Les médias francophones, dont on connaît la propension au
nombrilisme, y ont à peine prêté attention, quand ils ne l’ont pas tout
simplement passé à la trappe.
Une indifférence équivalente au peu d’intérêt manifesté par les
Ghanéens lors de la visite éclair chez eux, le 30 novembre, d’un chef d’État
français quasi inconnu à Accra et qui tranche avec l’engouement démesuré
suscité par les apparitions charismatiques de « Jupiter » à Ouagadougou et à
Abidjan. Pourtant, le discours de neuf minutes chrono qu’a improvisé en anglais
le président du Ghana, Nana Akufo-Addo (voir ci-dessous, à 10′ et à 20′),
devant son hôte de quelques heures valait le détour et mérite qu’on y revienne.
Cet avocat formé à l’université d’Oxford, fils d’un ancien président renversé
par un coup d’État, trois fois candidat et deux fois battu, au pouvoir depuis
onze mois, a profité de l’occasion pour délivrer à ses pairs africains une
implacable leçon de choses et à un Emmanuel Macron visiblement admiratif la
démonstration qu’il existe encore un fossé culturel entre le parler-vrai des
chefs d’État anglophones et le parler déférent, pour ne pas dire obséquieux, de
beaucoup de leurs homologues francophones.
Que dit Akufo-Addo ? Un : «
Il est temps que les Africains cessent de conduire leur politique sur la base
de ce que soutiennent ou souhaitent les Occidentaux, l’Union européenne ou la
France. Ça ne marche pas, ça n’a jamais marché, ça ne marchera jamais. Arrêtons
de nous demander ce que la France peut faire pour nous. La France fait de son
mieux pour elle-même d’abord. Il est anormal que, soixante ans après
l’indépendance, la moitié du budget ghanéen en matière d’éducation dépende de
la charité des contribuables européens. Il est temps que les Africains
financent eux-mêmes leurs dépenses de santé et d’éducation. Il est urgent de
rompre avec notre mentalité d’assistés et de mendiants éternels ».
Deux : « L’émigration des
Africains, c’est d’abord notre responsabilité à nous, gouvernants africains. Partout
et toujours, en Italie et en Irlande au XIXe siècle comme en Afrique
aujourd’hui, ce qui impulse les migrations, c’est l’incapacité à offrir aux
jeunes la possibilité de travailler chez eux. Nos jeunes ne vont pas en Europe
par plaisir, ils y vont à cause de nos échecs. L’énergie, l’ingéniosité, la
résilience dont font preuve ces migrants pour traverser le désert et la
Méditerranée doivent être investies ici, en Afrique. Oui, nous voulons que
notre jeunesse reste ici ».
Alors inversons les choses, soyons autosuffisants, sortons de
l’aide. We can do it !
Trois : « Mais, pour cela, il faut de la bonne gouvernance, il faut des dirigeants qui utilisent l’argent public non pas pour eux-mêmes mais pour le peuple, il faut des dirigeants qui rendent des comptes, il faut des institutions fortes. Je me pose souvent la question : pourquoi la Corée du Sud, la Malaisie et Singapour, qui ont acquis leur indépendance en même temps que nous et qui, en 1960, avaient un revenu par tête inférieur à celui du Ghana, appartiennent-ils aujourd’hui au premier monde et nous au troisième ? Que s’est-il passé ? Qu’est-ce qui n’a pas marché ? Je ne vois pas d’autre réponse que celle-ci : c’est notre responsabilité, pas celle des autres. En réalité, quand nous prenons en compte les immenses richesses de notre continent, c’est nous, Africains, qui devrions être en mesure d’aider le monde. Alors inversons les choses, soyons autosuffisants, sortons de l’aide. We can do it ! ».
Trois : « Mais, pour cela, il faut de la bonne gouvernance, il faut des dirigeants qui utilisent l’argent public non pas pour eux-mêmes mais pour le peuple, il faut des dirigeants qui rendent des comptes, il faut des institutions fortes. Je me pose souvent la question : pourquoi la Corée du Sud, la Malaisie et Singapour, qui ont acquis leur indépendance en même temps que nous et qui, en 1960, avaient un revenu par tête inférieur à celui du Ghana, appartiennent-ils aujourd’hui au premier monde et nous au troisième ? Que s’est-il passé ? Qu’est-ce qui n’a pas marché ? Je ne vois pas d’autre réponse que celle-ci : c’est notre responsabilité, pas celle des autres. En réalité, quand nous prenons en compte les immenses richesses de notre continent, c’est nous, Africains, qui devrions être en mesure d’aider le monde. Alors inversons les choses, soyons autosuffisants, sortons de l’aide. We can do it ! ».
Neuf minutes pour tout dire, ou presque. « Si vous aviez besoin d’avoir la preuve
qu’une nouvelle génération de leaders en Afrique croit dans une nouvelle
histoire pour l’avenir et la jeunesse, vous l’avez », a conclu Emmanuel
Macron. Nouvelle génération ? Pas vraiment : Nana Akufo-Addo a 73 ans, un long
passé de politicien et de ministre derrière lui. Langage différent :
assurément. Le président ghanéen parle comme un Kagame, un Desalegn ou un
Magufuli. Il y a chez lui un peu du Dambisa Moyo de Dead Aid (« l’aide fatale
») et une très grande « décomplexion » par rapport à l’héritage colonial. Bien
rares encore sont les chefs d’État francophones à oser emprunter ce chemin.
Quand on pense qu’il y a quelques mois à peine le Guinéen Alpha Condé faisait
trembler ses pairs en les appelant à « couper le cordon ombilical avec la
France »…
François Soudan (François Soudan est directeur
de la rédaction de Jeune Afrique).
Source : Jeune Afrique 11 Décembre 2017.
COMMENTAIRES
Ajoutez M. Soudan que les... (Soumis par zogbe Ali le lun, 12/11/2017 - 22:14)
Ajoutez
M. Soudan que les rares présidents francophones qui ont osé tenir ce type de
discours se sont vu coller une rébellion aux fesses, avec en bonus un séjour à
la CPI pour les plus résistants. Ça crève les yeux ça, non ? On n'a pas besoin
de faire un dessin !
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