Rencontre au siège newyorkais des Nations unies |
Entre Laurent Gbagbo et la France, ce fut une décennie d'incompréhension et de défiance. Le divorce s'est conclu par une guerre ouverte dans les rues d'Abidjan.
Le 11 avril 2011, Laurent Gbagbo n’a pas été extrait
par l'armée française de la résidence présidentielle où il s’était retranché avec les
siens, mais c’est tout comme. Ce sont les blindés et les hélicoptères français
de l’opération « Licorne » qui ont ouvert la voie aux fantassins de
l’ex-rébellion ayant rallié Alassane Ouattara, le vainqueur de l’élection
présidentielle qui s’était tenue quatre mois plus tôt. Pour Laurent Gbagbo,
cela ne fait pas l’ombre d’un doute : depuis le coup d’Etat raté du
19 septembre 2002 mué en rébellion, Paris n’a cessé de comploter contre lui pour préserver ses intérêts et placer
son affidé.
Dans un pays où
fut inventé le concept de « Françafrique », la rhétorique martelée
sans relâche a permis à M. Gbagbo, élu en 2000 dans des conditions qu’il a
lui-même jugées « calamiteuses » d’endosser les habits du
héraut d’une seconde décolonisation. Une posture. De l’aveu de son
porte-parole, Bernard Houdin, « Laurent Gbagbo est un produit de la culture française et n’a jamais rien fait contre les entreprises françaises ».
Dialogue de sourds
Dès lors, comment expliquer le divorce ?
« Gbagbo, c’est une énorme histoire française avec encore beaucoup de points d’interrogation », avance
Gildas Le Lidec, l’ambassadeur de France à Abidjan entre 2002 et 2005. « La
relation se dégrade à partir de la défaite
de Lionel Jospin en 2002 », juge Guy Labertit, l’ex-délégué du
PS à l’Afrique et rare socialiste français à avoir conservé des
relations avec son camarade ivoirien. Deux ans plus tôt, le premier ministre de
l’époque s’était opposé à Jacques Chirac qui
préconisait une intervention militaire pour réinstaller au pouvoir Henri Konan Bédié,
tout juste déposé par un coup d’Etat, le 24 décembre 1999.
« Les deux problèmes de Gbagbo, pour Chirac, étaient qu’il avait
contribué à la chute de Bédié, qu’il voyait comme l’héritier d’Houphouët, et
qu’il était mal élu, raconte Michel de Bonnecorse, l’ancien
« M. Afrique » de l’Elysée. Puis cela s’est envenimé
lorsque l’on a refusé de dégommer les rebelles
en 2002 qui s’étaient repliés sur Bouaké. Tout de suite après, les proches
de Gbagbo ont parlé de double jeu alors que l’on avait fourni des armes à leurs
soldats et protégé Abidjan d’une nouvelle attaque. »
Dès lors, un dialogue de sourds s’installe entre
l’ex-puissance coloniale et sa vitrine africaine. A Abidjan, on attend de la
France qu’elle « libère » le pays de ces rebelles soutenus
par le Burkina Faso. A l’Elysée,
on dénonce les dérives « fascistes » du pouvoir ivoirien.
Dans des courriers adressés à ses proches que Le Monde a pu consulter l’ambassadeur
Renaud Vignal, aujourd’hui disparu, écrit, en novembre 2002, un mois avant
son rappel à Paris : « Nous entrons de plus en plus dans la
nuit totalitaire. »
« Bavure
manipulée »
La politique française à l’égard de la Côte
d’Ivoire est alors divisée entre tenants du « tout sauf Gbagbo » et
du « rien sans Gbagbo ». Les soldats de l’opération
« Licorne » doivent s’interposer entre deux camps qui ne veulent
pas la paix. « Une erreur stratégique fondamentale qui expliquera
tout l’échec de notre intervention », tranche Gildas Le Lidec.
Viennent ensuite les négociations interivoiriennes,
organisées à Linas-Marcoussis en janvier 2003, où certains ambitionnent de
« transformer Gbagbo en reine d’Angleterre » en le
dépossédant d’une partie de ses pouvoirs régaliens. Un fiasco qu’il retournera
à son avantage, laissant ses proches attiser le sentiment
antifrançais. Il atteindra son paroxysme en novembre 2004. Le 4, l'armée ivoirienne lance une offensive pour reprendre le contrôle du
nord du pays. L’opération « Dignité » est un échec, mais le 6, deux
Soukhoï bombardent la base française à Bouaké, tuant neuf soldats et un civil
américain.
Les raisons de cet acte demeurent encore mystérieuses. Les
services français y voient la main des durs du régime, qui entendent ainsi camoufler la défaite.
L’entourage de Laurent Gbagbo avance la thèse d’« une bavure
manipulée » par la France pour justifier un renversement.
Dans la foulée, l’aviation ivoirienne est détruite, des colonnes de blindés
tricolores foncent sur Abidjan. Dans la capitale économique ivoirienne, alors
que les patriotes pro-Gbagbo enflamment la rue et les symboles de la présence
de l’ancien colon, les soldats de « Licorne » tirent sur des
manifestants. Des dizaines d’Ivoiriens – le nombre exact reste inconnu – sont
tués. Cet événement marque une rupture dans la crise franco-ivoirienne.
Le dernier acte
se jouera sept ans plus tard, en avril 2011. Alors que Laurent Gbagbo
refuse de céder le pouvoir, en dépit
de sa défaite dans les urnes certifiée par les Nations unies, Nicolas Sarkosy lance
l’armée à l’assaut de la résidence présidentielle. Laurent Gbagbo, après avoir
su si bien manœuvrer une classe politique française, est pris de court.
Jusqu’au bout, il n’a pas voulu croire à cet engagement
décisif de la France. Une erreur d’analyse qui s’est avérée fatale pour son
pouvoir.
Par Cyril
Bensimon
Titre original : « Côte d’Ivoire : une relation tumultueuse
entre le président déchu et la France ».
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compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne
».
La
Rédaction
Source : Le Monde 05 février 2016
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