L’hommage national au palais des Sports de Ouagadougou |
Le
matin du 19 août, le président de l’Assemblée nationale du Burkina Faso, Salif
(ou Salifou) Diallo, fut trouvé mort dans sa chambre du luxueux hôtel du 8e
arrondissement de Paris où, dit-on, il était venu « se reposer »
après un passage en Tunisie pour raisons médicales. Ramenée dans sa patrie
quelques jours plus tard, sa dépouille eut droit aux honneurs funéraires les
plus grandioses que le Burkina Faso ait jamais accordés à l’un de ses citoyens.
Et on comprend le billettiste de L’Observateur Paalga, Toégui, lorsqu’il
écrit : « De mémoire de
Burkinabè Voltaïque, je n’ai jamais constaté la disparition d’un homme susciter
autant d’affliction, autant de chagrin, autant de douleur. J’étais loin de
savoir que les Burkinabè ressentaient tant de sympathie à l’égard de Salifou
Diallo. Je pensais même plutôt le contraire ».[1]
Il
y a en effet de quoi s’étonner ! Les Burkinabè d’aujourd’hui, surtout les
jeunes – qui sont l’écrasante majorité – ne connaissent à leur patrie qu’un
seul héros national : Thomas Sankara, assassiné le 15 octobre 1987 lors du
coup d’Etat qui porta Blaise Compaoré au pouvoir et dont, possiblement, le
deuxième protagoniste et bénéficiaire le plus important parmi les acteurs du
cru n’était autre que Salif Diallo.[2]
Or depuis le 19 août, la classe politique burkinabè s’est (presque) unanimement
reconnu un autre héros national, et c’est ce même Salif Diallo !
le fabuleux destin du
nouvel héros national des Burkinabè
Ce
prodigieux paradoxe nous ouvre une voie royale vers la découverte de quelques traits
de la vie politique burkinabè qu’il est important que les patriotes ivoiriens
connaissent et méditent. Comment expliquer, par exemple, la criante
indifférence – pour ne pas dire plus – des élites burkinabè, mêmes quand elles
se proclament progressistes, devant les ingérences de leur pays dans les
affaires intérieures de certains de ses voisins, et dans les nôtres en
particulier, tout au long des trois dernières décennies ? Nous tenterons, chemin
faisant, d’élucider ce mystère, et quelques autres. En attendant, jetons un œil
sur le fabuleux destin du nouvel héros national des Burkinabè.
Âgé d’à
peine soixante ans au moment de sa mort brutale et ayant donc, à ce qu’il
semble d’après l’ampleur de cet hommage posthume, encore un bel avenir politique
devant lui, Salif Diallo peut être considéré comme un miraculé dans ce pays où
peut-être tous les hommes ne sont pas intègres, mais où il est rarissime que
ceux qui ont gouverné réchappent ainsi du …tribunal de l’histoire. Rappelons
que Blaise Compaoré, par exemple, dont il fut le bras droit – et peut-être même
l’alter ego – pendant plus de vingt ans, ainsi que nombre de dignitaires civils
ou militaires de son régime, sont aujourd’hui soit en exil, soit en prison ou
en résidence surveillée, soit en fuite.
Mais,
en l’occurrence, « miraculé » est-il vraiment le mot juste ?
Depuis le renversement de Blaise Compaoré à l’automne 2014, Salif Diallo était
le personnage le plus réellement influent de la scène politique burkinabè. Or
il ne l’était pas devenu brusquement à la faveur des « Quatre
glorieuses », comme on désigne les journées révolutionnaires d’octobre
2014 ; c’était déjà la position qu’il occupait sur l’échiquier politique sous
Blaise Compaoré entre le 15 octobre 1987, jour de l’assassinat de Thomas Sankara,
qui fut comme le coup d’envoi de son irrésistible ascension vers le firmament
politique, et le 24 mars 2008, jour où « il
[fut] démis de ses fonctions dans des circonstances étranges ». La
nouveauté, c’est que, après l’élection de son compère Roch Kaboré à la
présidence du Faso en 2016 et la victoire de leur parti, le Mouvement du peuple
pour le progrès (MPP), aux législatives consécutives, il était devenu, de fait
sinon de droit, le véritable numéro 1 du nouveau régime. Aussi est-on en droit
de se demander si sa « disgrâce » n’avait pas été en réalité une
façon habile de le mettre « en réserve de la République » au moment
où l’avenir du régime Compaoré devenait de plus en plus problématique. Une
question qu’au demeurant les plus perspicaces des Burkinabè ne manquèrent pas
de se poser dès 2008.
Paradoxalement,
la « révolution » victorieuse d’octobre 2014, dans laquelle Salif
Diallo aurait, d’après ses propres dires, joué au moins un rôle de catalyseur,[3]
puis l’arrivée au pouvoir du trio RSS (comme Roch Kaboré, Salif Diallo, Simon Compaoré), au
lieu d’être regardée comme l’heureux aboutissement d’une possible « mise
en réserve de la République », en effaça au contraire le souvenir jusque
dans la mémoire des plus soupçonneux. Si bien que le Salif Diallo que les
Burkinabè ont mis au tombeau le 25 août était, pourrait-on dire, un homme que
plus rien, ou pas grand-chose, ne rattachait à son long et sulfureux
passé. Comme si la péripétie de 2008 l’avait lavé de toute souillure et
transformé en une manière d’homo novus,
comme on disait dans l’ancienne Rome.
D’où
l’intérêt de consacrer quelques lignes à son curriculum vitae, en comptant du
jour où son camarade Jean-Marc Palm le présenta à Blaise Compaoré, alors
ministre de la Justice et deuxième personnage du régime dirigé par Thomas
Sankara. Au début, et jusqu’au 15 octobre 1987, ce n’est qu’un planton au
service de Blaise Compaoré, qui le rétribue sur les fonds de souveraineté de
son ministère[4]
et dont, par conséquent, il est étroitement dépendant. Et dépendant, il le
restera même bien après avoir atteint les sommets. A preuve cette intéressante
anecdote rapportée par son ami et confident Jules Ouédraogo : « J’ai eu maintes fois l’occasion de le
constater : tu avais un attachement viscéral pour le Président Compaoré.
Un souvenir. Nous étions assis un jour dans ton bureau en train de deviser
tranquillement. Tu étais assis vraiment à l’aise dans ton fauteuil. Ton
portable s’était alors mis à sonner. C’était le Président. Tu t’étais redressé
brusquement comme si ce dernier venait de franchir la porte et tu avais adopté
une tenue plus que convenable. Comme un soldat qui « donne la
ration » à son chef. J’en avais été impressionné ! Beaucoup le
savent, car ce n’est plus un secret : tu as été très loyal envers Blaise Compaoré ;
pour lui, à cause de lui, tu acceptais qu’on te casse du sucre sur le dos.
Tiens, une anecdote. Alors que je voulais un jour émettre une critique à
l’endroit de ton mentor, tu m’avais stoppé net, et avec véhémence. On ne
critiquait jamais le Président en ta présence. Ça, c’était interdit et je peux
en témoigner ».[5]
Notez
bien d’abord que, pour l’auteur de ces lignes, il s’agit là d’un fait à mettre
au crédit de son ami défunt ! Maintenant rapprochez cette confidence de ce
que Salif Diallo lui-même aimait à raconter sur la nature de ses rapports avec
Blaise Compaoré tout au long de leur fructueuse cohabitation : « …les gens font une mauvaise lecture
des rapports humains. Moi, j’avais des rapports de camaraderie avec Blaise
Compaoré. En 86, j’étais son chef de cabinet, on travaillait ensemble sur un
certain nombre de dossiers et je travaillais avec Thomas Sankara aussi sur un
certain nombre de dossiers. Et puis, il y a eu ce coup d’Etat condamnable qui
est survenu contre Thomas Sankara. Et, malgré sa disparition, un certain nombre
de camarades et moi nous avons décidé de continuer quand même à défendre une
ligne progressiste pour notre peuple. On n’était pas subjectivement attachés à
la personne de Blaise Compaoré. Et c’est ce qui m’a toujours permis de lui dire
ce que je pensais en tout temps et à tout moment. Je me battais surtout pour ne
pas être courtisan de Blaise Compaoré et je me suis toujours battu contre tous
ceux-là qui avaient une vision courtisane du pouvoir. Et, je crois qu’étant
ministre, à tous les postes où on m’a nommé, je lui ai toujours dit mes
vérités. Bien sûr, ça m’a coûté des fois très cher. Mais il fallait, en tant
que militant, le faire car j’étais avec lui sur une base militante. Moi, je
n’étais pas avec Blaise Compaoré en tant que subordonné administratif, ou bien
en tant que courtisan. Moi, je ne le voyais pas en « président-roi ».
Je le voyais d’abord en président militant. Ce qu’il a dévoyé en cours de
chemin ».[6]
Après avoir lu ces deux versions de la même histoire, comment ne pas penser à
la morale de « L’homme qui tua Liberty Valance », l’un des tout
derniers westerns de John Ford : « On
est dans l'Ouest, ici. Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la
légende ! » ? Le personnage du Salif Diallo seul de tous ses
ministres à oser dire « [ses] vérités » au président Blaise Compaoré
ne serait-il que pure invention de journaliste comme celui de James Stewart en
Ransom Stoddard ? Quand on a entendu ceux qui tiennent les premiers rôles
sur la scène politique burkinabè parler du défunt président de l’Assemblée
nationale, comme ce 24 août au Palais de Sports de Ouagadougou, il est clair
que, dans leur tête au moins, sa légende est bel et bien devenue sa réalité.
Soit
dit en passant, c’est la ligne de partage entre l’establishment et la majorité
des simples gens qui, eux, ont toujours été suffisamment lucides sur le
personnage pour ne pas confondre la légende avec le vrai Salif Diallo qu’ils
avaient vu à l’œuvre entre le 15 octobre 1987 et le 24 mars 2008.
Avant
de devenir l’homme à tout faire de Blaise Compaoré, Salif Diallo s’était
d’abord signalé comme un intraitable adversaire du Conseil national de la
révolution (CNR). C’était au temps où il militait au « Parti communiste
révolutionnaire voltaïque » (PCRV), avant de changer son fusil d’épaule pour
des raisons mystérieuses et de se rallier au CNR. Lorsque le conflit entre les
deux premiers personnages du régime éclata au grand jour, c’est tout
naturellement qu’il prit le parti de son patron. D’après Achille Tapsoba, l’actuel
président par intérim du Congrès pour la démocratie et le progrès
(CDP), Salif Diallo « a
participé à la tension entre les deux [anciens amis]. [Il] était hostile
à la manière dont Sankara menait la révolution. Il a été de ceux qui ont
amené Blaise à crever l’abcès avec Sankara ».[7]
L’après-midi
du 15 octobre 1987, jour de l’assassinat de Thomas Sankara, s’il faut en croire
Blaise Compaoré, Salif Diallo et lui étaient tranquillement assis dans son
salon pendant que non loin de là les assassins commettaient leur forfait :
« L’après-midi du 15 octobre, j’étais
chez moi au salon avec Salif Diallo, lorsque vers 16h je croyais entendre le
bruit de détonations. Je suis sorti et j’ai demandé aux gardes s’ils avaient
entendu des coups de feu. Ils ont dit non et je suis rentré. Mais ensuite
j’entendais clairement les tirs, je pensais qu’ils venaient du côté de la
Présidence et qu’ils s’approchaient. J’ai pris mon arme et Salif Diallo et moi,
nous nous sommes planqués contre le mur de l’autre côté du goudron. Les gardes
nous ont fait rentrer. Vers 16h30, Mariam Sankara m’a téléphoné pour savoir ce
qui se passait. J’ai dit que j’allais vérifier et que je la rappellerai ».[8]
En
matière d’alibi, Salif Diallo lui-même fit encore plus fort : « A l’époque, j’étais chef de cabinet de
Blaise Compaoré, ministre de la Justice et à l’heure de l’assassinat de Thomas
Sankara, j’étais au domicile du ministre Blaise Compaoré. Il était souffrant,
il avait un document qu’il devait remettre au président Thomas Sankara et
pour vous dire la vérité, j’étais à deux doigts de la réunion où Thomas Sankara
est mort. Je devrais être à la réunion. Donc, je l’ai échappé belle ;
n’eut été le fait que Thomas Sankara m’a envoyé récupérer le document, je
serais parmi les victimes… ».[9]
Donc,
ni coupable ni même responsable, n’est-ce pas ? N’empêche que de tous les
Burkinabè alors vivants, c’est Salif Diallo qui tirera le plus grand bénéfice
du tragique événement de ce 15 octobre fatidique. Ce jour-là, jusqu’à 16 heures
moins quelque chose, il n’était presque rien ; à 16 heures et quelque, il
prit soudain le puissant envol qui l’a amené, trois décennies plus tard, durant
lesquelles il fut l’« un des acteurs
majeurs de la scène politique nationale et même sous-régionale », jusqu’à
cette espèce d’apothéose que furent ses funérailles nationales, le 24 août, au
Palais des Sports de Ouagadougou. Et c’est précisément pour cette réussite
vraiment prodigieuse, totalement imméritée, possiblement aidée en sous-main par
quelque manipulateur professionnel, et toute éclaboussée du sang pur de Thomas
Sankara, qu’on admirait tant chez lui dans le microcosme burkinabè !
Hormis
ces commencements tout pleins d’insondables mystères, le parcours ultérieur de
Salif Diallo s’est déroulé au grand jour, au vu de tous, et le moins
qu’on puisse dire, c’est que longtemps il ne fit rien pour susciter
l’admiration ou la reconnaissance de ses concitoyens ou de leurs voisins.
Voilà, d’après un observateur français, à quelles besognes servit Salif Diallo,
pour l’essentiel, durant son long compagnonnage avec Blaise Compaoré : « La "rectification" qui suit [le
meurtre de Thomas Sankara] porte sa marque. (…). Les proches de Sankara sont
traqués. Les agitateurs sont réprimés. Valère Somé, qui joua un rôle important
aux côtés de Sankara, l’accuse d’avoir "personnellement dirigé" des
séances de torture après une marche d’étudiants en mai 1988. Diallo crie à
l’affabulation, mais certains de ses proches admettent que ce fut une période
noire : "À l’époque, dit l’un d’eux, s’il avait fallu brûler le
Burkina pour Blaise, il l’aurait fait". (…). "Blaise lui faisait
entièrement confiance", se souvient un conseiller. Salif n’était pas qu’un
exécutant, il prenait aussi des initiatives. C’était, dit un autre habitué de
Kosyam, "un accélérateur de décisions". Quand Blaise hésitait, Salif
agissait… Diallo est envoyé au Liberia et en Sierra Leone, où il joue parfois
au porteur de valises et au livreur d’armes. Il apparaîtra ensuite dans le
dossier ivoirien, où il conseillera, au début des années 2000, Guillaume Soro,
le leader de la jeune rébellion. C’est "l’âme damnée du pouvoir",
explique-t-on aujourd’hui, non sans arrière-pensée, dans l’entourage de
Compaoré. Ce dernier lui fait confiance au point d’en faire son "agent
traitant" auprès de Kadhafi, aux largesses connues dans tout le Sahel, et
auprès de Taïwan, un pays qui tient à sa relation privilégiée avec le Burkina.
Diallo brasse des millions. Si l’on en croit l’avocat français Robert Bourgi,
il lui est aussi arrivé d’acheminer en France de l’argent destiné au
financement des partis : c’est la fameuse affaire des djembés, dans lesquels le
Burkinabé aurait transporté 3 millions de dollars en 2002 ».[10]
Dans
les hommages que les orateurs des différents clans du microcosme ont rendus à
Salif Diallo, pas un traître mot de tout cela. A peine l’un d’eux – pas des
moindres, il est vrai – daigna-t-il rappeler que l’aire d’activité du défunt ne
se limitait pas à son pays natal mais s’étendait bien au-delà. Mais ce fut sans
expliquer en quoi consista cette activité ; et il alla même jusqu’à
prétendre qu’elle servait les intérêts du Burkina Faso et de l’Afrique : « Je tiens à faire une mention spéciale
pour son engagement sur la scène internationale, afin de défendre et de servir,
sans relâche, les intérêts du Burkina Faso et de l’Afrique ».[11]
Un
comble !
Sans
doute serait-il excessif de parler, ici, de « négationnisme » car
aucun déni ne fut expressément proféré, mais cette attitude n’en trahit pas
moins chez les politiciens burkinabè, toutes tendances confondues, une volonté
certaine de s’auto-absoudre à bon compte des crimes du régime Compaoré, ceux
commis à domicile, comme ceux commis à l’étranger pour le compte de la France
et par personnes interposées, comme au Liberia avec Charles Taylor, en Sierra
Leone avec Fode Sanko, en Angola avec Jonas Savimbi et en Côte d’Ivoire avec
Guillaume Soro et sa bande. Serait-ce parce que, forcément, ils en sont tous
sans exception collectivement comptables, au moins pour ne les avoir jamais
vraiment dénoncés ?
Reste de
la tombe de Thomas Sankara (photo prise en octobre 2016)
|
Faire
l’autruche n’est pas sans risque, surtout en politique, et dans un pays comme
le Burkina Faso. A ce jeu, il se pourrait bien que certains finissent un jour
par être obligés de rendre les armes à ceux qui ont toujours dit que les grands
profiteurs de la révolution de 2014, qui gouvernent aujourd’hui, n’ont fait
chasser Blaise Compaoré que pour prendre sa place. Après tout, quand on y
pense, pourquoi l’a-t-on chassé, au fait ? A cette question, Maixent Somé vient de donner une réponse
qui reflète sans doute très fidèlement l’opinion de bien des gens dans certains
milieux, et pas seulement ceux où l’on se réclame de plus en plus bruyamment de
l’exilé doré de Cocody : « Est-il
besoin de rappeler, écrit M. Somé, que personne n’a chassé Blaise Compaoré de
son pays ? Avant la mort des premiers manifestants abattus devant le
domicile de son frère François Compaoré le 30 octobre 2014, on ne lui demandait
qu’une seule chose : arrêter son forcing sur l’article 37, terminer
son mandat, et tenir pour une fois sa parole en s’en allant après. On lui avait
même voté une loi d’amnistie sur mesures, trouvé un point de chute à la tête de
la Francophonie. Bref on avait tout fait pour qu’il s’en aille paisiblement.
(…). On a chassé Blaise Compaoré de Kosyam, mais pas du Burkina. Il est donc
libre d’y revenir car il en est parti librement ».[12]
Ce n’était donc ni pour les assassinats revendiqués de Thomas
Sankara, Jean-Baptiste Lingani et Henri Zongo, ni pour le meurtre demeuré
à ce jour non élucidé de Norbert Zongo, pour ne citer que les victimes les plus
célèbres, que les foules criaient « Blaise
dégage ! ».
Ce
sont là, du reste, des crimes collectifs, et les coupables ou les complices en
sont tous ceux qui en tirèrent bénéfice d’une façon ou d’une autre, ou qui en
furent témoins et restèrent muets. En en déchargeant implicitement le héros du
24 août, on en a ipso facto déchargé
tous les autres, y compris l’ancien locataire de Kosyam et son petit frère.
Auxquels, dès lors – et à condition de les attraper un jour nonobstant la
vigilance de leurs protecteurs français –, il ne restera plus à répondre que du
très véniel péché d’avoir seulement tenté d’apporter à la constitution des
modifications destinées à leur permettre de se maintenir indéfiniment au
pouvoir. La meilleure preuve en est que la « révolution » d’octobre
2014 n’eut d’abord aucune conséquence sur la situation d’un Gilbert Diendéré,
par exemple, qui, jusqu’à l’échec de son putsch d’opérette, garda la haute main
sur le Régiment de sécurité présidentielle (RSP), la force militaire la plus
effective du pays, tandis que son adjoint, le colonel Zida, devenu
« Premier ministre de la Transition » après avoir été brièvement, proprio motu, le chef de l’Etat, tenait
pour ainsi dire la tête de pont propre à faciliter une éventuelle
contre-offensive des partisans du fantoche déchu.
ce qu’on appelle
« être utile à son pays et à son peuple »
Salif
Diallo fut-il vraiment aussi utile à son pays et à son peuple qu’on l’a entendu
dire et redire entre le 19 et le 25 août ? C’est une question difficile à
trancher, parce que tout le monde peut ne pas être d’accord sur ce qu’on
appelle « être utile à son pays et à son peuple ».
Personnellement j’en doute si, du moins, et s’agissant surtout d’un gouvernant,
être utile à son pays et à son peuple veut bien dire défendre l’indépendance de
son pays tout en respectant celle des pays voisins ; protéger la vie et
les biens de ses concitoyens ; travailler non pas à s’enrichir
personnellement mais à procurer réellement et durablement le bien-être à tous.
Aussi le silence assourdissant de l’establishment burkinabè sur le Salif Diallo
d’avant 2008 ne peut-il que me conforter dans mon doute. Mais bon, s’agissant
de savoir si le rôle de Salif Diallo dans la politique intérieure de son pays
fut bénéfique ou non à celui-ci et à ses habitants, au fond cela ne regarde que
les citoyens burkinabè, et c’est à eux seuls qu’il appartient d’en décider. A
eux donc de dire, par exemple, s’il est normal que parce qu’il est mort et, de
ce fait, déjà assuré d’une impunité éternelle pour sa part des crimes du régime
Compaoré, il fallait aussi qu’il soit fait santo
subito, pour reprendre l’exclamation ironique que le déluge d’encens sur
son cadavre a provoquée chez un malicieux internaute signant ANTA ![13]
Quant à nous, qui ne sommes pas Burkinabè mais qui, avant sa brutale
disparition, pensions aussi avoir quelques comptes à régler avec cet ancien
complice de Blaise Compaoré, comme lui agent subalterne de la Françafrique et
exécuteur très zélé de ses basses œuvres dans notre sous-région, nous ne
pouvons ni ne voulons oublier le rôle que Salif Diallo a joué dans la
préparation et dans l’exécution de l’agression de 2002 contre notre pays puis,
après l’échec de cette tentative de coup d’Etat téléguidé, dans l’entretien
méthodique de cet abcès jusqu’à ce fatidique 11 avril 2011 où, avec l’aide de
mercenaires burkinabè, les Français se sont emparé de Laurent Gbagbo et, à sa
place, ont imposé leurs créatures à la tête de
l’Etat ivoirien.
Mercenaires burkinabés en Côte d’Ivoire |
Car,
n’en déplaise à Roch Kaboré, le « premier de ses orphelins », les
activités de Salif Diallo hors de son pays natal n’avaient rien à voir avec les
intérêts des pays où elles se déroulaient ni avec le bien-être de leurs
peuples, bien au contraire ! D’ailleurs après avoir causé d’immenses
dégâts partout, toutes ont lamentablement échoué, sauf en Côte d’Ivoire, où
elles ne « réussirent » provisoirement que parce que la France, aux
ordres de laquelle les fantoches de Ouagadougou agissaient, y intervint en
force et à découvert pour briser la résistance populaire.
En
Sierra Leone, Fode Sanko est mort, abandonné de tous, dans une prison de
Freetown ; auparavant, il avait largement fait la preuve qu’il ne
représentait rien en lui-même. Toute sa force provenait du soutien qu’il
recevait de la France via Abidjan, Monrovia ou Ouagadougou. A ce propos, une
simple remarque : les atrocités dans lesquelles excellent aujourd’hui les
adeptes de « Boko Haram », c’est en Sierra Leone, avec les bandes de
Fode Sanko, qu’on les vit pour la première fois en Afrique. Il faut avoir cela
en mémoire quand on veut comprendre d’où vient ce terrorisme forcené qui obsède
le monde, et à quoi ou à qui il sert.
Au
Liberia, avant de terminer sa piteuse carrière comme prisonnier du soi-disant
« tribunal pénal international », Charles Taylor avait dû s’enfuir du
palais présidentiel dont il s’était emparé grâce au même soutien prodigué par
les mêmes canaux.
En
Angola, l’aventure de Jonas Savimbi
s’est terminée de façon ignominieuse, une fois qu’après la déconfiture du régime raciste
d’Afrique du Sud qui le soutenait, sa « rébellion » eut perdu tout
intérêt aux yeux de ses protecteurs étatsuniens et européens.
Et,
chez nous en Côte d’Ivoire, voyez comment, depuis son intronisation par Nicolas
Sarkozy, et malgré les extraordinaires complaisances à son endroit de la
soi-disant « communauté internationale », Alassane Ouattara – à qui
devait censément bénéficier ce hourvari – peine à se maintenir à la tête d’un
pays qui dès le début l’a rejeté !
Pour que mille autres
Sankara naissent et grandissent…
Avant
de mettre le point final à cet exposé, je cède la parole à un internaute
burkinabè rencontré sur le Net au hasard de mes recherches, en le remerciant chaleureusement
de me fournir ce bel épilogue :
« Oui mon frère Ka, (…), comme tu le
dis, il faut un changement et ce changement ne viendra que de la jeunesse, et
de la vraie jeunesse qui nous a montré de quoi elle est capable. Mais à l’heure
actuelle, la subversion, les récupérations diverses et les révisions de
l’histoire du pays fonctionnent à plein régime.
(…)
Ce décès de Salif nous dit la détermination
des forces en lutte. Et c’est une lutte à mort, soyons-en conscients ! Et
nous devons faire œuvre de conscientisation de la jeunesse en montrant la
réalité des personnages qui jouent dans cette pièce sur la scène de théâtre
qu’est le Burkina Faso, au-delà des masques qu’ils portent. Cela nous évitera
de nous engager sur des fausses pistes et [de] nous réveiller plus tard avec
les fausses personnes. Et [de] rester toujours ainsi depuis les
indépendances : en éternel recommencement, à patiner sur place.
Thomas Sankara avait réussi à débloquer la
roue de l’histoire au Burkina, mais certains se sont précipités pour la
rebloquer. Il faut dire aux jeunes qui ils sont, au-delà de tous ces éloges et
émotions légitimes. D’ailleurs, je parie que beaucoup de ces mêmes personnes ne
croient pas du fond de leur cœur à ce qu’ils disent. Je ne dis pas qu’on ne
doit pas le faire, je dis que nous ne devons pas rester dupes et perdre de vue
ce qui est en train de se jouer à l’étape actuelle de notre histoire pour ne
pas nous laisser tromper encore comme sous l’insurrection ou la Transition.
Nous devons donner l’information qui fasse
prendre conscience à la jeunesse pour prendre ses responsabilités devant
l’histoire. C’est ce que nous tentons (…). Pardonnons certes, c’est indispensable
pour avancer, mais n’oublions pas ! Et, pour pardonner, il faut que
l’autre reconnaisse qu’il y a faute. Ce n’est pas de la haine, de la vengeance
ou je ne sais quoi. Je sais que c’est naïf et même dangereux pour moi. (…).
Mais je ne tendrai plus l’autre joue, tel un agneau sacrificiel.
Après l’enterrement de Salif, certaines de
ces personnes vont commencer à dire des méchancetés sur lui. Tu le verras
toi-même. De toute façon tu le sais. Je m’y prends très mal certainement, à
vouloir dire ce que tout le monde sait. Oui, c’est vrai, tu as raison quand tu
écris : "Le moment n’est pas propice pour remuer la plaie". Il y
a à peine quelques mois, tout le monde intervenait pour insulter Salif à propos
des tablettes et autres avec son "On s’en fout. Point barre", et
aujourd’hui ces mêmes individus viennent lui tresser des lauriers de sauveur de
la nation.
Notre jeunesse actuelle est paumée car elle
n’a plus de cadre pour le débat et pour se former. On les a mis dans de fausses
pistes et nous ne devons pas cautionner cela malgré nous. Pour que mille autres
Sankara naissent et grandissent, nous autres les anciens, nous devons les
arroser avec le bon fertilisant. (…) ».[14]
Voilà
sans doute ce que tous les Burkinabè vraiment intègres pensent et disent aujourd’hui,
tout bas encore pour le moment, de ce Salif Diallo dont la vie ne fut certainement
pas aussi glorieuse que ses complices d’hier et d’aujourd’hui ont voulu nous le
faire croire. Ni même sa mort, peut-être… Passe encore si au moins elle fut
naturelle… Mais, le fut-elle réellement ou seulement comme celle de Thomas
Sankara ?
Marcel
Amondji (30 septembre 2017)
[1] - Repose en paix cher rss 2,
lobservateur.bf
21 Août 2017…
(http://www.lobservateur.bf/index.php/societe/item/6718-toegui-repose-en-paix-cher-rss-2)
[2] - Cf : Adama (Forum lefaso.net
25 août 2017) : « Il y a des témoignages selon lesquels Salif Diallo
a copté des gens pour participer au coup d’État contre Thomas Sankara ».
[3] - CF. Rémi Carayol (Jeune Afrique 19 janvier 2016) : « …il nous avait raconté comment il avait organisé (avec
d’autres) une partie de l’insurrection du 30 octobre, comment il avait mobilisé
des centaines de jeunes et les avait armés de cocktails Molotov pour harceler
les forces de l’ordre, comment il avait manigancé, avec certains de ses
proches, l’attaque et la mise à sac de l’Assemblée nationale – l’acte qui fera
basculer l’histoire du Burkina. C’était l’œuvre de sa vie, pourtant riche en
coups tordus ».
[4] - Cf Djibril
Touré : « Salif Diallo vivait du salaire que
Blaise Compaoré acceptait de partager avec lui. En retour, l’étudiant chômeur,
en véritable écuyer du tout puissant ministre de la Justice, faisait la liaison
entre son Cabinet et les idéologues et/ou acteurs de premier plan du système.
(…). Ce Salif Diallo, distributeur de courrier confidentiel de Blaise Compaoré
en son temps n’a joué aucun rôle dans l’avènement de la Révolution ».
(http://lefaso.net/spip.php?article26418)
[5] - Jules
Ouédraogo, « Lettre à mon ami Salif » (L’Observateur Paalga 4 septembre 2017)
(http://www.lobservateur.bf/~paalga/index.php/societe/item/6747-jules-ouedraogo-lettre-a-mon-ami-salif).
[6] - Interview de S. Diallo, « http://touteinfo.com » 8 février
2016. C’est ce qui s’appelle le coup de pied de l’âne. Il avait beau jeu
car, à cette date, son ancien maître, exilé en Côte d’Ivoire, n’était plus en
mesure de le contredire. (http://www.reporterbf.net/index.php/trajectoire/item/815-salif-diallo-president-de-l-assemblee-nationale).
[7] - D’après Morgane Le Cam et Cyril Bensimon, « Le
Monde » 24.08.2017.
(http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/08/24/c-etait-salif-diallo-le-faiseur-de-rois-du-burkina-faso_5176084_3212.html)
[8] - Cité par Abdoulaye
Ly, « Circonstances de l’assassinat de Sankara :
Quand Blaise et Dienderé parlent ».
http://thomassankara.net/circonstances-de-lassassinat-de-sankara-quand-blaise-et-diendere-parlent/
[9] - Interview
de S. Diallo, « L’Evénement » 25 juin 2017.
(http://netafrique.net/salif-daillo-mourir-avec-sankara-au-dela-du-buzz-un-fait-blaise-compaore-etait-malade).
Variante : « Moi, je n’étais
que chef de cabinet de Blaise Compaoré. Le jour du coup d’Etat effectivement,
j’étais assis avec lui, parce que je devais être à la réunion de 16 heures. Et
je suis parti chez Blaise Compaoré pour prendre un document sur ordre de Thomas
Sankara. C’est ce que les gens ne savent pas. C’est ce qui s’est passé. Après,
j’ai été entouré par des militaires et moi aussi, en fait, je devais être une
des victimes, parce que je devais être à la réunion avec mon ami Kiemdé
Frédéric. Je m’apprêtais à monter en voiture quand le Président Thomas Sankara
m’a fait appeler pour envoyer récupérer le document chez Blaise Compaoré. Donc,
je n’ai rien à me reprocher pour ce qui est arrivé au Conseil de l’Entente »
(Interview de S. Diallo in « Le Reporter », source : http://touteinfo.com
8 février 2016).
[10] - D’après Rémi Carayol,
« Jeune Afrique » 19 janvier 2016.
[11] - Extrait de l’hommage du président du Faso lors des
obsèques de S. Diallo au Palais des Sports de Ouagadougou le 24 août
(source : Présidence, 25 août 2017).
[12] - Maixent
Somé, « Burkina Faso : Lever l’hypothèque Compaoré »
(lefaso.net 26
septembre 2017)
http://m.lefaso.net/spip.php?article79513
[13] - ANTA (22-08-2017
13:36) : « Toégui, quand j'ai
lu tes élucubrations hagiographiques de ce matin, je me suis écrié :
"Gorba, santo subito"… Il faut donc que désormais Saint Symphorien et
le Bienheureux Albert de Chiatina fassent un peu de place pour Saint Salfo
chaque 19 août dans notre martyrologe ».