des butins qui en résultent. Quand on fait rimer butin et mutin, on comprend l’inflation de pieds. Que les mille-pattes imitent les chenilles et entrent dans la forêt de Goin-Débé ou d’ailleurs. Les feuilles y sont tendres et fort nourrissantes. « Mangeurs de zéklé de tous les pays unissez-vous ! ».
Personne ne peut tout de même dire qu’il est confortable d’être assis sur une chaise à deux pieds. Mais là n’est pas le problème. On peut suppléer le manque de troisième pied avec ses propres pieds. Souvenez-vous, on disait avant « apprenti mettez calé, si y a pas calé, mettez ton tête !».
Des pieds ressemblent à la troisième ou quatrième ou même cinquième roue du carrosse. On peut rouler comme à vélo en se passant de ces roues superfétatoires ou surnuméraire. Ils ont beau crier : « Nous sommes aussi des pieds ! », on leur  demande de ne pas casser les pieds à ceux qui ont besoin de  sérénité pour exercer le pouvoir. Ils reçoivent même parfois un bon coup de pied. N’est-ce pas ce que méritent tous les pieds nickelés ?
Depuis quelque temps, il y a un problème de piédestal. Quel sera le pied le plus haut ou le plus long, dépassant les autres de plus d’une tête ? Comment parler de pied d’égalité alors que nous n’avons pas la même taille ni la même pointure ? Cette égalité pédestre n’est pas naturelle ! Assurément ! Sans doute aucun ! Évidemment ! Mais chacun se dit et le dit tout haut, « Sans moi, nous ne serions pas partis d’un bon pied ! ».
Dans notre trépied national, la crise ne s’est pas arrêtée à la chaise mais s’est propagée à ses pieds. Chaque pied se divise en autant d’orteils qu’il y a de têtes fortes. Il y a longtemps que le pied bleu (différent de pied-bot) est en difficulté, ses orteils sont divisés en deux parties. Les mauvaises langues diront : « Qui a deux doigts peut avoir deux pieds et deux orteils ! ».
Et la case ? Elle ne saurait avoir des problèmes de pieds, ses fondations étant bien implantées. Mais il peut arriver que son toit soit percé ou ses tôles mal ajustées. Mais en faisant des travaux de rénovation, il semble que le mur se soit fendillé. Le proverbe a toujours dit que c’est au pied du mur qu’on voit le vrai maçon. Oui, mais le maçon n’est pas le menuisier, même s’il s’agit de fauteuil présidentiel.
L’éléphant quant à lui, souvenez-vous, il y a quelques années, on disait qu’il boitait parce qu’il avait mal à une de ses pattes. Maintenant, il semble avoir retrouvé son équilibre et l’usage de toutes ses pattes. Même celles qui étaient entrées en dissidence. Mais on peut le soupçonner d’être un mastodonte aux pieds d’argile. Que les pattes d’éléphant soient grosses et imposantes, qui peut en douter ? Mais qu’elles soient de chair ou d’argile, qui peut le jurer ? Je comprends la nostalgie de ceux qui sont demeurés à la mode « basdèf ».
En voulant se couper l’herbe sous les pieds les uns aux autres, nous nous mutilerons tous, nous deviendrons une nation d’éclopés, les uns privés de jambes et les autres de pieds, mais en course avec les nations du monde, aux olympiades du développement ! Nos esprits sont déjà préparés à perdre car on nous a enseignés que les autres sont les descendants d’Achille au pied léger quand nous trainons le lourd poids  de nos pyramides.
Un proverbe de chez nous dit : « Ne se dépêche que le pied qu’on appelle ». J’ai beau appeler les miens, ils ne viennent pas. Sans doute ne m’entendent-ils pas, sans doute que ma voix est trop faible. Nous nous trompons assurément en croyant que seuls les rois peuvent « avoir mal au pied » ! Le Roi Christophe nous a déjà mis en garde : « Malheur à celui dont le pied flanche ! ».

Pr SERY BAILLY

Titre original : « Un trépied »


Source : Pole Afrique 24 octobre 2017

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