Du
poing levé de John Carlos et Tommie Smith aux Jeux Olympiques de 1968 au
présent genou à terre, que de chemin parcouru ! Des Panthères noires aux
marcheurs de « Black Lives Matter », que de chemin parcouru ! De MLK, les deux
genoux à terre, aux sportifs un genou à terre, que de chemin parcouru !
Que
ce soit des pratiquants de foot américain qui aient initié ce mouvement est
aussi parlant. Habitués à courir et à se bousculer les uns les autres,
coutumiers de la force, même si celle-ci n’est pas brutale et dénuée de
stratégie, voici de nouveaux chevaliers casqués et impliqués dans une partie sportivement et socialement engagée.
De
Paul Robeson à Harry Belafonte, et du Satchmo au « rire Banania » à celui de «
We shall overcome » (Nous vaincrons), de l’enfant prodige à l’homme Stevie
Wonder qui met un genou à terre, que de chemin parcouru ! Des corps
lynchés qui pendent et balancent, ces « fruits étranges » dont nous parlait la
divine Billie, au genou à terre, que de chemin parcouru !
Que
devons-nous comprendre ? Que nous inspire ce genou à terre ? Pourquoi genou à
terre, un geste si banal, peut-il incommoder des hommes puissants ? Que penser de cet autre moyen de combattre les meurtres gratuits et impunis qui se déroulent depuis des siècles et des siècles ?
C’est
la force du faible qui n’est ni couché ni debout mais en mode dynamique de
réplique. Ce faible est d’autant plus énervant qu’on pensait l’avoir écrasé. On
croyait « avoir fini » avec lui, comme diraient les jeunes Ivoiriens.
Genou
à terre est mi prière mi défi, statue mi gisant mi équestre ! Prière, religion
et empathie. Crainte de Dieu et défi envers la répression ! Il est différent du
poing levé qui est facile à bannir du monde olympique, olympien et non moins
hypocrite. Il est embarrassant comme un zouglou menaçant parce que fatigué
d’implorer Dieu ! Il fait peur comme le mort qui revient, non pas le revenu,
mais le revenant ! Ni provocation ni aplatissement !
Appel
à la miséricorde qui tente d’attendrir un monde de pierre et de béton. Atteint
mais non abattu, crocheté mais non étalé ! Vous vous souvenez du sénateur Tim
Kaine, le colistier de Clinton ? Il avait dit, en résumant en termes sportifs :
« Ils nous ont mis
au tapis mais pas KO ». En effet, nous connaissons cette image de
boxeur à genou et compté mais qui ne désespère pas de l’emporter. Etre compté
sur le ring mais compter dans l’histoire qui se déroule !
Forme
de résistance et de résilience, genou à terre n’est pas génuflexion. Il s'agit d'assumer sa fragilité, d'affirmer son refus et de convoquer sa volonté de plier sans rompre. L’objectif est de prolonger l’appel de Londres :
la bataille est perdue mais la guerre pas encore gagnée.
Genou
à terre est d’une ambivalence riche et positive : proclamation et silence,
faiblesse et force, demande et appel, prière et intimation, invitation et
convocation, sommation et sollicitation, supplique et requête, soumission et
conjuration, avertissement et respect, immobilité et mouvement, rêve et
cauchemar.
On
s’abaisse mais on refuse d’abdiquer. On se prépare plutôt à se relever et
défier les puissants et les forces camouflées qui infligent partout douleur et
souffrance. Comme dans le code de la chevalerie, il y a foi et fermeté, combat
et retenue, l’épée et la croix, le sabre et le croissant, la soumission à Dieu
et l’engagement pour une cause humaine, la ruse de la stratégie et la
fidélité à ses valeurs.
Tout
le monde n’a pas le même type de cheveux et donc tout le monde ne peut faire un
afro de protestation. Mais nous disposons, tous et chacun, de deux genoux dont
nous pouvons mettre un à terre. L’objectif est de poser le genou pour s’opposer
à ceux qui veulent nous terrasser, nous étaler de toute notre longueur. Comme
on est passé de « Black Power » à « Black President », de l’impuissance noire à une présidence
noire, il fallait le payer chèrement. Mettre un genou à terre, c’est faire acte
de contrition historique et espérer enrayer la régression.
Le
poseur de genou à terre est têtu comme celui qui est couché et dit qu’il ne
peut tomber, couché mais pas prêt à être roulé et jeté dans une tombe.
Peut-être mort, mais pas prêt à être enterré ! D’accord pour gagner le ciel
mais d’abord le paradis terrestre !
C’est
un signe de ralliement, une dénonciation silencieuse des agresseurs impénitents
qui, comme tous les sorciers, ont peur de la lumière. Renaissance de la lutte
non violente de MLK, le genou à terre est différent de l’arrogance qui serait
facile à disqualifier moralement et à briser physiquement.
Un
genou à terre rappelle la moitié vide du verre de coca-cola à ceux qui
célèbrent la grande Amérique, « great again » (grande de nouveau) et « great
always » (grande toujours) étant les deux faces d’une même médaille.
Trump
est fâché parce qu’on ne lui fait pas confiance les yeux fermés, parce que
genou à terre est opposé à son projet d’Amérique arrogante, les pieds sur la
table. Il fulmine parce que des gens refusent de lui confier leur salut, de le
croire aveuglement lui le nouveau Messie. Il est en colère à cause de cet appel
à la conscience universelle alors qu’il incarne la vertu américaine. Le nouveau
père fondateur se retrouve face à de nouveaux christiques enfants de « cœur ».
Trump
voudrait que la foudre qui a frappé Carlos et Smith s’abatte aussi sur les
pratiquants du genou à terre. En plus de l’exclusion du mouvement olympique,
ils ont perdu leurs emplois et leurs foyers se sont brisés, par le divorce et
par le suicide. En les détruisant comme star, ils en ont fait des parias. Trump
aurait voulu ressusciter Avery Brundage, ancien patron du CIO, afin qu’ils
mènent leur combat commun.
Les
vainqueurs de l’histoire souhaitent la fin de l’histoire, comme une équipe qui
mène au score. Mais les menés au score et même les vaincus montrent toujours
que le match ou le championnat n’est pas terminé. L’arbitre céleste n’a pas
encore sifflé la fin !
Genou à terre, chez nous, devant les enfants en difficulté
avec la loi ? Périphrase qui essouffle déjà ! Ils en profiteront pour achever
leurs victimes et parachever leur œuvre ! Cela suppose en effet un minimum de
sensibilité ! Ni les enfants ni le grand blond n’ont la sensibilité requise. Ne
mettent aussi un genou à terre que ceux qui sont déjà debout.
SERY BAILLY
Pôleafrique.info 4 octobre 2017
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