Sans rompre avec la tradition
républicaine de primauté du politique, le soft power militaire inspirerait de
plus en plus les orientations de la diplomatie africaine de la France.
Décryptage avec Hichem Ben Yaïche, expert en géopolitique et spécialiste de l’Afrique
subsaharienne et Philippe Hugon, chercheur responsable de l’Afrique à l’IRIS.
« Aujourd'hui, les militaires
ont pris la main sur la diplomatie. C'est-à-dire que, sans rompre pour autant
avec la tradition républicaine qui affirme la suprématie du politique sur le
militaire, on remarque qu'ils [les militaires, ndlr]
ont de plus en plus voix au chapitre dans le processus de prise de décision qui
touche à la diplomatie africaine », a constaté Hichem Ben Yaïche, rédacteur
en chef de trois revues africaines.
Cet expert en géopolitique et spécialiste de l'Afrique
subsaharienne explique à Sputnik comment, selon lui, l'influence de l'armée
pèse de plus en plus sur la diplomatie française en Afrique. Ce soft power « s'est
imposé de lui-même », car les militaires ont « l'imperium du terrain », où ils
sont en première ligne et dont ils ont développé une expertise leur donnant
accès à une légitimité, qu'ils revendiquent.
« En période de crise,
on apprend à gérer des situations complexes. Et c'est ce qui donne avantage
aux militaires en leur permettant d'exercer cette influence pour passer leurs
points de vue », ajoute Ben Yaïche.
Mais ce
constat s'analyse aussi comme un corollaire de la diplomatie de crise menée
dans nombre de pays africains, même si elle est également active sur d'autres
volets, notamment économiques. La crise malienne a confirmé cette orientation
de la politique africaine de la France, en dépit du désir de « rupture »
affiché par François Hollande en tout début de son mandat.
« Cette crise [malienne,
donc, ndlr] et "le tournant de l'opération Serval" (2012)
qu'elle a entraînée, a été l'élément déclencheur qui a fait entrer l'Afrique
dans les priorités géopolitiques » de l'ancien Président, d'après Ben
Yaïche.
Près de
4.000 militaires français sont en effet déployés aujourd'hui au Sahel, dans le
cadre de la Force Barkhane, où se concentre la principale présence militaire
française en Afrique.
Raison
pour laquelle Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères
(2012-2016), « a été prié de ne pas se
mettre très en avant. On lui a même enlevé le pré carré africain » au
profit des militaires et de Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense,
promu de facto « ministre de l'Afrique ».
« Il est vrai qu'aujourd'hui,
la direction Afrique du Quai d'Orsay est effacée alors qu'elle a toujours eu un
rôle moteur par le passé. Les militaires ont pris la place laissée vacante par
les diplomates. L'effacement de la direction d'Afrique du Quai d'Orsay a créé
un vide. Aujourd'hui la politique africaine est surtout sécuritaire et non plus
fondée sur une stratégie d'influence. La France se contente d'opérations
militaires et de discours », analysait déjà, il y a deux ans, Laurent
Bigot, ancien diplomate français, dans un numéro du Magazine de l'Afrique.
Cette tendance serait en train de se confirmer en dépit de la « la
démission forcée » du chef d'État-major de l'armée, le général Pierre de
Villiers, qui s'est confronté au chef de l'État sur le surcoût budgétaire des
opérations extérieures de la France. Après une semaine de crise, en juillet
dernier, le numéro 1 de l'armée française avait estimé « ne plus être en mesure d'assurer la pérennité du modèle d'armée »
auquel il croyait ni de « soutenir les
ambitions » de la France. Une polémique enfla, aussitôt alimentée par les
irréductibles de la diplomatie militaire, notamment par les lobbies
militaro-industriels français, autre facette de ce soft power.
« Il y a eu une levée de
boucliers et toute une campagne orchestrée contre Macron, accusé de vouloir
sacrifier l'armée », estime Ben Yaïche, estimant que « ces
lobbies exercent un rôle important qui entend, aussi, engager un bras de fer
avec le chef d'État sur le processus de prise de décision militaire ».
Un
secteur qui relève pourtant de son domaine réservé de par l'article 15 de la
Constitution. Une rupture de l'étroite affinité qui a toujours régné, selon
Christophe Boisbouvier, auteur de Hollande l'Africain, entre le complexe
militaro-industriel et les lieux de pouvoir politique ? Rien n'est moins sûr.
Le 13 décembre, une réunion de soutien à la nouvelle force
antiterroriste G5 Sahel s'est tenue en région parisienne. À l'occasion de ce
sommet, auquel ont été conviés les Présidents burkinabè, malien, mauritanien,
nigérien et tchadien, les bailleurs de fonds (principalement l'Arabie Saoudite,
les Émirats arabes unis, les États-Unis et l'Union européenne) ont acté un
soutien financier destiné à la force africaine. Ben Yaïche estime que cette
décision va aussi, à terme, dans le sens souhaité par l'armée française, dans
la mesure où elle réduirait les coûts de sa présence, tout en maintenant le cap
des impératifs sécuritaires.
Un avis
corroboré par le Think Tank international Crisis group : « sans se désengager complètement du Sahel, la France et les autres
pays européens présents dans cette région tentent de limiter leur présente
militaire au sol et de diminuer le coût financier de leurs opérations
extérieures, en délégant une partie de celles-ci à leurs partenaires africains
et à des drones », analyse un rapport produit le 12 décembre.
À
travers la mise en place effective de la force G5 Sahel, « il y a effectivement cet objectif de
désengager progressivement Barkhane, qui ne peut
assurer à elle seule la lutte contre le terrorisme dans la
bande sahélo-saharienne », reconnaît Philippe Hugon,
directeur de recherche à l'Institut des Relations Internationales et
Stratégiques (IRIS), responsable de l'Afrique, dans une déclaration à Sputnik.
Mais l'objectif est surtout d'établir, à
terme, « une pax Africana », à travers la responsabilisation des pays africains
concernés, appelés à prendre en charge leurs propres défis sécuritaires.
L'instrument est « la coopération
militaire régionale, qui se substituera à des armées nationales défaillantes »,
selon Hugon.
Safwene
Grira
Source : Sputnik
14
décembre 2017
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